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Interview de Sanvi Panou directeur du cinéma "Images d'Ailleurs"
14/10/2003
 

Sanvi Panou est le directeur d'une salle de cinema d'arts et d'essai parisienne consacrée au cinéma africain
 
Par Hervé Mbouguen
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Sanvi Panou  
Sanvi Panou
© grioo.com
 

Nous rencontrons Sanvi Panou dans les bureaux "d'images d'ailleurs". Il achève de regarder un documentaire sur Mumia Abu Jamal, journaliste noir américain condamné à mort, ce qui nous situe d'emblée le personnage. Interview.

Grioo.com : quel type de film est-ce qu’on peut voir à image ailleurs ?

Sanvi Panou, Image d'ailleurs : Notre éthique c’est d’être à l’écoute des films, au départ des films africains, puisque nous sommes des cinéastes africains à l’origine, et naturellement nous ne pouvons pas ignorer que l’Afrique s’inscrit dans une grande culture noire ; bien sûr lorsque nous parlons de films noirs, nous pensons aussi au Maghreb, nous pensons aux productions sud-américaines : des films venant du brésil, des caraïbes... et puis la cinématographie issue de la communauté noire américaine. Il s’agit pour nous d’être une vitrine permanente de la dynamique de la cinématographie venant du peuple noir. C’est pour ça que nous sommes à l’écoute systématique de ces films lors de leurs sorties, ou pour plusieurs raisons lorsqu’ils disparaissent de l’affiche, nous les recueillons pour faire de notre espace un lieu qui privilégie la programmation et la durée ces films.

Par rapport aux sollicitations dont vous pouvez être l’objet des distributeurs, comment est-ce que vous effectuez votre choix de films ?

D’abord nous sommes en relation avec de nombreux attachés de presse qui nous informent à la sortie des films ; c’est une démarche professionnelle inévitable pour être au courant des créations. D’un autre côté nous assistons à des productions spécialisées dans le cadre de l’espace "art et essai", puisque vous savez notre salle a été classée cinéma d’art et d’essai dès sa création, donc il y a tout le réseau "art et essai" qui nous est très proche, par rapport au contenu, par rapport aux réflexions que porte ce cinéma ; nous avons beaucoup d’affinités avec ces films et parfois beaucoup de nos films africains ou de culture noire se retrouvent dans ces réseaux là. A travers le canal de la fédération des salles "art et essai". Nous visionnons beaucoup de films, nous assistons aussi aux festivals touchant au cinéma africain : que ce soit le Fespaco, le Festival de Namur, de Nantes, ou d’Amiens... nous sommes extrêmement sensibles et constamment présents dans les festivals programmant la projection de films de culture noirs. C’est ainsi que nous arrivons à nous informer sur l’existence de ces films.

En parlant de ces films, pouvez-vous citer un film dans votre carrière dont la diffusion vous a laissé un souvenir particulier ?

Nous diffusons entre 15 et 20 films par semaine, si on multiplie sur 13 ans, vous voyez que ça fait un volume de films important (rires !). Ce que je pourrai dire, c’est ce que je disais en première partie : les films que nous diffusons sont les films que nous défendons. Nous ne prenons pas les films comme ça parce qu’ils sont simplement africains. Nous prenons les films parce qu’ils ont un contenu, ils ont un côté soit politique, soit sociopolitique. Des films qui interrogent la société à leur manière et puis aussi des films qui peuvent aussi pousser le téléspectateur à une réflexion personnelle.

Nous ne prenons pas les films uniquement parce qu’ils sont africains. Lorsqu’ils ne nous plaisent pas, soit on aide le cinéaste, on l’aide à se faire connaître par d’autres, mais nous faisons attention à ce que nous programmons. Pour revenir à votre question, vous me demandiez...

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© grioo.com  

Quels sont vos films préférés ? Pouvez-vous nous en citer deux ou trois ? Car on peut remarquer que vous avez un grand poster de Malcom X, ce genre de choses, on voit donc que vous en avez qui vous ont marqué...

Oui oui bien sûr. Le film "Malcom X" fait partie de ceux qui m’ont marqué ; j’ai en effet un de ses posters dans mon bureau. Je me positionne par rapport à la fréquentation des spectateurs. Je prends l’exemple du film de Raoul Peck "Lumumba". Ce film m’a beaucoup marqué. Bien sûr les gens de ma génération savent qui est Lumumba et ce n’est pas étonnant qu’il y’ait un certain nombre d’africains de ma génération qui viennent voir le film ; mais ce qui m’a surpris c’est la jeunesse : les 15-20 ans qui n’ont pas connu ni Lumumba, ni cette époque, mais qui sont venus nombreux voir ce film. Ça m’a marqué et ça prouve que nous nous plaignons de la méconnaissance de notre histoire, mais je réalise qu’un effort est fait auprès de la jeunesse noire actuelle qui fait de gros efforts pour être en contact avec son histoire, avec ses héros et notre parcours...

