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Zimbabwe : mes critiques contre Aminata D Traore
08/01/2009
 

Daniel Noumbissié Tchamo, chercheur au Laboratoire Histoire des Idées et de Philosophie Pratique à Université du Luxembourg revient sur le texte d'Aminata Traoré dans lequel elle défendait vigoureusement Robert Mugabe, victime selon elle de l'Occident
 
Par Daniel Noumbissié Tchamo
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Robert Mugabe  
Robert Mugabe
© daylife
 

"Le torrent de boue dont on couvre Robert Mugabe depuis de long mois" ne s’arrêtera pas dans les prochains mois de l’an 2009. Le Zimbabwe fera même partie de l’agenda du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est dire que vous avez encore à en "souffrir". Mais permettez-moi de vous dire que j’en souffre aussi. (Vous ne vous en doutez pas puisque nous nous sommes rencontrés quelquefois sur le terrain de la dénonciation discursive), mais pas pour les mêmes raisons que vous d’autant plus que votre article du 10 décembre 2008 intitulé "Zimbabwe : l’insoumis et le bouc émissaire" en a ajouté une couche à ma souffrance et non sans faire des mécontents parmi tous ceux et celles qui pensent qu’on peut défendre la démocratie et les droits humains dans le monde autrement que par (1) une argumentation pragmatique cynique (2) une instrumentalisation de "l’indignation sélective" (3) une déresponsabilisation et une déculpabilisation des dictateurs ou des autocrates.

Mobutu, Sékou Touré, Maçias Nguéma...ont agité idéologiquement l’étoffe de l’african personality, de combattant du (néo)colonialisme pour affamer et ruiner leur peuple. Cette rhétorique politique est désormais, à mon sens, périmée.
D.N Tchamo


L’argument pragmatique est défini par Perelman comme "un argument des conséquences qui apprécie un acte, un événement, une règle ou toute autre chose, en fonction de ses conséquences favorables ou défavorables ; on transfère ainsi tout ou partie de la valeur de celles-ci sur ce qui est considéré comme cause ou obstacle" (C. Perelman, 1989 : P.11). A la thèse de la fraude électorale qui aura permis à Mugabé de se déclarer président aux élections de juin 2008, vous passez par une interrogation rhétorique pour insinuer la fraude aux "élections américaines de 2000". Aux violations des droits humains au Zimbabwe, vous conviez les critiques de Mugabe à voir les conséquences des actes de George W. Bush en Irak et en Afghanistan.

Alors quand vous ne recourez pas à des comparaisons pour montrer que Mugabe n’a rien fait de grave parce que d’autres à côté de lui en Afrique, au mieux en Occident violent impunément les principes de base de la démocratie et des droits humains ; vous évoquez avec entrain les prouesses de Mugabe en matière de respect de droits humains en dépit de l’ "embargo international" et la haine des puissances occidentales en l’occurrence la Grande Bretagne et ses alliés qui voudraient placer un leader politique plus enclin au libéralisme économique et au néocolonialisme.

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Aminata Traoré  
Aminata Traoré
© universitadelledonne.it
 

En quoi ces éléments dont vous faites référence démontrent vraiment l’inexactitude des faits qui sont reprochés à celui qui, en tant que président du Zimbabwe doit répondre des actes de violations de droits humains et de certains principes cardinaux de la démocratie ? L’argument pragmatique dont vous faites régulièrement usage dans votre article a bien cédé à la tentation du cynisme auquel vous l’avez exposé sur un terrain pourtant normatif. C’est donc grâce à un argument pragmatique cynique que vous avez essayé de nous prouver que rien ne justifie l’ "acharnement" contre Mugabe. La rigueur scientifique que j’attendais de vous a été corrompue par une stratégie argumentative passionnément ficelé pour défendre "le bouc émissaire et insoumis" Mugabe. Sinon comment comprendre que vous fassiez un rapprochement entre les fraudes électorales au Zimbabwe et les "élections américaines" de 2000 ?

