Jeudi 30 juin 2005

“Et, encore, quel sera le nombre maximal de contrats signés par entreprise ? Un préavis sera-t-il obligatoire en cas de rupture du contrat ? Faudra-t-il motiver la rupture, et à combien se monteront les indemnités ? Quel sera le niveau du revenu de remplacement et des indemnités de chômage ? Qu’autant de questions restent sans réponse n’est pas sérieux ! La seule chose certaine est que le Gouvernement prescrit la précarité sur ordonnance” HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE DES MESURES D’URGENCE POUR L’EMPLOI (suite) 2 - COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL - http://www. Publicité

assemblee-nationale.fr/12/cra/2004-2005/241.asp

C’est la condition des contractuels dans l’Education Nationale. Problème qui se résoud peu à peu, avec des titularisation et beaucoup trop de licenciements secs. L’Education n’a pas à prouver dans un débat contradictioire ou procédure de licenciement, la raison invoquée pour justifier les licenciements. les licenciés ne perçoivent pas d’indemnités de licenciement. Les indemnités de chômage sont gérées par un service interne à l’Education Nationale lequel laisse ces personnels sans revenus durant des mois sans que soit jamais impliquée la responsabilité de l’Education Nationale.

<« la part des enseignants contractuels sur l’ensemble des personnels enseignants se limite aujourd’hui à 3,5 % (4,8 % en 2003-2004, 6,7 % en 2002-2003), après avoir atteint 15 % dans les années 1980. » Précarité à l’Education Nationale. Assemblée Nationale, André Chassaigne Question écrite n° 52325 publiée au JO le 30/11/04. Réponse publiée au JO le 24/05/05 http://www.andrechassaigne.org/php/article-1071.html >

Mercredi 29 juin 2005

Au cours des décennies 1980 et 1990 l’Education Nationale a accueilli un grand nombre de diplômés originaires des pays ex-colonies françaises. Surtout maîtres-auxiliaires et rarement titulaires . En Ile de France, la prévalence de ce groupe social parmi les précaires est apparue au grand jour à l’occasion du premier concours dit « réservé » en 1997.

Les concours « réservés » avaient pour but d’éradiquer la précarité dans l’Education Nationale. Ont-ils été un moyen d’intégration de diplômés originaires des pays ex-colonies françaises ? On peut l’imaginer, mais nous ne connaissons aucune recherche sociologique confirmant cet espoir . Les salariés précaires sont encore des milliers aujourd’hui.

Après la réussite du candidat au concours réservé, ce dernier est placé en stage professionnel en situation, c’est-à-dire que le stagiaire cumule ses heures d’enseignement à plein temps et sa formation sous la direction d’un tuteur. Certains stagiaires ont été refusés à l’issue de cette « épreuve pratique ». Depuis 1999 une trop grande proportion des licenciés à l’issue de leur stage professionnel en situation appartient au groupe des « diplômés originaires des pays ex-colonies françaises ». C’est ici que réside la discrimination que nous dénonçons. La réussite au concours, la titularisation et, le cas échéant, le licenciement sont publiés au Bulletin officiel de l’Education Nationale. En moins de 12 mois, une preuve de réussite se transforme en son contraire : l’officielle infamie ! Frappé de sidération, le licencié est dans l’impossibilité d’expliquer à ses propres yeux et encore moins pour ses proches, son environnement social comment il a fait pour anéantir en si peu de temps des années d’investissements, de confiance en ses compétences, d’espoir en l’avenir.

Il est généralement admis que pour être licencié de l’Education Nationale, il faut avoir « tué père et mère ». Cette idée encore très largement répandue désigne le licencié comme un criminel et le licenciement comme l’exécution d’une peine juste et sans appel. Le tribunal administratif ne met pas en cause cette idée. Ses décisions confortent jusqu’à ce jour le principe de la souveraineté des jurys d’inspecteurs.

Le licenciement est un stigmate, comme gravé dans le marbre d’infamie, qui s’ajoute aux stigmates de couleur, religion, zone géographique de résidence. Comment en est-on arrivé à une situation aussi inédite alors que le concours réservé avait pour ambition de résorber l’auxiliariat dans l’Education Nationale ?

Un candidat réussit un concours de l’Education Nationale après plusieurs tentatives. Les candidats au concours réservé peuvent cumuler plus de 10 ans de précarité dans l’Education Nationale. Passer le concours est une entreprise que les plus tenaces construisent au prix d’efforts quotidiens. Le plus difficile étant de se mettre dans un moule dont le format n’est nulle part explicitement précisé. Cette épreuve réussie il reste encore à vivre une année d’incertitudes.

