
Depuis le vote lundi 19 mars par l'Assemblée nationale de Guinée-Bissau, d'une motion de censure à l'encontre du gouvernement du Premier ministre Aristide Gomes, le statu quo est toujours de mise.
Le président de la République, Joao Bernardo Nino Vieira, observe depuis, un mutisme total, laissant la population perplexe quant à ses intentions devant la crise politique profonde qui s'est désormais installée dans ce pays d'Afrique de l'Ouest.
Va-t-il dissoudre le Parlement alors qu'il n'a pas les moyens financiers d'organiser des élections législatives dans un délai de 90 jours, se demande-t-on ici et là, faisant référence à la Constitution qui veut qu'après le vote d'une motion de censure, le chef de l'Etat nomme un nouveau gouvernement dans un délai de 72 heures.
Or depuis le 19 mars et l'adoption de la motion par 54 des 100 députés de l'Assemblée nationale, contre 28 "non", 8 abstentions, aucun gouvernement n'a été nommé.
Le colonel António Marino Dias, conseiller militaire du représentant spécial du secrétaire exécutif de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), s'est dit préoccupé par la crise politique qui prévaut en Guinée-Bissau.
"Cela fait déjà une semaine depuis que l'Assemblée nationale a approuvé la motion de censure à l'encontre du gouvernement d'Aristides Gomes, et jusqu'à présent le chef de l'Etat ne s'est pas encore prononcé sur la situation", a ajouté ce fonctionnaire de nationalité capverdienne.
D'ailleurs, le Groupe de contact pour la Guinée-Bissau, composé de la CEDEAO, de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) et du Portugal, est en train de se réunir à Lisbonne en vue de trouver une solution de sortie de crise en Guinée-Bissau, a poursuivi M. Dias.
Quant au président de l'Assemblée nationale, Francisco Benante, il a affirmé lundi matin à la presse que son institution avait déjà accompli sa tâche consistant à retirer la confiance au gouvernement d'Aristides Gomes.
"Nous ne pouvons pas aller au-delà de nos attributions", a-t-il martelé, ajoutant qu'il incombait à présent au chef de l'Etat de faire le reste en se conformant à la Constitution.
Un député du Parti de la rénovation sociale (PRS), Alvarenga Diallo, a déclaré, pour sa part, que "la Guinée-Bissau traversait une crise grave qui risque de dégénérer en un autre conflit armé" et que "le PAIGC (Parti africaine pour l'indépendance de la Guinée et du Cap- Vert, ex-parti unique) était le principal responsable de la crise actuelle".
"En tout état de cause, nous sommes au bord de l'abîme et, qui plus est, assis sur une poudrière qui pourrait exploser à tout moment", a- t-il souligné avant de mettre l'accent sur le fait que Nino Vieira a contribué à "mettre de l'huile sur le feu" en faisant son retour sur la scène politique bissauguinéenne.
M. Diallo a dénoncé le fait que le président Vieira et ses partisans ont déposé au Tribunal régional de Bissau un recours en annulation de la motion de censure alors que, a-t-il estimé, les délibérations de l'Assemblée nationale sont sans appel dans un Etat de droit.
Le PAIGC, le PRS et le Parti uni social-démocrate (PUSD), les trois formations politiques à l'origine de la motion de censure, regroupent 97 des 100 députés de l'Assemblée, mais elles recèlent en leur sein des dissidents qui soutiennent le gouvernement.
Le délégué de l'Union européenne à Bissau, Franco Nulli, a également exprimé sa préoccupation en mettant l'accent sur le fait que la Guinée-Bissau fait désormais partie des pays en crise depuis le 16 mars.
Quant à la Commission politique du Parti de la solidarité et du travail (PST), elle a lancé un vibrant appel au président Vieira afin qu'il respecte la Constitution et les lois du pays en procédant à la dissolution du gouvernement.
"Le PST rappelle à tous les Bissauguinéens que l'approbation d'une motion de censure par la majorité absolue implique la dissolution du gouvernement", souligne-t-il dans un texte rendu public lundi à Bissau.
Un gouvernement qui perd la confiance du Parlement n'est pas légitime, estime l'analyste politique Pedro Infanda, tandis qu'un député du PUSD -qui a requis l'anonymat- indique que l'armée est divisée en deux par rapport à la crise.
"L'une des deux ailes, à la tête de laquelle se trouve le chef d'état-major des armées, le général Batista Tagm Na Wai, soutient la coalition du PAIGC, du PRS et du PUSD ayant signé le Pacte de transition politique à l'origine de la motion de censure.
La seconde aile est dirigée par les fusilliers marins d'Américo Bubo Na Tchuto, chef d'état-major de la Marine nationale, a-t-il précisé, ajoutant qu'en raison de cette opposition et de l'ingérence d'officiers supérieurs de l'armée dans la scène politique, il existe de réels risques d'affrontements.
"L'ombre funeste de Koumba Yala plane encore au-dessus de la Guinée- Bissau comme une épée de Damoclès. C'est lui qui, de son pays d'exil, est en train de tirer les ficelles", a-t-il accusé, pointant ainsi du doigt l'ancien chef de l'Etat, qui s'est volontairement exilé au Maroc.
Quant à Agnello Regalla, administrateur de la radio privée Bombolom FM, il estime que depuis le 16 mars, le pays est paralysé, que les ministères fonctionnent au ralenti et que, pour ne rien arranger, les fonctionnaires du public accusent quatre mois d'arriérés de salaires.
Depuis la guerre civile de 1998 qui avait abouti au départ de la tête du pays du président Vieira, la Guinée-Bissau est passée par des crises profondes et récurrentes.
Investi en février 2000, Koumba Yala sera renversé par un coup d'Etat militaire le 14 septembre 2003, ce qui donna lieu à une nouvelle transition jusqu'en juin 2005, date de la dernière élection présidentielle qui vit le retour de Nino Vieira.
Or voilà que le pays est menacé par une nouvelle crise induite par le retrait de la confiance du Parlement au Premier ministre Aristides Gomes, ce qui ne plaît manifestement pas au chef de l'Etat avec des risques d'un bras de fer sans précédent entre les deux principaux pouvoir: l'exécutif et le législatif. |