La population noire des Amériques dépasse les 140 millions de personnes. Elle n'est pas homogène. Un jeune noir des États-Unis est porteur de différences culturelles par rapport à un noir du même âge du Salvador, de Bahia au Brésil, ou d'Asunción au Paraguay, ou même de la Vallée del Chota dans la Cordillère des Andes en Équateur.

Les groupes afroaméricains sont dispersés sur le Continent. C'est le Monde noir des Amériques, qui a dû rencontrer le monde des indiens et des européens. Les influences mutuelles ont créé de nouvelles cultures, ou comme dirait Manuel Zapata Olivella, le "métissage culturel triethnique". Selon les régions et les processus historiques, l'une ou l'autre a dominé, mais en général, les racines diverses sont présentes simultanément.

Dans le cas des afrodescendants, Roger Bastide faisait une distinction entre les "cultures afroamericaines", en majorité marquées par le éléments africains, et "négroaméricaines", qui ont souffert un processus plus intense d'acculturation.

Dans tous les cas, la force de ces "survivances" culturelles et de ces "syncrétismes", ont su résister aux siècles de domination "blanche".

Les cultures afroaméricaines ne s'expriment pas uniquement dans la danse et dans la musique. Comme l'écrivait le leader noir colombien Amir Smtih-Córdoba, "nous ne sommes pas de l'Afrique, mais c'est un fait que du point de vue de la pigmentation et de la géographie, nous représentons un nombre si important d'habitants que l'on pourrait penser au concept de négritude comme un drapeau ethnique initial pour la réalisation de nos objectifs. D'où l'importance de créer initialement les conditions appropriées, non pas pour que le noir danse - et comme tout le monde le sait, le noir danse et danse même très bien- ; ce que nous voulons ce n'est pas de nous limiter à la danse. L'homme et la femme noires ont donné aux Amériques beaucoup plus que ce que les livres d'école racontent …

Ils ont tous en commun la provenance de l'Afrique, la traite négrière, l'esclavage dans les villes et les villages, la résistance héroïque des palenques, peuplements constitués par ceux là qui s'auto libérèrent et qui jusqu'à ce jour représentent un symbole de dignité et de lutte pour le mouvement noir et sont partie intégrante du plus authentique patrimoine spirituel de l'humanité. Le marronnage ne fut pas simplement une réaction à l'imposition de l'esclavage, mais également l'expression vigoureuse de la résistance culturelle, qui réside dans l'origine africaine commune et dans l'expérience d'une expression totale. Il s'est formé par une certaine prise de conscience de l'identité ethnique.

L'histoire racontée par les oppresseurs nous révèle de grandes figures qui animent toujours aujourd'hui tous ceux qui luttent pour la liberté à n'importe quel endroit au monde: Nat Turner aux Etats-Unis, Satuyé des Garifunas de San Vicente et d'Amérique Centrale, Bayano de Panamá, Rey Miguel et Reina Guiomar au Vénézuela, Domingo Bioho en Colombie, Alonso de Illescas en Équateur, Francisco Congo au Pérou, Zumbi au Brésil, Lemba à Saint Domingue, Makandal à Haïti, Cudjoe en Jamaïque. Ils sont les sources d'inspiration privilégiées pour les jeunes, les politiciens noirs d'aujourd'hui et les organisations. Parmi elles, le Mouvement National Cimarrón de Colombie et la philosophie du quilombisme de l'afrobrésilien Abdias do Nascimento.

Parmi les principaux fondamentaux de la culture afroaméricaine, signalons au moins les suivantes.

• Les africains arrachés à leur Continent et leurs descendants, malgré tous les efforts des esclavagistes de détruire leurs croyances, leurs religions, leurs traditions… … Quand ils pensaient les avoir réduits à des "bienes semovientes"(des biens qui se meuvent par eux-mêmes, comme des animaux) , dépourvus de droits civils, ils ont extrait du plus profond de leur être de nouvelles énergies. Ils ont créé de nouvelles formes de religiosité pleine de vitalité. L'Épiscopat latino américain a accepté le défi en 1992–qui suscita même des polémiques- "l'importance d'approfondir le dialogue avec les religions non chrétiennes présentes sur notre Continent, particulièrement les indigènes et les afroaméricaines, si longtemps ignorées et marginalisées" (Santo Domingo 137).

