
"Ils ont pris l'argent mais ne nous ont pas emmenés où nous voulions." Les migrants clandestins originaires d'Afrique subsaharienne qui tentent de pénétrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc sont souvent victimes de passeurs sans scrupules qui profitent de leur rêve d'une vie meilleure en Europe.
Pour Joe Kararla, comme pour beaucoup d'autres, le rêve a tourné au cauchemar. Ce Ghanéen de 28 ans dit avoir perdu toutes ses économies et avoir marché dans le désert avant d'être expulsé du Maroc. Il a raconté sa triste aventure à l'Associated Press.
Des milliers de candidats à l'immigration sont victimes de passeurs qui ciblent en particulier les jeunes hommes dans les zones en guerre et les pays pauvres de l'Afrique subsaharienne.
Les candidats à l'immigration payent des centaines, voire des milliers de dollars pour être conduits jusqu'aux portes de l'Europe. Les passeurs les plus malhonnêtes laissent parfois leurs "clients" en plein désert au Maroc ou les font embarquer sur des embarcations de fortune sur la Méditerranée, pour une dangereuse traversée qui s'achève souvent en drame.
Quant aux tentatives des clandestins pour tenter de pénétrer à Ceuta et Melilla, elles se sont soldées récemment par la mort de migrants suite à l'intervention des forces de l'ordre.
Les passeurs "sont responsables de ma misère", a souligné Kararla, assis sur un lit dans un centre de rétention à Oujda, où il a séjourné avec des centaines d'autres clandestins avant d'être expulsé par avion. "Ils ont pris mon argent et ne nous ont pas emmenés où nous voulions aller."
"Dès que le migrant remet l'argent et son passeport, il dépend entièrement du réseau" de passeurs, souligne Jean-Philippe Chauzy, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). "Les réseaux gardent les migrants comme des otages. Si vous ne pouvez pas payer plus, vous êtes abandonnés."
Certains passeurs font cheminer les clandestins par des itinéraires dangereux tels que des zones minées dans le Sahara-Occidental pour éviter les patrouilles, précise M. Chauzy.
Kararla dit avoir rencontré Yaya, un passeur d'une trentaine d'années, dans un camp en Algérie près de la frontière avec le Maroc, où de nombreux Africains attendent le moment propice pour tenter de pénétrer à Melilla.
Il s'est ensuite rendu à Rabat où il a rencontré d'autres passeurs, qui étaient tous Ghanéens comme lui. Il leur a versé 2.700 euros au total. D'autres à Oujda disent avoir payé moins, environ 1.000 euros. Mais la somme peut atteindre 10.000 euros pour les migrants du Pakistan, du Bangladesh et de l'Inde, qui passent par les Etats du Golfe arabo-persique avant de gagner le Maroc.
Kararla était arrivé au Maroc quatre ans plus tôt, plein d'espoir. Il voulait tenter sa chance en Europe, trouver du travail et envoyer de l'argent à sa famille. "Je dois m'occuper d'eux", explique-t-il.
Il a gagné le Maroc en voiture en passant par la Libye et l'Algérie. A Rabat, il louait une chambre dans un quartier où résidaient la plupart des clandestins africains.
Il a tenté deux fois de passer en Europe par bateau mais a été arrêté par la police marocaine et refoulé vers la frontière algérienne. Il est malgré tout revenu et s'est caché dans les forêts entourant Melilla. Avec 200 autres migrants, il a tenté d'escalader les clôtures entourant l'enclave espagnole il y a quelques semaines. Des soldats marocains sont intervenus pour l'empêcher de passer.
Il raconte avoir été détenu pendant six heures dans un poste de police, frappé avec un bâton, puis conduit avec 400 autres compagnons d'infortune dans le désert, où il a été dépouillé de ce qui lui restait d'argent et abandonné sur place. Les migrants ont marché pendant neuf jours mendiant du pain et de l'eau lorsqu'ils rencontraient des villageois et des bergers. Arrivés à la frontière avec l'Algérie, ils ont été arrêtés et renvoyés vers le Maroc.
Après une nouvelle marche de six jours dans des conditions aussi pénibles que la précédente, il a été arrêté par la police marocaine et conduit vers le centre de rétention, avant d'être expulsé d'Oujda par avion vers le Mali.
Son rêve a été brisé, mais il n'y a pas renoncé définitivement. "Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je ne sais pas où je vais aller maintenant. Mais je sais que je trouverai un autre moyen pour aller en Europe."
Source : AP |