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Parler de l'Afrique n'est pas vendeur |
Dans cette « anti-négrologie » retentissante, tout le monde en prend pour son grade. Le Journal de l'Afrique en France, c'est la thèse que l'image de l’Afrique projetée à l’extérieur du continent est trop souvent négative et réductrice. Les médias privilégient la perception d’une terre en état de crise permanente, soumise à des fléaux multiples (Sida, pauvreté, instabilité, corruption...). En clair, l'Afrique n'est présentée, dans les médias de la République, que sous l'angle du tristement célèbre triptyque guerre – famine – Sida. Page après page, Damel Maïssa Fall condamne sans appel et s'applique à déconstruire, au moyen de 500 documents de presse, ce qu'il considère comme un système de représentation étriqué.
L'auteur souligne que la place accordée au continent africain dans les médias est dérisoire. Quand le tsunami emporta 300 000 âmes dans le sud-est asiatique, fin 2005, nul ne fit mention des quelques 500 morts au Kenya et en Somalie, ni même du fait que le désastre avait également touché la corne de l'Afrique. Si le tsunami avait désintégré un morceau de ce continent, la mobilisation n'aurait pas été aussi forte – ni dans la population, ni dans les médias.
C'est l’une des « lois de proximité » du journalisme : celle dite du « kilomètre-mort » qui veut qu’un décès à proximité de chez soi a autant de valeur que des milliers de morts à des milliers de kilomètres de là. Les hommes sont inégaux, même devant la mort : il y a des morts qui comptent (100 morts victimes d'un bombardement à Sarajevo) et des morts qui ne comptent pas (800 000 morts du génocide tutsi). Pendant les troubles en 2004 en Côte d'Ivoire, l'armée françaises tua 57 ivoiriens qui protestaient contre sa présence sur leur sol en moins de deux jours, alors que pas un seul Français n'avait perdu la vie. Pourtant, la seule chose relayée par la presse française fut la terreur des Français là-bas.
Cependant, la « gueule du nègre devient vendeur » sur le terrain humanitaire. Par exemple, une campagne de lutte contre la lèpre qui exhibe des affiches de lépreux noirs. Les campagnes françaises pour lutter contre le cancer, elles, mettent en scène des blancs en parfaite santé. La souffrance n'est pas exhibée, comme les corps mutilés des lépreux subsahariens ou noirs.
Ainsi, les humanitaires français seraient incapables d'agir autrement qu'avec le noir (affiches, slogans, etc.). De même pour lutter contre la faim. En 2001, quand il s'agit de la famine des Afghans, l'opération café (0,25euros reversés à ACF pour chaque café bu à tels et tels endroits) s'est fait connaître avec une affiche représentant le visage dessiné d'une « négresse ». L'argent a été envoyé en Afghanistan.
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Guerre – Famine – Sida : une vision étriquée de l'Afrique |
Quand l'Afrique n'est pas purement et simplement ignorée de la presse française, elle n'y apparaît que par le biais de la violence qui déchire le continent : « La presse française tient à démontrer l'incapacité des Nègres à faire la paix ». De plus, il semblerait qu'à chaque fois qu'il est fait mention de conflits, la presse tende à réduire l'Afrique à ses ethnies, même quand les sources officielles ne précisent pas les ethnies des combattants.
En outre, l'auteur donne pléthore d'exemples visant à démontrer qu'Afrique égale Sida. Les affiches de prévention présenteraient systématiquement des personnes d'origine subsaharienne. Amnesty International, dans une publicité pour le préservatif féminin, avait mis en scène une femme noire en boubou – le slogan évoquait les violences conjugales. Comprenez : violences perpétrées par le nègre mâle.
De même, polygamie rimerait avec Sida. Or, le fait d'avoir plusieurs partenaires n'est pas le propre de l'homme noir (système de maîtresses en Occident). À Elle, qui dénonçait la coutume de la femme « héritée » (elle est « récupérée » par un membre de la famille de son mari quand celui-ci meurt), l'auteur répond que le but est de ne pas laisser la veuve et les orphelins dans le dénuement, de les faire protéger par un proche du défunt, le plus à même de l'aimer. Car la pauvreté et le dénuement sont pour beaucoup dans la propagation du VIH. Bref, Afrique égale Sida. Or, le continent est davantage touché par le paludisme que par le Sida.
Quant à l'excision, si elle est toujours pratiquée par certaines familles en France alors que cette pratique recule dans leur pays d'origine, il s'agit selon l'auteur d'un replis identitaire dû au fait que ces familles seraient exclues de l'égalité républicaine.
Damel Maïssa Fall évoque l'exemple de Safiya Husaini, Nigériane condamnée à mort pour adultère, et sauvée de la lapidation grâce à la mobilisation de la presse occidentale (bien qu'en réalité ce furent des associations nigérianes qui attirèrent l'attention sur son cas). Pourtant, n'aurait-on pas dû retenir plutôt qu'au nord du Nigeria, hommes et femmes parviennent à se choisir et à s'aimer malgré le contrôle des religieux ? Preuve de leur résistance à la colonisation arabo-musulmane.
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Le racisme ? C'est quoi, ça ? |
Dans les médias, les infractions à caractère racisme sont rapportées comme des infractions ordinaires (ex : un avocat noir maltraité par la police lors d'une interpellation – les journaux et médias n'ont pas mentionné le fait qu'il fut noir pour expliquer le caractère musclé de l'arrestation). Une personne de couleur s'estimant lésée à cause de sa couleur de peau ou de son origine est forcément paranoïaque. L'association violence policière – racisme n'est jamais faite par la presse française. Quand une « bavure policière » conduit à la mort un noir, les médias ne parlent jamais d'antinégrisme. Pourquoi ? Parce que la foi du citoyen en la force publique ne doit souffrir aucun doute. Donc le racisme peine à être reconnu en France. La presse française tient à démontrer que l'antinégrisme fut et reste spécifique à la société nord-américaine. (Mumia Abu-Jamal reste le cas typique).
L'auteur conclut son ouvrage en parlant de l'exposition « antinégriste » de Reporters sans frontières « 20 photographes pour les 20 ans de RSF ». Exposition charlataniste à n'en point douter, puisqu'on se demande ce que peut bien apporter la photo d'une subsaharienne en train d'accoucher dans le dénuement le plus total à l'État du monde ou à la liberté d'expression. Qu'est-ce donc, sinon une campagne de dénigrement, d'humiliation de ce continent de scélérats où tout le monde est coupable ? Cette exposition fut un hymne à la liberté sans la voix de l'Afrique. RSF, qui accuse les dirigeants africains de museler leurs journalistes, en fi autant avec les photographes africains.
Lire l'interview de l'auteur qui explique le cheminement de son livre.
L'auteur :
Diplômé de l’Institut Français d’Urbanisme et de la Sorbonne, Damel Maïssa Fall a d’abord été enseignant en région parisienne, avant de se consacrer à d’autres activités, parmi lesquelles l’écriture, l’édition, le conseil en ingénierie urbaine et la recherche.
Activités non exhaustives auxquelles s’ajoute un engagement politique qui l’a conduit au conseil d’administration du Cran (Conseil Représentatif des Associations « Noires » de France).
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