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Faut-il avoir honte d’être français ?
L’Express 2881 du 21 septembre 2006
Dans son numéro 2881 paru fin septembre 2006, le journal "L’Express" entend mettre le pied dans le plat en en s’interrogeant sur le fait de savoir si les français doivent avoir honte d’être français.
La lecture de l’introduction au dossier laisse peu de doute. Il ne s’agit pas d’analyser de façon neutre la problématique, mais bien d’en finir avec le "masochisme national" pour reprendre le titre d’un ouvrage récent de Pascal Bruckner abondamment cité par "L’Express". Que Pascal Bruckner soit invoqué ne constitue pas une surprise si l’on se souvient qu’il fut aussi l’auteur du "sanglot de l’homme blanc", un ouvrage dans lequel il appelait déjà l’Occident à sortir du tiers-mondisme et de l’auto flagellation pour des crimes commis autrefois.
L’hebdomadaire commence en indiquant que le battage médiatique autour du film "Indigènes" sorti en salles le mercredi 27 septembre n’est pas forcément justifié : "Indigènes" relève plus de l’hommage militant que de la création cinématographique bien que le film ait obtenu le prix d’interprétation masculine. Question : les jurés qui ont attribué ce prix lors du festival de Cannes sont-ils des descendants de colonisés ou ont-ils simplement voulu récompenser un film dégageant une émotion qui les a peut-être touché ?
Soulignant ce qu’il estime être des approximations historiques (les tirailleurs n’étaient pas tous volontaires, ils ont bien défilé sur les Champs-Elysées au lendemain de la libération et ils n’ont été systématiquement été envoyés à la boucherie par des officiers blancs se délectant de loin du spectacle de leur décimation ), l’Express critique le "côté militant" du film tout en lui reprochant de ne pas avoir inclus de soldat noir dans le quatuor de soldats censé symboliser les troupes coloniales. |
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Plus loin dans l’article, "l’Express" affirme que les revendications mémorielles communautaires VICTIMAIRES se sont multipliées et poussent à la surenchère. Pour l’auteur, ces mémoires s’intéressent par exemple à "l’esclavage européen aboli sans dire mot de celui qui existe encore "ailleurs" dans le monde ou font de la colonisation l’essence de la république".
L’hebdomadaire fustige les élites françaises qui se "donnent bonne conscience en se repentant sur le dos des générations précédentes avec une ivresse (...) qui aboutit à coloniser non plus l’espace mais le passé, en imposant les valeurs morales du présent à des événements anciens que l’on ne cherche plus à comprendre mais à juger".
On peut pourtant s’interroger : le propre de l’histoire est t-il simplement de "comprendre" ? Il nous semble qu’elle émet aussi un jugement. Pour l’histoire, De Gaulle est l’homme qui a sauvé la France avec l’appel du 18 juin quand Pétain l’a trahie. L’un fait partie des gagnants tandis que l’autre est condamné par l’histoire.
On retrouve dans les arguments du dossier le thème de la repentance. Les descendants de colonisés exigeraient de la France une repentance qui menace d’envahir la société dans son ensemble.
La même presse française n’hésite pas quand il s’agit de critiquer les japonais qui rendent hommage à des militaires considérés ailleurs comme des criminels de guerre, mais trouve que les descendants de colonisés en font trop quand ils soulignent les contradictions du pays des droits de l’homme ! |

Le problème qui se pose en réalité est que tout français (ou étranger) descendant de colonisé qui a effectué ses études en France connaît en général très bien l’histoire classique officielle de France mais trouve que la reconnaissance de son histoire spécifique n’est pas suffisante car elle a été passablement ignorée.
Certains trouvent que Claude Ribbe va un peu vite quand il fait de Napoléon le précurseur d’Hitler. Possible. Mais le fond du débat reste valable. Napoléon fut certes un grand conquérant et un grand organisateur, mais aussi l’homme qui a rétabli l’esclavage et qui ne cachait pas forcément son racisme ("je suis pour les blancs parceque je suis blanc, je n’ai pas d’autre raison et celle là est la bonne" a-t-il dit à propos de la révolte des esclaves Noirs qui secouait Saint-Domingue!).
