
Ainsi, vivre en Martinique, s’imbiber des potentialités qu’elle offre t’a prédisposé à l’écriture et à l’art ?
Je me suis trouvé dans la culture caribéenne, à un endroit, dans un monde culturel, où il y avait encore des possibilités de s’enrichir de cette manière-là, par l’écoute des Anciens, par la pratique de la savane, des sables et des plages désertes : il y avait encore moyen de grandir comme cela. J’ai eu la chance de pouvoir hériter de tout cela, de cette beauté-là, de cet échange… Et je ne m’en suis souvenu que plus tard pour le développer d’une autre façon ; en allant chercher à travers d’autres cultures ce qu’elles pouvaient avoir à me donner dans ce sens. Donc, aujourd’hui, mes bases s’équilibrent aussi bien sur le monde japonais, africain, caribéen, occidental, asiatique : tout cela est entré en moi dans un patchwork dans lequel j’ai essayé de saisir l’essentiel de chacun de ces discours pour faire un dénominateur commun, ce que je suis aujourd’hui.
Le métissage, aujourd’hui, est mis à toutes les sauces et son sens premier, grave et profond se perd souvent... Quel est son avenir ?
Je crois qu’il y a un au-delà du métissage qu’il va falloir nous résoudre à aborder aujourd’hui, parce que le métissage est un concept qui va faire son temps, tout comme la négritude a fait son temps : le métissage est aussi un concept qui est condamné à devenir un peu plus sophistiqué, plus dynamique et plus proche de ce que nous sommes réellement en train de vivre et, qui n’est pas du tout, au fond, un métissage. On parle de voyages mais de voyages parfois imposés si on prend le cas des transports d’esclaves qui se sont déroulés dans le cadre du triangle d’ébène ; mais là, je parle de ce qui est au-delà du métissage, c’est, on va dire recevoir à l’empreinte du monde, ça le départ, c’est déjà ça, la dynamique d’une prise de conscience de ce qui peut être métis ou pas, voilà. Et ce que j’essaie de faire, c’est moins, paradoxalement, de m’ancrer à des valeurs qu’elles soient traditionnelles ou pas, qu’elles soient dévolues de par la naissance ou par un contexte géographique ou pas, tout ça ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse, au contraire, c’est à travers la pratique de tout cela, trouver le moyen de m’en défaire, de me dissoudre, de vider la bouteille pour qu’elle puisse se remplir de ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui, parce que c’est le monde d’aujourd’hui qui est notre tâche, ce’est pas celui de demain ni celui d’hier. Aujourd’hui, l’imaginaire du monde est un paysage bloqué, notamment par toute l’invasion médiatique un peu absurde, qui nous vient d’Hollywood et qui tend à faire des individus des espèces d’objets stylisés dans lesquels on ne peut plus apercevoir les nuances, tu vois...
... Oui... et quand je te lis, j’ai l’impression, en effet, que le sentiment d’appartenir à l’humanité entière t’interpelle...
Oui. La littérature, ce n’est pas que de la littérature, c’est l’intention qui appelle la littérature. Aujourd’hui, quand j’entends toutes ces réflexions, ces enfantillages à propos de l’art… « Oh ! Je ne pourrais pas me passer de la littérature ! »… mais qu’on veuille bien se taire à propos de toutes ces choses, ça, ce sont des gamineries, des propos d’adolescents attardés, la littérature n’a rien à voir avec ça, elle a à faire avec un territoire de guerre , une guerre qui se déroule aujourd’hui, qui est une guerre de survie pour ce que nous portons en nous de plus authentique et de plus réel, c’est-à-dire le sentiment d’appartenir à l’humanité, à l’espèce humaine et, si nous le perdons à travers les propos, soit outranciers, ou égarés ou sirupeux de quelques-uns qui s’imaginent plus intelligents que d’autres en perdant de vue, si tu veux, qu’il y a un territoire ontologique, qu’il y a un vecteur, qu’il y a des intentions à respecter dont il faut d’ailleurs, pour soi-même, chaque fois définir la justesse… Si nous perdons ça, nous perdons tout !
ta réflexion sur la littérature me réjouir car, en tant que prof, je dis toujours à mes étudiants que la littérature n’est pas une entité abstraite séparée du reste du monde, mais qu’elle « est » le monde, qu’elle « est » la vie…
ah oui ! Là, on est bien d’accord !
Et, l’écrivain doit nécessairement se sacrifier pour cette littérature ?
Tout le propos de l’écriture est un propos de renaissance de toute façon : c’est pour cela qu’il faut accepter d’en payer le prix et le prix à payer, ce n’est pas de sortir son kleenex au milieu de la bataille, c’est de se tenir droit, ferme, et puis, de se résoudre à essayer de faire ce qu’on peut faire et guère plus parce que nous sommes faibles, désarmés, mais nous y allons quand même, voilà.. C’est ça l’écriture pour moi, enfin telle que je l’envisage. |