Le même Claude Ribbe a eu fort à faire mercredi 14 décembre dans l’émission ‘Cultures et dépendances’ de Frantz-Olivier Giesberg, face à un Max Gallo agité sans pour autant être convainquant, un historien de la décolonisation notamment algérienne, Benjamin Stora trop consensuel, un présentateur, Frantz-Olivier Giesberg partisan, une chroniqueuse, Elisabeth Lévy, excessive. Elle ira jusqu’à lui demander s’il veut, à l’image du procès du Nazisme dans cette ville à la fin de la Seconde guerre mondiale, un Nuremberg pour la France !! On voudrait culpabiliser et finalement museler un intellectuel, on ne s’y prendrait pas autrement. Le philosophe guadeloupéen aurait visité l’histoire pour glorifier l’objet de sa quête, jamais on ne lui aurait reproché ce voyage dans le temps. Mais parce que le résultat est inhabituel, il dérange Frantz-Olivier Giesberg qui demande ironiquement : « Jusqu’à quand faut-il remonter ? A l’invasion de la Gaulle par les romains ? » « On peut se contenter de remonter jusqu’en 1635, début de la colonisation de la Guadeloupe par la France », répond tranquillement Claude Ribbe.

Plus sérieusement, Max Gallo interdit à CR de parler de chambre à gaz quand il évoque le traitement que Napoléon réservait aux résistants à l’esclavage quand il l’a rétabli en 1802, soit huit ans après sa première abolition (1794) : « C’est un anachronisme ! » soutient-il, parce qu’à cette époque le terme n’a pas la signification qu’il a aujourd’hui après la Shoah, ce drame spécifique que Max Gallo ne veut comparer à rien d’autre. Mais, l’esclavage aussi est spécifique, lui répond un Claude Ribbe regrettant l’évocation habituelle teintée de fierté du Code civil de Napoléon, et le passage sous silence de sa réactivation en 1802 d’un Code noir concocté en 1685 par Colbert, et qui a enlevé à l’homme noir toute humanité pour le réduire à l’état d’objet.

L’historien et philosophe guadeloupéen fait l’objet de cet acharnement parce qu’il est jugé coupable de s’attaquer à un symbole national, une icône qui requiert une dévotion absolue. Mais l’objet du culte est visiblement abusivement élevé à ce statut. Le réveil est brutal et douloureux, de ceux qui réécrivent l’histoire des vainqueurs en occultant les turpitudes dont ils ont pu se rendre coupables. Comment se taire face à cette injustice ?

Les Indigènes de la République ont eux aussi donné de la voix il y a quelques mois. Silence ! ordonne Max Gallo, qui les accuse de surcroît. Leur crime : accuser leur pays en inscrivant dans leur pétition que « la loi anti-foulard est une loi d’exception aux relents coloniaux », et s’exclure volontairement de la nation en se réclamant d’ailleurs, dans la mesure où, en vertu de leur qualité de descendants de leurs parents mis en esclavage et colonisés, ils estiment dans le même texte que « Dien Bien Phu est leur victoire. Dien Bien Phu n’est pas une défaite mais une victoire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ! » Comment osent-ils comparer une dictature comme celle du Vietnam à la France, pays des droits de l’homme ? s’étrangle Max Gallo. Tarek Ramadan tente une explication de leur démarche en invitant à s’interroger sur l’origine de l’exclusion : n’est-ce pas au contraire parce que ces Indigènes ne se reconnaissent pas dans l’histoire officielle de leur pays qu’ils cherchent des références ailleurs ? Max Gallo n’en démordra pas. Pour lui, ils ont une seule chose à faire : s’intégrer dans le pays qui les accueille, et s’inscrire dans son histoire. Pendant ce temps, il s’attache, lui, à en montrer la grandeur à travers ses ouvrages : L’Empire, Napoléon, Bleu blanc rouge, Charles de Gaulle, Le Grand Jaurès…

Max Gallo est obnubilé par la grandeur de son pays et de ses hommes. Son obsession l’aveugle. Il cultive cette idée comme un champ. Mais il utilise des engrais artificiels sans se préoccuper de leurs effets à long terme. La menace est là. Elle frappe à la porte. Elle s’appelle guerre des mémoires. Les épées sont sorties de leurs fourreaux, prêtes à frapper. Claude Ribbe est resté prostré pendant une bonne partie du débat après son éclairage de la face sombre de Napoléon. Il a déployé beaucoup d’énergie, et peut-être reçu un coup. Stéphane Pocrain pourrait lui venir en aide. Mais l’historien et philosophe, adepte (peut-être plus pour longtemps) de l’universalisme, accepterait-il cette main tendue de l’alterrépublicain qu’il a lui-même poussé dans ses derniers retranchements sur un autre plateau de télévision ? …