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Ma vie de professeur se prolongea jusqu’en mai 1988 - jusqu’au jour où, au sortir d’un cours, je rencontrai dans les couloirs de Howard deux hommes appartenant à la Nasa, plus exactement au Jet Propulsion Laboratory, ce fameux JPL où s’élaborent toutes les sondes américaines propulsées dans l’espace. Noirs tous les deux, ils dirigeaient le département de ressources humaines ; le plus vieux, Richard, allait devenir mon ami.
Ils avaient tapissé nos couloirs de splendides photos de Mars, Jupiter, Neptune, des photos alléchantes devant lesquelles tout le monde s’arrêtait au moins quelques secondes. Je venais d’éffacer le tableau noir et quittais donc ma classe au moment où Richard achevait un entretien avec l’un de mes étudiants, dans la cabine installée presque en face de ma porte.
Je m’avançai vers ce chercheur de têtes et lui demandai comment s’était passée la discussion.
- En mécanique orbitale, ce jeune homme est très fort, me dit Richard. Mais vous-même, pourquoi ne vous êtes-vous pas inscrit pour un entretien?
- Pour la bonne raison que j’ai déjà un poste: j’enseigne ici.
- J’aimerais vous exposer les avantages que vous obtiendriez chez nous.
- Je suis très impressioné par cette photographie de Saturne, lui dis-je, où l’ombre d’une lune se projette sur les anneaux. C’est fantastique.
- Vous n’avez pas répondu à ma proposition. Si vous n’avez pas d’autre cours avant le déjeuner, pourriez-vous me consacrer trente minutes?
- Pourquoi pas? |
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Le 4 juillet 1997 aurait pu être un banal “Independence Day” aux Etats-Unis. Pourtant, l’Histoire s’en souviendra comme du couronnement de l’évènement le plus médiatique de la conquête spatiale après l’alunissage de juillet 1969: la mission Mars Pathfinder (“L’éclaireur de Mars”).
Ce jour là, atterit sur la planète rouge une sonde contenant un rover capable de se mouvoir sur le sol martien, de faire des analyses scientifiques, et surtout de prendre des photographies. Dans la seule journée du 7 juillet 1997, 100 millions de visiteurs se connectent sur le site web de la Nasa pour voir les premières images filmées par le rover baptisé du nom de Sojourner Truth, une abolitionniste Noire du 19e siècle.
L’Afrique, comme d’habitude, se contentait de regarder toute cette effervescence de très loin lorsque, la médiatisation aidant, on se rendit compte l’un des pilotes de la sonde spatiale était un africain, malien pour être plus précis: Cheick Modibo Diarra, Navigateur interplanétaire à la Nasa. |

Quel a été son parcours? Comment s’est-il retrouvé à la Nasa? En quoi consiste exactement son travail? Comment a-t-il pu avoir des responsabilités aussi hautes dans une telle mission? Et surtout, en quoi la conquête spatiale peut-elle avoir de l’intérêt pour des africains? C’est certainement parce qu’il a été obligé de répondre des centaines de fois à ces mêmes questions que Cheikh Modibo Diarra a décidé d’écrire son autobiographie: Diarra par Diarra, en quelque sorte.
Le livre commence bien évidemment par les années d’enfance à Ségou, en plein pays Bambara. Le père, les “deux mères”, la famille et l’école: le paradis perdu, ces mêmes souvenirs d’enfance et de jeunesse qui hantent l’africain, en se déclinant à l’infini.
Après le Baccalauréat, il obtient une bourse pour aller étudier en France. Parmi les bons souvenirs, quelques nuits folles à Paris, les nuits blanches avec les copains. Mais globalement, ses études de mécanique sont menées sans grand enthousiasme, diluées dans une vague impression de perdre son temps. Pour trouver sa voie, savoir ce qu’il veut vraiment faire, il voyage, pour faire le vide dans sa tête. Mais même cette vie de globe trotter ne semble pas pouvoir lui montrer sa voie. |