Faut-il être juriste pour savoir qu’un "soupçon de fraude" ne constitue pas une preuve de fraude. Un soupçon de fraude a été alimenté par l’opinion publique états-unienne suite à un emballement médiatique qui a donné précipitamment les résultats en faveur de Al Gore. Il se trouve qu’au bout d’un procès d’un mois, la Cour suprême des Etats-Unis a déclaré Georges W. Bush vainqueur, grâce à un grand électeur supplémentaire tout en comptant 337 576 voix de moins que son adversaire sur 103 millions de suffrages exprimés. Le soupçon a été donc dissipé. Et le candidat malheureux a d’ailleurs reconnu sa défaite électorale le 13 décembre 2000 avec un "sens démocratique" que l’on ne peut nier aux « grandes démocraties » qui ont foi en leurs institutions (certes faillibles) eu égard à leur degré de fiabilité. Et même la complexité de la géographie et des rouages du processus électoraux états-uniens nous invite à plus de prudence.

Un certain manichéisme, dois-je le dire, nuit gravement à la portée de vos critiques, fussent-elles légitimes
D.N Tchamo


Je ne voudrais pas ici clamer infaillibilité du système électoral états-unien d’Amérique. Loin s’en faut. Je voudrais tout simplement vous faire remarquer qu’il est imprudent d’insinuer une fraude aux élections présidentielles américaines de 2000 (pour faire passer Walker Bush plutôt qu’Al Gore). C’est succomber à un raisonnement caricatural et faux de surcroît, comme le fameux "...who won the presidential elections – Al Gore, but who is the president now? - Bush" lancé à l’époque par Mugabe répondant aux critiques de George W. Bush.

Omar Bongo Ondimba  
Omar Bongo Ondimba
 

Face à cela, je ne puis m’empêcher de m’interroger sur l’intérêt que vous aviez à faire une comparaison aussi erronée et politiquement pernicieuse pour l’avenir de la démocratie en Afrique. Vouliez-vous prêter le flanc à Paul Biya, Bongo, Idriss Deby, Sassou Nguesso, Ben Ali, Hosni Mubarak, Boutéflika, Téodoro Obiang Nguema, Edouardo Dos Santos, Mouammar Kadhafi, etc. pour justifier les pires travers électoraux de leur "démocratie de façade" parée par certains d’adjectifs vaseux tels qu’ "avancée", "conviviale" ou "fraternelle", quand ils sont pris au dépourvu ? Comment comparer, implicitement comme vous le faites, le système électoral zimbabwéen au système électoral états-unien si ce n’est courir le risque de confronter respectivement la nuit et le jour.

D’un côté vous avez un système qui, par le fait du prince, est condamné à être une machine à servir électoralement Mugabe (et quand bien même la machine trahit son maître comme l’on a vu lors des dernières élections législatives du 29 mars 2008, le maître procède à un travestissement du résultat ) de l’autre vous avez un système électoral vieux de plus de 200 ans qui ne cesse de se consolider et de se réévaluer pour mieux servir le "Démos" états-unien. D’un côté vous avez un système électoral ni libre ni transparent ni objectif, mais un système qui fabrique à une période régulière la continuité des pratiques dictatoriales du fait de concentration des pouvoirs alors que de l’autre côté un système électoral moulé par une Constitution qui favorise l’alternance, véritable oxygène de l’espace public libre.

si les Etats-Unis étaient le Zimbabwe d’aujourd’hui avec le système électoral et institutionnel qui est le sien, George W. Bush serait toujours président des Etats-Unis
D.N Tchamo


D’un côté vous avez un système électoral qui en 28 ans a reproduit un seul et unique homme : Mugabe qui n’hésite pas à dire à qui veut l’entendre que « jamais, jamais, je ne me rendrai, jamais. Le Zimbabwe m’appartient.» De l’autre vous avez un système électoral qui, en même 28 ans a (re)produit 5 présidents qui d’une manière ou d’une autre ont servi la démocratie états-unienne.(sachant que la critique de la démocratie revient encore à la démocratie, elle-même). Ce n’est que d’un système libre et transparent que sont sortis en l’espace de la même durée, Ronald Reagan (1981-1989), George Bush (1989-1993) Bill Clinton (1993-2001) Georges W. Bush (2001-2009) Barack Obama (2009-2013).

George Bush et son successeur Barack Obama  
George Bush et son successeur Barack Obama
© daylife
 

L’alternance politique n’est pas la fin ou l’essence de la démocratie. Oui, je vous le concède. La preuve, la mandature de George W. Bush a et reste une catastrophe économique et socio-politique pour les Etats-Unis d’Amérique en particulier, et le monde en général. Dire qu’il a ouvert une boîte de pandore n’est qu’un secret de polichinelle. Mais si on était au Zimbabwe ou alors si les Etats-Unis étaient le Zimbabwe d’aujourd’hui avec le système électoral et institutionnel qui est le sien, George W. Bush serait toujours président des Etats-Unis en dépit de ces désastres-là et le reste du monde supporterait malgré lui, ce jusqu’au boutisme, ce président en crise de légitimité.

