Qu'on nous pardonne, les quelques incohérences et l'aspect un peu décousu de ce dossier. L'urgence (clôture prochaine de l'exposition ) nous a obligé à restituer la chose sans le minimum de corrections.






I-METAPHYSIQUES DU CORPS

« Oui. Le corps est une traîtrise: il vous vend à l'extérieur,
il vous met à la disposition des autres.
Tout le reste se défend bien. » Sony Labou Tansi



Les transformations corporelles s’intègrent dans les sociétés traditionnelles dans un ensemble très complexe et intellectualisé de schèmes de pensée dénotant d'un certain rapport au monde. Nous vous proposons un tour du monde rapide des différentes perceptions du rapport à l'incarna et la "mesure de l'Être" et les particularismes artistiques qu'ils induisent.

L’AFRIQUE ET "LE CHOIX DU SEXE"

Deux en un:
On ne peut parler des interventions sur le corps, sans évoquer une pratique qui n'est pas celle qui se voit le plus au premier abord mais qui l'une des plus répandues en Afrique. Il s'agit vous l'avez compris de la circoncision et de l'excision. La mutilation des organes sexuels intervenait généralement vers la puberté et marquait le passage à un autre statut. Elle s’insère dans un processus plus large et dans un imaginaire très complexe.
Nous avons une connaissance plus précise du « signifié » de cette pratique grâce aux révélations qu' Ogotemmêli a faites à Griaule(Dieu d'eau, pages 28,29 et 158,159,160). Ce qui suit n’est qu’un fragment de la cosmogonie particulièrement construite des Dogon du Mali, ce fragment n’est rien sans le TOUT et nous ne saurions trop vous conseiller de prendre d'urgence connaissance de l'ensemble du testament du vieux chasseur.
Les Dogon pensent que chaque être humain vient au monde nanti de deux âmes de sexes différents (en fait il s'agit de deux principes qui correspondent à deux personnes distinctes à l'intérieur de chacun). « Pour le petit garçon, l'âme femelle siège dans le prépuce, pour la fille l'âme mâle est supporté par le clitoris ». Cette « Gémelliparité » œuvre du Nommo (fils du dieu unique "Amma", génie «né complet et parfait», associé à la "parole" et à l'"eau", sorte de Christ ayant vocation à réparer les désordres du monde ) au du sens : « La règle pour que tout soit bien, serait d'être deux, la source de tous les désordres étant la solitude du Chacal (ou Ogol, fils déchu d'"Amma", sorte Diable par qui "la faute" est entrée dans le monde)… ». Les parenthèses sont de nous et les hasardeuses comparaisons qu'elles initient seront l'objet d'une prochaine réflexion.
« Muni de ses deux âmes, l’enfant poursuit se destinée. Mais ses premières années sont marquées par l’instabilité de la vie normale » Il reste que, tant qu'il garde son prépuce ou son clitoris, l'enfant est le siège d'une cohabitation trouble entre le principe du sexe apparent et son jumeau contraire qui est de force égale. « En effet, le clitoris qu’à reçu la fille est un jumeau symbolique, un pis aller mâle avec lequel elle ne saurait se reproduire et qui au contraire, l’empêcherait de s’unir à un homme ». Pour que l’homme devienne un homme complet « Il est nécessaire que l'un des principes prenne définitivement le pas sur l'autre... ».
On se rend compte ici de l'importance de cette ablation des organes sexuelles. C’est l'acte qui carrément énonce "'identité sexuelle de l'individu". Cette explication est valable pour les voisins Bambara des Dogon, pour tout le monde Mandé et par extension à toutes les autres populations africaines pratiquant la dite intervention qui généralement se trouve associée à un rite de passage. Partout ailleurs en Afrique, de nombreux rites pubertaires donnent encore aujourd'hui lieu à une cérémonie de circoncision.
Si la circoncision est unanimement pratiquée l’incision ne fait pas partie du fond commun des rituels africains. Il est possible de supposer que certaines population aient dès le début pris conscience du risque que la dite mutilation faisait encourir à la personne féminine. Mais alors ces populations auraient-elles décidé de prendre quelques libertés avec les croyances et la "Loi" décidant d'abandonner les femmes à cette problématique double direction? Ce serait sous-estimer la pensée africaine que de d’imaginer cela. Puisque la circoncision pour (nous empruntons le terme au Professeur Cheik Anta Diop) garder tout son sens, « doit être accompagné de L’excision et bien l’excision prendra les formes les plus inattendues...



