
L'ancien patron du journal extrémiste rwandais Kangura, condamné à la prison à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), peine à emboîter le pas aux six accusés déjà passés aux aveux devant cette juridiction créée en novembre 1994 par les Nations unies.
Dans un courrier de huit pages adressé le 13 juin au président rwandais Paul Kagamé, Hassan Ngeze, manifestement hanté dans sa prison par les événements de 1994 dans son pays, demande pardon, mais sans rien confesser et en défendant, une fois de plus, sa publication.
«Je vous écris en demandant votre pardon, après avoir passé plus de neuf années en prison, condamné pour des crimes que je n'ai pas commis», écrit l'ancien journaliste, connu pour sa propension à se mettre en vedette.
«Mon journal n'a jamais été publié pendant le génocide. Kangura a repris des articles qui étaient en circulation depuis plus de 40 ans. Ainsi donc, je suis en prison pour ces articles publiés avant même ma naissance», poursuit Hassan Ngeze.
«L'objectif, en reproduisant les Dix commandements des Hutus dans Kangura numéro 6 et les Dix-neuf commandements des Tutsis dans Kangura numéro 4, était d'informer l'opinion générale des conséquences néfastes de telles philosophies destructives et d'inviter (les Rwandais) à résoudre leurs différends. Je ne suis pas l'auteur des Dix commandements des Hutus ni des Dix-neuf commandements des Tutsis», clame le condamné, qui attend son procès en appel.
Ces fameux commandements véhiculent un message de haine entre Hutus et Tutsis, les deux principales ethnies du Rwanda.
Dans sa lettre, le journaliste condamné démolit par ailleurs la thèse chère à la plupart des détenus du TPIR et selon laquelle le génocide de 1994 a été une réaction spontanée de la majorité hutue à l'assassinat du président Juvénal Habyarimana dans la soirée du 6 avril 1994.
«Habyarimana n'est pas le seul président à avoir trouvé la mort dans un crash d'avion. Cela s'est passé au Mozambique, mais les militaires et d'autres responsables gouvernementaux n'ont pas tué leur peuple pour cette raison», souligne-t-il.
Hassan Ngeze s'en prend également aux Nations unies, les accusant d'avoir abandonné les Rwandais à leur sort en 1994. «Le colonel Isoa Ticoka, le commandant en second de la Mission des Nations unies au Rwanda (MINUAR), est un témoin en ce qui concerne mon apport aux Nations unies consistant en des informations de première main que je leur ai données d'août 1993 jusqu'à la fin de son séjour au Rwanda», affirme Ngeze dans sa lettre.
«Depuis la signature de l'accord de paix d'Arusha (entre le gouvernement de l'époque et les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir), je travaillais quotidiennement avec les Nations unies au Rwanda comme leur principal informateur», déclare-t-il.
Il soutient qu'à travers lui, la MINUAR «savait tout ce que planifiaient les (miiciens) Interahamwe et leurs dirigeants, mais n'a pas arrêté l'entraînement et l'armement des Interahamwe».
Clamant son innocence, il énumère ceux qui, selon lui, sont les coupables: «les politiciens qui ont accepté d'envoyer les milices dans des entraînements en vue de commettre des atrocités», «les responsables militaires qui fourni les armes aux miliciens ainsi que les responsables gouvernementaux qui ont refusé d'arrêter les civils qui détenaient des armes».
Il épingle également «les soi-disant intellectuels qui ont refusé de cacher leurs voisins tutsis pourchassés», «les tueurs Interahamwe», sans oublier «une grande partie de l'Histoire faussement enseignée par nos ex-colonisateurs».
Le Rwanda fut colonisé par l'Allemagne puis par la Belgique, cette dernière étant souvent accusée d'avoir exacerbé le clivage Hutu/Tutsi.
Ngeze conclut sa lettre en accusant la chambre de première instance d'avoir violé ses droits. «Lors de mon témoignage devant le tribunal, je n'étais assisté d'aucun conseil à ce moment crucial du procès, et le tribunal a refusé de me donner un avocat en qui j'avais confiance et qui pouvait m'aider à révéler tout ce que j'avais appris en tant que journaliste d'investigation», accuse-t-il.
«Je n'ai pas pu donner de détails aux Rwandais et à l'humanité concernant les officiers supérieurs, les hauts dirigeants politiques et les étrangers qui, d'une façon ou d'une autre, ont rendu le génocide possible», ajoute Ngeze. |