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Grioo.com : pouvez-vous vous présenter à nos internautes ?
Je crois pouvoir dire, pour résumer la tonalité générale de mes engagements, que ce qui me caractérise le plus est la lutte contre les états d’exceptions. Raison d’état, non-droit, secret défense, système dictatoriaux restent des dérives que je ne me résous pas à accepter. Juriste de formation, je suis un droit-de-l’hommiste qui s’assume comme tel. J’utilise ainsi tous les médias qui sont à ma portée (articles de presse, ouvrages, radio, télé, documentaires, colloques) pour faire passer un message, soutenir une action, ou promouvoir une démarche historique.
Vous avez mené une enquête sur le Docteur Wouters Basson, surnommé le docteur "La Mort" en Afrique du Sud, qui s’est traduite par un documentaire sur France Télévision et un livre. Comment en êtes-vous venus à vous intéresser à lui ?
C’est durant l’été 1998 lors de la clôture des dernières séances de la Commission Réconciliation et Vérité (CVR), présidée à l’époque par Desmond Tutu, que des amis journalistes sud-africains m’ont fait parvenir un compte-rendu d’audience. Ce dernier mentionnait l’existence d’un programme secret d’armement baptisé "Project Coast" dont l’objectif était l’extermination de l’opposition noire par le biais d’agents bio-chimiques.
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Le sinistre "docteur la mort", Wouter Basson
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Qu’avez vous découvert sur la personnalité et les activités de Basson au cours de votre enquête ?
J’ai rencontré Wouter Basson à plusieurs reprises en Afrique du Sud, notamment à Prétoria. Ma deuxième rencontre en 2000 s’est traduite par une singulière proposition: Basson me proposa une interview exclusive pour les chaînes de télévision françaises, en échange de 4 millions de francs... Ce que la production et moi-même avons bien évidemment refusé. Basson m’est apparu extraordinairement sur de lui, vénal., à l’évidence, et imbu de lui même. Ce qui m’a toujours surpris c’est l’assurance avec laquelle il était certain de ne jamais être condamné. Comme s’il se sentait protégé ou sur de son fait. En tout cas, il ne regrettait rien de ce qu’il avait commis. Et que je qualifierais pour ma part d’entreprise génocidaire.
En quoi consistait exactement le projet secret du gouvernement pro-apartheid d’offensive bio-chimique contre les populations noires ?Pourquoi de nombreux pays se sont-ils intéressés aux recherches chimiques menées en Afrique du Sud par Basson ?
Le programme militaire "Coast" visait, à sa création en 1985, à mettre sur pied un arsenal bio-chimique contre la population noire. Il comprenait plusieurs volets : D’abord le développement d’armes spécifiques visant à éliminer des opposants ciblés (cigarettes à l’anthrax, cannes empoisonnées au cyanure), ensuite la mise en stocks de produits susceptibles de générer des pandémies (choléra, ebola, sida), le développement de produits visant à stériliser en masse la population noire. Enfin dernier volet, la création d’une substance mortelle uniquement pour les noirs (ne réagissant qu’à la mélanine qui pigmente leur peau) en d’autres termes d’une bombe ethnique ou ethniquement sélective.
Alors maintenant pourquoi les pays occidentaux se sont-ils intéressés à ce programme ? D’abord parce que ces pays avaient pour la plupart signé des conventions leur interdisant les expérimentations d’armes bio-chimiques, or l’Afrique du Sud disposait de laboratoires sophistiqués, et surtout d’un terrain de jeu exceptionnel... Ensuite les services secrets occidentaux ont voulu garder un œil sur le projet , craignant que le savoir faire et les stocks sud-africains n’arrivent entre les mains d’autres pays comme l’Irak, la Corée du Nord.
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Desmond Tutu et Pumla Gobodo Madizikela lors d'une audience de la commission "vérité et réconciliation"
©
hds.harvard.edu |
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Combien de Noirs sud-africains ont disparu du fait des expériences menées par Basson ?
Aucun chiffre officiel n’existe à ce jour. D’autant que le propre de ce programme était justement d’éliminer sans laisser de trace. Comment savoir si tel ou tel est mort du sida parce qu’il a été infesté par un proche ou par le régime d’apartheid ? Le legal advisor de la CVR, Paddy Prior m’a malgré tout confié que plusieurs milliers de noirs avaient succombé dans le cadre de ce programme, soit comme cible, soit comme cobaye.
Basson a été acquitté en avril 2002 et l’appel formulé contre lui par l’Etat sud-africain a été rejeté ! Lors du procès qui s’est tenu devant la commission Vérité et Réconciliation, il était assez narquois et sur de lui bien qu’inculpé pour 60 chefs d’accusation. Aujourd’hui encore, il vit plutôt confortablement en Afrique du Sud, exerce comme cardiologue et est toujours membre de l’armée sud africaine. Comment expliquer cela ? Bénéficie t-il de protections hauts placées qui le rendent intouchable ?
