Mensonge fabriqué.

(Source : http://www.afrikara.com/index.php?page=commentaires&art=848&PHPSESSID=bc1fc38792aada7c44d3f93e66ec98f8#cmt3004)

 ( 07 Octobre 2005 12H52 )

Dans un livre qui vient de sortir aux Etats-Unis, Michaël Finkel, ancien journaliste au New York Times, avoue avoir inventé de toutes pièces un enfant-esclave en Côte d'Ivoire. Pour faire plaisir à ses patrons et après s'être rendu compte que ceux qu'on lui présentait (et qui avaient abusé plusieurs médias européens) n'étaient que des acteurs amateurs mis à la disposition des journalistes par une association de producteurs maliens âpres au gain. L'intégralité de l'article du «Denver Post» qui conte son histoire et dévoile les dessous d'une campagne de presse aussi dévastatrice que mensongère. Où l'on se rend compte qu'il est possible de dire n'importe quoi sur l'Afrique et de déstabiliser ses Etats et son économie sur la base de boniments fabriqués dans les laboratoires du mensonge de ceux qui ont engagé la guerre le 19 septembre 2002.

Michaël Finkel ne veut laisser subsister aucune ambiguïté : de son propre aveu, il est un menteur. Il a fabriqué des scènes, inventé des détails, créé des personnages qu'il a «vendus» comme réels à ses patrons du New York Times et aux lecteurs du journal. Cet aveu, il veut le faire d'emblée, parce qu'après ça – après qu'il ait décrit et analysé son acte, et après s'être excusé pour cela –, ce qu'il dira sur le fait journalistique sera pris au sérieux. Et c'est sérieux… Comme le journaliste du New York Times Jayson Blair ou celui de USA Today Jack Kelley, deux reporters renvoyés et publiquement fustigés pour avoir inventé des histoires, Finkel est un journaliste-paria moderne. Jusqu'à la trentaine, Finkel était une star montante au magazine du New York Times quand il a été limogé en 2002 pour avoir violé une règle cardinale du journalisme. Il a inventé un jeune garçon africain pour raconter la vie dans une plantation de cacao en Côte d'Ivoire et a fait passer cette fiction pour la réalité. «Les règles du Times interdisent de falsifier un compte-rendu d'information ou d'utiliser des recettes relevant de la fiction sur un thème factuel», selon une note éditoriale détaillée démasquant la forfaiture publiée dans le New York Times le 21 février 2002. «M. Finkel a été sous contrat avec le magazine comme contributeur, mais les responsables de la publication l'ont informé qu'il ne sera plus sollicité pour une nouvelle mission.» Vivant aujourd'hui à Bozeman, dans le Montana, Finkel recherche la rédemption dans un nouveau livre, un mélange compliqué de mémoires et de faits sur un vrai crime qui pose des questions obsédantes sur la relation glissante entre le journalisme et la vérité. Finkel ne trouve pas d'excuses à ce qu'il a fait. Contrairement à Jayson Blair, dont les mémoires, «Incendier la maison de mon maître», ont été publiés l'année dernière, il n'y a pas de dépendance, de maladie mentale, de pressions venant d'une industrie de la presse dominée par les Blancs. Ses péchés, avoue Finkel, sont l'ambition et l'orgueil. «Je n'avais pas dans mon esprit seulement 1000 reporters alignés derrière moi prêts à prendre ma place. Ils étaient probablement 10 000. Ceci dit, ce que je devais dire était tout simplement «je n'ai pas cette histoire»», a expliqué Finkel. «J'ai trahi la confiance des lecteurs.» Mais, de sa chute, il retire des leçons importantes, qui commencent au moment où il descend de l'avion à la recherche d'enfants esclaves récoltant des fèves de cacao terminant leur course dans les barres de chocolat en Amérique. Il était sur la piste d'une histoire qui avait déjà fait sensation dans les médias du monde entier. Il y avait eu de longs articles dans Newsweek et Chicago Sun-Times. Les journaux de Knight Ridders avaient déjà publié une série en trois parties. Cette série racontait les brutalités vicieuses utilisées pour obliger des enfants esclaves à récolter des fèves coûteuses. Un documentaire britannique disait que 90% des plantations de cacao utilisaient le travail des esclaves, pendant que les séries de Knight Ridder disaient qu'il y avait sans doute 5000 enfants-esclaves dans le pays. Dans son livre, «Vraie histoire : meurtre, mémoire, mea culpa», Finkel écrit qu'il a commencé son reportage au même endroit que la majorité des autres reporters : l'Association des Maliens de Daloa, qui a facilité les interviews avec des enfants qui s'étaient débrouillés pour échapper à leurs maîtres. Après quelques jours d'interviews, tous les comptes-rendus des garçons commençaient à se ressembler étrangement. L'Association des Maliens avait demandé – et obtenu – de l'argent de la majorité des reporters qui étaient passés par là. Le moment de vérité est arrivé quand Finkel a demandé au garçon qui venait de décrire la routine et les bastonnades brutales d'enlever sa chemise. Il n'y avait pas de trace de cicatrice. Il a réinterviewé plusieurs garçons, et il n'y avait aucune preuve physique des violences qu'ils décrivaient.

