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Pouvez-vous revenir sur la démarche qui a poussé le CRAN à contester la définition des mots "coloniser" et "colonisation" figurant dans le Petit Robert ?
Aux mots « colonisation » et « coloniser », Le Petit Robert propose les définitions suivantes…inchangées depuis des décennies :
- Colonisation : « mise en valeur, exploitation de pays devenus colonies »,
- Coloniser : « coloniser un pays pour le mettre en valeur, en exploiter les richesses (…) ».
Les termes « mettre en valeur » et « mise en valeur » renvoient à l’exploitation matérielle des pays occupés par le colonisateur, qu’ils présentent sous un jour positif, comme le reconnaissent désormais les éditions Le Robert.
Ces termes nient, délibérément ou non, la souffrance des peuples colonisés.
On ne peut pas mettre sur le même plan des richesses et des hommes.
Comme le disait Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme : « On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilomètres de routes, de canaux, de chemin de fer ?
Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés… »
La colonisation a fortement marqué les esprits, c’est pour justifier ses horreurs de la que l’on a voulu souligner le rôle prétendument « positif » de la colonisation.
Tout cela est encore dans les esprits ! C’est ce qui explique certains réflexes discriminatoires ; c’est ce qui explique par exemple que l’on puisse accepter de voir des femmes et des enfants vivre dans des conditions sanitaires épouvantables à Cachan et que pendant ce temps, les autorités de ce pays se renvoient les responsabilités. Quel autre groupe de populations les autorités françaises laisseraient-elles vivre dans ces conditions à part les anciens colonisés ?
Vous proposez la mise en place d'un groupe d'études chargé de donner une définition acceptable par tous : quels sont les gens qui pourront être membres de cette commission ?
Pour ma part, je ne me vois pas en faire partie !
Ce seront des femmes et des hommes de lettres, des lexicographes évidemment. L’idée est de dire qu’il faut accepter le débat sur ces questions. Ce type de débats a lieu partout, dans toutes les grandes démocraties, et c'est l’absence de débats sur les traces linguistiques du colonialisme qui serait une anomalie.
Cependant, le CRAN n’est pas la police de la pensée ! Nous serions illégitimes à proposer une définition, mais nous sommes légitimes à dénoncer les définitions qui circulent sans que personne ne fasse ou ne dise rien. C’est aussi pour cela que nous avons été créés !
Nous avons été créés pour montrer les injustices dont les populations noires sont victimes. Nous avons vocation à pointer les immobilismes sur la question de l’acceptation de la diversité.
Et si nous parlons d’immobilisme, quoi de plus immobile que des définitions qui ne changent pas, depuis 40 ans ! Nous avons également été créés parce que les résidents et citoyens noirs sont légitimes dans cette société française dont ils font partie, et qu’ils interrogent sur ses pratiques visibles et invisibles.
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Quels retours avez-vous reçu depuis que vous avez fait connaître votre position quant à la définition du mot colonisation figurant dans le Petit Robert ?
Nous sommes soutenus par de très nombreuses personnes qui comprennent notre démarche, surtout après la contre-argumentation confuse des Editions Le Robert qui ont tenté de justifier ces définitions malheureuses en disant par exemple qu’elles étaient présentes depuis 40 ans.
Mais en quoi le fait qu’une anomalie dure depuis 40 ans empêcherait-il d’y remédier aujourd’hui ? Depuis 1967, les connaissances et les développements sur les mots dont nous critiquons les définitions ont été considérables. Le Petit Robert devrait se féliciter d'avoir des lecteurs aussi attentifs ! Cela a ouvert les yeux de plusieurs personnes qui désormais nous soutiennent.
Est ce que votre dénonciation n'intervient pas un peu en retard ? N'aurait-il pas fallu faire cette contestation à l'époque où le thème du rôle positif de la colonisation était débattu sur la place publique et faisait la une de l'actualité ?