Parures Labiales:
Chez les populations du groupe dit « paléonigritique » : Lobi, Moba, Somba, Tamberma etc. la marque ne constitue pas un repoussoir pour d'éventuels agresseurs esclavagistes (comme l’avait supposé de bien hasardeux anthropologues) et pas seulement un attrait esthétique. Elle signale tout simplement, vous venez de comprendre, de manière ostensible le sexe de l’individu.. Le fait de percer l’oreille ou la lèvre, donc de détruire symboliquement la part mâle du corps , équivaut à une excision, donc à une conquête du sexe féminin. La démarche est la même pour les « porteuses de plateau » d’Ethiopie et du Soudan ; La lèvre équivalant du phallus, se présenterait ainsi trouée, donc féminisée. Chez les Surmas, par exemple, le port du plateau labial est une coutume très ancienne qui en devient, un signe d'identité tribale . Les objets trouvent leur place dans l’empreinte corporelle aménagée grâce à la technique du Stretching , La même utilisée pour obtenir les lobes d’oreilles étirés. La technique consiste à élargir le résultat d’un percing. une fois le trou percé, on y place un objet lourd pour le distendre. L’opération peut prendre plusieurs mois selon le résultat escompté.
En Afrique , donc le sexe se choisirait par un acte délibéré (Cheik Anta Diop croit trouver une explication à cette tendance à voir dans l'unique le double; dans la conception androgénique don monde liée au Monothéisme qui serait lui même lié au contexte géographique du continent. Je vous renvois pour cette «anthropogéographie», à la page 174 de la 4ème édition de l’incontournable Nations Nègres et Culture)
On note et ceci est très intéressant que l’art du masque qui est lui aussi lié aux rites de passage n’existe généralement pas chez les peuples qui ne pratiquent pas les mutilations sexuelles. Les Ashanti par exemple dont la production esthétique est l‘une des plus raffinées et des plus variées d’Afrique noire, ne produisent pas (chose étonnante) de masque ! Et bien, ces mêmes Ashanti ne pratiquent pas ni la circoncision ni l’incision !!!
L’Egypte et la circoncision:
Existe t-il des masques dans la production plastique de l’Égypte antique ?… Pourquoi nous posons la question ! Parce que les Égyptiens seraient ( avec les Colchidiens et les Ethiopiens ) comme le rapporte Hérodote : « les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial… ».
Il semblerait donc à en croire les dire du père de l’histoire, que la circoncision et la clitoridectomie étaient des pratiques profondément ancrées dans les mœurs, dès la préhistoire. Et le raisonnement ici est le même que pour le reste du continent, il s’agit de pallier à une certaine androgynie originelle. On sait cependant que les Egyptiens sur le tard ont abandonné l’excision. Il est permis ici aussi de penser que le haut niveau de culture les ait amené à prendre l'entière mesure de l'acte. Il serait intéressant de découvrir par quoi le rite a été remplacé parce bien évidemment nous ne pouvons là non plus croire qu’il ait put tout simplement mis entre parenthèses.
(Au fait la réponse à la question posée plus haut est "oui". Oui les égyptiens fabriquaient des masques. Mais on a aucune indication qui pourrait laisser supposer qu'il participaient d'un quelconque rite de passage ou initiatique. A en croire le livre des morts, ces masques- portrait avaient plutôt une fonction funéraire).
Selon la thèse défendue entre autre par Cheik Anta Diop, les juifs et les populations sémites en général auraient adopté la pratique de la circoncision au contact des "Nègres "d’Egypte (Moïse ayant reçu la prescription qu’après avoir « connu » Agar, l’esclave égyptienne de sa femme).
Hérodote confirme :« les phéniciens et les Syriens de la Palestine conviennent eux- même qu’ils ont appris la circoncision des égyptiens... »
Si la circoncision faisait partie des mœurs égyptiennes et constitue un ciment d’avec le reste du continent, il n’existe cependant pratiquement « aucun témoignage de pratiques étendues de transformations corporelles » comme les scarifications qu’on observe chez les populations d’Afrique subsaharienne…
Les Egyptiens semblaient même tenir dans un profond mépris ces pratiques. Ils partagent ce point de vue avec les grecs. « Seuls les barbares ont le corps marqué à jamais »Aristote



L'"ESPRIT" OCCIDENTAL

« Les monuments égyptiens les plus anciens qui figurent toutes les races de la terre (bas-reliefs du tombeau d’ OusiréÏ (-XVIème Biban-el Molou), par exemple) nous montrent qu’à ces époques reculées seule la race, dite aujourd’hui Nordique, était tatouée. Ni les Nègres égyptiens, ni les autres Nègres d’Afrique ne pratiquaient le tatouage d’après tous les documents égyptiens connus. » Cheik ANTA DIOP

« … Nous avons donc ici sous les yeux, l’image des différentes races d’hommes connues des Egyptiens Enfin le dernier sur la planche (n°6 sur la planche) le teinte de peau que nous nommons couleur chair, ou peau blanche,… nez droit…, les yeux bleus, la barbe blonde ou rousse…, vêtu de peau de bœuf conservant encore son poil, véritable sauvage tatoué sur diverses parties du corps, on le nomme tamhou j’ai honte de le dire, notre race est la dernière et la plus sauvage de la liste... » CHAMPOLLION - Le Jeune

Tout semble laisser supposer qu’à une époque lointaine, les marques corporelles étaient l’apanage des populations aryennes nomades des steppes eurasiatiques ancêtres des populations à la peau blanche d’aujourd’hui… Mais avec le transfert de civilisation vers l’Europe, et la naissance des religions « matérialistes » l’occident a plongé dans l’ère de la « pureté du corps »

