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Celestin Monga : les métamorphoses du capitalisme
10/11/2008
 

A quelques jours du sommet du G20 qui se tiendra le 15 novembre prochain à Washington, Célestin Monga, Lead Economist et Conseiller du Vice Président de la Banque mondiale a répondu aux questions de grioo.com sur les origines de la crise financière, les conséquences pour l'Afrique et les évolutions qu'elle va entraîner
 
Par Paul Yange
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Célestin Monga  
Célestin Monga
 

Grioo.com : Bonjour Célestin Monga. La planète entière vit à l’heure de la crise financière. Quelles sont selon vous les origines de cette crise ?

Célestin Monga : Plusieurs facteurs en chaîne : d’abord le maintien à des taux d’intérêt à des niveaux très faibles aux Etats-Unis pendant trop longtemps, qui a entraîné un accès trop facile des banques et établissements financiers à la liquidité. Grisés par l’argent facile et mus par l’appât du gain, ceux-ci ont pris des risques inconsidérés, finançant notamment des crédits immobiliers douteux—les fameux subprimes—qu’ils amalgamaient avec de bons crédits et revendaient ensuite comme si c’étaient des actifs sains à des acheteurs naïfs ou imprudents. C’est le processus dit de titrisation. Tout ceci était d’autant plus facile à dissimuler que le développement spectaculaire de produits dérivés non-réglementés permettait de se prémunir contre les risques—tout au moins de s’en donner l’illusion.

La crise financière permettra peut-être à certains chefs d'Etat africains qui attendent désespérément le messie de comprendre que ni le FMI ni la banque mondiale ne peuvent développer leurs pays à leur place
Célestin Monga


Tant que les prix de l’immobilier augmentaient, personne ne faisait attention à ces pratiques car l’accroissement de la valeur de ces actifs couvrait les imprudences et générait des profits pour tous les intervenants dans la chaîne. On achetait plus un logement pour y résider mais plutôt pour spéculer et faire des profits rapides. Un jour ou l’autre, la bulle devait exploser. C’est ce qui s’est passé lorsque l’offre de logements est devenue largement supérieure à la demande et que les prix de l’immobilier ont commencé à baisser. Il est apparu alors clairement aux yeux de tout le monde que la comptabilité initiale du risque était fausse. Du coup, les institutions financières qui avaient accordé des crédits immobiliers de mauvaise qualité et misé sur des débiteurs insolvables se sont retrouvés exposés.

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La banque d'investissement Lehman Brothers  
La banque d'investissement Lehman Brothers
 

Y a-t-il eu un facteur déclencheur de la panique actuelle ?

C. M. : La banque d’investissement Lehman Brothers a été la première victime. Le gouvernement américain a décidé de ne pas l’aider financièrement : il ne fallait pas donner l’impression d’utiliser des fonds publics pour sauver des investisseurs privés qui avaient commis des erreurs de gestion. Ceci aurait aggravé ce qu’on appelle en économie le “hasard moral”, c’est-à-dire du laxisme dans la prise de risques car on se sait protégé. Or Lehman Brothers était une des cinq grandes banques d’affaires des Etats-Unis. Sa chute a déclenché un vent de panique sur Wall Street, où chaque institution savait qu’elle disposait de crédits dits toxiques dans son portefeuille. En finance, il n’y a rien de pire que la panique : les actions chutent en bourse, les déposants perdent confiance en leurs banques et se précipitent aux guichets des banques pour retirer leur épargne.

Le gouvernement américain a commis une grave erreur en laissant Lehman Brothers s'effondrer
Célestin Monga


Les institutions financières voient ainsi s’évaporer leurs ressources et ont du mal à faire de nouveaux prêts, ou même à honorer les lignes de découvert déjà accordées. Le robinet du crédit se referme et l’économie réelle est progressivement paralysée. La crise financière aggrave et amplifie alors la récession qui se pointait déjà à l’horizon. Le gouvernement américain a commis une grave erreur de jugement en laissant Lehman Brothers, débiteur important, s’effondrer et faire vaciller d’autres grandes institutions. Vous connaissez le mot du milliardaire John Paul Getty : “Si vous devez cent dollars à la banque, c’est votre problème. Si vous devez cent millions de dollars, c’est le problème de la banque”…

Le plan Paulson va mobiliser près de 700 milliards de dollars. D’où vient cet argent alors que les Etats-Unis connaissent un déficit budgétaire chronique ?