Ce sont des cadres bien trempés qui se trouvent infériorisés, voire infantilisés durant leur période de stage en situation. Les stagiaires sont très expérimentés, certains sont proches de la quarantaine voire de la cinquantaine, mais aussi très diplômés, multidiplomés même. Leurs savoirs professionnels ont été acquis au jour le jour et, sous la contrainte de la précarité, régulièrement actualisés. Ils ont une grande aisance dans les débats intellectuels et sont au cœur des problèmes de société. Beaucoup, ont eu une expérience de l’entreprise privée, du monde politique, diplomatique, en France ou à l’international. Quelques-uns n’ont pu survivre aux conditions psychologiques précaires de leur statut que parce qu’ils développaient en parallèle un projet entrepreneurial à caractère associatif ou lucratif.

Il convient de reconnaître que le dispositif de sélection ne permet pas de prendre en compte des compétences ou des expériences que les textes officiels s’emploient pourtant à recommander aux enseignants. Partout il est question d’ouverture à l’altérité, d’éducation citoyenne, de transdisciplinarité, de sensibilisation artistique, de maîtrise des nouvelles technologies et de valorisation du patrimoine. Pourtant, le filtre de la sélection ne retient aucune des expériences singulières des « jeunes stagiaires » qui pourraient répondre à ces exigences multiformes liées à une société en profonde transformation. Que devient la culture de l’entreprise, l’expérience du monde politique, diplomatique, en France ou à l’international de l’individu dans une institution qui génère les mêmes critères normatifs depuis des décennies ?

La situation est aggravée par le fait que, au tournant du siècle, les personnels de l’Education Nationale mènent une lutte acharnée pour conserver leur statuts de fonctionnaires d’Etat, les pratiques et les comportements qui s’y rattachent. Depuis 1997 et jusqu’en 2000, le ministre Claude Allègre focalise sur sa personne tous les mécontentements. C’est non à l’économie libérale dans l’Education Nationale. Les nouvelles technologies font peur. Et aussi la multiplicité des expériences en matière de système éducatif présente dans l’Union Européenne . Dans le même temps, la violence scolaire atteint des sommets . Mais il n’est pas de bon ton de le dire. On préfère en rendre responsables les « jeunes immigrés des banlieues »… et les professeurs qui leur sont « frères » ou « sœurs ». En 2000, les conflits religieux n’ont pas encore pris, à l’intérieur des établissements scolaires, une forme visible et non contrôlée mais on ignore que l’athéisme est protégé par la liberté de conscience et la laïcité. Plus grave encore, une partie de la jeunesse a cessé d’associer ses espoirs d’avenir à l’éducation. Malheureusement le sort fait à certains de ceux qui ont voué des années à l’enseignement semble leur donner raison.

Est-il possible de surmonter tant de handicaps ? Le métier d’enseignant dans l’Education nationale n’est pas valorisé sur le marché du travail. Comment transformer tant d’années d’exercice qui ont façonné un profil, créé des compétences voire une expertise très pointue ? Une telle tâche est un défi que l’individu ne peut réussir s’il ne bénéficie d’un accompagnement social. Or, au cours des années 1999-2005 les licenciés ont survécu sur leur propre énergie. Pour s’aider eux-mêmes à ne pas sombrer dans la misère morale, économique et sociale. Pour assurer une veille intellectuelle et professionnelle. Pour faire entendre la spécificité de leur condition. C’est aujourd’hui à l’Etat français qu’ils s’adressent.

Il existe des discriminations dans l’Education Nationale, elles sont cumulatives et souvent de nature raciste. On a encore beaucoup de mal à concevoir une pensée aussi saugrenue mais la Halde a été créée pour accompagner l’évolution des mentalités. Il est temps que des mesures soient décidées et appliquées, au cas pas cas :

1. La réintégration dans l’Education Nationale doit être considérée comme une priorité pour ceux qui le désirent.

2. Il faut mettre en œuvre au plus vite les réparations nécessaires à la reconstruction d’une identité individuelle mise à mal, tant sur le plan social, que sur les plans économique, politique et psychologique. Une réflexion de fond doit être menée quant aux modalités de cette reconstruction et de cette réintégration. Le dispositif doit intégrer une sensibilisation et une implication des différents acteurs concernés y compris les licenciés eux-mêmes.

3. Un bilan de compétences et un accompagnement personnalisé doivent permettre de vrais choix en développement de carrière et non une orientation sur des « voies de garage ». Dans tous les cas, il convient d’éviter les ruptures en termes d’échelon et d’ancienneté.

4. Le développement de carrière doit être sécurisé sur une longue durée, pour les plus de 50 ans jusqu’à l’âge de la retraite.

5. Une réflexion doit être menée sur les effets induits des critères de sélection et des procédures de recrutement actuels.

6. La mise en œuvre de la LOI no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, particulièrement en son article 2 doit être l’occasion d’une formation particulière dans tout le système éducatif et de formation.

Sans nul doute, en France, les institutions et les systèmes de pensée doivent être secoués. Mais, il n’est, ici, ni question de faire table rase, ni de contester aux ancêtres le résultat de leur sueur. Cette question particulière représente au contraire une formidable occasion pour lancer une réflexion beaucoup plus large sur la manière de faire vivre cet héritage, pour que l’éducation réponde aux défis de notre temps.


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