
Fabrice, huit ans, un pèse-personne sous les bras, sillonne les rues de Yaoundé, la capitale camerounaise, proposant aux passants qu'il rencontre de prendre leur poids moyennant une pièce.
Willy a le même âge. Lui, ce sont des brosses à dents, des élastiques et des peignes qu'il propose aux passants.
Fabrice et Willy sont comme les nombreux enfants qui, dès le début des vacances, défient la mort en se faufilant entre les véhicules dans les différents carrefours de la ville, hantent les bâtiments administratifs et les marchés avec divers produits à vendre.
Comme la plupart des jeunes de leur âge, ils n'ont pas droit aux vacances, car ils doivent, sous la contrainte des parents, travailler pour préparer la prochaine rentrée des classes.
C'est, en effet, avec le fruit de leur activité que les parents feront face aux dépenses de fournitures scolaires à la rentrée.
Le phénomène prend chaque année des propositions plus inquiétantes dans les rues et les marchés de Yaoundé.
Fabrice confie avoir commencé à participer aux frais de sa rentrée scolaire lorsqu'il avait cinq ans. La première année, il réussira à épargner 6.000 francs CFA, l'année suivante environ 9.000 FCFA.
Les parents sont tellement exigeants que les enfants passent toute la journée dans la rue, parce qu'ils doivent atteindre le chiffre qu'on leur exige chaque jour.
Afin de réunir la somme exigée par ses parents et assurer le prix d'un sandwich, Willy se dit parfois obligé de revoir ses tarifs à la hausse. Il doit braver la pluie et le soleil pour satisfaire les exigences de son père.
Ce dernier explique qu'il ne cherche qu'à amener son fils à prendre conscience de la dureté de la vie. "Lorsque l'enfant participe à l'achat de ses fournitures, ils les conservent jalousement parce qu'il sait combien c'est difficile de les avoir", argumente-t-il.
Parent d'élève et enseignant d'éducation physique, Ambroise Oloko n'est pas du même avis. Selon lui, les performances d'un enfant, son degré de responsabilité dans une année scolaire dépendent de la façon dont il a passé les vacances.
Pour lui, les vacances sont une période pendant laquelle, l'enfant change d'activité, mais il faut veiller à ce qu'il y ait un équilibre. Aussi, estime-t-il que priver l'enfant de divertissement équivaut à retarder son épanouissement.
Des structures de vacances existent pourtant au Cameroun.
Le ministère de la Jeunesse et l'Institut national de jeunesse et d'animation (INJS), notamment, offrent pourtant des encadreurs pour accompagner les enfants pendant la période des vacances. A travers des colonies de vacances et des espaces aérés, pour le ministère de la Jeunesse et des activités sportives et socioculturelles, pour l'INJS.
Selon les responsables de l'INJS, l'affluence des premières éditions a diminué, même s'il est vrai que l'activité avait été délocalisée dans quatre autres pôles à Yaoundé.
Selon Martha Etah, assistante sociale, le manque d'engouement est lié à l'utilisation abusive des enfants par les parents, incapables de faire face seuls aux problèmes de rentrée scolaire.
Pour elle, au lieu de multiplier les initiatives de divertissement, les autorités devraient recenser les enfants nécessiteux de chaque établissement et les occuper savamment pendant les vacances, en leur donnant un peu d'argent pour les fournitures scolaires.
Selon Samuel Ngangué, enseignant de lycée et collège à Yaoundé, le phénomène actuel ne se limite plus aux grandes métropoles du Cameroun et est en passe de devenir un obstacle pour le système éducatif.
Les enfants qui passent leurs vacances dans la rue et les ateliers prennent toujours le train bien tard et s'exposent au redoublement des classes, avertit-il.
A son avis, il est important d'initier l'enfant à la vie active, mais il faut lui laisser une marge pour qu'il puisse totalement s'épanouir.
Georges Hervé, 19 ans, étudiant à l'université, se rappelle avoir eu beaucoup de problèmes en classes de 4e et 3e, parce qu'il passait le temps à aider sa mère à vendre au marché pendant toutes les vacances. Cela lui permettait de s'acheter de belles chaussures, mais nuisait à sa scolarité.
Il préconise la formule des vacances relax pour sauver les nombreux enfants qui comme Fabrice et Willy sont obligés de se battre, alors que leurs camarades profitent des vacances. |