Tradition juive et formation de l’inconscient chrétien



Dans la tradition juive dont l’inconscient chrétien occidental est héritière, le corps est considéré comme “ ...le temple du saint esprit... ” et de ce fait on ne pouvait se permettre de le retoucher, il fallait le laisser pur blanc et vierge. La seule intervention dans la chair admise étant la circoncision (pour les juifs).
Mais le fondement que donne la Genèse à la circoncision diffère de ce que nous avions vu chez les peuples africains (pour ce que pense Cheik Anta Diop de cette nouvelle explication : page 207)
Vous connaissez sans doute les termes de l’alliance que Dieu conclut avec Abraham et dans laquelle il s’engageait à faire de lui le “ père d’une foule de Nation ”. Vous savez qu’à cette promesse était rattaché une obligation : toute la descendance de sexe masculin devait être circoncis dès l’âge de 8 jours ; et il était de même pour tous les esclaves ou “ fils d’étranger ” qui devaient entrer au service du patriarche. Et cela pour que (je cite le livre de la Genèse) : “ l’alliance de Dieu soit inscrite dans la chair comme un fait perpétuel, le signe de l’appartenance au peuple élu ”. On voit là, que l’ablation du prépuce devient là dans l’imaginaire judaïque, un signe distinctif, une marque qui scelle un contrat, une trace comme un testament sur le support le plus intime: le corps. Une prescription qui consacre une forte verticalité (du fait qu’elle est à proprement parler un langage qui engage un dialogue entre l’humain et le divin) en même temps qu’une horizontalité évidente : le signe de l’appartenance à une même communauté, un code qui transcende les différences sociales et physiques puisqu’elle elle met l’esclave et l’homme libre sur un même plan. Le schème est valable pour la tradition islamique, Ismaël, le père de l’autre branche sémitique (entendez les arabes), ayant été circoncis à treize ans, le même jour que son père Abraham et tous les esclaves de celui ci. (Ismaël qui d’ailleurs prendra femme au pays de sa mère : en Egypte…)
Le déni complet du corps initié par le christianisme ( Idéaliser, Magnifier l’invisible et non le visible ) , et la conception judéo-chrétienne selon laquelle « l’homme a été fait à l’image de Dieu » annulent tout volonté de retoucher l’enveloppe corporelle et plaide en faveur de la sauvegarde d’un corps virginal. Ce idéal, l’occident va l’imposer, au hasard des conquêtes, aux populations jugées primitives (les souffrances « gratuites » imposées au corps n’en son telles pas d’ailleurs la meilleure preuve ?). L’œuvre civilisatrice va sonner le glas d’une "longue nuit pour les corps décorés".
Il faut noter que le monde grec qui a nourrit de son esthétique, la représentation, l’iconographie de l’église ; portait déjà en lui le caractère anthropomorphique des religions occidentales : « Les hommes ressemblent aux dieux » … à tel point qu’ils n’hésitent pas à s’unir à eux.
« …L’homme, maître de lui même et maître de sa destinée, étant le centre du monde, il était le dieu ici bas. Réaliser son image avec perfection constituait donc le plus haut rêve, l’ultime idéal de l’artiste. Et nous voici au début de ce courant d’humanisme qui régit encore l’occident …» Cheik Anta Diop.


Phryné devant l'aéropage, Jean-Léon Gérôme, 1861.
L'Aphrodite de Praxitèle: quand l'Humain est digne de prêter son corps au Divin! Le triomphe de l'"Expérience" de Hypéride: quand le beau sublime le mal et quand le visuel marque les limites de "l'action oratoire". Premier "tableau vivant"?



Héritage antique et « sens du beau »

L’esprit grec : certitude profonde ancrée que l’homme est la mesure de toute chose , que rien n’est plus beau que son corps, plus subtil que son esprit, … la gymnastique et le sport comme l’amour de la logique et le goût de la discussion sont ces les nobles aspirations qui le caractérisent. C’est là une acception qui n’a varié que dans les détails.
L’art occidental classique s’est donc construit sur une perception du corps pur, immaculé, blanc, « parfait » en s’appuyant sur l’ impressionnant héritage esthétique de la Grèce antique (et sur lequel la renaissance n'a fait que jeter un morceau d’étoffe pudique). Le discobole, le doryphore, la venus de Milo ,.. toutes ces images qui ont façonné l’imaginaire du monde occidental et l’idée qu’on s’y fait du « beau ». Des corps parfait où les seuls « signes » qu’on peut observer sont ces fameuses crispations musclées. Aucune tentative de donner une architecture au corps autre que celle que lui confère l’instant, le geste, la position dans l’espace ( et les drapés mouillés en ce qui concerne la sculpture féminine).
Un sens aigu de l’anatomie qui se manifeste dans le culte de l’idéal athlétique. Une attitude sculpturale, des visages régulièrement dessinés où ne pointe nul sourire nul couleur ; beaucoup d’austérité tel sont les canons de ce grand art constitutif de l’idéal de beauté de notre civilisation moderne.
Il n’était donc pas pensable dans le mode occidental depuis déjà l’ère antique de modifier l’aspect de façon permanente d’une manière autre que par l’artifice ou la culture physique. La marque corporelle dans ces sociétés était même le signe de l’appartenance à une autre personne. Comme le rapporte Philippe Di Folco dans son ouvrage au titre très évocateur, Peau'': Grecs et Romains transfèrent la symbolique du tatouage et du perçage sur les marques signes de servitude et d’infamie. Les esclaves sont tour à tour parés pour divertir ou ,tels des animaux domestiques, marqués pour permettre à leurs maître et à la société de les identifier. HERODOTE rapporte qu’en 490 av JC Darius, roi des Perses, fit imprimer son nom au fer rouge sur le front de ses 4000 prisonniers grecs …''.

