
Voilà nos Noirs de France, à l’identité forgée dans le regard des autres, indique le sous titre de la première page du dossier rédigé en grande partie par Claude Askolovitch*. Ce sont donc eux ! Les Noirs qui ont réussi à s’imposer dans le paysage médiatique français et sont plus ou moins engagés ou pas du tout dans la lutte pour la représentativité des populations noires dans la société française.
Un dossier d’une dizaine de pages rien que pour les Noirs de France. C’est une première. Est-ce le signe d’un changement qui s’amorce dans la société française, quand on sait que les médias jouent un rôle incontestable de quatrième pouvoir dans notre République, black, blanc, beur… Est-ce à dire que de plus en plus, nous verrons, le paysage professionnel changer à l’image de la City londonienne ou de New York la cosmopolite et à tous les niveaux ? Traders en locks… En verra t-on bientôt à la Défense ? Pourra t-on se faire embaucher avec son afro à la direction du service Marketing d’une grande boîte sans avoir recours au lissage capillaire ? Une jeune homme témoigne, sur le forum de Grioo.com suite à la nomination d’ Harry Roselmack au JT de Tf1 : « J'attends toujours le jour où un Mamadou Ndiaye ou Traoré ou Diawara sera assis à cette place. Là, la France aura commencé à changer... » Et ce trop demander à l’heure actuelle ? Faut-il applaudir ces Noirs de France ? Le CV anonyme, la discrimination positive ou les quotas seront-ils les armes du futur pour mettre les Noirs de France au même échelon que les Blancs ?
Eléments de réponse, ou simple témoignage de ces quelques figures Black visibles, qui continuent de contraster avec le reste de la minorité invisible : celle des sans papiers, celle qu’on reconduit aux frontières, celle qui brûle dans des incendies d’immeubles insalubres ou cette autre qui fait l’objet de contrôles de police barbares. Sauf que cette fois, c’est Eunice Barber qui en a fait les frais s’érigeant malgré elle en symbole de la discrimination consécutive à la couleur de la peau, après avoir été saluée et acclamée pour une médaille, à l’honneur de la France. Mais le soleil a déjà brûlé sa peau. La mélanine court dans ses veines, la même qui parcourait celle de esclaves enchaînés vers le Nouveau Monde, au fond de cales sinistres, pour un commerce indigne et brutal.
Pour Keyza Nubret, gérante d’une société de compléments nutritionnels, être noire signifie : « Avoir du sang d’esclaves dans les veines », être la descendante de victimes d’un crime contre l’humanité… Sa colère ne s’arrêtera, ajoute t-elle, lorsqu’on aura reconnu « la souffrance de ses ancêtres » un combat pour lequel Christiane Taubira, la députée de Guyane se bat, même s’il est aujourd’hui menacé. Carole Da Silva de L’AFIP, se dit quant à elle débrouillarde, comptant sur ses forces propres, dans cette France inégale, alors qu’Olivier Laouchez de Trace TV a su s’imposer comme un jeune PDG dynamique, même si au début, on le prenait pour un coursier ». Pour Didier Mandin, jeune trader, « le racisme n’est pas l’apanage des beaufs » ces citoyens qui, avec de simples mots continuent de véhiculer des clichés hérités de l’imaginaire colonial, des clichés à la Tintin au Congo, avec un sourire Ya Bon Banania ! Et malgré ces modèles de combativité, la couleur est là frappante comme pour Jules Michel Penda, homme de son temps, ingénieur mais ayant déçu bien des DRH, lors d’entretiens et malgré des compétences acquises. Enfin, s’il est un footballeur de talent, Lilian Thuram l’affirme clairement : face aux contrôles, face aux blocages, « on a cette certitude infime mais terrible que c’est à cause de la couleur de la peau »…Il faut donc connaître son histoire, replonger dans ce passé douloureux pour comprendre l’état d’esprit actuel et cette infériorité comme une tare qui a été inculquée au Noir pour le complexer…Et continue Thuram, « La Shoah n’est pas l’ apanage d’une seule communauté, elle m’ appartient aussi et il devrait en être de même pour l’ Esclavage… »
Le dossier rappelle aussi quelques figures clés de l’histoire Noire et de sa diaspora d’Afrique : Le Chevalier de St Georges, Toussaint Louverture, Béhanzin, Félix Eboué, Gaston Monnerville, Senghor, Césaire, qui ont porté des mouvements comme la Négritude. Mais ces dignes hommes, pour certains, sont-ils encore en phase avec le combat actuel. J’aime les poèmes de Senghor, ils me font chanter ma négritude avec fierté et par la même font le lit de la francophonie, mais celle-ci nourrit-elle son homme ? Lui donne t-elle des papiers ou une dignité face à l’exclusion, à l’humiliation quotidienne ? Cette humiliation, inimaginable pour les nouveaux candidats à l’immigration, ignorant des conditions de vie de leurs frères de France : « Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité ! » dit Fatou Diome, dans le Ventre de l’ Atlantique et c’est cette dignité que cherche aujourd’hui les Noirs de France, pas seulement ceux qui ont réussi mais l’ensemble de la masse noire, celle qui balaye les rues, celle vigile dans les supermarchés, celle technicienne de surface, celle qu’on caricature dans les pubs anti-Sida, suggérant cet autre cliché du Noir dangereux et vecteur de maux…Et voir ce même noir conduire son Alfa Roméo sur une belle route du Sud de la France, dans une pub sur TF1, voilà un jour où l’on pourra sans hésitation, se prévaloir de faire partie de la France de toutes les couleurs, à travers une véritable communauté Française qui resplendira à la face du monde sans mauvaise surprise, à l’arrivée dans les couloirs de Roissy…
* Claude Askolovitch est rédacteur en chef du Nouvel Observateur.
Note de Grioo.com : dans ce dossier du NouvelObs, pour lequel Grioo.com a été interrogé, dossier que vous pouvez consulter en ligne à l’adresse http://www.nouvelobs.com/articles/p2162/hebdo.html vous retrouverez (coïncidence?) un certain nombre de personnes interviewées par notre site:
Keyza Nubret
Jules-Michel Penda
Carole Da Silva
Olivier Laouchez
Audrey Pulvar
Lilian Thuram
Imane Ayissi
Claude Ribbe
Gaston Kelman |