
IL EST PRÈS DE 20 h 30 quand, le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu au-dessus de l'aéroport de Kigali par deux missiles. La nouvelle est presque immédiatement répercutée par la RTLM, la tristement célèbre radiotélévision des Mille Collines. Dans les heures qui suivent, la machine du génocide se met en marche. En cent jours, 800 000 Rwandais – très majoritairement Tutsis – seront exterminés.
Accusé par le procureur du TPIR d'avoir endossé dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 la responsabilité d'enclencher le génocide, le colonel Théoneste Bagosora s'apprête onze ans plus tard à livrer bataille. Après des années de guérilla procédurière et passé le cap de l'accusation, l'heure est à la défense. Conseil du «colonel de l'apocalypse», l'avocat français Raphaël Constant a la tâche rude. L'acte d'accusation de Théoneste Bagosora est l'un des plus lourds jamais enregistrés au tribunal : onze chefs d'inculpation, dont celui de «génocide».
Le noyau dur de l'accusation tient en quelques mots : «A partir du 7 avril 1994, des massacres de la population tutsie et l'assassinat de nombreux opposants politiques ont été commis (...). Ces crimes planifiés et préparés de longue date par des personnalités civiles et militaires partageant l'idéologie hutue extrémiste ont été perpétrés par des miliciens, des militaires et des gendarmes suivant les ordres et les directives de certaines de ces autorités dont le colonel Théoneste Bagosora.»
Dès lors, ce n'est plus qu'une litanie de massacres commis sur ordre ou en présence d'un colonel Bagosora à la fois au four, au moulin et à la corvée de bois. Superviseur du «crime des crimes» selon l'accusation, le colonel Bagosora est également, durant les cent jours du génocide, responsable des achats d'armes et en charge des actions militaires contre la rébellion du SPR. Les finances ne lui échappent pas : le 8 avril 1994, il s'assure ainsi que le directeur de la Banque rwandaise de développement a bien été «liquidé».
Me Raphaël Constant entend citer 71 témoins, parmi lesquels l'ancien secrétaire général de l'ONU Boutros Boutros-Ghali, son représentant à Kigali, le Camerounais Jacques Booh-Booh, les ambassadeurs des Etats-Unis et de Belgique... Plusieurs Français pourraient avoir à comparaître : l'ancien représentant de Paris à Kigali, l'ambassadeur Marlaud (aujourd'hui en poste à Auckland), le colonel Jean-Jacques Maurin qui fut responsable à Kigali de la coopération militaire... Me Constant fera également appel en tant qu'expert à Bernard Lugan, conférencier à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et à l'Ecole de guerre à Paris, auteur du livre François Mitterrand, l'armée française et le Rwanda.
Même s'il s'en défend, la thèse que s'efforcera de faire valoir le défenseur de Théoneste Bagosora flirte avec le négationnisme : «Nous contesterons le génocide au sens de l'acte d'accusation, car il n'y a pas eu de planification», affirme Me Constant, qui poursuit : «En revanche, Bagosora ne conteste pas qu'il y a eu des massacres de masse et que, parmi ces massacres, des Tutsis ont été tués uniquement parce qu'ils étaient tutsis.» Autrement dit : le génocide ne fut qu'une incidence...
Une défense qui frôle le négationnisme
(Le Figaro) |