PLAYDOYER POUR UNE LITTERATURE SANS CONCESSION A L'EXOTISME DU PIRE

Lettres à Kangni Alem

Nous voulons
un monde à habiter
quelque chose de solide


« Ecrire est une prison... » ARAGON



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Franchement quelle différence entre ce que fait SMITH et ce que font nos chers “écrivains africains”? Ceux qui nous vendent pour deux francs trois sous du fantasme de la Mère dévoreuse. Ceux qui nous peignent une Afrique peuplées de canailles et de charlatans, de doubles maléfiques, de bêtes sauvages, de polygames et autres cannibales…, l’intérieur de la nuit (sic) sourdant de ricanements. « L’Afrique est le paradis naturel de la cruauté… » N’importe lequel de nos littérateurs pourrait glisser cela dans son œuvre …

Ce qui devait arriver est déjà arrivé:
« Des tombereaux d’enfants morts de faim, de soif, desséchés au soleil, des enfants ou ce qu’il en reste : quelques os oubliés des vautours que des tracteurs et des bennes à ordures enseveliront sous le sable en feu. Le Niger. Safari-photo insoutenable. Des enfants on en ramasse à la pelle dans ce pays (est-ce un pays ou un cimetière ?) où le taux de fécondité des femmes est le plus élevé au monde. Neuf enfants en moyenne par couple. Un carnage.
Les coupables sont facilement identifiables, ils signent leurs crimes en copulant à tout-va. La mort est au bout de leur bite. Ils peuvent continuer puisque ça les amuse. Personne jamais n’osera leur reprocher cela, qui est aussi un crime contre l’humanité : faire des enfants, le seul crime impuni. On enverra même de l’argent pour qu’ils puissent continuer à répandre, à semer la mort. Nous devrions avoir honte de nos larmes de crocodile sur les cadavres de ces anges noirs qui régalent les mouches. »

Et Sevran de se justifier:
«Je parle des Anges Noirs et de leur souffrance, dans le livre paru il y a un an, j'avais été bouleversé par un reportage sur le Niger, impressionné aussi par le très beau livre de Léonora Miano, universitaire camerounaise, qui écrit : ‘mon obsession est le mal que les Africains se font à eux-mêmes' (...) Voilà ce qui m'a inspiré ce texte, manipulé pour lui faire dire le contraire de ce qu'il dit».
Aux prix littéraires qui sonnent comme autant de tapes dans le dos, bientôt c’est des pieds que le peuple applaudira. Car il aura compris que le dos justement, les écrivains l’ont tourné au continent, et qu’à la suite de Kossi Effoui il faudrait peut-être se résoudre à reconnaître que « la littérature africaine n’existe pas.» Il n’existe que le spectacle affligeant de l’enfant mettant à nu sa mère sur la place publique. Mouches à merde, vautours, hyènes,... la nouvelle ethnologie sauvage a des ambassadeurs bien inattendus…

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Très cher Kangni, puisque vous autres écrivains avez choisi de participer à la grande aventure Internet, il va peut être falloir vous déshabituer à n’entendre que la voix concordante qui vous célèbre dans les différents salons. Aujourd’hui la toute petite voix du tout petit lecteur africain de l’ombre remonte jusqu’à vous et dit sa tristesse de vous voir tous, pareillement, sous prétexte de dénoncer des choses, tomber dans la facilité facile de l’exotisme du pire.
Et donc Kangni, Non, je ne suis pas victime de mon incapacité à « déchiffrer le projet romanesque à l’œuvre dans vos peintures d’écrivains africains », mais coupable de ma trop grande lucidité à en déceler l’archaïsme, le manque d’ambition et la naïveté. Je puis vous dire en tout cas que si démarche critique il y a dans vos projets, elle est de facto compromise par l’effarante économie de perspective, qui fait confondre décrire et dénoncer et par le mauvais choix d’interlocuteur.
Ce dont je parle ne concerne pas spécialement Canailles et Charlatans (et vous serez charitable d’accepter de prendre pour les autres), mais j’ouvre volontiers une parenthèse pour en évoquer l’esprit. Car il se fait que, oui, j’ai lu Canailles et Charlatans. Et j’avais déjà eu plaisir à suivre Héloïse dans sa toute première virée sur la Terre des Braves. J’aimerais tout en évitant le jeu des citations, en toute honnêteté, vous dire l’impression générale que cela ma laissée. Je ne saurais au mieux qualifier la « peinture » que vous faites de Lomé dans les deux livres, que d’un palimpseste d’immondices. Bien évidemment la dimension de l’œuvre n’en porte pas tache, de ce que heureusement, il y a le style ALEM… fin de parenthèse.

