Ragaillardis par ce succès, certains de ses membres regroupés au sein du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) se sont retrouvés dans un grand hôtel parisien le 27 janvier 2006 dans le cadre de la première rencontre publique organisée par cette instance. A cette occasion, ils invitent les Français à entrer dans une ère nouvelle au cours de laquelle « il faudra compter sur les Noirs » puisque désormais, et c’est le titre de l’article, « Les élites noires donnent de la voix. » Le quotidien français le plus lu de France observe que les états-majors politiques de droite comme de gauche et du centre ne sont pas restés insensibles à ce réveil. Certains feront lire / visionner des messages au cours de cette rencontre, d’autres ont déjà callé des rendez-vous avec les nouveaux interlocuteurs : l’Elyzée début février, la rue de Solferino, siège du Parti Socialiste, le 20 du même mois.

L’initiative ne laisse donc pas indifférent, et ceux qui riaient sous cape se verront peut-être obligés de dire « Chapeau bas ! » « Chapeau bas ! » comme aime tant à le dire Dieudonné pour exprimer son respect. A en croire Malek Boutih en charge des questions de société au parti socialiste français, la création du CRAN n’est pas du genre à inspirer ce sentiment à l’humoriste. L’ancien président de SOS Racismes présente en effet cette initiative comme contraire à sa démarche. Pour lui qui s’exprime dans Le Parisien, « il y a une question noire en France. Elle a longtemps été occultée. Il est désormais urgent de répondre aux attentes, au risque de laisser prospérer le radicalisme noir de Dieudonné. » Le mot est lâché, l’ennemi désigné, la sentence prononcée.

Mais que vient faire le nom du vaillant humoriste dans cette affaire ? Ce nom qu’on a abusivement chargé de tous les maux est maintenant agité comme un épouvantail et brandi comme une menace. Tony Mardaye le fait observer à juste titre.

Auteur d’une contribution à ce débat publiée par grioo et intitulée ‘Le CRAN ou les nouveaux servants ?’(1), ce grioonaute base son argumentation sur la convergence d’une série d’articles qui présentent la création du CRAN comme une stratégie visant à briser l’élan provoqué par l’action revendicative de Dieudonné relative à l’attribution à l’histoire des Noirs de France, de la place de choix qu’elle mérite dans la conscience collective via les médias et les programmes scolaires. C’est d’abord Le Monde qui observe que « le CRAN a pour but de marginaliser Dieudonné et les associations antillaises militant pour la reconnaissance du crime toujours sans coupable. » (2) C’est ensuite Le Point qui s’interroge sans ambages : « Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) a-t-il été conçu comme un antidote à Dieudonné ? » (3)

Alors qu’il est si difficile pour les Noirs de France de faire des faits qui les concernent des évènements pouvant intéresser les médias (réputés aux mains de la communauté juive), certains s’interrogent sur l’apparente facilité avec laquelle le CRAN y parvient. Et le pot aux roses est vite découvert. Sur la base des informations du Monde et du Point, Tony Mardaye fait mention du « ‘partenariat’ du CRAN avec Amitié judéo-noire. Son cofondateur, Yves Kamani, membre du Conseil représentatif des institutions juives de France CRIF, explique au Point avoir soutenu la naissance du CRAN. Il ne figure pourtant dans aucun organigramme. Mais preuve des liens étroits entre ces associations, le vice-président d'Amitié judéo-noire, Edouard Nduwa, est aussi le vice-président du CRAN… » En somme « C’est cette proximité entre le CRIF et le CRAN qui explique sa présence sur les grands médias nationaux.» Mais dans quel but ? Quel est le projet commun au CRAN et au CRIJF ? C’est une invitation à un grand écart difficile à réaliser. Il faudrait plutôt se demander quel est l’intérêt de l’intelligentsia française ?

Dans le même article cité plus haut, Françoise Vergès livre quelques clés en faisant un rapprochement entre la France et les Etats-Unis : «Comme en France, face au silence, les thèses sur le racisme du pays ou sur le complot juif ont prospéré. Les Etats-Unis sont parvenus à briser cette spirale en donnant largement la parole à de grandes voix reconnues. Des intellectuels comme Cornel West ou Henry Louis Gates, des personnalités culturelles comme Toni Morrison ou Spike Lee, des gens de télé comme Oprah Winfrey." » (4) On pourrait prolonger l’argument et ajouter à cette liste : Colin Powell, Condoleeza Rice… Parenthèse : Qui en France a la dimension de ces personnalités ? Quitte à faire comme les Etats-Unis, autant le faire bien, c'est-à-dire en mettant d’abord en oeuvre l’ ‘affirmative action’ ! Ce ne semble pas être demain la veille de cette réforme, encore moins celle de ses résultats. Par contre, là il y a urgence, et la riposte doit être prête : puisque la communauté noire se réveille, il faut canaliser ses énergies pour contenir le mouvement.

Finalement, il faut croire qu’avec la création du CRAN, « dans les coulisses, des individus fabriquent une élite nègre censée parler en notre nom, au nom des Noirs, comme cela a été fait aux USA, afin de museler les voix contraires ou divergentes. » (5) Avec la diabolisation de Dieudonné (un certain christianisme ne nous a-t-il pas enseigné que le diable était noir ?) dont « les dérives antisémites transformaient en haine et en irrationalité la cause des descendants de la traite, de l'esclavage et de la colonisation » (6), on pourrait penser être seulement dans le registre du crime commandité du chien Dieudonné accusé de rage antisémite. Si les analyses de Libération, du Point et du Monde s’avèrent justes, on a dépassé cette limite pour entrer dans quelque chose de plus tordu que rappelle la récente sortie (11 février) d’un membre du parti socialiste français et président du Conseil régional de Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, qualifiant les Harkis ayant trahi leurs compatriotes algériens pendant leur guerre d’indépendance, d’ 'hommes sans honneur'. Si les analyses de Libé, du Point et du Monde sont de l’intox, elle a bien fonctionné, parce qu’elle semble avoir réussi à faire envisager à l’opinion la dépossession des initiateurs du CRAN de leur initiative, renvoyés au statut de simples marionnettes… Dans tous les cas le CRAN est mal parti…

Mal parti, oui ! A cause d’un démarrage trop timide qui laisse la place à toutes sortes d’interrogations. Mal parti, oui, mais pas pour de bon ! Qu’attendent les Noirs de France ? Peuvent-ils le formuler clairement sans la nécessaire unité de leur communauté ? Pourront-ils l’obtenir sans cette cohésion qui est déjà mise à rude épreuve par des assauts répétés venus de toutes parts pour ouvrir des brèches destinées à instiller le venin de la division ? Il faut espérer que les premières assises des populations noires de France qui se tiendront sous l’égide du CRAN le 29 avril 2006 tenteront une réponse claire à ces questions pour taire les suspicions qui sont en train de naître, risquant de faire de ce bébé un mort-né.

Notes : (1) http://www.grioo.com/info6215.html (2) http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3230,36-719424@51-633431,0.html (3) http://www.lepoint.fr/societe/document.html?did=172343 (4) http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3230,36-719424@51-633431,0.html (5) Tony Mardaye, ‘Le CRAN ou les nouveaux servants ?’ http://www.grioo.com/info6215.html (6) http://www.liberation.fr/page.php?Article=345934