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Je suis pour les Blancs parceque je suis Blanc. Je n'ai pas d'autres raisons et celle-là est la bonne |
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Napoleon Bonaparte |
Critiquer les hagiographies de Napoléon et dire que malgré ses réalisations il fut AUSSI raciste, est ce tomber dans la "complainte victimaire" ou simplement rétablir une vérité trop souvent camouflée ? Dire que Jules Ferry fondateur de l’école laïque et républicaine fut aussi un fervent partisan de la colonisation (et pas seulement parceque la colonisation permettait d’apporter la civilisation aux peuples "arriérés") est ce se plaindre inutilement ou souligner les contradictions dont firent preuve beaucoup de grands hommes français et occidentaux ?
C’est le moment de se rappeler des propos d’Ernest Renan dans "Qu’est ce qu’une nation" :
"L’Oubli, et je dirai même l’oubli historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger." Le problème de la France, c’est que les descendants de colonisés ont retrouvé la mémoire, et le débat qui s’ensuit ne peut plus être escamoté ou balayé d’un revers de main... |
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Jules Ferry, fondateur de l'école laïque fut aussi partisan de la colonisation
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Voir dans l’émergence des "minorités", "descendants d’esclaves" ou autres "ex-colonisés" une simple résurgence du "masochisme", de "l’autoflagellation", des "revendications victimaires" montre en réalité que certains n’ont rien compris à ce qui se passe.
Naguère encore, personne ne s’interrogeait sur la place des minorités dans les médias. Les quelques précurseurs qui soulignaient l’existence répandue de la discrimination à l’embauche étaient presque traités de paranoïaques. Les débats sur le rôle de la colonisation, sur l’esclavage, sur la discrimination, sur la place des "minorités" dans la société française participent en réalité à sa construction et à la reconnaissance des revendications pour l'égalité réelle pour tous, quelque soit la couleur ou l’origine.
"L’Express" demande à quand "l’interdiction" des écrits de Senghor qui a estimé que "la colonisation était un phénomène universel qui a côté de ses aspects négatifs, a certains aspects positifs ?"
Sans revenir sur le débat sur le rôle positif de la colonisation on peut simplement souligner que la colonisation était un système basé sur les rapports de forces favorables à l’Occident et mis en place pour exploiter les richesses et la main d’œuvre d’un continent sous couvert d’apporter de la civilisation.
Qu’il y eut à l’intérieur de ce système des individus d’une grandeur d’âme suffisante pour dénoncer les "excès de la colonisation", aimer un territoire et ses habitants, ou le fait qu’elle s’accompagne dans certains cas de création d’infrastructures et de progrès dans le domaine de la santé ne change rien à la nature du système. Qu’Albert Londres écrive dans "Terre d’Ebene" (1928) que "L’esclavage, en Afrique, n’est aboli que dans les déclarations ministérielles d’Europe" devrait faire réfléchir. "Au siècle de l’automobile, un continent se dépeuple parce qu’il coûte moins cher de se servir d’hommes que de machines ! Ce n’est plus de l’économie, c’est de la stupidité." poursuit-il. |
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Les dégâts de la colonisation belge au Congo
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S’il semble naturel au français lambda de penser que l’occupation de l’Afrique par la France eut "naturellement" des aspects positifs, alors à quand un livre sur les aspects positifs de l’occupation allemande en France ? Mais personne ne songe un instant que l’Africain, ou le descendant de colonisé pense lui tout aussi "naturellement" que l’occupation d’un territoire par la force ne puisse rien produire de positif !
"L’Express" croit percevoir (P 54) une "franco-phobie dominante dans les milieux politico-médiatiques" ! On croit rêver ! C’est à se demander si les journalistes de l’hebdomadaire vivent bien en France. Tous les grands dossiers consacrés au sujet dans les grands hebdomadaires ont grosso modo les mêmes analyses et les mêmes conclusions : ils voient dans les débats récurrents ces derniers temps essentiellement des "revendications victimaires, de l’autoflagellation, des raccourcis historiques, ou même un dénigrement de la France". Bien peu s’insurgent quand Nicolas Sarkozy tient (à l’intention de qui ?) des propos dignes de l’extrême droite : "La France on l’aime ou on la quitte".
