
Roland Brival, homme polyvalent(1), mène avec maestria son métier d’écrivain et d’artiste à Paris, où il déclare vivre “en dissidence”. Né en Martinique, cet homme aux “semelles de vent” a sillonné le monde : nomade dans l’écriture, dans le corps et dans l’âme, son œuvre et son art sont traversés par ses appartenances multiples à l’Amérique, à l’Afrique, à l’Europe et même à L’Asie (2). Roland Brival compte à son actif quinze romans historiques de fiction et de fiction contemporaine. Il est aussi musicien, compositeur et chanteur notoires. Il a déclaré que l’on peut écrire « avec l’ambition ou avec l’humilité des mots »(3). L’humilité d’un écrivain [à ne pas confondre avec « l’effacement »], constitue sans doute l’un de ses atouts le plus éminent ; sur elle, repose l’authenticité(4) de l’œuvre. Roland Brival fait partie de cette rare classe d’ écrivains et d’artistes qui donnent l’impression d’évoluer dans le même univers que le vôtre, de parler un même langage, de formuler distinctement ce qui restait obscur en vous.
Bonjour Roland Brival. Je te remercie d’avoir accepté cette rencontre. Le métissage est un concept essentiel pour toi, en tant qu’écrivain, artiste, et homme? Peux-tu élaborer ?
C’est un mot qui représente un outil de travail, c’est d’abord un concept. La réalité, elle est un peu plus sophistiquée que cela, mais disons que si l’on s’en sert, c’est pour dire que d’une certaine façon, on explore le monde à partir de différentes trajectoires, de différentes perspectives possibles au lieu de l’envisager à travers une seule et, en ce sens-là, je pratique ce que j’appelle une pensée polyphonique. Ce qui m’intéresse, c’est simplement la rencontre et la façon dont circule l’énergie de la beauté entre les cultures du monde.
Quelles sont, à ton avis, les conséquences de la mondialisation sur l’art et la culture ?
Malheureusement, nous avons appliqué les mêmes techniques du travail à la chaîne dans les usines Ford et autres dans le monde de l’art parce que le monde de l’art et de la culture est devenu, lui aussi, une industrie et à partir de là, les artistes se sont retrouvés codés, cloîtrés, conditionnés, condamnés à la chaîne de montages aussi et du coup, on se retrouve avec des choses que je trouve personnellement tout à fait hilarantes et un peu absurdes : l’idée qu’un artiste va toute sa vie consacré son temps à développer un travail à partir des pots de fleurs, ou à partir des carreaux de ma grand-mère… Tout cela, c’est bien joli, mais ce n’est pas ça l’art, ça, c’est du conditionnement de produit, mais, l’art, c’est une autre chose ... Cet autre chose est justement vivant dans des cultures qui n’ont rien d’occidental mais qui ont gardé la trace de la mémoire ancestrale, des tribus, des traditions. Quand on va en Afrique, en Asie, dans les villages, et quand on va nécessairement dans les Caraïbes, il demeure une tradition, une façon d’être, une façon d’éduquer qui font que les enfants se retrouvent à la fois peintres, musiciens, conteurs parce qu’ils baignent dans un environnement où toutes ces choses leur sont proposées, à la carte, comme des situations dans lesquelles ils peuvent librement s’investir et dans lesquelles il peut se forger une identité complète.
(1) Ainsi se définit Roland Brival. À consulter : son site www.rolandbrival.com
(2) Les Indiens Caraïbes—qui font partie de son lignage métissé—seraient les descendants de pêcheurs et chasseurs nomades venus d’Asie et passés par le détroit de Bering 20 ou 30 000 ans avant JC, à une époque où la mer était plus basse (Odile Gannier, Les derniers Indiens des Caraïbes, 65).
(3) Citation de la conférence de Roland Brival dans un cours de littérature caribéenne, IUFM, Martinique, novembre 2006.
(4) J’entends par authentique et authenticité, ce qui exprime une vérité profonde de l’individu et non des conventions et habitudes superficielles.
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