C. M. : La Banque centrale américaine dispose d’une quantité assez impressionnante de ressources et peut toujours créer de la monnaie. De plus, l’Etat américain peut creuser son déficit tout en maintenant sa solvabilité et sa crédibilité sur les marchés financiers. A tort ou à raison, le monde entier continue de croire que les Etats-Unis constituent un très bon risque et une excellente signature. Les bons du Trésor américains demeurent les instruments d’épargne les plus prisés, malgré leur très faible rémunération. Tant que les gestionnaires des réserves en Chine, au Japon, en Corée ou dans les fonds souverains arabes continueront d’acheter des obligations américaines, l’Amérique pourra utiliser sa carte de crédit pour injecter de l’argent dans son économie. Le dollar continue d’ailleurs d’être une valeur-refuge. Il n’a pas cessé de s’apprécier par rapport à l’euro et au yen depuis le déclenchement de la crise.

Célestin Monga en compagnie de Joseph Stiglitz, prix nobel d'économie  
Célestin Monga en compagnie de Joseph Stiglitz, prix nobel d'économie
 

Existe-t-il à votre connaissance des grandes banques africaines qui pourraient être impactées par les «subprimes» ?

C. M. : Si j’avais une liste de banques vulnérables, je n’aurais pas le mauvais goût de vous la communiquer pour encourager la spéculation et aggraver leur situation… Dans l’ensemble, les banques africaines ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes que celles des pays industrialisés. Motif : elles conservent en général leurs créances dans leurs bilans, au lieu de les vendre sur des marchés secondaires. D’ailleurs le marché de la titrisation est très limité, tout comme celui et des produits dérivés et même le marché interbancaire.

A tort ou à raison, le monde entier continue de croire que les Etats-Unis constituent un très bon risque et une excellente signature
Célestin Monga


Même si les banques étrangères sont largement présentes dans le capital des banques africaines, elles ne détiennent pas vraiment d’actifs bancaires dans les grands marchés que sont le Nigeria ou l’Afrique du Sud (moins de 5 %, comparés à une moyenne de 40 % dans d’autres régions du monde en développement. Il est vrai que les crédits immobiliers ont augmenté de plus de 20% par an en Afrique du Sud ces dernières années, et le système bancaire demeure relativement opaque dans certains pays. Mais les risques de faillite bancaire sont pour l’instant limités. Ceci dit, la crise peut affecter indirectement les pays où les banques utilisent beaucoup le crédit extérieur comme le Ghana, la Côte d’Ivoire ou l’Ile Maurice.

La crise financière aura-t-elle des conséquences sur l’Afrique et si oui lesquelles ?

C. M. : Nos élites et leaders politiques recherchent obstinément des boucs émissaires pour leur incompétence. La crise aura donc surtout un gros effet psychologique. Elle offrira un prétexte supplémentaire à tous ceux qui aiment se poser en victimes du mystérieux ordre économique international, aux défenseurs des théories du complot, et à tous les paranoïaques qui, au lieu de gouverner, fuient constamment leurs responsabilités. Bien évidemment, il y aura des effets économiques à travers trois canaux de transmission : les systèmes financiers les plus connectés aux banques occidentales verront un certain assèchement de la liquidité, et donc moins de lignes de crédit pour financer l’activité économique ; mais les banques centrales peuvent pallier à un tel assèchement.

