
Depuis dix jours, l'événement tient en haleine les médias sénégalais : samedi 28 juin, à 8 h 55 sur le vol V 7922 d'Air Sénégal International, un premier lot de Français devait être expulsé "en adoptant la même procédure que celle observée lors de la reconduite à la frontière des ressortissants sénégalais en situation irrégulière en France". Cette phrase qui, selon le quotidien dakarois Le Matin, "rétablit l'honneur et la souveraineté" du Sénégal, figure dans le communiqué qu'ont publié, après leur rencontre à Paris, le 18 juin, Nicolas Sarkozy et son homologue sénégalais, le général Mamadou Niang.
C'est peu dire que cet appel a été entendu dans un pays habitué aux "charters qui ramènent le bois d'ébène", comme l'exprime un journal local. "Désormais ce sera charter contre charter", écrivait, dès le lendemain de l'annonce, le quotidien Walfadjri. Depuis, pas un jour sans que des détails plus ou moins controuvés viennent pimenter l'aigre-doux de la réciprocité. Ainsi, selon Radio Sud-FM, les Français expulsés devaient-ils l'être "avec un encadrement de missionnaires français" - un retour à l'envoyeur dont l'excédent de bagage symbolique rappelle le début de la colonisation...
La vérité est à la fois plus banale et plus politique. A défaut de charters, c'est de "vols groupés" qu'il s'agit. C'est donc Sarkozy plutôt que Pasqua. Quant aux Français qui "ne sont pas désirables au Sénégal", selon le général Niang, c'est un premier groupe de quinze personnes, dont neuf devaient embarquer samedi matin, en compagnie de policiers français. Que leur reproche-t-on ? "Corruption, émission de chèque sans provision, usage de chanvre indien, attentat à la pudeur", a précisé le général Niang. La plupart des "indésirables" vivaient, certains depuis des années, à Saly Portudal, une station balnéaire sur la "petit côte", où ils avaient pris, outre de mauvaises habitudes, "femme locale".
On est loin de la "simple routine de police" qu'a invoquée le ministre sénégalais de l'intérieur. La regrettable assimilation entre criminalité et infraction à la législation du séjour est d'autant plus forte que six autres Français en attente d'expulsion sont, pour cinq d'entre eux, des condamnés en train de purger leurs peines. On vide donc les prisons pour remplir des avions.
"En sommes-nous là ? Consoler nos egos meurtris en montrant que nous pouvons également expulser ?", s'est interrogé, jeudi, le quotidien Sud. Insensible à la bouffée d'orgueil national qui accompagne "le théâtre insolite de Noirs qui expulsent des Blancs", le journal rappelait à ses compatriotes la "parfaite asymétrie" entre les nombreux candidats à l'émigration et les expatriés - 20 000 au Sénégal - et touristes français, exonérés d'obligation de visa. Le journal craint que la "glorieuse mesure de pseudo-réciprocité", avec ses "expulsés de contrefaçon", ne serve qu'à mieux faire passer une coopération policière accrue entre la France et le Sénégal, bref : de nombreux vols de retour.
D'après Stephen Smith lemonde.fr
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