•Même dans la ségrégation typique du système de l'esclavage, certaines relations du genre Maître/esclave, mère nourrice noire / patronne et enfants blancs, et autres étaient inévitables, à tel point qu'elles donnaient lieu à des échanges de croyances et de traditions, tout cela justifiant les rebellions, les fuites et l'apparition de nouveaux palenques. Les esclaves venaient de pays et de cultures différentes, certaines d'entre elles connaissaient l'écriture, mais en captivité, ils ont su inventer et créer, selon les circonstances ou par leur propre choix, et ont privilégié la tradition orale par rapport à la tradition écrite. Concrètement, ils ont employé un moyen de communication efficace et communautaire, ayant un grand pouvoir de convocation: le langage du tambour. Cet instrument résonne encore aujourd'hui de Belize à la Patagonie, de Los Angeles à Rome dans les rituels et dans les fêtes, rappelant le passé et préparant l'avenir.

•La traite des esclaves qui a duré des siècles a contribué, surtout grâce aux incursions pour la capture de nouveaux esclaves, appelés bozales, à alimenter les cultures afros. Les maîtres favorisaient les aspects les plus innocents en apparence, comme les chants, les danses, les jeux, ainsi que les processions, les réunions entre les membres des mêmes “nations”, desquelles sortiront également les “confréries”. Les maîtres voyaient en elles les moyens de raviver la division et la rivalité entre les noirs.

Ils la ratifièrent par une législation particulière. Mais les vaincus, une fois de plus, surent transformer tout cela en occasion d’union, de récupération de leur identité.

Et dans le respect maintenu pour leurs rois et leurs reines (comme c’est le cas des congadas de Belo Horizonte, au Brésil et du Roi Bonifacio de Coroico en Bolivie) ils manifestaient la sauvegarde de leur dignité, ils s’entraidaient, renforçaient leur solidarité.

Plus tard, ils furent surpris, car les autorités se rendirent compte que ces groupes constituaient un environnement de conspiration et de rébellion. Certains spécialistes trouvent ici, dans ces organisations noires la source du carnaval, qui fait vibrer les pays américains et caribéens.

L’émancipation généralisée des pays d’Amérique Latine vers la moitié du 19ème siècle a créé des citoyens de seconde zone, spécialement parmi les indigènes et les noirs. Dans les procès verbaux du premier Congreso de cultura negra de las Américas (1973)-(Congrès de la culture noire des Amériques) on peut lire: “Le travail de l’esclave noir a eu une importance décisive pour l’enrichissement du blanc européen et des créoles durant la Colonie. Ce processus est commun aux Etats-Unis et à l’Amérique Latine. L’esclavage aujourd’hui aboli, le noir participe toujours de manière inégale dans le système. Ils ont cependant affiné leur conscience de constituer des groupes ethniques ayant une culture propre et également d’avoir été un facteur déterminant pour la croissance économique des pays respectifs et de l’Occident”. Particulièrement dans les années 70 a débuté un processus au niveau local (“La Saya” en Bolivia, le groupe “Cambacuá” au Paraguay), national (“Movimiento Nacional Cimarrón” de Colombie, le “Movimiento Afroecuatoriano Conciencia” et la “Federación de Organizaciones Negras de Pichincha” en Equateur, le “Movimiento Negro Unificado" du Brésil, la "Organización para el desarrollo de las Comunidades negras de Honduras", ODECO- Organisation pour le développement des Communautés noires du Honduras), et continental du mouvement afro, comme la “Red continental de organizaciones negras”(Réseau continental des organisations noires). Ils revendiquent la parité des opportunités à l’école, au travail, dans la santé, le temps libre. En passant, notons que même en 2000, les organisations noires de Lima luttaient encore pour avoir accès à certaines boites de nuit et à Miami à certains.

Ils ont par exemple constitué en Équateur des alliances avec des mouvements sociaux, indigènes et populaires. Ils ont déjà ouvert la voie.