On observe dans les sociétés traditionnelles une toute autre approche : un besoin d’ « esthétisation » du corps. On est bien loin ici des figures des divinités olympiennes : Héraclès, Apollon, Aphrodite, corps purs aux traits réguliers et à l’anatomie parfaite, façonnés dans le marbre.



LA MANIFESTATION D UNE HUMANITE

Quand on dit « sauvage » on pense tout de suite à un homme nu, nu et peint. C’est la représentation que l’imaginaire occidental se fait d’un sauvage ; un homme nu et peint, peu importe d’ailleurs la couleur de la peau de ce dernier. Mais nous l’avons vu plus haut avec l’Egypte, le mépris évident

La peau, le premier vêtement / "pour exister..."
C’est simple, on observe très peu de témoignages d’intervention tégumentaires, majeures et permanent dans les régions où se sont développées les grandes civilisations : le grand monde mésopotamien , l’Égypte, le monde hégélien et celui latin (Civilisations qui d'ailleurs se sont succédés et bâtis les unes sur les ruines des autres).Toutes ces civilisations étaient pour la plupart, (si je peux me permettre l’expression) des Civilisations « habillées ».
En ce qui concerne les peuplades sauvages, souvent nomades qui vivaient loin des grands centres de culture ; et qui devaient composer avec un contexte naturel très hostile ; la chose était toute autre.
Bien évidemment pour des populations qui vivent en totale ou en semi nudité, ( que ce soit du fait des conditions climatiques ou culturelles), le besoin est légitime de se décorer le corps quand il n’est pas couvert, pour des raisons pas seulement esthétique mais aussi pour se différencier du reste de la création… comme un signe fort dans l’univers naturel ; marquer la présence de l’Homme. "La peau c'est l'interface entre soit et le monde " et il faut que cette frontière soit visible pour qu'on ne soit pas complètement happé par le monde (pour ne pas disparaître dans l'environnement, pour exister...). Il faut tracer sa frontière. Attention, ce facteur primaire qui est le besoin d'exister- et qui explique en partie ces pratiques dans les temps anciens- est vous l'aurez noté, très actuel. Parallèlement, il est intéressant de noter que les pratiques de transformation et d'ornement du corps connaissent un gigantesque essor en occident au moment où la nudité y triomphe.
Il apparaît donc évident, c’est un constat, que la nudité est un facteur intimement lié aux manifestations de décorations corporelles. Mais il ne faudrait pas pousser plus loin que cela la spéculation. Ce serait plus qu'imprudent de réduire ces pratiques à de simples tentatives de remplissage du vide de la surface corporelle où à la seule satisfaction du besoin de marquer sa présence. Dans les sociétés de traditions, Les symboles un ensemble de système, …souvent très intellectualisées, ….un code complexe participent de social…. Cela prend tout un sens, rentre dans une logique visant à distinguer et différencier les individus comme nous l’avons montré plus haut avec le rôle des marques corporelles en Afrique) et mais aussi initier une pratique artistique (comme nous allons le montrer à travers l’analyse des « faire » amérindien et océanien )

Un corps matière première/ Une dimention très "artistique" au "faire" primitif :
Le fourvoiement hégélien
HEGEL :vers une auto annulation de la matière. /L'esprit est aliéné dans la matière (L’état de nature est un état de la malédiction...)/ L'homme travaille par son action, contre la nature... il lui donne du qualitatif/ « Le travail de l’homme, c’est aménager le monde, l’évacuer de sa lourdeur, fuir la grotte

« Le goût de la parure semble s’être manifesté chez l’homme avant qu’il éprouvât la nécessité de s’armer et de se vêtir. Ce goût inné provient d’un instinct, d’un sentiment artistique » Ary RENAN, Le costume en France, p.11

Une analyse attentive et dénuée de préjugés met en lumière une dimension très "humaine" aux pratiques corporelles (une quête d'une humanité à travers une fuite du "naturel) qui relative sur de nombreux points, les pré-supposés de l'anthropo-philosophie de HEGEL. L'état de nature n'existe pas et n'a jamais existé chez aucun peuple. On voit là qu’il y a bel et bien qu’il y a dans l’effort universel que produit l’homme à retoucher son corps une démarche artistique. Alors peut importe qu’elle soit consciente ou pas, peut importe que la finalité soit magico- religieuse ou esthétique ( ce ne sont là finalement que des habillages). Le fait est qu’on devine cette volonté d’initier une pratique essentiellement humaine. Ce besoin énigmatique que tous les hommes (qu’ils soient au Nord, au Sud, à l’Est ou à l’Ouest ) cherchent à assouvir à travers “le Faire”. C’est le besoin créatif.