Par conséquent on irait de pire en pire, et rien ne dit qu’en Irak ou en Afghanistan, (les cas que vous avez à juste titre cités) on n’irait pas de pire en pire. Alors heureusement pour vous et pour moi, les Etats-Unis d’Amérique ne sont pas le Zimbabwe d’aujourd’hui. C’est parce qu’on est aux Etats-Unis d’Amérique et non au Zimbabwe qu’on peut passer d’un George W. Bush à Barack H. Obama. Le pays où le "yes we can" est d’abord institutionnel, où la Constitution a le sens d’une loi vraiment fondamentale pour le peuple et non le "machin" qui sert un autocrate et son clan politique.

C’est justement parce que l’alternance est la chose la mieux partagée en démocratie, surtout dans les « grandes démocraties », que quels que soient les talents politiques de Barack Obama et ses bonnes réalisations futures (encore qu’il est difficile de faire pire que Bush Walker.), il ne présidera pas aux destinées politiques des Etats-Unis durant plus de huit ans maximum (deux mandats). La loi fondamentale états-unienne le lui interdit, c’est la volonté du "Démos", pas telle que l’entendent les derniers tyrans de la galaxie terre dont la majorité, encore en liberté, sévissent en Afrique comme des fauves en liberté, c’est-à-dire, intimident, manipulent, terrorisent et/ou dévorent leurs proies.

Instrumentalisation de l’ "indignation sélective" et la "justice à géométrie variable" des nations.
 
© http://www.un.org  

Pas plus que hier l’état d’anarchie, fort visible, est la ligne de crêtes des relations internationales. La paix, la sécurité, le développement (durable), la liberté, la justice, les principes du droit, restent de véritables défis du monde postwesphalien confronté autant que dans l’ancien monde(westphalien de 1648, encore en sursis), aux mêmes tares et travers des relations internationales dont vous avez si bien cité quelques uns et, non des moindres. Je partage avec vous ce constat. Que partout dans le monde on assiste à de graves violations des droits humains, les personnes plus mal loties, sujets de droits comme sujets de besoins continuent à être les plus sacrifiées à l’autel des intérêts stratégiques, géopolitiques, économico-financiers des entités étatiques et non étatiques.

La justice des nations ou entre les gens s’accordent malheureusement de plus en plus avec l’impunité des personnalités juridiques (non)étatiques puissantes de la "société mondiale". De quoi parler, à juste titre, de cette "justice à géométrie variable" et de l’"indignation sélective" des leaders politiques mondiaux devant les violations des droits humains à l’échelle du globe. Je partage une fois de plus votre exaspération car elle est légitime et la cause du combat, dans ce sens, justifiée. Et dans le même sens je serai prêt à corroborer certaines de vos critiques à l’égard de la Cour pénale internationale ou d’autres institutions internationales publiques et privées appelées à façonner la structure de base de "vivre ensemble" dans la "société mondiale". Mais là où le bât blesse, et c’est ce qui justifie ma réaction, c’est l’instrumentalisation que vous en faites pour mettre en péril, la cause que vous êtes sensée défendre :

En l’état actuel de mes connaissances l’inviolabilité de la dignité humaine, à propos d’un Camerounais, d’un Congolais, d’un Centrafricain (...) reste encore plus respectée au sein de l’espace communautaire européen que dans leur propre pays ou en Afrique
D.N Tchamo


celle du respect des droits humains et la promotion de la démocratie, de la "primauté du droit" à l’échelle du globe. Confrontée aux critiques contre le régime de Mugabe, vous invoquez "la politique de l’immigration" de l’Union européenne, comme expression de violation de droits humains des migrants africains en particulier. La lecture sérieuse de la directive qualifiée par les associations de défense des droits humains de "directive de la honte" vous donne raison. Mais peut-on justifier des violations des droits humains au Zimbabwe par la violations des droits humains en Europe, induite ou pas par une politique migratoire ? Sans entrer dans le débat entre les politiques d’immigration européennes et le respect des droits humains, (d’ailleurs nos violons s’accordent sur la dénonciation des dérives), permettez-moi de vous rappeler, vous qui êtes une grande observatrice avertie de la vie socio-politique africaine, qu’en l’état actuel de mes connaissances l’inviolabilité de la dignité humaine, à propos d’un Camerounais, d’un Burkinabé, d’un Congolais, d’un Centrafricain, un Guinéen etc, reste encore plus respectée au sein de l’espace communautaire européen que dans leur propre pays ou en Afrique.

