
Cependant, quelques brèches s’ouvrent rapidement et permettent à l’Afrique de défendre de plus en plus fermement ses volontés d’indépendance. D’abord, si la question des indépendances n’est pas encore à l’ordre du jour à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la colonisation, elle, fait de plus en plus débat. Déjà, dans les années 1930, le militant communiste et ancien tirailleur sénégalais Lamine Senghor dénonçait fermement le colonialisme français, notamment au sein de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. De plus, du côté des Africains, c’est l’image même d’une métropole omnipotente qui s’effrite. En effet, lors des deux premières guerres mondiales, l’Europe s’est affaiblie. De plus, nombre de tirailleurs « sénégalais » ont été contraints de défendre la nation française, et souvent de périr en première ligne pour elle. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le pouvoir colonial ne fait pas preuve d’une grande gratitude à l’égard de ces soldats. Ainsi, en novembre 1944, lorsque près de 1 300 soldats manifestent dans le camp de transit de Thiaroye au Sénégal pour obtenir les impayés de leurs soldes, la France ouvre le feu sur eux et trente cinq tirailleurs sont abattus. Trente quatre autres sont condamnés à des peines d’un à dix ans de prison. Dans le même temps, d’autres soldats africains sont pourtant enrôlés pour combattre les velléités indépendantistes des Indochinois contre lesquelles la France échoue en 1954, ou en Algérie où la France s’enlise. L’aura de la puissance coloniale française s’écaille encore un peu.
Plus globalement, c’est le « Tiers-Monde », selon l’expression de l’économiste et démographe Alfred Sauvy, qui se réveille en avril 1955 lors de la conférence internationale des non-alignés à Bandung. Menée par l’indien Nehru, par l’égyptien Nasser et par l’indonésien Sukarno, cette conférence promeut l’émancipation des peuples afro-asiatiques, la fin de l’impérialisme et le non-alignement du Tiers-Monde dans la Guerre Froide. L’exemple de la résistance du Tiers-Monde est d’ailleurs donné un an plus tard par Nasser dans l’affaire du canal de Suez, qui l’oppose à la France et à la Grande-Bretagne. Le chef d’Etat égyptien nationalise le canal et inflige un large camouflet aux deux puissances coloniales qui voulaient mettre la main sur ce lieu stratégique du commerce mondial. Lors du discours d’inauguration, le 26 juillet 1956, Nasser déclare : « En ce jour, nous accueillons la cinquième année de la Révolution. Nous avons passé quatre ans dans la lutte. Nous avons lutté pour nous débarrasser des traces du passé, de l’impérialisme et du despotisme ; des traces de l’occupation étrangère et du despotisme intérieur. [...] La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l’Egypte. La Compagnie est une société anonyme égyptienne, et le canal a été creusé par 120 000 Egyptiens, qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La Société du Canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation. [...] En quatre ans, nous avons senti que nous sommes devenus plus forts et plus courageux, et comme nous avons pu détrôner le roi le 26 juillet [1952], le même jour nous nationalisons la Compagnie du Canal de Suez. [...] Nous sommes aujourd’hui libres et indépendants ».
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Image du film sur le camp de Thiaroye de Sembène Ousmane
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Enfin, c’est en France que les esprits commencent à se faire à l’idée d’indépendance africaine. Dans un sondage de 1949 indique que près des deux tiers des Français sont prêts à accorder les mêmes droits aux Africains qu’aux Français de métropole. En août 1956, le journal Paris-Match fait paraitre une série d’articles signés par Raymond Cartier. L’une des caricatures, devenue célèbre, résume l’esprit général de l’opinion française : « la Corrèze avant le Zambèze ! ». En effet, les colonies coûtent cher à la France. Et dès 1946, Edouard Herriot s’était enflammé devant l’Assemblée constituante : « Veut-on que la France devienne une colonie de ses anciennes colonies ? ». Les nombreux adversaires de la poursuite de cette colonisation à tout prix mettent ainsi en avant l’exemple des Pays-Bas qui, bien qu’ayant perdu l’Indonésie, parviennent à demeurer prospères. C’est donc l’idée même d’Empire qui ne parait plus naturelle. Dans la métropole et dans les colonies, les esprits se préparent donc progressivement à la décolonisation. |