Le fait artistique/ Se différencier par le faire du reste de la création
L’art est révélateur de l’humanité. C’est une perception intuitive qui va au delà de nos cinq sens conventionnels animaux, qui touche quelque chose de plus profond en nous ( le sensible ? l’âme ?...) et qui surtout met en lumière la négativité de l’espèce humaine. Les animaux naissent, vivent et meurent tels quels… L’homme est capable de modifier son apparence et de se fabriquer une nature propre. En cela il est différent de, et supérieur à l’animal. Ainsi faut il saisir le sens profond des interventions corporelles : Consacrer l de l’Homme sur le reste de la création. Si le « besoin d’esthétisaton du corps », et du « faire » semble suivre le même cheminement philosophique partout, elle ne participe pas d’une même démarche créative chez les océanien et chez les indiens d’Amérique. Alors que vous noterez chez les Amérindiens, une franche tendance à reproduire le naturel, les océaniens eux se distinguent par une étonnante propension à l’innovation.

Amérique

Rendre hommage à la nature, s'unir à elle...
Les éléments de la nature constituent la principale source d'inspiration pour la nouvelle image qu'on veut donner au corps. LA religion méso-américaine: Chez les peuples préhispaniques, la naissance d'un enfant, l'orage, la récolte du maïs (actes banals pour nous qui dans le temps , dans l'espace et dans la pensée, sommes loin) étaient empreints d'une profonde signification religieuse. Il faut savoir que le concept de "dieu" et de "religion" n'a rien à voir avec celui des cultures du vieux Continent. Pour les peuples précolombiens, tout ce qui fait partie du cosmos et de la nature : la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les animaux, les plantes, l'eau et les montagnes constituent une manifestation du divin.
Le "panthéon commun" précolombien consacre un Dieu unique ( androgynie, dualité, double essence, masculin- féminin ). Pratiques chamaniques: les animaux "nahual" étaient en quelque sorte, un alter ego des dieux et les chamans pouvaient se transformer en ces animaux; cette notion est essentielle et constitue le fondement religieux de tous les peuples précolombiens et est important dans la compréhension de leur iconographie.

Océanie

La révélation d’une intelligence :
Chez les océaniens, se différencier dans l’être du reste de la création. Le besoin créatif….
La revendication d’une humanité à travers un démarcation totale (visuelle) de la nature / Se différencier définitivement de tout ce qui existe. Ne ressembler à rien. Créer… Le mot création prend tout son sens quand il s’agit d’examiner les oeuvres traditionnelles océaniennes parce qu’il y a ici de l’inventivité. Ne pas se borner à recopier la nature c’est manifester la supériorité de l’espèce humaine par sa capacité à rêver, à imaginer et donc à inventer. C’est là quasiment la définition contemporaine du fait artistique ;... une définition qui n’est admise dans la conscience occidentale que depuis le XX ème siècle, et c’est un peu grâce à l’observation de ces objets « primitifs » qu’on y est arrivé.

Pour terminer, cette pensée de Jacques DERRIDA, philosophe de la déconstruction:
" La circoncision est la marque inconsciente qui est faite pour rester au delà de toutes les prises de conscience. Partout où il y a marque, figure, trace dans le corps, il y a circoncision....C'est l'écriture du corps par lequel, le sujet dissymétrique reçoit la loi, avant même qu'il ne sache parler . Il reçoit une identité, et après quelque soit le mode d'émancipation, la trace reste. Le sublime c'est ce qui se trouve près du ciel et la circoncision est de l'ordre du sublime ."

      ***



" La peau, c'est ce qu'il y a de plus profond... "
Paul VALERY

En face de la maison où il vécut et mourut, dans la rue qui porte son nom, une exposition a décidé de donner raison au poète.
Signes du Corps : une centaine de pièces d’Asie, d’Amérique, d’Afrique et d’Océanie, qui se proposent de nous faire découvrir les marques et les transformations corporelles dans les sociétés dites "primitives" en les mettant en parallèle avec des manifestations actuelles dont témoigne un affichage de photographies.
Nous y avons vu plus, parce que nous avons vu au delà. Cette exposition dit la négativité du genre humain, célèbre sa complexité et révèle d'une certaine manière son unité. Nous avons été interpellés par l’universalité sous-jacente professée et nous n’avons pu résister à l’envie de vous entraîner à notre suite, refaire le voyage…



II-CONTEMPRANEITE EST INTERVENTIONS CORPORELLES
SECRETS ET BUTS, Dignostic d'un "Désir d'Afrique"?