Manifestation contre la xénophobie en Afrique du Sud  
Manifestation contre la xénophobie en Afrique du Sud
© daylife
 

C’est dire combien les ressorts du développement des droits humains dans la "société mondiale" en construction sont, le plus souvent, tenaillés localement que globalement. Sur l’échelle des devoirs moraux, les bonnes pratiques ne doivent pas être tributaires des mauvaises. Autant l’Europe, au regard de sa "politique d’immigration" a intérêt à perfectionner sa démarche dans la voie, non linéaire, du respect des droits humains en Europe et partout dans le reste du monde autant les (quasi) Etats africains et autres doivent s’abstenir de tirer le monde par le bas.

Que dites-vous des expulsions massives d’Africains que d’autres pays africains "jettent" hors de leurs frontières ? Vous savez sûrement ce qu’endurent actuellement des milliers des Zimbabwéens (meurtris par la torture et la faim) en Afrique du Sud depuis la campagne de xénophobie d’une barbarie inouïe des mois derniers. Néanmoins, ils continuent, au rythme de soixantaine de nouveaux arrivants par jour, à préférer l’aventure suicidaire et forcée sud-africaine à l’enfer zimbabwéen, le pays de leur espoir perdu et de leur imaginaire violé, cette fois-ci non pas par les étrangers colonialistes, mais par la petite bourgeoisie civile et militaire zimbabwéenne ayant à leur tête, Robert Mugabe.

Qu’a fait Thabo Mbeki pour empêcher ces vagues de violences contre les voisins, dotés d’un droit cosmopolitique? Sa médiation n’a servi qu’à consolider la puissance du dictateur Mugabe, ce d’autant plus qu’il l’a soutenu jusqu’au Conseil de sécurité des Nations unies où son pays siégeait en membre non permanent. Que font en général les leaders africains dont les mots d’ordre de gabonisation, d’ivoirité, de guinéisation, Libyeisation, etc...qui alimentent leur opinion publique, ne sont rien d’autre qu’une autre forme de discours extrémiste de droite européenne?

Pancarte du Zanu PF lors du congrès du parti en décembre 2008 à Bindura  
Pancarte du Zanu PF lors du congrès du parti en décembre 2008 à Bindura
© reuters
 

Conscient des dommages sur le processus de promotion des droits humains en Afrique et le silence de certains intellectuels et acteurs de la société civile en Afrique comme vous, force est de constater que "l’indignation sélective" n’est pas seulement une affaire des autres. Alors en tant que telle, elle doit être combattue simultanément à la violation des droits humains et non en être une instrumentalisation comme vous en avez fait usage ici. Les droits humains sont les droits de l’humanité de l’homme. Et comme dit Césaire, auteur qui vous est familier dans vos ouvrages : "peu m’importe qui a écrit le texte de la [D]éclaration des droits de l’homme, je m’en fiche, elle existe […] le progrès avec cette [D]éclaration, c’est que tous les hommes ont les mêmes droits, simplement parce qu’ils sont des hommes. Et ces droits-là, tu les réclames pour toi et pour les autres" (2005 : p. 69-70)

Alors, que répondriez-vous à un(e) adolescent(e) lambda qui dit ne pas comprendre votre "acharnement" à défendre à cor et cris Robert Mugabe ? Lui diriez-vous que c’est parce qu’en Occident "les fauteurs de guerre en Irak et en Afghanistan" sont en liberté ? Que l’indignation sélective en matière des droits de l’homme est le lot quotidien de la diplomatie occidentale, régulatrice d’une "justice à géométrie variable" ? ou même que "la communauté internationale" n’a rien fait de grand au Darfour, ou pour trouver une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien depuis près de 61ans ? à la guerre civile au Congo (Kinshasa) qui a déjà fait plus de 4 millions de morts?