 
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Et de toute façon, la plupart des banques africaines sont en situation de surliquidité, puisqu’elles rémunèrent mal l’épargne de leurs déposants. Deuxième canal de transmission : les flux de capitaux extérieurs vers l’Afrique, qui seront plus faibles. L’investissement direct étranger, les prêts provenant de l’extérieur ou les achats d’actifs sur les bourses africaines vont diminuer soit parce que les propriétaires de capitaux ne veulent plus prendre trop de risques, soit parce qu’ils ont peur de la menace d’inflation dans nos pays. C’est dommage car ces capitaux nous permettent de financer les déficits de balance de paiements sans aggraver l’endettement extérieur.

Troisième canal de transmission : la récession dans les pays occidentaux les obligera à diminuer l’aide au développement—ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose—et à réduire leur soutien à des initiatives comme la lutte contre les grandes pandémies. Elle les poussera aussi à acheter moins de nos produits d’exportation, ce qui pourrait faire baisser les cours de certaines matières premières. On le voit déjà avec le pétrole. Enfin, les travailleurs africains résidant en Occident auront moins d’argent à transférer à leurs familles au pays. Mais au lieu de pleurnicher sur cet état de fait, nous devrions plutôt prendre notre destin en main.

Sachant que les pays de la zone CFA ne contrôlent pas leur monnaie, de quelle marge de manœuvre disposent-ils pour réagir le cas échéant ?

C. M. : La hausse des prix des produits alimentaires et du pétrole entre 2002 et le début 2008, et des politiques budgétaires laxistes ont suscité un net regain d’inflation dans de très nombreux pays africains : 18 % au Ghana, 28 % au Kenya, 62% en Ethiopie ! La frayeur que cela suscite fait croire que les pays de la zone franc se portent plutôt bien, puisque la hausse des prix n’y atteint pas les mêmes proportions. Pourtant, ceux-ci subissent depuis plusieurs années une surévaluation de leur taux de change comparable à celle observée dans les années 1980. Du fait de la parité fixe entre la monnaie de leurs faibles économies peu diversifiées et l’Euro qui est une monnaie très forte, leur compétitivité se détériore. Conséquences : leurs taux de croissance réel par habitant sont assez médiocres, insuffisants pour réduire la pauvreté.

 
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Les opportunités d’investissements rentables y sont rares et le chômage s’aggrave. Les risques de fuite de capitaux sont élevés car les épargnants locaux et les spéculateurs redoutent un ajustement de la parité, même si, du point de vue pratique et politique, il est difficile de convaincre les autorités de quatorze pays dont les économies sont assez différentes de s’entendre sur un niveau optimal de dévaluation. Dans ces pays qui, un demi-siècle après les indépendances, continuent de dépendre de l’exportation de quelques matières premières, deux variables sont cruciales pour le succès économique à long terme : la compétitivité externe, c’est-à-dire la capacité à utiliser l’arme monétaire pour amortir les chocs et stimuler les exportations. Pour cela, il faudrait abandonner cette politique de change fixe qui n’a produit que la misère. Ensuite, la productivité du travail, qui nécessite l’adoption de stratégies macro, microéconomiques et institutionnelles visant à dynamiser le secteur de l’éducation, encourager le transfert des connaissances et attirer des capitaux privés. De ce point de vue, la Tunisie, ancien membre de la zone franc, pourrait servir de modèle.

Que pensez-vous du fonctionnement des systèmes bancaires africains ?

Mark Twain disait que le banquier est quelqu’un qui vous prête son parapluie lorsque le soleil brille et vous le retire aussitôt qu’il pleut… Les taux de bancarisation et les niveaux d’intermédiation bancaire sont encore trop faibles dans la plupart de nos pays. Pourtant, les banques sont en situation de surliquidité. L’idée selon laquelle il n’existe pas suffisamment de projets bancables est fausse. En vérité, l’absence de compétition réelle entre les institutions bancaires et le caractère trop rigide des règles d’accès au métier de banquier créent un système de rente avec peu d’incitation à l’innovation et la prise de risque.