Analyse d' "un rite moderne à l'échelle de planète entière"

L'engouement actuel pour les marques corporelles, pourrait presque faire oublier la définition que donnait le Larousse de Psychologie à la chose, il y a seulement une trentaine d’année : « … les individus qui s’y soumettent ont généralement une personnalité malléable, faible plus ou moins déséquilibrée… Le tatouage qui a presque toujours un caractère magique satisfait souvent une tendance narcissique naïve ( affirmation virile) mais peut aussi correspondre à un besoin d’affiliation ( appartenance à une caste, à une société secrète) ou avoir la signification d’une bravade désespérée….Il est toujours un indice d’immaturité affective. ».
A l'époque, la pratique était encore considérée comme l'apanage de quelques peuplades primitives des brousses africaines et la prise de parole à la négative que représentait l’acte de ceux qui en occident franchissaient le pas, les faisait ranger de facto dans le rang des marginaux. Aujourd'hui, BEAUCOUP, énormément d’ «immatures affectifs» dans les rues de New York, Londres, Paris ou encore Tokyo. Et nous autres, africains "modernes", fantômes de nous même, à la mémoire galvaudée, jetons un regard circonspect sur ce qui n’est plus pour nous qu’excitations de leucodermes en manque de traumatismes. Je m'en vais vous faire mal. Je m'en vais vous rappeler ce qu'était "Nous":

Femmes et hommes sculptures
A la nudité résolument vêtue
Parés de l’excrément de notre terre
A nos oreilles, Fleuves d’Or
L’Ivoire, agrafe de nos lèvres
Peuples sans écriture !
Et la langue mystique des dieux gravée dans notre chair ?
Nos livres ?
NOUS !
Dogmatique, prophétique, érotique
L’incarna chantant…

Les 2m2 de la surface de la peau sont devenu en occident, un véritable nouveau terrain de jeu pour l’expression plastique. Notre exposition commence par une présentation de photos montrant ces “Corps- Cartes” où la géographie des marques éclate en une composition très intellectuelle. Et les modèles, ces "sauvages" des temps modernes affirment à qui veut bien les entendre qu’ils ont fait de leur être, une interrogation. On est tenté de les croire, tant la lecture de ces motifs peints, en bas ou haut relief sur le corps, évacue un instant l'individu et son identité. Mais parce qu'ils soulignent son anatomie et qu'ils le racontent très fort, ils nous ramènent quand même à lui. Le photographe qui a su nous installer ce va et vient entre l’œuvre et son support, l'œuvre et ses supports (une sorte d'extension infinie de l’œuvre); a aussi su faire dire: Le poids de la vie , la paix, la peur, la bêtise, l’incompréhension… « Faire de l’ordinaire , un moment empreint de tragédie et d’intensité...». Si dans un monde où on réduit la personne à son apparence, La peau nous raconte et devient le support du message à soi et aux autres, la photo est le canal qui définitivement, arrive à fixer cette histoire silencieuse. Il est désormais admis qu'une bonne photo peut être vecteur du même effet sensible qu'une belle peinture. Et ce n'est que justice qu'après avoir participé activement de la mort de la conception "classique" de la notion d'art et de la reconnaisance des expressions "primitives"; la photographie côtoie désormais celles ci dans l'espace ô combien vénéré du Musée.

Etrange ! Nous avons vu dans cette exposition des photos de notre « Nous » perdu ressemblant à leur « Eux » d’aujourd’hui. Oh oui ! je sais, comparaison n'est définitivement pas raison. il s'agit pas d'établir une quelconque filiation dans les buts, les moyens, et l'esprit; entre les interventions sur le corps tels que nous les côtoyons tous les jours dans le contexte occidental de sur- modernité qui est le notre; et tels qu’ils étaient vécues ou se vivent encore dans les sociétés de tradition . Il reste que, ce qui est devenu un véritable phénomène de société interroge et questionne, sociologues, anthropologues et autres psychologues. Et ils s’épuisent nos chers spécialistes à mettre un nom sur l'errance d'un monde occidental las de ses absurdes gesticulations, triste à mourrir dans son indécent monologue, profondément malade de son vide moral et pathétique dans les convultions que sont ses maladroits élans vers des valeurs dont il reste le principal prédateur. Un drame se joue...
Ils expliquent les spécialistes. Nous avons tendu l’oreille. Quel sens peut on donc donner à l’acte des personnes qui aujourd’hui se transforment le corps?

Transgression: Pour s'opposer aux conventions et aux conditions sociales, quoi de mieux qu'un grand cri muet, permanent, bougeant, respirant... Se jouer des conventions, aller à contre courant. La tendance ici serait essentiellement de marquer une individualité. On se met en marge d’une société jugée trop lisse en donnant du volume à sa peau; on dit son dégoût du monde et son refus de l’ordre établi en traçant ses propres nouvelles frontières, en gravant sa propre loi!Nous disons que ce n’est là en définitif qu’une quête de sens pour une existence au goût fade.

