
Un communiqué du département d'Etat, publié sur le net, au début de ce mois de mai, et déconseillant aux ressortissants américains de se rendre au Liberia du fait du "potentiel de violence" qui existe actuellement dans ce pays, suscite un profond émoi au sein de la population et dans la presse qui se perd en conjectures sur les raisons de cet avertissement sans frais qu'à priori rien ne semble justifier.
"Je ne suis ni effrayée ni perturbée par ce communiqué", a déclaré la présidente Ellen Johnson Shirleaf, avant de prendre l'avion pour Chicago, pour un séjour privé de trois jours, au cours duquel elle doit participer à une émission télévisée particulièrement populaire.
Le chef de l'Etat libérien a estimé que le communiqué du département d'Etat américain était sans doute lié à la violente manifestation de rue, le 28 avril dernier, d'anciens soldats démobilisés réclamant des arriérés de salaires et des primes.
Elle a cependant admis que cette manifestation a considérablement perturbé l'activité économique dans la capitale, exprimant son optimisme sur le fait que le prochain communiqué de Washington sur la situation sécuritaire de son pays, sera certainement "positif".
L'apparente sérénité de la 'Iron lady' (la dame de fer) n'a malheureusement pas dissipé l'inquiétude de ses concitoyens, ni les éclaircissements apportés par la suite par l'ambassadeur US à Monrovia qui a tenté de banaliser le communiqué en question.
Les assurances données par Alan Doss, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, qui a affirmé que les 15.000 hommes de la Mission de l'ONU au Libéria (MINUL) contrôlaient parfaitement la situation, n'ont pas produit un meilleur effet.
Chat échaudé craint l'eau froide. Les Libériens qui sortent de quelque quatorze années de guerre civile, et particulièrement les habitants de la capitale, qui ont vécu les bombardements sauvages et meurtriers de la "bataille de Monrovia", entre avril et août 2003, craignent plus que tout que le pays renoue avec ses vieux démons.
Bien qu'elle n'ait pas fait de morts et qu'il n'y ait pas eu usage d'armes à feu ou de guerre, la manifestation de quelque 400 ex-AFL (Forces armées libériennes) qui affirment n'avoir pas été pris en compte dans le programme national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR), a provoqué d'importants dégâts matériels et fait plusieurs blessés au sein de la population et dans les rangs des Casques bleus nigérians protégeant l'immeuble du ministère de la Défense.
La crise est cependant en voie de règlement, selon M. Brownie Samukai, le ministre de la Défense, qui a révélé à l'envoyé spécial de la PANA que le gouvernement était parvenu à réunir 5,3 millions de dollars US pour faire face à ses obligations.
M. Samukai, qui fut un temps directeur de la police nationale, exige toutefois des protestataires qu'ils fassent amende honorable, en "présentant publiquement des excuses à la présidente de la République et au peuple libérien", avant tout paiement.
En d'autres temps, cet incident aurait pu être qualifié de banal. Mais dans le contexte de la montée générale de la criminalité à Monrovia et dans certains comtés, comme Margibi et Nimba, qui jouxtent la frontière ivoirienne, où l'on signale d'ailleurs un trafic d'armes et des va-et-vient incessants d'ex-combattants, de part et d'autre d'une frontière longue de quelque 720 kilomètres et très poreuse, il a pris une tout autre dimension.
Outre les 13.000 anciens militaires renvoyés à la vie civile, qui ont cependant perçu des indemnités d'un montant de 14 millions de dollars US, versés essentiellement par les Nations unies et par les Etats-Unis, quelque 1990 ex-membres des Services spéciaux de sécurité (SSS), la police politique de l'ancien président Charles Taylor, sont pour le moment restés sur le quai et attendent donc de percevoir leur dû.
A en juger par le ton menaçant que certains de leurs représentants adoptent, il faut peut-être craindre la survenue de troubles, qui ne pourraient qu'amplifier cette inquiétude diffuse qui nimbe les esprits de beaucoup de Libériens.
Mais il y a surtout le cas des quelque 100.000 ex-combattants qui ont été officiellement désarmés et démobilisés. Il s'agit essentiellement des 'Taylor's boys', les hommes de l'ex- président, aujourd'hui détenu à Freetown, en Sierra Leone, en attente de jugement devant le Tribunal pénal international, pour crimes de guerre, des miliciens des Libériens unis pour la reconstruction et le développement (LURD) et du Mouvement pour le développement du Liberia (MODEL).
Hormis quelques milliers d'entre eux qui ont pu bénéficier de programmes de réinsertion dans différents domaines d'activité, la grande majorité des ex-combattants sont quasiment livrés à eux- mêmes et représentent un danger potentiel croissant pour le pays, selon le président de la Commission nationale libérienne des droits de l'homme, T. Dempster Brown, qui a même qualifié le DDR d'"échec total".
M. Brown estime, en effet, que des milliers d'ex-combattants n'ont pas véritablement désarmé et continuent de se comporter exactement comme ils le faisaient pendant les années de guerre, en consommant notamment des stupéfiants et en vivant sur le dos des populations.
Selon lui, ces ex-combattants sont à l'origine de la quasi- totalité des agressions, des braquages et des vols à main armée à travers tout le pays, créant ainsi une atmosphère d'insécurité généralisée, malgré la présence massive des forces des Nations unies.
Cette situation pourrait, semble-t-il, avoir des prolongements chez le voisin sierra léonais où les services d'immigration auraient constaté l'arrivée massive de Libériens, d'Ivoiriens et de Burkinabe, qui ont fui le Liberia, à l'annonce de l'arrestation de Charles Taylor et son transfèrement à Freetown.
Dans le même temps, la perspective de l'éclatement d'un conflit foncier opposant les membres des tribus Mah et Dan aux Mandingos, dans la province de Nimba, se dessine lentement, selon un témoignage publié par le quotidien The Daily Observer. Les premiers ne voulant pas restituer aux seconds les terres qu'ils leurs ont arrachées à la faveur de la guerre.
Malgré cet agrégat de faits potentiellement à risques, qui pourrait, si rien n'est fait par la communauté internationale pour soulager financièrement Mme Shirleaf et son équipe du lourd fardeau qu'ils ont hérité, nombreux sont les diplomates en poste à Monrovia et les responsables de l'administration qui estiment qu'aucune tentative de déstabilisation du pays ne peut prospérer aujourd'hui.
"Mme la présidente bénéficie d'un tel soutien de la part de l'ONU, des Etats-Unis et de la communauté internationale, en général, que je vois mal un individu, un groupe d'individus, un parti politique ou une quelconque faction politico-militaire se lancer dans une aventure vouée inévitablement à l'échec", assure le colonel Yankuba Fofanah, alias 'Jacob', l'un des principaux chefs de guerre du LURD que l'envoyé spécial de la PANA avait rencontré à Freeport, dans les faubourgs de Monrovia, au plus fort de l'offensive de son mouvement contre la capitale, en juillet 2003.
Le bel optimisme affiché par l'ex-combattant, aujourd'hui conseiller à la sécurité à la présidence de la République, qui a pris de l'embonpoint et roule dans une rutilante Mercedes noire, est peut-être excessif. Mais il participe certainement de la volonté générale de tenter d'exorciser les vieux démons, en misant résolument sur la construction d'un avenir plus rassurant.
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