Pas d'enfants-esclaves trouvés

Après cela, pendant toute une semaine, Finkel a voyagé dans 25 plantations de cacao en Côte d'Ivoire et n'a pas trouvé d'enfants-esclaves. La majorité des travailleurs avaient plus de 18 ans. Ils étaient venus parce que les salaires qu'ils gagnaient, même s'ils étaient minces, étaient bien plus importants que ce qu'ils pouvaient gagner dans leur pays, le Mali. Il a littéralement traqué le garçon, Aly Diabaté, qui a été une figure centrale dans les séries de Knight Ridder. Bien que les séries disaient qu'il était âgé de 13 ans, Diabaté, désormais loin de l'Association des Maliens, lui-même a affirmé qu'il était âgé de 18 ans, ce que Finkel a écrit. Bien qu'il ait dit aux reporters de Knight Ridder qu'il avait été battu quotidiennement avec une chaîne de bicyclette, Diabaté dit maintenant qu'il a été au plus giflé deux fois par le frère du propriétaire de la plantation. Comment une histoire aussi glissante a été autant diffusée par les médias mondiaux ? «Les reporters ont été manipulés à leur propre profit», explique Finkel. Finkel est retourné à New York, voulant écrire un article sur la manière dont les médias ont falsifié l'histoire des enfants-esclaves. Sa responsable d'édition lui a dit qu'elle n'était pas intéressée, écrit-il. Ambitieux et soucieux de plaire, il a décidé de produire l'histoire qu'elle souhaitait, une histoire racontant la vie d'un enfant, ôtant tout doute au sujet de son statut d'esclave. Il a fabriqué un personnage. Après la découverte du mensonge, le monde de Finkel s'est écroulé. Il a perdu son travail tant convoité, ne pouvant au final que se blâmer lui-même. Il s'est effondré en dessous de son bureau et a déchiré le tapis jusqu'à ce que ses doigts soient écorchés. «Cela a été une grande fissure dans ce que je considérais comme le long fleuve tranquille de ma vie», a dit Finkel. «Je me suis dit qu'il y aurait un avant et un après». Après le bannissement de Finkel par le New York Times, le journal a engagé une grande investigation, revenant sur toutes les histoires qu'il avait écrites pour son compte (ils ont découvert un nom de place mal écrit et une erreur sur des chiffres).

Problèmes avec la vérité

Mais son expérience brosse le portrait d'une profession journalistique différente de celles qu'il veut séparer de manière très ferme les hors-la-loi comme Blair, Kelley et lui-même et le reste de la profession. Les séries de Knight Ridder étaient sur le point de gagner le Polk Award et le Livingstone Award, deux des plus prestigieux dans le secteur. Finkel dit qu'il ne croit pas que les reporters ont eu l'intention de tromper. Il a plutôt dit qu'ils ont écrit des histoires fondées sur des faits sélectionnés, manipulés ou fabriqués par d'autres. Si Finkel a raison, c'est que les histoires racontées de manière si précise sont fausses. Elles exagèrent la brutalité des conditions dans les plantations de cacao et brosse le tableau d'un esclavage répandu qui n'existe pas. «Il est très clair pour moi qu'il n'y a pas d'esclaves ou peut-être très peu d'esclaves», a-t-il dit. «Ces histoires étaient tout à fait fausses».

Traduction Benjamin Silué

Michael Riley (Denver Post)