Justement non. C’est de l’instrumentalisation de dénis de droit et de justice qui banalise et justifie les violations des droits humains à l’échelle globale. C’est encore une fois un argument pragmatique cynique en marche dans l’éclipse de la raison. Car autant vous ne rendez pas service aux victimes irakiennes et Afghanes autant vous ne rendez pas service aux victimes Zimbabwéennes (si tant est que vous les reconnaissiez) si ce n’est favoriser le recul de la lutte pour les droits et les besoins fondamentaux. Bref, vous ne faites pas avancer la cause des droits humains dont je n’ai aucun doute sur la place qu’elle occupe dans vos activités d’animatrice de Forum pour un Autre Mali ; même si votre article laisse plus à voir et à penser une défenseure des dictateurs africains en particulier et du Sud en général, contre l’"acharnement" des "puissants occidentaux".


Un certain manichéisme, dois-je le dire, nuit gravement à la portée de vos critiques, fussent-elles légitimes. Selon vous, le Zimbabwe doit ses années fastes à Mugabe, et les années néfastes aux impérialistes occidentaux, commanditaires du complot. Je ne suis pas également d’accord que vous glosiez sur une certaine "racialisation"( car selon vous , "tant le titre de dictateur sied aux dirigeants du sud, plus particulièrement ceux du continent noir") de l’application de droit à l’échelle globale ou internationale pour justifier les pratiques dictatoriales et perfides des compradores africains qui participent considérablement à la fabrique des misérables, des déplacés, des réfugiés contraints à la transhumance humanitaire sur la terre des hommes.

De la déresponsabilisation et de la déculpabilisation de Robert Mugabé.
Robert ''Bob'' Mugabe lors de la convention du Zanu PF en décembre 2008  
Robert ''Bob'' Mugabe lors de la convention du Zanu PF en décembre 2008
© reuters
 

Enfin, Robert Mugabe est, selon vous, victime d’une "campagne de dénigrement et de déstabilisation" parce que son seul tort, c’est d’avoir osé dire "non [...] au libéralisme économique...aux puissances coloniales et leurs alliés" qui se heurtent sur "le continent noir" à la "menace" de l’avancée de la Chine. Bien sûr que l’Afrique est l’objet des rivalités géoéconomiques, géostratégiques sino-européennes et sino-états-uniennes. Rien n’est nouveau. Mais ce sont les dirigeants qui tranchent et choisissent leur camp selon leurs intérêts personnels qu’ils confondent, malheureusement, avec les intérêts nationaux. Il ne vous a pas échappé que la Chine a pris actuellement en Afrique, la place qu’a longtemps occupée la France, l’Angleterre au côté des leaders politiques, en crise de légitimité devant leur propre peuple ou l’opinion publique de leur pays. Vous semblez regarder ailleurs, alors que la géopolitique de la violence des droits humains sort de plus en plus du schéma classique postindépendantiste.

Au lieu de voir dans la crise ou la tragédie zimbabwéenne, la responsabilité partagée de Robert Mugabe qui a failli à la fois au devoir de ne pas nuire à son peuple et à celui de soulager sa souffrance (en ne perturbant pas l’intervention des ONG spécialisées des nations Unies), vous le déresponsabilisez complètement en trouvant à votre tour un bouc émissaire qui a pour mot : "embargo international", subversion, ingérence, guerre néocolonialiste. Pour peu que l’on s’intéresse sérieusement aux réformes agraires que Mugabe a eu le mérite de mener, que constatons-nous ? Alors, contrairement à ce que vous affirmez, Mugabe a conduit les réformes agraires, en dictateur et non en "démocrate".

C’est pourquoi au bout du compte cela a servi plus aux compradores de son parti et de l’armée gouvernementale qu’à la population mal ou moins bien lotie qui se contente de restes de terre et les moins fertiles donc à peine productives. D’ailleurs où a-t-on vu mener de bonnes (juste et équitable) réformes agraires dans un pays gangrené par la corruption et où la crise de légitimité du chef de l’Etat fait de l’armée, les seigneurs de guerre ? Ce qui est curieux, c’est que vous vous entêtez à nourrir la jeunesse africaine post quatre-vingt-huitarde d’une séduisante répugnante idée qui a longtemps servi d’arme psychologique des dictateurs postindépendantistes africains. Mobutu, Sékou Touré, Maçias Nguéma… ont agité idéologiquement l’étoffe de l’"african personality", de "combattant du (néo)colonialisme" pour affamer et ruiner leur peuple.

