lundi 30 janvier 2006
Saint-Domingue était assise sur le rivage du Monde
lundi 30 janvier 2006 à 14:32 :: Général
Frankétienn : Haïti est une terre indestructible supendue entre la vie et la mort
Frankétienne est né le 12 avril 1936 au centre d’Haïti, dans l’Artibonite.[1]
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6) Pourtant Toussaint Louverture avait posé les premières pierres, et commencer à concevoir une nouvelle nation ?
Toussaint Louverture, c’est l’homme génial mais c’est un Personnage Shakespearien. Il a été trahi par tout le monde, personne ne l’a compris.... Toussaint avait conçu un projet d’autonomie qui progressivement peut-être aurait donné autre chose. Mais les colons, pour protéger leurs intérêts, ont constitué un lobby puissant auprès de Napoléon Bonaparte qui n’a pas compris qu’il aurait dû marcher dans le projet louverturien et ainsi permettre à la France de conserver son Empire. Toussaint Louverture savait qu’il ne fallait pas brûler les étapes, qu’il faudrait beaucoup de temps au peuple haïtien pour instaurer une véritable République de citoyens conscients et responsables. Les colons voulaient tout le pouvoir et Napoléon décida de restaurer l’esclavage. Certes, l’esclavage a été restauré en Guadeloupe, en Martinique, mais pas en Haïti. Toussaint, lâché par les siens qui voulaient l’indépendance et non l’autonomie sera arrêté, puis mourra au Fort de Joux. Automatiquement ce malheur allait entraîner aussi la décadence de l’empire français, Napoléon sera obligé de vendre la Louisiane aux Etats-Unis. Toussaint voulait proposer à la France une sorte de Commonwealth avant l’heure mais la France ne l’a pas compris. Comme la voie louverturienne avait échoué, il ne restait que la voie dessalinienne, la voie de la violence, la voie des armes, la voie de la destruction massive, la politique de la terre brûlée, qui a réussi sur le plan militaire, mais a laissé des séquelles sur le plan intérieur : un pays ruiné par le blocus et le cordon sanitaire des puissances esclavagistes qui considéraient Haïti comme un danger, une menace, un défi et une anomalie... Haïti entra dans le cycle maléfique de la douleur, de la pénurie totale. Ensuite viendra ce que j’appelle la politique de la courte vue de la bourgeoisie haïtienne. Une succession de ratages qui nous ont empêché de rentrer dans la modernité industrielle du 19ème siècle. Au début du 20ème siècle, nous avons aussi raté la modernité. Et maintenant, j’ai peur que nous ne rations la révolution informatique. C’est une société de ratages que je décris dans une pièce inédite : « Minuit moins cinq » : nous sommes bloqués à minuit moins cinq, nous n’arrivons pas à traverser minuit. Pour voir le jour se lever, il faut traverser les ténèbres de la nuit ; mais nous sommes restés à mi-chemin du voyage. Et même sur le plan des structures politiques, nous avons toujours nos dictatures cycliques qui reviennent chaque dix ou quinze ans : c’est le répétitif... Nous attendons un je ne sais quoi et tournons sur nous-mêmes... Mais avec ses capacités créatives, toute la grande richesse haïtienne est chez nos artistes, nos peintres, nos musiciens, nos écrivains ... Il existe chez ces gens, contrairement aux politiques, un imaginaire fécond qui donne lieu à une production fabuleuse et merveilleuse.
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Notes
[1] Par Lejeune Nadia, pour Caraïbe Express