
Plus de deux mois après l’arrestation de Youssouf Fofana à Abidjan, à quel stade se trouve l’affaire aujourd’hui ?
Nous sommes au stade des premières auditions par le magistrat. M. Fofana a été déjà entendu par le magistrat à deux reprises. Le premier jour, lorsqu’il avait été extradé. Il a été présenté au juge d’instruction. C’était l’audition de première comparution. Ensuite, il y a eu une demande de report, pour qu’il puisse préparer éventuellement sa défense dans de meilleures conditions. Il a été entendu la dernière fois le 5 avril. Nous sommes donc au stade des investigations. Le magistrat instructeur a ordonné un certain nombre d’enquêtes qui sont en cours. Il y a déjà deux personnes qui se sont rendues la semaine dernière ; elles se sont présentées au commissariat et ont été entendues par des officiers de la police judiciaire et également interrogées par le magistrat instructeur.
Peut-on savoir, les charges retenues contre le jeune Youssouf Fofana ?
A ce stade, il est poursuivi du chef de plusieurs infractions. Il y a d’abord l’affaire Ilan Halimi du chef duquel il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. De ce chef, on lui reproche des actes de détention, d’enlèvement, de séquestration et de meurtre avec préméditation, en raison de l’appartenance à une religion déterminée de la victime. Ce sont donc des faits très graves. Outre l’affaire Halimi, il est poursuivi du chef de sept autres affaires : tentative d’enlèvement, tentative de détention, de séquestration et tentative de meurtre.
Vous seriez près de trois voire cinq avocats chargés de la défense du présumé chef du gang. Quel est précisément votre rôle dans cette défense?
Cette affaire est odieuse. Il faut reprouver l’horreur du crime qui a été commis. J’assiste M. Fofana à la demande de la famille, pour essayer de replacer les faits criminels dont le juge est saisi dans leur contexte spatial et temporel. Ces faits sont commis en France, ce sont des faits ignobles, voire inqualifiables. Mais il ne faudra pas que l’on tienne le peuple noir de France pour responsable. Parce qu’il est quand même choquant, au stade initial de l’instruction où nous sommes, de dire que ce crime, ces faits ont été commis en raison de l’appartenance juive de la victime. Ces jeunes, et surtout Fofana, n’a pas la capacité intellectuelle de faire une analyse fondée sur des considérations liées à la race, à la religion, à la nation ou même à une situation politique bien précise. Ce crime est un crime crapuleux, un crime de droit commun ordinaire comme il y en a souvent en France. Je suis convaincu d’une chose : c’est que ces jeunes ont commis ces faits, ceux qui sont aujourd’hui présumés avoir commis ces faits, pour un mobile très simple. C’est le lucre, l’argent. Ces jeunes, M. Fofana et les autres, sont le reflet de la société française en pleine dérive, où les seules valeurs qui priment en Occident aujourd’hui se résument à l’argent. Donc, on ne doit pas attribuer ces faits à l’appartenance, à une forme d’antisémitisme dont les jeunes se seraient imprégnés. Ces jeunes, à mon avis n’envisagent pas les choses de manière aussi intellectuelle, aussi raisonnée. Je pense, à mon humble avis que si la victime était de race noire, elle aurait subi le même sort. Si elle était de race « blanche », « jaune », « arabe » elle aurait subi le même sort. Donc, ce n’est pas un sentiment de haine envers le peuple juif qui, à mon sens, très honnêtement, a animé ces jeunes dans la commission des faits qui leur sont reprochés.
Quand est-ce que le jugement public aura lieu ?
Compte tenu de l’importance de ce dossier, de la gravité des faits, et aussi du nombre de charges qui pèsent sur les mis en examen, cette instruction peut durer plusieurs années. Mais en tout cas la date prévisible de l’instruction, c’est dix-huit mois en matière criminelle. Cette date peut toujours être prorogée en considération des investigations à faire, de la nature de l’affaire, de sa complexité…Parce que si au fur et à mesure que l’instruction sera diligentée, il y a un certain nombre de points à éclaircir, le juge demandera des actes. Et ces actes peuvent requérir plus de temps que le magistrat l’aura prévu. Et la procédure, dans ces conditions, la durée de la procédure d’instruction s’allongera. Donc, à mon avis, l’audience publique aura peut-être lieu dans deux ou trois ans, mais pas avant.
Vous venez de rencontrer le jeune Youssouf Fofana, est-ce qu’il reconnaît les faits qui lui sont reprochés ?
M. Fofana ne parle pas beaucoup. Mais en tout cas, il reconnaît avoir participé à l’enlèvement, à la détention et à la séquestration de la victime. En revanche, il nie avec force avoir tué la victime. Il dit qu’il ne l’a pas « tué de ses mains ». Nous pouvons nous poser des questions. Quand il dit « tuer de mes mains », qu’est-ce que cela veut dire ? Il ne m’a pas donné des réponses à ce sujet. Il ne m’a pas donné beaucoup de détails. Il m’a dit tout simplement : « Maître, je ne l’ai pas tué de mes mains ».
