
Au mépris de la loi et des forces de l’ordre, les Camerounais continuent de se faire justice et il ne se passe plus de semaine sans qu’on enregistre, ça et là, des lynchages de présumés malfaiteurs, a constaté la PANA.
La vindicte populaire, utilisée comme mesure punitive contre le banditisme, aboutit très souvent à la mort de présumés
bandits par lapidation, repassage au fer chaud, injection d’eau, d’alcool ou de lait dans les veines et même brûlures à mort aux roues des voitures.
Le sociologue Cheta Paul-Claude explique ce phénomène par l'exaspération des populations devant les graves dommages causés à leurs familles par des brigands et qui ne trouvent plus nécessaire de livrer ces bandits aux forces de l’ordre.
"En fait, il se trouve que dans la plupart des cas, les bandits appréhendés par les populations et livrés aux forces de police reviennent dans les quartiers quelques jours plus tard, défient et agressent ceux qui les avaient arrêtés", souligne-t-il.
Parfois, la police, informée d’un braquage, ne se déplace pas, prétextant un manque de voiture, de carburant, ou d’agents au poste.
Pour lui, cette situation renforce l’insécurité dans laquelle vivent les populations et surtout, prouve défaillance des systèmes de forces de l’ordre et de la justice.
Il attribue également la recrudescence de la vindicte populaire aux facteurs socio-économiques liés à la crise économique dans laquelle le pays vit depuis plus d’une dizaine d’années, et qui a mis à mal les budgets affectés à certains services publics de sécurité.
La pratique, de plus en plus récurrente, ne laisse pas indifférente les pouvoirs publics qui s’efforcent, tant bien que mal, de sensibiliser les populations sur la question.
La police camerounaise consacre des émissions radio-télévisées à ce phénomène qui, reconnaît-on au sein de ce corps, n'honore pas le pays.
Selon N. Christophe, officier de police à Yaoundé, la police ne dispose pas de chiffres exacts sur le nombre de décès occasionnés par la justice populaire au Cameroun.
Cependant, ajoute-t-il, la fréquence avec laquelle ce corps est informé des errements des foules face aux bandits atteste de l'étendue du mal.
Selon lui, la palme revient à Douala, la métropole économique du pays.
Or, souligne-t-il, il arrive que certains présumés coupables massacrés par les foules soient innocentes après enquête.
Là, releve-t-il, on ne sait qui la justice doit poursuivre, parce qu’il est difficile d’établir les responsabilités des uns et des autres dans ces affaires de meurtre.
Il cite en exemple le cas d’une dame qui, ne voulant plus de son amant, a crié au voleur et les populations en furie ont battu à mort ce dernier.
Il y a aussi le cas d'un homme qui ne pouvant pas honorer sa dette vis-à-vis d’un autre l'a accusé d'être un cambrioleur, attirant l'attention de ses voisins qui lui ont ingligé une bastonnade en règle.
"Si votre maison est dévalisée, votre femme et vos filles violées et tuées sous vos yeux, comme ce fut le cas pour mon voisin, vous seriez prêt à tuer tout bandit que vous croiserez sur votre chemin", raconte Bouche Pierre, un habitant de la ville de Yaoundé.
"Nous savons que nous n’avons le droit de nous faire justice, mais comme les forces de l’ordre ne font pas leur travail, nous sommes obligés de nous défendre contre ces braqueurs que nous croyons être en complicité avec la police",dit-il.
Me N. Félix, avocat au barreau camerounais, pense que les populations exagèrent dans leurs agissements, même s’il reconnaît que la police relâche les bandits sans prendre le temps de les présenter à la justice.
Selon lui, les populations ne sont pas assez sensibilisées sur la question, car beaucoup ignorent que battre à mort un homme, même s’il est un bandit, est proscrit par le Code pénal et que les sanctions, si leurs responsabilités sont établies, peuvent aller jusqu’à la prison à vie.
Il souhaite qu’en dehors de l’entrée en vigueur en août prochain du nouveau code de procédure pénale, les pouvoirs publics trouvent des solutions efficaces pour sécuriser les populations face au grand banditisme. |