Le style!
Vous autres écrivains africains n’avez que le STYLE. Ce style dont on aura réussi à vous convaincre, vos éditeurs en premier, que pareil à ce qu’il en a été de la sculpture nègre pour l’art occidental, il assurait le salut de la langue française. Et vous rivalisez volontiers entre vous pour voir qui l’amènera à sa plus délirante expression : à qui fera la phrase la plus longue, à coups de croche-pied au vocabulaire, et de ping-pong avec le sens. Et vous semblez réellement vous amuser comme de grands enfants...
Mais la création africaine a-t-elle vocation à régénérer la création occidentale? Si oui, à quel prix pour l’imaginaire africain?
Car que reste t-il, une fois qu’on a fermé vos bouquins ?
A vous autres, il reste le style. Aux Occidentaux, il reste une inépuisable source de masturbation et de projections diverses. Pour la langue française, il y a donc cette formidable sève nourricière.
Mais à nous Africains, il ne reste rien. Pas d’imaginaire à habiter, mais un univers des idées qui continuellement nous agresse.
Si tout de même…, il nous reste à vite oublier ce que nous venons de lire si nous ne voulons pas nous croire, foi de la rhétorique de notre élite écriveuse, maudits pour de bon.
Peut-être faut-il voir là une des causes du relatif mépris dans lequel les africains tiennent leur littérature. Elle les tire vers le bas…

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Que le principal matériau romanesque de nos écrivains soit depuis toujours l’absurde de nos sociétés et la souffrance de nos peuples, ne saurais plus être nié. Kourouma est l’exemple type du modèle promu. Burlesque à souhait. ENCORE LE STYLE... Pour ce qu'il en est des histoires, que du folklore! Rien en tout cas qu’on ait à raconter aux Africains. Ce n’est pas grave puisque ce n’est pas à eux qu’on a choisi de s’adresser.
Sartre l’avait annoncé, ceux qui iront le plus loin dans le ricanement auront droit à leur tape dans le dos.

Bien sûr, le tas de gravats que constitue la littérature africaine est parsemé de quelques stèles. Il y a un Hamidou Kane droit comme un I. Sony par exemple aimait à parler de la "boue", du "vide", du "folklore", mais on n’entendait, on ne ressentait que sa soif de "solide", de "plein", d’ "esthétique". Il arrivait à se mettre au dessus de la « Panne-dieu ». Autant Soyinka, tant bien que mal évoque le « Penkelmess », sans tomber dans l’épanchement hilare.
Et puis, Il y a les autres... Tous ceux qui voudraient nous faire rire de choses sérieuses. Il en faut, mais là, n’y en t-il pas trop?

Je dis tout cela mais suis sûr que la chose a déjà remué en vous. Sinon il y aurait-il ceci:

« …une autre imagination de l’Afrique par la littérature est possible et nécessaire, et cela sans doute par une ambition littéraire plus complexe que celle qui nous pousserait uniquement dans les belles petites histoires poétiques, celles qui feraient seulement de nous de véritables néodécadents aptes à décrire comment la racine pourrit mais refusant (ou incapables) de projeter le futur ou la possibilité de nouvelles racines dans l’œuvre. Au regard de nos frustrations identitaires réelles, et de nos capacités à maîtriser ou non les grandes tendances de la littérature, pourquoi diable refuserions-nous, si l’envie nous en prenait, d’être encore plus novateurs et, par panache, de réussir ce que les autres auraient échoué à faire ? L’enjeu possible si le débat sur l’engagement vaut d’être prolongé et approfondi entre écrivains africains contemporains, serait, à mon humble avis, la question des formes littéraires nouvelles à trouver pour imaginer et expérimenter d’autres manières de dire l’Afrique à travers le temps et l’espace,… » Kangni Alem.

Je pense pour ma part que la clef vous apparaîtra dans le distinguo que vous réussirez à faire entre expression et représentation et de votre choix d’en assumer la complexité dépendra le renouveau de notre littérature.

Bien à vous.

Sé.


NOTES:

Ce texte est constitué d'un ensemble de posts envoyés à l'écrivain togolais sur son blog. Kangni a promis de relancer le débat. A suivre donc sur: www.togopages.net/blog
Nous rappelons que le ton de ce blog est volontairement polémique. La critique est aisée et chacun a son "porc-épic".




A VENIR:

l' ut pictura poésis africain

Discours sur les représentations de la souffrance



Essai de déconstruction du dolorisme hilare de mode



Pour des scénographies alternatives



A méditer:

« Il n’ y a pas un combat culturel qui se développerait latéralement au combat populaire(…) Si la culture est la manifestation de la conscience nationale, je n’hésiterai pas à dire, dans le cas qui nous occupe, que la conscience nationale est la forme la plus élaborée de la culture »

Frantz FANON

« … Pendant des années, je me suis entretenu avec quelques-uns d’entre vous : AFRICAINS. Les raisons, vos raisons, ne m’ont pas convaincu ; Certes, vous étiez d’accord sur ce point : « N’écris pas cette histoire. » Vous argumentiez que ce serait jeter l’opprobre sur NOUS, LA RACE NOIRE. Mieux, ajoutiez-vous, les détracteurs de la CIVILISATION NEGRO-AFRICAINE allaient s’en emparer, et…, et…, et… pour nous jeter l’opprobre. »
Sembène Ousmane 1965, Introduction à son Véhi-Cosiane.
« Cela calme ma rage d'écrire des romans. Si j'écrivais des essais je ne pourrais pas me contenir.»

Léonora Miano