Au cours des dernières décennies, les religions traditionnelles afroaméricaines, en particulier le Candomblé, la Umbanda, Macumba du Brésil et la Santería cubaine démontrent une vitalité propre et ils s’ouvrent toujours plus à l’Amérique du Nord et également à l’Europe, suivant les voies du commerce et de la migration. Aujourd’hui on peut trouver des “mères et des père de saint” sur les terreiros de São Luis comme sur ceux de Milan.

Les églises chrétiennes ont également fait place à la réflexion et au dialogue avec la théologie nègre de la libération, des États-Unis (James Cone) au Brésil (Grupo Atabaque), de la Colombie (Grupo Guasá) au Costa Rica. Les agentes de la pastorale noirs de l’Église catholique se sont ébranlés surtout à partir de Puebla, avec la pastorale afroaméricaine, qui est organisée dans divers pays: Brésil, Équateur, Colombie, Panama, Honduras. L’Église catholique a déjà organisé huit rencontres continentales des agents de la pastorale; la neuvième se tiendra à Callao, Pérou en 2003.

Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga

Les afroaméricains représentent un sujet émergent, au côté de celui de la femme dans la politique et dans l’économie des pays d’Amérique Latine. Aux États-Unis, le mouvement noir des années chaudes de la deuxième moitié des années 60 a réussi des conquêtes sociales et politiques non négligeables, avec des sénateurs, des députés, des maires de grandes villes. Le malaise se fait cependant encore sentir:il suffit de penser au soulèvement de Los Angeles (1992) ou la marche du “million d’hommes noirs ” (1995) initiée par Louis Farrakhan, qui ne cache pas son intérêt pour les noirs d’Amérique Latine comme le révèle son voyage à Cuba.

Les noirs pèsent même désormais lors des élections présidentielles. Il n’est pas insignifiant que George Bush ait choisi comme proches collaborateurs des personnalités afroaméricaines de la trempe de Colin Powell, secrétaire d’État et Condeleezza Rice, conseillère à la sécurité, ainsi qu’un ministre noir Roderick R. Paige en charge de l’Éducation.

En prenant librement des indiens, des métisses, des européens, les noirs ont donné vie à de nouvelles cultures qui ont influencé la culture occidentale elle-même. Il suffit de penser à la contribution en terme de droits humains, impulsée par le mouvement de Martin Luther King, et également la musique afro. Après des siècles d’oppressions, ils ont réaffirmé leurs religions et leurs modes de vie, en contribuant à la réalité latinoaméricaine.

Ils ont laissée une trace ineffaçable dans la culture des pays les plus puissants.

La nécessité d’une relation avec l’Afrique est également à noter, comme le fit comprendre Malcom X dans son discours aux chefs d’États africains: “Vos problèmes ne se résoudront jamais, tant que nos problèmes de noirs étatsuniens au moins ne seront pas résolus . Vous ne serez jamais respecté, tant que nous ne serons pas au moins respectés.’’

Les luttes des afroaméricains –culturelles, sociales et politiques- ont également eu comme résultat la reconnaissance de la spécificité dans les Constitutions de certains pays comme la Colombie, l’Équateur, le Brésil –le cas de plus avancé est celui de la loi 70 de Colombie sur l’identité, l’éducation et la terre des communautés afrocolombiennes – et une telle reconnaissance commence à trouver une traduction dans les législations courantes.

Certains parlent d’une solidarité qui se manifeste dans un pluralisme multiethnique, pluriculturel qui s’oppose à l’exploitation d’une race par une autre. Parce que le racisme est encore un lourd héritage.

Comme l’ont dénoncé les différentes rencontres comme le Séminaire préparatoire Bahia-Sergipe de septembre 2000, en vue de la “Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et les formes connexes d’intolérance” de septembre de 2001 en Durban, Afrique du Sud. Dans ce contexte se profile la nécessité –également dans le mouvement noir- de l’autocritique et d’une “éthique de l’amour”, comme dit Cornel West: “L’amour de soi et des autres sont des moyens d’accroître l’estime de soi même et d’animer la résistance politique au sein de sa propre communauté …

Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga

http://latinoamericana.org/2002/textos/castellano/Savoia