Non bien au contraire, cette dénonciation vient à point nommé ! C’est aujourd’hui, à la rentrée, à distance de la polémique législative qu’il fallait se lever pour montrer que, malgré le retrait de l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 mentionnant le « rôle positif » de la colonisation française, et les déclarations du président de la République, Jacques Chirac, tout reste à faire. Rappelez-vous que, selon un sondage publié dans le Figaro, 65 % des Français approuvaient cette loi.
Le débat qui a eu lieu l’année dernière sur le « rôle positif » de la colonisation française semble n’avoir servi à rien !
Un article de loi a été abrogé mais beaucoup n’ont toujours pas compris pourquoi. Le rôle prétendument « positif » est encore très fortement installé dans les esprits en France. Par cette action, nous avons voulu montrer qu’il y avait au sein de la société française, une grande hypocrisie sur les questions liées à la colonisation : d’un côté vous avez de grandes déclarations de principe sur l’égalité, sur la fraternité sur les droits de l’homme etc. ; de l’autre, vous avez des messages subliminaux ou directs pour faire croire que les êtres humains sont inégaux, qu’il y aurait une France immuable, blanche catholique et que, quoi qu’on dise, la colonisation à été un bienfait pour ceux qu’il fallait civiliser. Comme par hasard, ce sont les mêmes qu’il faut « intégrer » aujourd’hui. Le message est très clair !
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De manière directe et ouverte, c’est le discours que tiennent le Front national et le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers.
Mais de manière plus sournoise, plus diffuse, c’est le même message qui est passé, délibérément ou non, à l’Assemblée nationale, à la télévision, à la radio, dans les manuels scolaires, dans les dictionnaires etc. Ce ne sont pas uniquement les députés qui disent ou pensent le rôle « positif » de la colonisation !
Par notre action, c’est cette hypocrisie qu’il s’agissait de dénoncer, car par ricochet, elle incite à la discrimination à l’encontre des populations noires.
Du reste d’autres définitions, inchangées depuis des décennies et toujours présentes dans Le Petit Robert, posent également problème.
Au-delà du Petit Robert, c'est bien un regard sans complaisance qu'il s’agit pour nous de porter sur l'héritage de la colonisation.
Votre action est-elle un coup d'épée dans l'eau ou y aura t-il un suivi concret et des véritables retombées ? Connaîtra t-on au moins les résultats de l'action que vous entreprenez et sous quel délai ?
Les résultats obtenus sont au déjà très encourageants ! Nous avons suscité un débat sur les traces du passé colonial et ce qui empêche l’égalité en France. C’est ce que nous voulions.
Le Petit Robert dit ne pas être d’accord avec nous mais songe à modifier la définition et accepte donc implicitement le bien fondé de notre contestation. Les choses ne seront plus comme avant et tout le monde le verra. Cependant, nous sommes dans un combat qui n’est pas terminé. Nous dirons périodiquement les résultats de notre action. Mais à ce stade, nous n’excluons rien.
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Au delà de cette action, pouvez-vous nous en dire plus sur le programme du CRAN en cette année d'élection présidentielle?
Le CRAN va prendre pied dans le débat des élections présidentielles en interrogeant les candidats sur leurs intentions et sur des propositions concrètes qui concernent les populations noires.
Nous ferons connaître les réponses ou les absences de réponses des candidats.
Le CRAN va également prendre des initiatives originales sur les statistiques de la diversité (nous préférons ce terme à celui de « statistiques ethniques » car ce ne sont pas des ethnies qu’il s’agit mesurer, mais c’est l’expression de la diversité en France qu’il s’agit d’évaluer)
Nous sommes à la pointe du combat sur les statistiques, car il y a là un véritable enjeu pour montrer et évaluer l’évolution des discriminations dont sont victimes les populations noires.
Enfin, nous préparons une très importante réunion des populations noires dans une grande salle parisienne au printemps 2007.
Bref nous allons tout faire pour que l’élection présidentielle ne laisse pas de côté cette question brûlante et nous demandons à tous ceux qui le peuvent de nous rejoindre car c’est ensemble et non dispersés que nous serons plus forts.
Nous avons besoin de tout le monde, pour nous aider à aider les populations noires en France.
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