Sans aller bien loin, demandons nous pourquoi des ouvrages comme "Négrologie" (Stephen Smith) ou "je suis noir et je n’aime pas le manioc" (Gaston Kelman) au-délà de leur qualité intrinsèque, ont eu un plus grand retentissement dans les médias que la "Férocité Blanche" de Rosa Amelia Plumelle Uribe d’une qualité au moins égale, mais beaucoup plus polémique, plus agressif et moins consensuel.
Parceque Smith et Kelman (même si ce dernier s’en défend) vont dans le sens de l’opinion communément admise. Pour Smith, l’Afrique est un continent dont on ne peut rien tirer de bon (pour faire simple) et l’Occident n’a absolument rien à voir avec sa situation actuelle (bien que la France ait largement influé sur le destin de l’Afrique Noire après les indépendances).
Gaston Kelman même s’il dénonce le racisme reproche aux Noirs de se complaire dans leur rôle de descendants d’esclave. Pour lui l’esclavage ne pose pas tant de problèmes que ça puisque les acteurs de ce drame sont aujourd’hui décédés...Une vision des choses qui n'est pas partagée par tous. |
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Les esclaves ont constitué une main d'oeuvre gratuite pendant des siècles
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"L’Express" convoque aussi Daniel Cohen pour nous faire savoir que la colonisation n’a pas contribué au développement économique de l’Europe. Nul besoin d’appeler à la rescousse un économiste de renom là où le bon sens peut suffire. Comment se fait-il qu’une main d’œuvre gratuite pendant plusieurs siècles (esclavage) ne contribue en aucune façon à la création de la richesse économique ou à l’accumulation de capital qui conduit au développement ? Comment se fait-il que les matières premières ou les débouchés que constituaient les territoires coloniaux pour la production européenne n’aient en aucune façon contribué au moins partiellement à la prospérité économique de l’Europe..? (les champs pétroliers africains par exemple ont fait les beaux jours de la défunte Elf) A part ça, "L’Express" est bien sur "objectif et neutre" .
Via Pascal Bruckner, le rôle de l’Occident dans l’esclavage est balayé d’un revers de plume (L'Occident n'a fait que prendre "le relais des Arabes et des Africains", mais il a "engendré l'abolitionnisme et mis fin à l'esclavage avant les autres nations".) Quid du rôle joué par les abolitionnistes noirs dans les îles françaises ? Quid de la révolution haïtienne ? Quid du rôle joué par les esclaves libérés ou les abolitionnistes noirs aux Etats-Unis ? Est-ce que ce sont les africains ou les arabes qui ont affrété les bateaux ou produit le honteux code noir ?
L’auteur de l’article tombe, toujours par Pascal Bruckner interposé dans l’autoglorification et dans le mythe de la supériorité de l’Occident : "L'Europe a plutôt vaincu ses monstres, l'esclavage a été aboli, le colonialisme abandonné, le fascisme défait, le communisme mis à genoux par KO. Quel continent peut afficher un tel bilan?"
L’Europe a certainement vaincu certains de ses démons, mais elle a aussi créé les plus grands fléaux tels que le nazisme, le fascisme, la colonisation, le racisme scientifique, les deux guerres mondiales, l’extermination des indiens ou des aborigènes...Des fléaux comme le racisme ou l’antisémitisme ne sont pas tout à fait morts. Un peu de modestie ne ferait certainement pas de mal car nous ne sommes certainement pas à la fin de l’Histoire.. |

"Qu’est ce que donc vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu’à terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux ? (...)"
Jean-Paul Sartre, Orphée Noir
"Les occidentaux voient un message moral dans l’art comme une faiblesse. Chez les occidentaux, un roman qui est qualifié de "politique" est un roman qui n’est pas très bon. Ou alors les critiques disent "malgré son message politique, il est bon", et dire ça constitue en soi quelque chose de très politique. Car cela signifie que "le monde est bien comme il est ; il n’y a pas besoin d’introduire des problématiques externes ou politiques dans l’histoire"
Chinua Achebe, écrivain nigérian
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