Dans les pays de la zone CFA, les taux d’intérêt sont fixés en réalité par la Banque centrale européenne
Célestin Monga


Les trois-quarts des crédits distribués sont à court terme, et dans des secteurs d’activité comme l’import-export où il y a peu de création de valeur ajoutée. Un système bancaire et financier doit correspondre aux besoins et au niveau de développement de chaque pays. Une prescription générique serait donc inappropriée. De façon générale, les pays africains doivent favoriser l’émergence d’institutions légères et déconcentrées, capables d’agir rapidement, de mobiliser plus agressivement l’épargne intérieure et extérieure pour la mettre au service des investisseurs et des créateurs de valeur ajoutée. Il faut s’émanciper des situations de quasi monopoles où quelques larges banques inefficaces dominent les marchés nationaux et favoriser l’émergence de banques régionales et de banques spécialisées. Nous pourrions aussi nous inspirer des institutions de microcrédit comme la Grameen Bank, qui vont au devant des pauvres et les transforment en agents économiques créateurs de richesse.

La zone CFA  
La zone CFA
© izf.net
 

Les banques centrales actuelles jouent-elles pleinement leur rôle ?

Non. Elles sont souvent héritées d’une époque révolue. Leurs objectifs et responsabilités ne sont pas toujours clairement définis par la Constitution. On ne sait pas si elles doivent se préoccuper uniquement de la stabilité des prix comme la Banque centrale européenne ou si elles doivent également soutenir le niveau de l’activité économique comme la Federal Reserve Bank américaine. Leurs instruments de gestion de la masse monétaire ne sont pas très sophistiqués. Les méthodes de mesure du taux d’inflation sont souvent archaïques, parce que les enquêtes budget-consommation sur lesquelles les paniers de la ménagère sont estimés ne sont pas mises à jour.

Dans les pays de la zone CFA, les taux d’intérêt sont fixés en réalité par la Banque centrale européenne pour tenir compte des exigences de stabilité des flux de capitaux au sein de l’union, et non en fonction des besoins réels de chaque économie. Le développement se finance avec des crédits à moyen ou long terme, pas simplement avec des crédits à court terme. Or les ressources des banques commerciales sont essentiellement à court terme alors que les besoins des opérateurs économiques sont plutôt à long terme. Le développement des places boursières africaines permettra de résoudre cette inadéquation épargne-crédits. En attendant, l’on peut imaginer par exemple que les banques centrales gèrent des crédits bonifiés par l’Etat, sur des lignes de financement d’institutions comme la BAD ou la Banque mondiale. Les banques de développement doivent aussi être réformées et modernisées.

La crise financière actuelle pourrait-elle permettre une redistribution des cartes pour peu que les pays africains sachent saisir les opportunités ?

C. M. : Elle permettra peut-être à ces chefs d’Etat qui attendent désespérément le Messie de comprendre que ni la Banque mondiale ni le FMI ne peuvent développer leur pays à leur place. La croissance économique en Afrique ne peut être stimulée par la demande interne—consommation et investissements. L’avenir économique du continent dépend donc de sa capacité à s’intégrer au commerce mondial. Malheureusement, sa part dans ce commerce est passée de 2.9% en 1976 à 0.9% en 2006. Il est urgent de mettre en œuvre des politiques visant à améliorer la compétitivité externe et à accroître la productivité. Sur le plan monétaire, cela signifie l’adoption de politiques de change flexibles permettant d’amortir les chocs extérieurs et d’assurer que nos exportations ne coûtent pas trop chères sur les marchés internationaux.

 
 

Sur le plan budgétaire, cela implique des politiques fiscales favorisant l’investissement et l’emploi, ainsi qu’une gestion rigoureuse des dépenses publiques et de grands projets dont la rentabilité financière et économique est avérée. Tout ceci évidemment sur la base de lois et règlements connus et stables, c’est-à-dire de transparence totale—car la crédibilité du cadre institutionnel est essentielle pour attirer les meilleurs capitaux privés. A long terme, les stratégies dans le secteur de l’éducation doivent viser à renforcer le capital humain. Sur le plan des politiques sectorielles, il faudrait donner la priorité aux infrastructures permettant de diminuer les coûts des transactions dans les secteurs-clés—transport, télécommunication, électricité notamment. Pour y parvenir, il faudrait encourager la compétition et exploiter les opportunités de partenariat entre les secteurs public et privé.