« Mais, d’autre part, la vie est de plus en plus composée de contenus impersonnels et de ces représentations qui veulent évincer les colorations proprement personnelles et incomparables ; si bien que, maintenant, pour sauver ce qui est le plus personnel, il faut mettre en œuvre une particularité et une singularité extrêmes ; il faut forcer la note pour, somme toute, devenir ne serait-ce qu’encore audible, même pour soi- même. »Georg SIMMEL

Indépendance: Les transformations corporelles seraient dans certains cas, l’expression d’une liberté, «une liberté assumée». « Rite insu », « rite personnel de passage ». Le corps c’est ce qui nous réduit le plus à nous, le travailler c’est se travailler, c’est travailler pour soi,… c’est s’affirmer. Et si, la résurgence des interventions corporelles se cristallise en occident à travers un rapport à l’autorité et au lien parental, c’est que : s’approprier son corps c’est signifier de façon visible qu’on prend son destin en main. On coupe le pont avec ses parents en modifiant la première chose qu’on a reçu d’eux, en retouchant la chose qui nous relie le plus à eux : le physique ( C’est peut être ce qu’ils aiment le plus en nous, l’image d’eux même qu’on leur renvoie). Décider de rayer le miroir : c’est la revendication d’une certaine souveraineté... mais surtout la manifestation du besoin de construire un propre « soi », un « soi » propre.. .« Rupture ». Signes ostentatoires de liberté. Mais si vouloir et pouvoir transformer son corps signifie aujourd'hui un plus de liberté, ceci révèle souvent de sensibles malaises.

Culture de l’étrange: Les transformations corporelles s’intègrent souvent dans l’ensemble des pratiques à risque pouvant mettre en lumière des troubles émotionnels dont la résorption se manifeste dans un rapport particulier à son corps. Dans ces cas, les manifestations sont des auto- mutilations ou prennent la forme d’interventions extrêmes comme le branding ( cicatrice en relief dessinée sur la peau par l’application d’un motif au fer rouge, au chalumeau ou au laser) Selon les psychologues : « le branding n’est pas un acte suicidaire, mais une volonté de vivre ; .. de se dépouiller de la mort qui colle à la peau pour sauver sa peau ». Il s’agirait donc là d’un « Mécanisme de régulation de la souffrance » par la douleur : La douleur pouvant transformer dans le mauvais sens mais aussi dans le bon : « la construction par la douleur choisie », car la douleur ancre la mémoire, la mémoire d’un évènement. « Il s’agit pour le sujet de briser la sacralité du corps, faire couler le sang, jouer symboliquement avec la mort, solliciter la douleur pour exister ( les sports extrêmes n’ont pas d’autres fonctions, sauf qu’ils sont peut être plus dangereux) », «défaire la symétrie et prévenir le morcellement inhérent au corps, Autrement dit, braver la mort ». Il est intéressant de noter que l’ensemble des pathologies du mal- être se localisent en occident, monde qui s’est affranchi depuis longtemps de rites initiatiques auxquels sont généralement liés les interventions corporelles dans les sociétés de tradition.

Identification- Distinction/ La marque corporelle et son importance dans la société primitive

Nous l’avons dit, les marques corporelles ont dans les sociétés de tradition, un statut hautement différent . Alors que tout à l’heure nous avions plutôt une démarche (vide de spiritualité) visant à se distinguer foncière du «groupe», ici on cherche à construire son intégration à la Communauté, le tout sur fond de croyances religieuses et de pratiques cérémonielles. Ces traces qui sont aussi le témoignage de la douleur surmontée avec bravoure initient une troublante séduction qui trancende l'esthétique.

Différencier les individus : Les formes des bijoux, la façon de s’habiller, de se coiffer signifient le statut de la personne. Les scarifications participent de la même démarche. « Je suis une fille pubère, je suis une fille non pubère/ Je viens de marier ; je suis en deuil/ Je suis chef de clan, je suis un intouchable…/ j’appartient à tel ou tel tribu, à tel ou tel société/ J’ai fais la guerre, j’ai été brave à le chasse /j’ai tel ou tel mal incurable… ». La peau primitive n’arrête pas de parler, d’informer, d’inviter, de prévenir... Rites de passage et autres cérémonies initiatiques sont ainsi fixés, pour soi et pour la communauté.

La trame religieuse : La transformation de l’apparence participe d’un ensemble complexe de pratiques cultuelles. Les mutilations arborées fièrement par ceux qui les portent ne souffrent d’aucune contestation, sont solidement enracinées et puisent leur aura dans des mythes et croyances séculaires. Ici , on pense en se dessinant le symbole d’une divinité, lui manifester sa soumission et s’attirer son regard ; là , on s’offre par la scarification, une médecine permanente sous la peau, véritable protection contre la maladie ou la malchance. Très souvent l’élaboration des marquent donnait lieu à un véritable cérémonial. Bref le désir que nous avons aujourd’hui de neutralité, d’uniformité, la grisaille totale actuelle de l’apparence nous éloigne de nos racines. L’absence de référent spirituel est sûrement pour beaucoup dans cette relative « froideur » et « stérilité » de notre monde moderne. Les sociétés traditionnelles font preuve d’une rare intelligence quand il s’agit d’expliquer la naissance de l’univers, et ces cosmogonies sont le principal inspirateur de la décoration du corps. Prenons l'exemple des Luluwa, une population qu’on retrouve dans le Kasaï et le Sankuru dans l’actuelle RDC...