Je citerai également pour les jeunes "la vie et la mort de Peter Tosh", un film que j’ai déjà distribué, qui parle de ce musicien, le tenant en compagnie de Bob Marley qui est un grand militant, qui est un indépendant, un très très grand musicien. La production de ce film a été un évènement considérable.

Je pense aussi à "Biggie et Tupac" qui passe actuellement chez nous. Je suis frappé de constater que si nous donnons de la matière aux jeunes, des choses qui les préoccupent, ils seraient un peu plus dans les salles de cinéma.

Il y’a plein d’exemples comme ça que je peux vous citer, comme certains films brésiliens, ou un film de Sembène Ousmane intitulé "Le camp de thiaroye", qui est ce film qui relate le massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée française lorsque ceux-ci ont réclamé leur pension. Voilà une histoire que beaucoup d’africains ne connaissent pas. Ce film a été programmé dans l’évènement que je présente sur droits de l’homme car c’est à travers ces cinématographies que la nouvelle génération pourrait commencer à prendre ses repères sur notre histoire.

Sanvi Panou  
Sanvi Panou
© grioo.com
 

Très bien. On va passer plutôt à un volet plutôt commercial : ce qui frappe le parisien, c’est tous les multiplexes qui fleurissent, qui diffusent les grosses productions américaines, et qui ont souvent des formules d’abonnement à très faible coût.

Comment est-ce que "Image ailleurs" s’en sort financièrement? Que faites-vous du point de vue commercial pour intéresser les clients ?


Dire qu’ "Image d'ailleurs" s’en sort commercialement serait trop expéditif. Car comme vous voyez nous nous sommes constitués en association pour avoir suffisamment de flexibilité, pour pouvoir engager des actions dans le cinéma, c'est-à-dire travailler avec des associations, faire des tables rondes... le fait est que nous travaillons sur des films qui au départ ont très peu de public, du fait d’un travail insuffisant de communication sur ces films. Parfois nous démarrons avec des films qui font 3-4 entrées et au bout d’un mois, deux mois, ces entrées remontent à 30-40 voire 50. Nous tournons parfois des mois avec des films qui font 4-5 entrées. Cela crée des manques à gagner énormes.

Pour tout vous dire en d’autres mots, nos recettes propres tournent autour de 40 à 45% de nos charges et toute l’année il faut véritablement pratiquer des jonglages pour pouvoir équilibrer l’année et c’est la raison pour laquelle nous faisons constamment des manifestations parallèles pour boucher des trous, obtenir des subventions, nous organisons des festivals pour nous faire aider afin de trouver l’équilibre financier et continuer à diffuser des films même s’il y’a 3 ou 4 personnes. C’est à partir de 3 ou 4 personnes par séance qu’on arrive à atteindre 40, ce que les autres ne font pas.

Maintenant, prenons le cas des multiplex, c’est rare que nous passions les mêmes films qu'eux, et d’autre part même pour certaines grandes salles qui passent des films que nous reprenons, nous ne sommes pas du tout en compétition avec eux : chez eux, lorsqu’un film fait 150-200-300 entrées, ce n’est pas intéressant car ce sont des salles qui ont 900-1000 places. Alors quand vous avez un film qui fait 150-200 entrées, pour eux c’est la catastrophe ; donc ils décrochent rapidement ces films et d’ailleurs ils viennent nous chercher car nous menons une autre politique spécifique.

L'affiche du film de Spike Lee "Malcolm X"  
L'affiche du film de Spike Lee "Malcolm X"
© objectif-cinema.com
 

D’où le succès d’ "Image ailleurs", qui est sollicité par l’ensemble des distributeurs qui pensent que des films à 300 entrées ne sont pas intéressants. J’ai même vu des films à 500-600 entrées que les salles ont décroché parce que pour eux ça ne représente rien par rapport à d’autres films qui sont en attente.

Donc ces multiplex ne nous dérangent pas du fait que nous ne pratiquons pas les mêmes prix, nous sommes les prix les plus bas de Paris, d’autre part nous ne diffusons pas les mêmes films et troisièmement lorsque ces films viennent à nous, nous sommes pratiquement les seuls à les diffuser. Cette histoire de carte illimitée ne me concerne donc pas.

Mais ce qui me préoccupe pour l’avenir, c’est qu’il y’a certaines salles commerciales, qui de plus en plus commencent à ouvrir des couloirs pour le cinéma art et essai. Quelque part je ne suis pas contre dès lors qu’il y’a du monde qui va voir les films ; si ces grands réseaux là peuvent les défendre, si ça peut permettre à un gros public, un public populaire de profiter de ce canal pour découvrir ces films, Ça ne me dérange pas. Mais ce qui est vrai, ce que je sais, c’est qu’ils ne garderont pas ces films longtemps, pour les raisons que je vous ai citées.