Dans cette crise, un élément retient l’attention : c’est l’intervention massive de l’Etat aux Etats-Unis et en Europe pour juguler la crise. Or les idéologies libérales qu’on a «vendues» aux africains recommandaient le moins d’intervention possible de l’Etat, et de ne surtout pas intervenir pour sauver des entreprises en faillite...

C. M. : Evitons de verser dans le catastrophisme. Quand Alan Greenpan, l’ancien président de la FED américaine, parle de “tsunami du crédit”, il cède à un exhibitionnisme qui frise l’indécence. La politique d’accès facile à l’argent qu’il a longtemps encouragée est une des causes de la crise actuelle. On méprise la mémoire des morts quand on utilise le mot tsunami à la légère. La faillite de quelques établissements financiers ne s’est pas encore traduite par des centaines de milliers de cadavres dans les rues de New York ! De même, les formules sensationnalistes d’un Nicolas Sarkozy, qui proclame que “le laisser-faire est terminé”, prêtent à sourire. Elles traduisent soit un besoin d’agitation médiatique, soit un goût suspect du populisme facile, soit une totale incompréhension des principes fondamentaux du capitalisme. La crise actuelle n’a rien de mystérieux : c’est une phase normale du capitalisme, qui se métamorphose en permanence.

Joseph Schumpeter  
Joseph Schumpeter
© european-enterprise.org
 

Joseph Schumpeter parlait d’un processus de destruction créative. C’est bien de cela qu’il s’agit, même des millions de personnes perdent leurs emplois et leur épargne. Le capitalisme n’est pas un cadre rigide et figé. Il est fondé sur la liberté d’inventer constamment des manières de créer de la richesse, de prendre des risques, de bénéficier de son audace ou, parfois, de subir les conséquences de ses erreurs. Il offre en permanence un système d’incitations qui rémunère l’audace, sans rien garantir cependant. Nous vivons une période de transition : après plusieurs décennies de croissance et d’enrichissement ayant permis à des centaines de millions de personnes dans le monde de sortir de la pauvreté, les appétits de quelques-uns et le goût du risque a poussé le système à l’extrême. De façon prévisible, le capitalisme enclenche ses mécanismes correcteurs bien analysés par Keynes pour se stabiliser et repartir dans la bonne direction. Nous ne sommes donc pas en train d’assister ni au retour du communisme ni à la Troisième Guerre mondiale…

N’y a-t-il pas dans les décisions américaines une flagrante contradiction qui montre que les africains devaient élaborer leurs politiques économiques eux-mêmes et non subir les volontés des institutions financières internationales ?

C. M. : A ce que je sache, le capitalisme n’a jamais prétendu que l’Etat n’avait aucun rôle économique à jouer. Au contraire, il doit être le régulateur, l’arbitre. Dans toute l’histoire industrielle des Etats-Unis, les diverses phases de privatisation ont été précédées par la création d’autorités sectorielles de régulation dont le rôle est de s’assurer que la compétition est effective entre les acteurs du marché, et que les droits des producteurs et des consommateurs sont protégés. Le fait que l’Etat intervienne ponctuellement dans un secteur comme les banques pour garantir la solvabilité du système financier et le flux des liquidités n’a rien d’étrange. Il ne s’agit pas d’une intervention idéologique dictée par une volonté messianique. Avant de crier à la contradiction, il convient donc de distinguer les mesures d’urgence qui sont prises en temps de crise limitées dans le temps, et celles qui sont adoptées à titre définitif au nom d’une idéologie qui donne aux fonctionnaires la sagesse infuse.

