
Après l'avoir attendu plus d'un mois durant, les Guinéens ont accueilli, mercredi soir, sur les ondes de la Radio télévision guinéenne (RTG), la formation du premier gouvernement du Premier ministre Lansana Kouyaté, avec certes un réel soulagement, mais aussi avec beaucoup d'interrogations teintées d'un certain scepticisme.
Il n' y a pas eu de manifestations de joie à Conakry la frondeuse, à la notable exception d'une caravane sonore, qui a fait le tour du centre-ville, pour célébrer la nomination au poste de ministre de la Jeunesse et des sports de M. Haribot, un enfant des quartiers populaires de la capitale, cadre à la Banque centrale de la République de Guinée, et louer le président Lansana Conté à cet effet.
La "mamaya", manifestation populaire traditionnelle en pays soussou et malinké, n'a visiblement pas été du goût de tout le monde, notamment d'un groupe de jeunes qui l'ont signifié, en termes bien sentis, à la joyeuse bande qui ne s'est pas attardée sur les lieux, où elle avait convoyé le nouveau ministre, qui avait parcouru à pied la distance séparant son domicile de la banque !
Si les deux centrales syndicales qui ont piloté le mouvement de grève ont rapidement réagi, pour se féliciter de la formation de la nouvelle équipe où leurs représentants occupent les portefeuilles de la Fonction publique et de l'Education nationale, rares étaient les hommes politiques, du camp présidentiel ou de l'opposition, qui se sont prononcés à chaud sur l'événement qui, depuis vingt quatre heures, focalise l'attention de tous leurs compatriotes.
Seuls l'ancien Premier ministre Sydia Touré, qui s'est exprimé sur les ondes d'une radio étrangère, et le professeur Alpha Condé, l'opposant historique, leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), qui s'est confié à la PANA à Conakry, se sont dit confiants tout en déclarant qu'ils attendaient de voir la nouvelle équipe à l'oeuvre avant de porter le moindre jugement.
Hormis les arrières-pensées, ce sentiment devrait être partagé par l'ensemble de la classe politique guinéenne, y compris la direction du Parti de l'unité et du progrès (PUP), la formation présidentielle, principale victime de cette redistribution des cartes qui s'est faite au détriment de tous ses poids lourds et autres barons qui, plus de deux décennies durant, avaient occupé le devant de la scène politique.
Bref, tout le monde s'accorde à reconnaître que la nouvelle équipe, tous des néophytes qui n'ont jamais exercé de responsabilités ministérielles, est relativement équilibrée, avec un savant dosage ethnique et régional, élément important dans un pays susceptible d'être en proie aux tensions ethnicistes ou régionalistes.
L'on retiendra aussi, qu'aucun de la trentaine de ministres du précédent gouvernement n'a été reconduit, au grand dam du parti majoritaire qui s'était battu bec et ongles pour conserver quelques dinosaures à des postes qualifiés de "stratégiques".
Les partis d'opposition, n'ont pas non plus été à la fête. Ils ne peuvent se prévaloir d'aucun représentant dans un gouvernement composé uniquement de techniciens dont un militaire, en la personne du général Arafang Camara, chef d'état-major adjoint des Forces armées nationales de Guinée.
Ce dernier, assure-t-on dans certains milieux de la capitale, avait joué un rôle de modérateur dans la sanglante répression des émeutes de janvier et février derniers.
Pourtant des critiques se font jour. Qui visent tel ou tel ministre, soupçonné, à tort ou à raison, d'avoir partie liée avec l'entourage du président Conté, et se concentrent, pour l'essentiel, sur la faible représentation des femmes (seulement trois sur vingt deux) et sur l'âge (relativement avancé de la plupart des membres de l'équipe, dont certains sont sexagénaires).
Ces critiques émanent surtout des jeunes, et particulièrement des étudiants, qui misaient sur un rajeunissement du nouveau gouvernement.
Mais L'homme de la rue semble habité par un étrange sentiment d'insatisfaction. C'est ce qui explique certainement l'espèce de retenue qu'affichent beaucoup d'habitants de la capitale, tous milieux social et politique confondus.
Ils pourraient rapidement se complaire dans un certain attentisme, né des incertitudes quant à l'avenir de la nouvelle équipe, face à une éventuelle tentative de reprise en main du chef de l'Etat dont beaucoup de ses compatriotes doutent qu'il ait définitivement renoncé à restaurer ses exorbitantes prérogatives.
Le fait avoir été obligé de descendre, à deux reprises, dans la rue, pour cause de promesses non tenues ou du fait de la mauvaise volonté du général-président, explique peut-être la prudence du citoyen lambda qui semble accepter difficilement l'idée que les jeux sont définitivement faits, et que la mobilisation populaire a eu finalement raison de l'obstination d'un homme à vouloir garder son pouvoir intact. |