Donc nous sommes toujours là ; ce qui nous intéresse aussi n’est pas simplement d’afficher ces films, mais surtout de faire un travail de proximité avec ces films. C’est ça l’intérêt d’une association comme nous, si nous nous sommes constitués pour cette opération en association, c’est que nous pensons que nous n’allons pas être une salle comme une autre ; nous allons être une salle qui entretient des relations avec un artiste, et qui se doit de faire un travail de sensibilisation spécifique, et puis toucher de manière plus originale le public.

En première question, vous avez dit que de 15% à peu près de spectateurs issus de la communauté noire, vous arrivez à 45% voire 50%, mais à l’inverse, vous sentez-vous soutenus par ce qu’on appelle la communauté culturelle africaine ?

Y’a-t-il des artistes qui, à leur échelle, essaient de vous donner un coup de main ?


Oui, c’est sûr que les cinéastes africains se sentent chez eux à "Image d'ailleurs" ; ils viennent parce qu’ils estiment que nous rendons un service tout à fait normal. Nous pouvons les accueillir pour présenter leurs films aux professionnels, ou trouver un distributeur ; on peut s’arranger sur des séances spéciales pour promouvoir leurs films. Ils sont souvent invités pour défendre leurs films auprès du public lorsque ces films passent chez nous. Nous organisons souvent des débats avec les spectateurs, suite aux projections, en présence des réalisateurs parce que c’est une chose que nous affectionnons.

Il n’ y a rien de mieux que de s’adresser aux protagonistes des films, que ce soit les réalisateurs ou les acteurs. Chaque fois que nous pouvons faire venir un des protagonistes des films, nous le faisons avec plaisir. Je pense par exemple à Cheikh Doukouré, auteur du film Paris selon Moussa, qui d'ailleurs ne passe plus nulle part sauf chez nous, c’est un monsieur qui vient tous les 15 jours et continue à débattre et à discuter autour de son film. Sa présence a une véritable utilité ; Moi je pense que le cinéaste, à ce niveau là ne nous le rend bien par rapport au travail que nous faisons ; et chaque fois qu’il est question de venir à "Image d'ailleurs" pour parler d’un film ou montrer un film, je pense qu’il y’a une bonne solidarité entre eux et "Image d'ailleurs".

"Lumumba", film du haïtien Raoul Peck  
"Lumumba", film du haïtien Raoul Peck
© nkolo-mboka.com
 

Du 15 au 21 octobre, Paris sera la capitale du cinéma "d’art et d'essai", comment y participera Image d'ailleurs ?

"Image d'ailleurs" s’inscrit dans cet évènement parce que c’est un évènement à caractère populaire, qui met en relief l’action des salles "art et essai" et il est permis à chaque salle de développer une thématique personnelle. Nous, nous avons repris une thématique que nous avons déjà développé dans le cadre d’un festival de cinéma, qui est le thème sur les droits de l’homme ; nous allons reprendre une bonne programmation sur ce thème, en essayant d’initier des films nouveaux, des films inédits, mais aussi en essayant d’organiser des tables rondes autour de la question des droits de l’homme.

Vous verrez donc dans la programmation qu’on va vous remettre, que nous avons 3-4 grandes tables rondes dès le vendredi 17 octobre, nous allons recevoir une sur Frantz Fanon ; puis une autre table ronde sur les doits de l’enfant avec des spécialistes qui viendront discuter de la maltraitance des enfants, du conditionnement des enfants, le Samedi 18 octobre à 18h.

Et puis le Dimanche, nous allons accueillir l’association "conscience noire" qui va développer les thèmes sur les droits de l’homme et la falsification de l’histoire. C’est un thème qui nous intéresse beaucoup.

Et ça se passera à "Image d'ailleurs" ?

Oui, tout à fait. Je pense que vous verrez les détails dans le document qu’on va vous remettre. Ils auront l’historien Runoko Rashidi qui sera présent à cette table ronde.

Et ce même dimanche à 19h, nous allons faire une réflexion spécifique sur le génocide au Rwanda. A cette occasion, nous aurons un certain nombre de spécialistes qui viendront parler de ce génocide.

Nous aurons une table ronde "génocide au Rwanda : la communauté des humains en question". Certains spécialistes viendront parler du génocide.

Par la même occasion, nous avons 16 films : donc il est important de préciser qu’il y aura 15h d’images sur le génocide, il fallait les trouver. En plus ce sont des films inédits que personne ne connaît sur ce génocide atroce, qui a quand même éliminé près d'1 million de personnes.

Ensuite vous verrez un certain nombre de films conçus sur cette thématique des droits de l’homme, que je vous laisse reprendre.

Nous préciserons la liste de films à nos internautes, au prix unique de 3€ par film.

du 15 au 21 octobre. Et ceux qui voudront en savoir plus, il vont se renseigner auprès de vous, et puis sur votre site si vous voulez bien les rendre visibles.

Nous vous remercions

       
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afrique   diaspora africaine   patrice lumumba   rwanda   senegal   
 
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