La famine n’est pas un problème d’argent mais le résultat d’un déficit d’imagination
Célestin Monga


L’Amérique n’est pas devenue un pays socialiste parce que l’Etat offre provisoirement sa garantie et ses ressources budgétaires à des entreprises privées importantes pour éviter une crise avec effet domino qui pourrait causer l’effondrement du système financier. Lorsque la confiance dans le système économique sera restaurée, l’Etat se retirera et gagnera d’ailleurs peut-être beaucoup d’argent sur ses prêts et ses investissements. Enfin, même s’il était prouvé que les autorités américaines avaient pris de mauvaises décisions en intervenant massivement—ce qui n’est pas mon point de vue—je vous dirais que ce n’est pas parce que votre voisin fait une bêtise que vous êtes obligé de le suivre sur ce chemin.

 
© amazon.fr  

La crise financière au vu de son ampleur nécessite de débloquer de gros moyens. Mais quand on voit qu’il ne suffirait que de 30 milliards de dollars par an pour éradiquer significativement la faim dans le monde, est ce que cela ne donne pas matière à réflexion...?

C. M. : Vous êtes naïf ou trop obligeant à l’égard des leaders politiques. La famine n’est pas un problème d’argent mais le résultat d’un déficit d’imagination. Il y a suffisamment de ressources humaines, intellectuelles, financières et de bonnes volontés à travers le monde pour éradiquer la faim. Ceux qui gouvernent sont surtout préoccupés par leur maintien au pouvoir et les fastes de leur vie quotidienne. Ils se satisfont d’une forme de mendicité, qu’ils appellent pudiquement l’aide publique au développement… Prenons un pays africain régulièrement victime par la famine. Disons, au hasard, le Niger. Supposons que le pays soit vraiment aussi pauvre qu’on le dit—ce que d’ailleurs je ne crois pas. Mais supposons qu’il le soit. Pas de ressources minières, pas d’hommes bien formés, pays enclavé, soumis à de rudes conditions climatiques.

Ce pays-là a quand même produit Alphadi, un des stylistes et créateurs de mode les plus talentueux au monde. Imaginons que le Président du Niger décide un jour qu’il en a assez de voir ses compatriotes mourir de faim, et ses ministres sillonner le monde pour aller quémander des subsides qu’on leur donne de plus en plus difficilement, parfois en les insultant gentiment. Imaginons que ce chef d’Etat-là sollicite l’appui de quelques vedettes du show-biz comme Madonna, Angélina Jolie, Brad Pitt, ou même des grandes figures du monde sportif comme Samuel Eto’o ou David Beckham, non pas pour quémander l’aide au développement mais simplement pour promouvoir l’industrie de la mode au Niger. Combien de milliards de dollars le Niger gagnerait dignement sur ses exportations de vêtements si ces célébrités acceptaient par exemple de porter des vêtements d’Alphadi ? Probablement bien plus que certains crédits misérables pour lesquels des ministres sont humiliés dans les antichambres de Paris, Londres ou d’ailleurs. Bien sûr, pour être efficace, un tel plan de marketing devrait s’appuyer sur un business plan méticuleusement conçu et sur des stratégies d’investissement viables.

Cette crise fera-t-elle évoluer le fonctionnement des marches financiers et la législation qui encadre leur fonctionnement ?

Oui. Mais si vous croyez à la loi des cycles en économie, l’épisode actuel n’est qu’une phase normale des mutations du capitalisme. Ses aspects douloureux et regrettables ne doivent pas nous aveugler. La titrisation et les produits dérivés, que tout le monde diabolise aujourd’hui, ont quand même permis aux banques de diversifier les risques dans leurs portefeuilles et d’inventer de nouveaux mécanismes de financement de l’économie. Des centaines de millions d’agents économiques à travers le monde ont pu ainsi s’offrir des actifs leur permettant de créer de la richesse et de faire accéder de larges couches de populations au bien-être matériel. Il y a certes eu des excès terribles mais dans l’ensemble, le bilan est plutôt positif. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut renforcer les mécanismes de suivi et de supervision des institutions financières pour améliorer la transparence de leurs opérations. Mais ce serait une erreur de céder au populisme ambiant pour tenter de contrôler de façon rigide le fonctionnement du marché. Il est important de tirer les leçons des échecs, et non de se retrancher dans des postures idéologiques et frileuses. La créativité est l’ingrédient essentiel du progrès.

