Quelques exemples. Bolloré gère les ports de Douala et Abidjan. Le bois fait aussi la fortune du groupe (1 milliard de chiffre d’affaires en 2004). Meubles en Okoumé, planchers en Azobé, escaliers et portes en Sapelli ou Moabi, toutes ces essences menacées de disparition sont largement utilisées en France, premier importateur européen de bois africain et grand déforestateur.

De plus, avec ou sans l’aide de l’Etat français, le groupe est loin d’être irréprochable : en effet l’état-major du groupe Bolloré a été placé en garde à vue à Lomé en février 2006, inculpé et placé sous contrôle judiciaire pour « corruption de magistrat » dans une affaire l’opposant à une société espagnole, Progosa. L’instruction se poursuit...

Cette collusion entre intérêts privés et nationaux se trouve parfaitement incarnée en la personne du vice-président de Bolloré, Michel Roussin. Un homme au parcours étonnant mais très cohérent quand on connaît le « cocktail » de la Françafrique, vaste système de prédation des richesses africaines. Ancien n°2 de la DGSE, directeur de la Générale des Eaux, directeur du cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris (et à ce titre mis en cause dans la gigantesque razzia sur les marchés publics franciliens), ministre de la Coopération en 1993, “monsieur Afrique” du MEDEF, administrateur d’une compagnie minière au Gabon, membre du conseil de surveillance de « Sécurité sans frontière ». Services secrets, industries implantées en France et en Afrique, parti politique, ’’développement’’, mercenariat ...

Examinons maintenant les positions de Nicolas Sarkozy. Il a un discours contradictoire vis-à-vis de l’Afrique . On peut déceler ici et là des éléments de rupture et de continuité avec la politique africaine de la France. Les textes de référence sont : un discours de Nicolas Sarkozy au Bénin en mai 2006, un interview donné au magazine Jeune Afrique en novembre 2006, le discours du meeting UMP de Toulon et un discours sur la politique internationale en février 2007.

D’un coôté il déclare sa volonté de « se débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. » Il souhaite « cesser de traiter indistinctement avec des démocraties et des dictatures » et critique en ce sens la politique africaine de Jacques Chirac.

De l’autre, il a un discours offensif : « L’Amérique et la Chine ont déjà commencé la conquête de l’Afrique. Jusqu’à quand l’Europe attendra-t-elle pour construire l’Afrique de demain ? Pendant que l’Europe hésite, les autres avancent. » Quant à son discours sur le passé colonial : « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. Cessons de noircir le passé. L’Occident longtemps pécha par arrogance et par ignorance. Beaucoup de crimes et d’injustices furent commis.

Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs. Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant n’eux n’avait cultivé. » Nicolas Sarkozy a également déclaré lors du meeting de Caen, le 9 mars 2007 : « La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant oeuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. On peut condamner le principe du système colonial et avoir l’honnêteté de reconnaître cela. ». Et dans l’Afrique néocoloniale d’aujourd’hui, tiendrait-il le même discours ?

De plus, on s’en doutera, Nicolas Sarkozy soutient les multinationales françaises : « Il n’y a en réalité qu’un petit nombre de grands groupes français qui réalisent une part importante de leurs activités en Afrique. ... Bouygues, Air France, Bolloré, n’ont pas besoin de la diplomatie française pour exister et se développer en Afrique. S’ils y sont dynamiques, c’est grâce à l’ancienneté de leur implantation, ils ont cru à l’Afrique avant beaucoup d’autres. C’est au talent de leur management et de leurs collaborateurs qu’ils le doivent et à eux seuls. »

Pas besoin de la diplomatie française ? A voir... A la lumière de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire où les grands groupes précités ont, conjointement à l’action diplomatique et militaire de la France, joué un rôle non négligeable, on peut en douter...

Dernière interrogation ? Quels sont les relations personnelles de Sarkozy avec les dictateurs africains, principaux partenaires d’affaires de gens comme Bolloré ?

Selon La lettre du continent, une publication essentiellement destinée aux diplomates et aux industriels opérant en Afrique, Nicolas Sarkozy a rencontré au moins sept fois Omar Bongo depuis 2004, la plupart du temps dans l’hôtel particulier parisien du dirigeant gabonais. Récemment, dans le Nouvel Observateur de février 2007, Omar Bongo déclarait : « Avec Nicolas Sarkozy, il y a une différence parce qu’on est amis. Si demain il me renie parce qu’il est président, je lui dirai : ’’ce n’est pas sérieux Nicolas’’. ... Je crois que le fondement même de la Françafrique restera, quitte à l’améliorer. »

Nicolas Sarkozy est un ami de Denis Sassou N’Guesso, le chef d’Etat du Congo-Brazzaville. Il soutient la monarchie marocaine de Mohammed VI. Notons que son bras droit Brice Hortefeux soutient d’ailleurs la colonisation marocaine du Sahara occidental. Nicolas Sarkozy est également proche du président Bouteflika et des milieux militaires algériens. Depuis 2003, il s’est rendu une à trois fois par an en Algérie. En juillet 2004, il a signé un accord économique France/Algérie de 2 milliards d’euros, l’un des plus grands accords français avec un pays du Sud, pour développer des projets industriels algériens, au bénéfice de sociétés françaises. Cette décision est quelque peu contradictoire avec les grandes déclarations de Nicolas Sarkozy sur le rôle des multinationales en Afrique. Ce dernier a récemment affirmé qu’il souhaitait apporter la technologie nucléaire en Algérie, en échange d’accords sur l’exploitation du gaz algérien par la France.

Nicolas Sarkozy a également critiqué l’accession au pouvoir du fils d’Eyadéma au Togo. Cependant, en tant que ministre de l’Intérieur, il n’a pas mis fin à l’équipement et l’encadrement de la politice togolaise par la France.

Pour terminer, voici dans le journal La lettre du continent une information sibylline : pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, son ami Martin Bouygues « a mis à sa disposition son conseiller Afrique, Michel Lunven, ancien ambassadeur de France au Gabon et en Centrafrique et ex-conseiller de Jacques Foccart ». Pourquoi le patron d’une des plus grandes entreprises de BTP met-il à disposition de Nicolas Sarkozy un ancien conseiller de l’architecte de la Françafrique, pour une campagne présidentielle ?

Il serait bien naïf de penser que les « amis » fortunés du président n’attendent rien d’un président dont ils ont probablement financé la campagne indirectement via le système des rétrocommissions versées par les chefs d’Etats africains. Rien ne permet de penser aujourd’hui que ces pratiques (mises en lumière lors du procès ELF) ont disparu. Lorsqu’il a été convoqué par la juge Eva Joly, l’ancien PDG d’Elf Loik Le Floch-Prigent a affirmé avoir abordé le fond du dossier Elf pour préparer sa défense avec de nombreuses personnalités, dont Nicolas Sarkozy, ministre du Budget à l’époque. Que se sont-ils dits ? Pourquoi Loik LeFloch-Prigent est-il allé rencontrer Nicolas Sarkozy ?

Quels sont les liens de Sarkozy avec les réseaux Pasqua dont il est l’héritier politique ? Un indice : en mars 2006, Robert Feliciaggi, homme d’affaires à la tête d’un empire des jeux de hasard et des casinos en France et en Afrique, souvent cité dans les ouvrages de François-Xavier Verschave à propos de blanchiment d’argent, a été assassiné en Corse. Nicolas Sarkozy a demandé au préfet d’Ajaccio de participer en grande tenue aux obsèques de Robert Feliciaggi.

Voilà qui nous donne une idée de la « république irréprochable » de notre ami Nicolas.