
A Cannes se tenait ce jeudi la XXIVe conférence Afrique France. Certains observateurs mal informés auraient pu croire à une réunion intercontinentale de vieilles personnes fortunées, mais il s’agissait bien de la dernière sortie d’importance de notre vaillant président
Finalement Cannes est un bon choix. La Croisette, ses paillettes, ses villas, ses hôtels coquets, ses boutiques luxueuses. Le dernier sommet France-Afrique de Jacques Chirac n’aurait pu que se tenir là. D’autant que la moyenne d’âge des invités ne jurait guère avec celle de la population, l’hiver, sur la Côte d’Azur. Oui, finalement, Cannes est un bon choix, à mettre au crédit de « Chirac l’Africain ».
Et le sommet s’est déroulé comme prévu. Sans accroc, sans grande nouvelle non plus. Bon gré mal gré, une réunion sur la crise du Darfour s’est tenue. Pour la forme. En comité restreint, jeudi, à 17 heures. Invité, Moubarak d’Egypte, Béchir du Soudan, Bozizé de Centrafrique (« pas une lumière politique » selon un mal-appris du Quai d’Orsay) et « l’ami de la France », selon l’éternel mot de Chirac, Idriss Déby Itno. Un peu ronchon, le maître de Ndjaména a du se faire tirer l’oreille pour y assister. Il ne voulait pas voir son voisin Béchir. « On ne lui a pas laissé le choix », susurrent certains. Une sorte de cadeau d’adieu sans grande conséquence. « Il ne faut pas s’attendre à ce que grand-chose en sorte », glisse un habitué.
Non, l’intérêt du sommet était autre. Une réunion de vieux complices d’entourloupes –au choix pétrolières, barbouzardes, affairistes– qui se disent au revoir. Adieu la Chirafrique, ses relations avec les présidents à la démocratie incertaine et au train de vie somptueux. Un chant du cygne, sans chaudes larmes ni énormes embrassades. Presque un programme de retraité. Bien agencé et pas trop lourd.
Mercredi soir, un petit dîner avec les proches. Le camerounais Paul Biya, le gabonais Omar Bongo, le congolais Sassou Nguesso. Jeudi matin, le discours d’ouverture. Le président français, a été applaudi. Poliment. Presque une insulte aux vues de tous les services rendus. Seul Amani Toumani Touré s’est fendu en public d’un « mon cher Jacques ». Bouteflika, teint cireux, a écouté, engoncé dans sa chaise, est resté muet. « Comme une tombe », ose un observateur mesquin. Le Prince Moulay Rachid, représentant pour l’occasion son frère Mohammed VI, n’a pas pipé mot non plus, à personne.
Au moins son royal frère a-t-il présenté une excuse béton pour surseoir à la sauterie. Sa femme est sur le point d’accoucher. « D’ici quelques semaines », persiflent les incontournables mauvaises langues. Les jeunes rechignent toujours à s’occuper de leurs vieux parents...
Et ce ne sont pas les seuls. Gbagbo, finalement, n’est pas venu non plus. Le président ivoirien « cauchemar africain » de Chirac, a préféré envoyer son « grand bouffeur » et président du conseil économique et social, Laurent Dona Fologo, le représenter. Tant pis pour le pied de nez à son ennemi intime. « Tant mieux, il ne pèsera pas sur le sommet », s’est réjoui la cellule africaine de l’Elysée. Pas un mot en revanche sur l’absence du président sud-africain, Thabo Mbeki.
Mais une réunion de vieux routiers a toujours quelque chose de gênant, voire de pathétique. Et le XXIVe sommet France-Afrique du nom n’a pas dérogé à la règle.
A commencer par la conférence de presse préparatoire, donnée mardi 13 février à l’Elysée. Suivi par un bref briefing de Michel de Bonnecorse, le patron de la cellule Afrique, à quelques journalistes. Une séance histoire de justifier les absences, de la part d’un vieux grognard chiraquien qui voulait protéger son mentor d’une dernière salve de reproches. Au hasard sur la gestion du dossier ivoirien, et notamment des morts français de Bouaké (voir p.3).
Puis le discours d’ouverture. Chirac n’a pas eu un mot pour la Guinée, en cours d’implosion, laissant le président de l’Union Africaine, le Ghanéen John Kufuor, se charger de la question. Décevant. Pas de grandes envolées lyriques. Et ses encouragements à Angela Merkel avant son allocution, ont paru un brin surannés. Tout comme ce pouce levé en signe d’acquiescement au discours de la chancelière allemande.
Un geste d’un autre âge de la part d’un homme qui file vers le passé. Et, qui sait, enterre peut-être avec lui, une certaine politique africaine de la France. |