Une amie lui parle des Etats-Unis: sur un coup de tête, il décide d’aller voir. D’emblée, le pays le fascine. Sans grande conviction, presque comme un jeu, il s’inscrit à l’Université de Howard à Washington et demande une bourse. A sa grande surprise, elle lui est accordée: en quelques années, il décroche un Master, puis un Doctorat en Mécanique Aerospatiale.
Cheikh Modibo Diarra s’engageait tranquillement dans une carrière de Professeur d’Université lorsque qu’une rencontre changea son destin: des recruteurs de la Nasa lui proposent un entretien, qui se révèle concluant. Il entre alors au fameux Jet Propulsion Laboratory (ou Laboratoire de Propulsion des Fusées), où après quelques années il obtiendra le grade de Navigateur interplanétaire, c’est à dire, de pilote de sondes spatiales.
C’est cet homme là, un colosse souriant à la barbe poivre-sel, qui deviendra l’objet de l’attention de tous les média à l’annonce du succès de la mission Mars Pathfinder. Les centres d’intérêt de cette autobiographie sont multiples. |

Déjà, ce livre est caractérisé par une grande humilité, et par une grande sincérité. Il est fréquent que les autobiographies soient plombées par une certaine suffisance, un "syndrome de l’élu", ou par des traces de fausse modestie qui trahissent encore plus manifestement un égo surdimensionné.
Ici pourtant, une place juste est donnée aux expériences heureuses et malheureuses, aux échecs comme aux succès, aux évènements importants comme aux petites anecdotes de la vie quotidienne. C’est ce tout qui permet de cerner la personnalité de l’auteur, de comprendre dans les grandes lignes quels ont été les moments clés de sa vie, ce qui l’a façonné en tant qu'homme et en tant que scientifique.
Ensuite, et celà doit être salué à sa juste valeur, l’auteur a essayé de donner une vision claire de la nature scientifique de son travail. Par exemple, il n’a pas hésité à expliquer dans le détail l’objet des cinq missions auxquelles il a été associé, à savoir Magellan, Ulysse, Galilée, Mars Observer et enfin Mars Pathfinder. Ces explications, au demeurant très claires et très instructives, ne peuvent qu’enrichir la culture scientifique des lecteurs. |

Et enfin - c’est probablement l’un des plus grands souhaits de l’auteur-, ce livre pourrait servir d’inspiration pour tous les jeunes africains qui souhaitent s’engager dans une carrière scientifique au plus haut niveau, dans leur pays ou ailleurs. Ce n’est un secret pour personne que des milliers de jeunes nourrissent ce type d’ambition sur le continent, mais malheureusement, rien (ni l’environnement socio-économique, ni les conditions et la qualité des études) n’est à priori fait pour les encourager dans cette voie déjà difficile.
Navigateur interplanétaire représente donc une profession de foi sur l’importance de la Science en Afrique, un témoignage sur la valeur du travail et de la discipline, mais aussi et surtout le récit d’une sorte de ligne de vie, d’un itinéraire.
L’itinéraire d’un homme qui, à ses dires, n’a jamais failli au respect des trois règles de vie Bambara:
Ne jamais coucher avec son ombre;
Ne jamais quitter un endroit en empruntant le même chemin qu’à l’aller;
Ne jamais regarder derrière soi par dessus son épaule. |
« L’Afrique ne m’a pas perdu » |

Depuis quinze mois, j’étais au Kenya en train de développer l’Université virtuelle africaine. Je suis revenu au Mali maintenant pour travailler avec les frères de la sous-région. Ce qu’il faut regarder quand les gens ne sont pas physiquement présents dans leurs pays, c’est ce qu’ils sont en train de mener ailleurs comme actions pour leurs Etats ou pour le continent. Il s’agit de constater ce que ces gens sont en train d’apprendre pour leurs Etats, les réseaux de partenariats qu’ils développent pour leurs Etats, etc. On pourrait parler de perte si tout au long de la vie de ces gens, ils ne venaient pas mettre à profit leurs connaissances et relations qu’ils auront tissées, pour le bénéfice de leurs concitoyens. Tant que cela est fait à des périodes bien précises, rien n’est perdu.
Moi, si j’étais revenu au pays, il y a de cela 15 ans je n’aurais pas eu l’expérience que j’ai acquise. Aujourd’hui, 15 ans après, non seulement j’ai enseigné à l’université, j’ai fait cinq missions spatiales pour la NASA, mais aussi j’ai été le directeur des programmes d’éducation de la NASA. J’ai acquis toutes ces expériences et je viens encore plus riche. Les cerveaux ont besoin aussi d’être mûris, car il y a le savoir et le savoir-faire. Le savoir faire demande beaucoup de temps, beaucoup de coût et c’est ce qui est important pour nos Etats.
"Navigateur interplanétaire", collection "Le livre de poche", 414 pages, mars 2005
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La fondation Pathfinder : www.pathfinder-foundation.org |

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