 
 

Barack Obama vient d'être élu président des Etats-Unis : quelles répercussions sur la crise financière, et plus globalement quelle signification peut avoir pour les Etats-Unis et pour le monde, l'accession d'un noir, fils d'Africain, à la tête des Etats-Unis d'Amérique ?

Beaucoup d’Africains éprouvent un grave déficit d’amour-propre. L’élection d’Obama est un stimulant puissant pour tous ceux-là qui ont subi l’humiliation au plus profond d’eux-mêmes, et qui ont internalisé le doute sur leur capacité à atteindre des sommets. C’est aussi la preuve que l’Amérique peut se réinventer et tenter de corriger ses fautes historiques. De ce point de vue, l’événement est hautement symbolique et suscite le même type de ferveur enthousiaste qui a marqué la sortie de prison de Nelson Mandela. Mais je ne me contente cependant pas de symboles. Je n’accorde aucune importance aux solidarités génétiques et ethniques supposées.

Nous devons encourager Barack Obama, et travailler à lui faire comprendre que certaines de ses idées nécessitent quelques ajustements
Célestin Monga


Je m’intéresse à la substance du discours, aux actes concrets et aux politiques mises en œuvre. Obama est Américain et non Africain. Il ne revendique pas spécialement sa négritude. Il parle beaucoup de sa grand-mère du Kansas qui l’a élevé et jamais de celle du Kenya. Il se préoccupe plus des troubles en Géorgie qu’en République démocratique du Congo...Nous aurions donc tort de croire qu’il défendra nos intérêts sur la scène mondiale, ou qu’il viendra résoudre nos problèmes à notre place—pour notre dignité, ce ne serait d’ailleurs pas souhaitable... Les grandes places boursières ont chuté momentanément au lendemain de son élection. Les marchés étaient un peu nerveux par rapport à certains aspects de sa politique économique.

En tant que sénateur, il a soutenu le renouvellement de la fameuse Farm Bill, cette loi américaine qui permet au gouvernement de verser des centaines de milliards de dollars de subventions aux paysans américains, et dont les effets sont dévastateurs pour les planteurs de coton maliens, burkinabè, béninois ou camerounais. Obama n’est pas le Messie de l’Afrique. Malgré la fierté légitime que l’on peut avoir de voir un “Noir” à la Maison Blanche, n’oublions pas qu’il est homme politique américain. Adoptera-t-il les mesures protectionnistes qu’il a prônées pendant sa campagne électorale contre les pays comme les nôtres qui n’ont pas les moyens de respecter les standards environnementaux ou les niveaux de salaires des travailleurs américains ? Soutiendra-t-il à une forme de multilatéralisme plus ouvert, avec les pays du Tiers-monde disposant de voix plus importantes aux conseils d’administration du FMI ou de la Banque mondiale ? Mettra-t-il à exécution ses menaces de bombarder le Pakistan à la recherche de Ben Laden ? Nous devons l’encourager, et travailler à lui faire comprendre que certaines de ses idées nécessitent quelques ajustements.

Ouvrages

Associate Editor (Economie) de l'encyclopédie en 5 volumes : New Encyclopedia of Africa, 5 volumes, Detroit, Thompson-Gale, 2007

L'argent des autres--Banques et petites entreprises en Afrique, Paris, LGDJ, 1997 ;

Sortir du piège monétaire, Paris, Economica, 1996 (en collaboration avec J.-C. Tchatchouang) ;

The Case for Currency Reform in West and Central Africa--Elements of a Political Economy of Utopia, Cambridge, MIT, Sloan School of Management, 1995.

Un Bantou à Washington,Presses Universitaires de France, 2007.

       
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  Crise financière : une tempête prévisible
  Les conséquences de la crise financière internationale et l’Afrique
 
Mots-clés
afrique   célestin monga   crise financière   diaspora africaine   
 
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