Wouter Basson bénéficie encore aujourd’hui de la protection des services secrets sud-africains, la NIA. J’ai pu le constater lors de mon tournage. L’Afrique du Sud craint que son savoir-faire puisse s’expatrier. J’ai interrogé en 2001 le gouvernement de Prétoria à travers le directeur du cabinet du président Thabo Mbeki, le révérend Franck Chikane (lui-même victime du programme Coast) concernant l’impunité de Basson et son emploi. Il m’a indiqué que si Wouter Basson était encore en fonction dans l’armée, c’est que ce moyen était la meilleure façon de le contrôler. D’autres sources m’ont informé que la CIA et le MI6 faisaient pression sur l’état sud africain pour qu’il empêche son savoir-faire de quitter le pays...
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Lothar Von Trotha fut l'artisan du génocide Héréro en 1904 en Afrique australe
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Vous vous êtes également intéressés au premier génocide du siècle (même si le terme n’a été officiellement défini qu’après la seconde guerre mondiale), celui des Héréros en Afrique australe (Namibie) ordonné par le général allemand Von Trotha. Pensez-vous que ce génocide préfigura d’autres génocides qui ont eu lieu plus tard dans le siècle ?
Je milite depuis des années pour que l’on reconnaisse ce génocide comme étant le premier du siècle. Les héréros ont subi cette extermination systématique en 1904, ce qui fait qu’il est historiquement placé avant celui des Arméniens datant de 1915. Mais au-delà de la chronologie, cette affaire est à mes yeux centrale : c’est à cette époque, que l’Allemagne développa un système mortifère qu’elle allait pratiquer à une tout autre échelle en 1940 contre les juifs. Accepter ce génocide comme le premier du siècle, c’est aussi et surtout tirer l’origine des génocides dans l’espace colonial. C’est montrer avec force que le réflexe psychologique de déshumanisation de l’ennemi (camps de concentration, extermination de masse) a mûri dans cette soupe originelle que fut le colonialisme.
Les Hereros avaient essayé de faire reconnaître leur génocide par les autorités allemandes et d’obtenir des indemnités au courant de l’année 2000. Y a t-il eu une évolution de leur situation depuis ?
J’ai effectivement organisé en octobre 2000 une réunion entre le chef
des Héréros, et des responsables du Haut commissariat aux droits de
l’homme de l’ONU à Genève. La réunion s’est traduite par l’officialisation de la demande de reconnaissance génocidaire du peuple héréro. Ce fut un pas énorme et décisif. Début 2003, les héréros attaquent en justice deux entreprises allemandes et l’état allemand devant deux juridictions américaines (ayant accepté la requête de héréros devenus américains). Le procès est toujours en suspend. L’affaire reste à suivre.
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Dans votre dernier livre, "Gueule d’ange", vous racontiez l’histoire d’un des plus grands tortionnaires d’Amérique latine, Alfredo Astiz, qui a sévit pendant la dictature argentine de 1976 à 1983 (30 000 personnes tuées ou portées disparues au total). Ce dernier a été arrêté il y a quelques jours et devrait-être extradé pour l’Espagne. Justice sera t-elle rendue ?
C’est un évènement extraordinaire qui s’est produit en Argentine. La première fois depuis la dictature que la société est à ce point prête à regarder son passé. Je poursuis Alfredo Astiz dit "gueule d’ange" ou "el angel exterminador" depuis 1999. J’ai été stupéfait de l’impunité dont il avait pu bénéficier jusqu’à ce jour. Le célèbre juge espagnol Baltazar Garzon a ouvert la porte en pressant le nouveau gouvernement de Nestor Kirchner d’accéder à ses demandes d’extradition. Reste que si l’armée argentine (notamment la Marine extrêmement virulente) ne s’y oppose pas, l’histoire à l’instar du système judiciaire du Cône sud-américain va profondément changer.
Articles, livres, documentaires, engagements en faveur des droits de l’homme...qu’est ce qui motive Tristan Mendes France ? Et quels sont vos projets à venir ?
Je réponds souvent que, quelque part, je cherche peut-être à ne pas ternir l’image que les gens gardent de mon grand-père Pierre Mendès France.. Mais je crois pouvoir dire aujourd’hui que j’ai développé ma propre ligne morale qui me guide vers des sujets qui ont leur cohérence. Tous mes engagements tournent autour d’affaires dont on a beaucoup à apprendre, qui interpellent l’époque contemporaine et questionnent l’avenir.
Et puisque vous m’interroger sur mes projets à venir, je vais très certainement commettre un documentaire sur le tortionnaire argentin Alfredo Astiz (pour une chaîne francophone internationale), car je crois que l’on mesure encore mal les implications symboliques de son arrestation et les bouleversements que cette étape judiciaire entraînera pour la société argentine et la région.
Nous vous remercions
 "Docteur la Mort-enquête sur un bio-terrorisme d'Etat en Afrique du Sud" par Tristan Mendes France, editions Favre 2002
"Gueule d'ange" par Tristan Mendes France, editions Favre 2003
Vous pouvez également retrouver l'article que grioo avait consacré au Dr. Basson à la suite de son acquittement en appel de son procès en Juin 2003... lire la suite
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