Mobutu Sese Seko  
Mobutu Sese Seko
© AFP
 

Cette rhétorique politique est désormais, à mon sens, périmée. Le monde et la majorité de la jeunesse africaine, grand corps malade de ses effets pervers, n’y croient plus. Mugabe a beau jouer là-dessus et susciter des adeptes, le monde n’est plus dupe. Il est aux yeux de l’opinion publique internationale, le vrai bourreau qui "affame son peuple et le condamne à mourir du choléra..."

Les faits à charges contre l’autocrate, accablants et suffisamment documentés pour justifier son inculpation, existent. Vous me diriez qu’il n’est pas le seul. Je vous répondrai que cela ne constitue pas une preuve de son innocence. Amnesty international que vous ne soupçonnerez pas, j’imagine, d’être pro-occidentale, dresse dans ses trois derniers rapports 2005, 2006, 2007(pour ne citer que ceux-là) une triste réalité de l’ampleur et du caractère systématique de graves violations de droits humains au Zimbabwe, parfois constitutives de crimes humanitaires. L’Union africaine qui, de mon point de vue, est loin d’être un forum de promotion de la démocratie et des droits humains en Afrique, a pourtant à la suite d’une mission d’enquête au Zimbabwe en 2002, rendu compte, dans un rapport publié officiellement en février 2005, le même constat qu’Amnesty International. Les recommandations de la Commission ont été transformées en paillasson par le tyran Mugabe qui pour vous, fait partie "de la racaille dans les banlieues du monde globalisé". Sérieusement, pensez-vous que Mugabe fait partie de la "banlieue du monde globalisé" ? Certes, il est comme ses pairs à la tête d’un "quasi-Etat". Encore que il peut se permettre au regard des contradictions du Chapitre VII et de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies, de refuser entre autres les délivrances de visa d’entrée aux inspecteurs onusiens ou aux membres de la "société civile mondiale" (cas de l’échec de la mission humanitaire de Kofi Annan, Jimmy Carter, Graça Machel).

Kofi Annan, Jimmy Carter et Graça Machel  
Kofi Annan, Jimmy Carter et Graça Machel
 

Mais, son clan et lui vivent dans l’oasis de la prospérité, de la jouissance et du luxe tapageur et insolent, ce dans un vaste désert de droits humains où l’espérance de vie est de 44.1(pour les hommes) et 42.7ans (pour les femmes). Soit, vous le savez bien, la moitié de l’âge triomphant de Mugabe, dont le problème n’est pas son âge (ç’aurait pu l’être) mais les conditions avec lesquelles il tient à conserver le pouvoir politique au Zimbabwe avec la ZANU-PF (Zimbabwe Front-Patriotique). En effet, vous chercherez en vain un proche de Robert Mugabe, décédé de suites de choléra ou en proie à la misère. A ce titre, vous comprendrez pourquoi, nous ne sommes pas inconditionnellement Zimbabwéens, du moins dans la logique qui est la vôtre : la déresponsabilisation et la déculpabilisation de Mugabe.

Pourquoi sommes-nous tous Zimbabwéens ? si c’est pour aider un peuple victime de graves violations des droits humains et humanitaires, du fait du prince et de son clan, en nous désolidarisant de ces derniers, alors il ne fait pas de doute que nous sommes tous Zimbabwéens comme nous avions été tous états-uniens après les attentats du 11 septembre 2001, ou irakiens après l’invasion illégale voire illégitime des Etats-Unis en mars 2003, ou tous féminins pour toutes ces femmes, jeunes filles victimes de viols massifs au Nord–Est Kivu ou de l’attaque terroriste comme à l’acide par les barbares extrémistes talibans en Afghanistan.


L’argument pragmatique cynique, l’ "indignation sélective" et "la justice à géométrie variable" autant que l’instrumentalisation de ces dernières, sont une manière étrange de servir la cause des droits humains et de la démocratie à l’échelle globale comme locale. Face à la globalisation des causes ou des conséquences des maux à l’échelle régionale voire mondiale, le devoir et le droit d’ingérence, comme nous enseigne, la "crise zimbabwéenne" et d’autres, doivent être plus qu’une évolution jurisprudentielle, l’objet primordial de réflexion de l’ONU, qui ne vaut peut-être rien devant l’ampleur des attentes, mais dont rien ne le vaut. Le chantier ouvert par Kofi Annan en mars 2005, avec le rapport Dans une liberté plus grande, mérite d’être poursuivi, et pour enfin passer non sans circonspection, de la théorie à la pratique.

       
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