
Note de Grioo.com:Suzanne Dracius est une écrivaine martiniquaise, auteur de L’Autre qui danse, roman, éd. Seghers (Robert Laffont), Paris, 1989 ; réédition en format de poche, collection « Motifs », éd. Le Serpent à plumes, 2005 (à paraître) et de Rue Monte au ciel, nouvelles, éd. Desnel, 2003.
Le texte ci-dessous est extrait d'uné conférence qu'elle a présentée à Depauw University (Indiana, Usa) et à la Mairie de Paris Xixè « Métissage & marronnage littéraires au féminin pluriel » |
 |
|
 |
|
 |
 |
 |
 |
 |
|
 |
 |
Suzanne Dracius
©
http://www.lehman.cuny.edu |
 |
 |
|
 |
|
 |
|
 |
 |
|
|

Face à la mondialisation, il se prépare un Forum Social Caribéen qui résoudra, je l’espère, bon nombre de problèmes.
Se résoudront aussi, je l’espère, ceux des jeunes de la Diaspora. Certes, elle a cessé, la France d’aujourd’hui, d’enseigner dans les écoles de la République, aux enfants de France et de Navarre et des Antilles et de tous nos ailleurs, la fameuse phrase que naguère, il fallait apprendre par cœur : « Nos ancêtres les Gaulois ».
Car nos ancêtres ne sont pas que des Gaulois, loin s’en faut.
Peut-être a-t-elle arrêté aussi, en cette ère de haute technologie, de faire réciter aux écoliers la célèbre citation de Sully, ministre du bon roi Henri IV, si ma mémoire est bonne : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » ? De nos jours, métissage et marronnage sont les deux mamelles de cette France moderne et métissée, qui souffre de ce que la presse appelle « le malaise noir », de la relation tradition/postmodernité.
Désormais il ne suffit plus de lutter contre le racisme. Il faut faire plus. Il faut faire mieux. Renouer l’unité rompue, à commencer par le faire à l’intérieur-même de ces êtres métissés, spoliés d’une part de leur être, car cette part-là est méprisée, victime d’exclusion, de vexations, de bavures, de discrimination, voire diabolisée et accusée de tout les maux, — y compris de racisme, ô paradoxe !
Car il y a souffrance, souffrance vive. Et toute souffrance est respectable. Nulle douleur n’est injustifiée. En ce moment, ce type de blessures a généré la signature d’une pétition contre le retour de Banania, sans bruit ni trompette, mais avec le célèbre tirailleur sénégalais et son « Ya bon Banania ». Cette revendication de dignité est légitime. Cependant il importe, en cette conjoncture où LE PAPE N’EST DECIDEMENT PAS UN NOIR, de se faire marron, de marronner, de ne pas se tromper de combat, ou du moins de discours.
Effectivement, la marque Banania est revenue en force avec un logo « rajeuni » montrant un jeune Noir riant à gorge déployée. Puisque Banania est un petit-déjeuner chocolaté destiné principalement aux enfants, il n’est peut-être pas mauvais, a priori, que la représentation du Noir en offre une image rieuse, sympathique, en un mot appétissante, plutôt que celle qu’exhibent trop souvent les médias, des Noirs délinquants, des Noirs qui remplissent les prisons, des Noirs drogués, des Noires prostituées, victimes de l’esclavage moderne, des Noirs pauvres qui crèvent la faim. L’éducation commence dès le petit-déjeuner !
Mais, hélas ! il y a dégradation de la représentation du Noir : à l’origine, au début du XX è siècle, l’affiche n’était pas une caricature stylisée, mais un beau portrait empreint de noblesse, celui d’un Africain respirant la santé, souriant de ses lèvres pleines, bellement ourlées (telles que se les font gonfler certaines femmes blanches à grand renfort de chirurgie esthétique, de collagène ou je ne sais quoi). Ce Noir-là incarnait la force, la prestance et la vaillance des soldats africains victorieux, à qui la France devait ses victoires. (Pas rancuniers, les « Bananias »!) Quant au slogan, « Ya bon Banania », qui n’existe dans aucune langue, si ce n’est dans le langage fantasmatique d’un publicitaire français, — pour ne pas dire « gaulois » —, c’est-à-dire du « p’tit nègre », il serait bon, ce « ya bon », de l’utiliser comme une arme à double tranchant , pour rappeler qu’y a pas bon, ya pas bon du tout, avoir servi la France pour en être si mal récompensés ! Cette polémique Banania pourrait alors avoir plus de résonances qu’il n’y paraît.
Encore un de ces mystères d’iniquité qui restent à éclaircir, — sans l’aide d’abominables éclaircisseurs de teint —, « si nous voulons réfuter les crabes escaladeurs d’arbres et dévoreurs de feuilles », selon le mot d’Aimé Césaire (dans Hurricane, cris d’Insulaires, anthologie d’inédits, éditions Desnel, 2005). |