Ce jeune homme se rend-il compte de la gravité des faits ? On l’a vu faire le V de la victoire dans des photos de presse, au moment de son arrestation, comme s’il narguait les parents de la victime.
C’est vrai que nous pouvons nous interroger sur cette attitude. Je lui ai posé un certain nombre de questions sur ce point et il m’a donné des réponses. Disons qu’il ne l’a pas fait pour narguer la famille. Il est conscient d’abord de la gravité des faits. Il est conscient aussi des sanctions qu’il encourt, notamment de la peine. En revanche, il dit que son sort est déjà scellé. Quoi qu’il dise, rien ne changera. Il est devenu en quelque sorte une forme de bouc émissaire. C’est pour cette raison qu’il dit qu’il n’a pas à donner davantage d’explications. Il dit qu’il a été torturé en Côte d’Ivoire. Et qu’il trouve injuste, le traitement qui lui a été infligé en Côte d’Ivoire, parce qu’il considère qu’étant Ivoirien, il aurait bénéficié, non pas d’un traitement de faveur, mais d’un traitement ordinaire, de celui d’une personne suspectée d’avoir commis un certain nombre de faits et qui serait normalement traité, à qui on reconnaîtrait des droits. On ne lui a pas reconnu un certain nombre de droits, puisqu’il a été torturé me dit-il, par électrocution. On lui a appliqué l’électricité sur les jambes.
Il estime qu’il est Ivoirien. Peut-il le prouver ?
Est-ce que M. Fofana est Ivoirien ? Moi en tant que juriste, je dis oui. Puisque il est né de parents eux-mêmes Ivoiriens. Donc, il a sa nationalité ivoirienne, puisque le code de la nationalité ivoirienne n’interdit pas la double nationalité, en tout cas selon le droit du sang, le « jus sanguinis ». Pourquoi s’est-il réfugié aussitôt en Côte d’Ivoire ? Il espérait ne pas être interpellé par la justice française ; en tout cas il a déchanté. Je pense qu’il en était persuadé, puisqu’au fond, il n’a pas cherché à se cacher. S’il voulait vraiment échappé et s’il soupçonnait qu’on l’aurait extradé, il ne serait pas resté à Abidjan. Il serait allé en province. Je suis convaincu d’une chose : c’est que Fofana Youssouf n’a pas la capacité, à mon avis, intellectuelle d’analyser les choses de manière exacte et cohérente…
Oui, justement, vous nous confiez que lorsque vous l’avez vu pour la première fois, vous avez été surpris de vous retrouver face à quelqu’un qui ne reflète pas l’image que la presse décrit de lui…
Oui, tout à fait. Parce que la presse, en fait lui a confectionné une veste qui ne correspond pas à ses mensurations. Je suis persuadé et même convaincu que M. Fofana ne peut pas être un chef de gang. Je ne vois pas qui peut s’incliner devant sa personnalité. C’est un personnage ordinaire, qui à mon avis n’est même pas capable d’influencer qui que ce soit. Très honnêtement. Il n’a pas le charisme d’un chef de gang. Je pense que la presse lui a donné une posture qui n’est pas la sienne.
Il veut porter plainte contre des journaux…
Il m’a donné pouvoir d’attaquer les journaux qui ont diffusé son image alors qu’il était menotté et ceux qui ont également publié la photo où il avait fait le signe du V. Parce qu’il considère qu’il l’a fait instinctivement ; ce n’était pas prémédité. Il considérait qu’il était pourchassé dans le pays de ses ancêtres. Donc, il dit qu’il n’a pas fait le signe dans le dessein de faire mal à la famille, il ne défie pas cette famille.
Quelle est la peine qu’il encourt ?
Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de 22 ans, période au cours de laquelle il ne peut bénéficier de grâce ni de liberté conditionnelle.
Combien de personnes sont impliquées dans cette affaire et ont-elles toutes été arrêtées ?
Il y a 25 personnes qui sont mises en examen dans cette affaire et quatre ont été maintenues en liberté sous contrôle judiciaire.
Dans quelles conditions Youssouf Fofana est-il aujourd’hui détenu à Rouen?
Il est en isolement. Il est dans une cellule tout seul, sans télévision ; il ne rencontre pas aussi les autres détenus, sauf quand il veut rencontrer un médecin ou un membre de sa famille. Les autorités judiciaires disent que c’est pour le protéger. On l’a emmené à Rouen, car les autorités judiciaires souhaitent empêcher les détenus de cette affaire de communiquer. Les uns sont à Rouen, les autres sont à Paris et à Lille. La communication entre eux sera alors très difficile.
Note de Grioo.com: cette interview a été réalisée par Karim Wally pour le compte de Nord-Sud Quotidien d'Abidjan, dont il est le correspondant en France, et est reproduite avec sa permission. |