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Verre cassé d'Alain Mabanckou
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Dans un article intitulé "De l'humour noir à l'humour des Noirs", paru dans le journal du dimanche du 20 février 2005, Bernard Pivot regrettait que l'écrivain congolais Alain Mabanckou n'ait pas attiré plus tôt son attention: "Quelle tchatche ! la verve d'Alain Mabanckou est un fleuve en branle qui emporte tout sur son passage, les mots, les hypocrisies, les convenances, les traditions, le politiquement correct..."
Son dernier livre, Verre cassé venait de paraître, un dernier ouvrage à l’humour truculent, un petit recueil d’histoires éparses qui semble avoir été écrit un peu à la va-vite entre les deux verres d’un bar de Brazzaville.
Né en 1966 au Congo-Brazzaville, Alain Mabanckou est désormais professeur de littérature africaine et afro-américaine à l'Université du Michigan après avoir été conseiller dans une filiale du groupe Suez-Lyonnaise des Eaux à Paris et animateur d'émissions culturelles à Média Tropical. Il s'était déjà distingué en 1999 avec le Grand Prix littéraire d'Afrique noire pour Bleu blanc rouge, où il retraçait le parcours d'un sans papier parisien parti des rues de Brazzaville, avec ses projets et ses rêves de dandy obsédé par la sape et l'apparence vestimentaire, pour arriver aux quais de Seine où les voies de la débrouille le conduisent finalement à la double peine. Dans Verre cassé, qui a obtenu le prix des cinq continents de l'agence intergouvernementale de la Francophonie, Alain Mabanckou a encore une fois choisi de placer les damnés de la terre et autres marginaux au coeur de son oeuvre littéraire. |
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Verre cassé est l'histoire fantastique d'un homme et d'un bar de Brazzaville, Le crédit a voyagé, l'histoire d'un homme qui narre sa vie et celle des autres, des vies ébréchées par les aléas de l'existence et par l'amour de l'alcool. Verre cassé est le nom d'un homme rejeté par la société mais qui a su garder malgré tout son humanité et son humour. Le héros a commencé à boire un peu par hasard, pour combler les quelques vides de sa vie, et la boisson l'a finalement conduit au gouffre. Ayant perdu sa femme et son métier, il passe ses journées dans le bar du quartier, enchaînant les bouteilles comme un puits sans fond, comme un verre cassé. Le lieu devient sa famille; tous viennent se confier à lui et lui raconter leurs rêves brisés, leur passé glorieux et leur présent esseulé. Le patron du bar lui a confié la mission d'inscrire l'histoire du lieu noir sur blanc, pour que personne n'oublie et qu'il reste ainsi gravé, immortel, dans les pages de l'histoire: pour lui, il fallait changer cette vieille habitude des "gens de ce pays [qui] n'avaient pas le sens de la conservation de la mémoire, que l'époque des histoires que racontait la grand-mère grabataire était finie, que l'heure était désormais à l'écrit parce que c'est ce qui reste, la parole c'est de la fumée noire, du pipi de chat sauvage, le patron du Crédit a voyagé n'aime pas les formules toutes faites du genre "en Afrique quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle", et lorsqu'il entend ce cliché bien développé, il est plus que vexé et lance aussitôt "ça dépend de quel vieillard, arrêtez donc vos conneries, je n'ai confiance qu'en ce qui est écrit [...]". |

Mais si les vieillards ne sont pas tous des bibliothèques, l'oralité reste un atour culturel dont on se pare parce qu'il nous est propre, mais que l'on ne peut cependant préserver qu'à travers l'écrit. Il s'agit là sans doute d'une des plus grandes réussites de l'ouvrage: l'écriture de l'oralité. Alain Mabanckou montre que l'on peut parler le roman, c'est-à-dire conserver l'oralité, bien souvent considérée comme intrinsèque aux traditions et aux coutumes africaines, tout en conservant la mémoire du peuple et en écrivant pour la postérité. Dès les première lignes, Verre Cassé se fait apologie de l'oralité. "L'heure est désormais à l'écrit parce que c'est ce qui reste", écrit Alain Mabanckou à la première page, à la différence de la littérature orale dont on ne garde aucune trace pérenne. En effet, ce roman peut être considéré comme l'application à l'écrit de la culture de l'oralité: sans ponctuation, si ce n'est les quelques virgules qui permettent au narrateur de reprendre son souffle, l'ouvrage se présente comme un long monologue de 200 pages, qu'il soit d'abord celui de Verre Cassé ou parfois celui des autres clients du bar.
Verre Cassé se place ainsi sans complexe dans la lignée d'ouvrages comme Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma, qui y mêlait expressions malinké et langue française, ou comme le roman du Sud-Africain Zakes Mda Ways of Dying, melting pot d'anglais et d'argot du township, monologue en rires et en pleurs d'un homme qui court les enterrements pour gagner quelques pièces et manger à sa faim. |

Verre cassé est donc la voix du sans voix qui parle d'une traite, sans un point à la ligne parce que " la langue française n'est pas un long fleuve tranquille mais un fleuve à détourner". Avec le ton sarcastique, le style et l'ironie qui le distinguent des jeunes écrivains de sa génération, Alain Mabanckou se fait ainsi conteur à travers Verre cassé, l'anti-héros par excellence, celui qui à la manière des griots chante les épopées de chacun pour que tous, même les plus démunis, aient droit à une trace dans l'histoire. Une trace en noir sur blanc et des couleurs lyriques malgré le noir de leur vie.
"Ce bazar c'est la vie, entrez dans ma caverne, y a de la pourriture, y a des déchets, c'est comme ça que je conçois la vie […] et tant que les personnes de vos livres ne comprendront pas comment nous autres gagnons notre pain de chaque nuit, y aura pas de littérature mais de la masturbation intellectuelle" (Alain Mabanckou, Verre cassé, p.162).
Note: Pour ceux qui souhaitent le rencontrer, Alain Mabanckou est un des invités du Salon du Livre d’Afrique qui aura lieu le 28 octobre 2006 à l’Unesco. L’an dernier, il avait été président du jury pour le concours littéraire du Salon qui avait primé Edem pour son roman Port-Mélo, édité dans la collection Continents Noirs de Gallimard. |
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