Courant octobre, un groupe de militaires appartenant au "clan" présidentiel a fait défection et s'est installé à l'extrême est du pays, entre Tchad et Darfour soudanais. Au nombre de quelques dizaines, selon le pouvoir, de quelques centaines, selon son chef, Yaya Dillo Djerou, les mutins sont basés "dans les grottes" d'un massif montagneux frontalier entre le Tchad et le Darfour soudanais.

Ils peuvent compter sur des stocks d'armes et de munitions retirés des armureries depuis un an, ainsi que sur le soutien d'ex-rebelles tchadiens installés au Darfour qui ont combattu parmi les janjawids (miliciens arabes instrumentalisés par le régime soudanais dans la guerre contre les tribus africaines) et attendent l'occasion pour porter la guerre au Tchad et prendre la route de la capitale, N'Djamena.

Jusqu'ici, le président Déby a échoué à mater le mouvement, pour des raisons familiales. Rançon de la phagocytose de l'élite tchadienne par la famille présidentielle, des oncles et des neveux se trouvent désormais dans chaque camp et refusent de s'entre-tuer. Le président Déby s'est donc trouvé dans l'obligation de remanier son armée, limogeant son chef d'état-major, un proche parent, pour le remplacer par un Sudiste. Dans ce contexte de déréliction familiale, de nombreux groupes armés en sommeil, au Tchad comme à l'étranger, tissent des liens, depuis plusieurs semaines, avec les mutins, comme avec des conspirateurs au sein des forces armées, qui se dissimulent de moins en moins et se retrouvent jusqu'au sein de l'état-major.

L'attaque, le 14 novembre, de deux camps de l'armée tchadienne, dont l'un en plein centre de la capitale, a montré l'existence de complicités entre assaillants et troupes régulières. Quelques jours plus tôt, le président Déby avait limogé l'ensemble de sa garde républicaine, remplacée par une nouvelle unité.

C'est dans ce contexte de crise que le gouvernement a décidé, le 8 novembre, de rompre ses engagements avec la Banque mondiale, qui avait financé la part tchadienne dans le projet de construction d'un pipeline entre les champs pétrolifères de Doba, dans le sud du pays, et Kribi, sur la côte camerounaise.

Depuis 2003, les recettes et dividendes du pétrole sont distribués selon une formule unique. En échange de son engagement financier, la Banque mondiale avait obtenu que 10 % des recettes soient placées sur un compte séquestre, "à destination des générations futures". Le reste de la cagnotte pétrolière devait être affecté, pour 80 %, au financement de secteurs comme la santé et l'éducation.

Cette répartition vertueuse, unique au monde dans le secteur pétrolier, a vécu. Les 31,7 millions d'euros destinés aux "générations futures" devraient être affectés au Trésor pour utilisation immédiate, tandis que la sécurité fait désormais figure de nouvelle priorité. La Banque mondiale espère encore être "en négociations" avec le gouvernement tchadien, selon Marco Mantovanelli, l'un des porte-parole de l'institution à Washington, qui, "tout en reconnaissant les difficultés financières actuelles du Tchad", dénonce les "faiblesses fondamentales dans la gestion des finances".

A N'Djamena, le représentant de la Banque mondiale ne risque pas de régler le problème. Hasard ou pas, il est accusé de harcèlement sexuel par l'une de ses secrétaire et se trouve "en congé".

Jean-Philippe Rémy

Article paru dans l'édition du du Monde le 23.11.05