La mémoire parlée et la mémoire dans la peau:
Le terme LULUWA signifierait “Gens de l’eau”, et le mythe de la création de ce peuple raconte que Dieu ayant jeté une pierre dans l’eau, de l’apparition des ondes à la surface seraient né ce peuple. On s'explique alors la profusion de signes concentriques ( volutes, arcs de cercle, spirales) parmi les marques corporelles comme pour, définitivement fixer l’histoire des origines, le mythe fondateur. La peau devient ainsi le support de la mémoire une sorte de parchemin sacré et au même titre que le verbe, cette parole parlée : « Luluwa », un élément constructif de l’identité et l’imaginaire de ce peuple. L’intervention sur le corps devient le lien qui cimente la communauté et aussi - et c’est important - la rattache au “ TOUT ”. Ce n’est pas seulement là un signe pour que le Luluwa n’oublie pas d’où il vient, n’oublie pas le respect, l’amour qu’il doit à l’eau mais c’est aussi un message adressé au « créateur », le signe par lequel il reconnaît en chaque luluwa une partie de lui même. La symbolique ici est très forte, mais en même temps elle est très actuelle. De plus en plus de gens se tatouent qui le nom de leur enfant, qui le nom de la personne aimée… On peut voir, comme les scarifications représentées se déroulent sur l'étonnante sculpture luluwa, en en parasitant la surface. On dirait l’artiste, emporté par le tourbillon du mouvement vibratoire, et le souci figuratif en devient secondaire. Le cou est allongé à l’extrême pour pouvoir représenter sans fin, ces marques exactement comme à la surface de l’eau. C’est ce travail libre et particulier, sa tendance à un «surréalisme raffiné» qui fait le charme de la sculpture Luluwa .
Une autre cosmogonie très parlante, celui des Bambara du Mali.

Les Bambara et leur rapport à l’univers:
Le mythe des origines fait de l’homme, le dernier de la création. Cette conception ; qui n’est somme toute qu’un élément du fond commun de toutes les religions monothéistes; entraîne chez les Bambara toute une construction de pensée et un système cosmogonique sans nul pareil. L’homme, benjamin de la création, se sent de fait inférieur à tout ce qui l’entoure et lui témoigne un profond respect. Cet imaginaire est très intéressant à analyser surtout quand on saisit que la précaution que prend le Bambara à ménager le monde son aîné se manifeste jusque dans le rapport aux éléments les abstraits que peuvent être le verbe ou le signe. Sans avoir pris les dispositions qui s’imposent, le tisserand Bambara par exemple ne saurait se permettre de créer (le terme est presque inapproprié puisque tout existe déjà et a précédé l’arrivée de l’homme sur terre ; les motifs sont une force supérieure à celle qu’est le tisserand). En fait l’artiste Bambara ne crée pas, il sollicite. D’où l’importance de la parole (Notez qu’en pays Bambara, un être humain ne commence d’exister qu’à partir du moment où on lui donne un nom. Avant il n’est rien. Le nom, le dire qui lui sont supérieurs lui confèrent une pseudo légitimité et permettent de le fixer comme une partie réelle et véritable du TOUT). Ceci éclaire d’un nouveau jour les signes qui recouvrent la statuaire et une nouvelle lecture vient se superposer à celle là, légère et presque triviale, essentialiste décorative. La complexité du code à finit de consacrer l'inaccessibilité de la statuaire Bambara.
Vous aimez les mythes ! En voici un dernier pour la route.

La création du monde Maori:
Au commencement étaient : Rangi le dieu céleste et Papa la déesse Terre (quand on dit terre il faut penser à l'élément de base, donc plutôt la mer ici, plus important dans l'esprit océanien; la terre elle même se résumant à une poussière d’îles n’ayant été que « péchées » par la suite par les hommes). Rangi et Papa s’aimèrent éperdument et eurent six enfants ( qui correspondent aux six êtres primordiaux de la cosmogonie Maori). Rangi et Papa étaient liés « comme deux valves d'une coquille ». Le monde était donc un univers clos et obscur. Puis arriva un évènement. Un jour Papa leva les bras et ses enfants perçurent un bref éclat de lumière. Ils en voulurent d'avantage. Tane un des enfants (le même Tane, dieu des forêts qui par la suite créera le premier homme:Tiki) suggéra de séparer leurs parents; ce que les autres approuvèrent. A jamais séparés, le ciel et la terre restèrent inconsolables... Leurs larmes tombent du ciel sous forme de pluie, et s'élèvent de la terre sous l'apparence de la rosée. Tous les éléments du monde Maori et de son panthéon très complexe mais très organisé découlent de cet acte primordial. Il y a dans cette exposition, inscrit en un linteau de porte, une sublime représentation de Tane et un de ses frères s'efforçant de séparer leur père le Ciel de leur mère la Terre. Le mythe de la création du monde est représenté là dans un traitement magnifique qui va jusque dans le détail. Vous noterez un goût prononcé (encore plus prononcé et raffiné que celui des Luluwa) pour les thèmes d’enroulement participant de la sensation de vertige et que génère généralement la création océanienne. Thèmes sollicités pour décorer la statuaire mais aussi le corps. Les dieux tatoués jusque sur la langue tirée, inventèrent la pratique que les polynésiens perpétuent jusque aujourd’hui, devenue la carte d’identité de ce peuple.

Luluwa, Bambara, Maori,… autant de façons de dire l’Homme. L’Homme d’hier et d’aujourd’hui. L'Homme inattendûment complexe.



Sé.