Plus d’une décennie a passé et au cours de cette période, l’ascension politique de Bené (comme on l’appelle chaleureusement) l’a porté à des niveaux jamais atteints par un noir au Brésil: elle a été conseillère (municipale), député, sénatrice, ministre et gouverneure. “Son parcours a été une source d’inspiration mais également de critiques. Cependant, qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des opinions, une chose est certaine: Benedita da Silva a une place assurée dans l’histoire politique du Brésil. Comme vous pourrez le constater dans cette entrevue accordée au magazine RAÇA BRASIL”.

Bené, grande figure politiqe afrobrésilienne

VOUS AVEZ PRATIQUEMENT OCCUPÉ TOUTES LES SPHÈRES DE POUVOIR DANS VOTRE ÉTAT. VOUS AVEZ ÉTÉ CONSEILLÈRE, DEPUTÉE, SÉNATRICE ET GOUVERNEURE. QUE SIGNIFIE AFFRONTER LE POUVOIR LORSQU’ON EST UNE FEMME NOIRE, DANS UN PAYS OU LE POUVOIR SE TROUVE MAJORITAIREMENT ENTRE LES MAINS DES HOMMES BLANCS?

C’est une conquête. Mon militantisme a certes démontré les résultats que j’ai obtenu jusqu’à présent pour permettre que le noir occupe une place, et aux premiers rangs. Cela ne signifie pas que le racisme est terminé, le noir avance, car nous sommes en train de lutter et de batailler. Dans la mesure où on a conscience de l’existence des inégalités sociales avec des marques profondes du point de vue des inégalités raciales et que l’on veut porter cela au niveau politique comme une bannière, on doit beaucoup travailler, ce n’est pas facile. Dans tous les espaces de pouvoir que j’occupe, mon grand défi est donc d’être une femme noire dans un pays visiblement rempli de préjugés. Mais il est important de dire combien j’ai souffert pour porter cette bannière au quotidien dans le milieu du pouvoir et dans la lutte pour ce même pouvoir.

POUR VOUS, UNE PERSONNE AYANT DES ORIGINES MODESTES, COMME LA MAJORITÉ DE LA POPULATION NOIRE EST EXCLUE DE CE PAYS. QUEL EST LE PLUS GRAND OBSTACLE AUQUEL FAIT FACE LE NOIR POUR SON ASCENSION ET DANS LA CONQUÊTE DU POUVOIR.

Le discrédit vient en premier. Culturellement, nous les noirs sommes obligés de travailler et de vivre avec le discrédit, on entendra souvent “ça ne va pas marcher, cela n’aboutira à rien”, nous devons affronter le fait que notre image n’est pas associée historiquement à l’intelligence, que l’espace à occuper n’est pas le nôtre, affronter les embûches, toutes ces choses que vous savez... Les préjugés et le combat restent évidents, vous voyez que votre adversaire est contrarié par votre image, par votre intelligence.

EN TANT QUE SECRÉTAIRE À L’ASSISTANCE SOCIALE ET AUX DROITS HUMAINS, COMMENT ÇA A ÉTÉ DE TRAVAIALLER DANS UN GOUVERNEMENT ACCUSÉ DE DURCISSEMENT ET MÊME D’USAGE D’UNE CERTAINE AGRESSIVITÉ DANS LES COMMUNAUTÉS OU VIVENT LA MAJORITÉ DE LA POPULATION NOIRE DE RIO DE JANEIRO?

Le gouvernement de l’état de Rio de Janeiro pour la première fois depuis de nombreuses années a une alliance très forte avec le gouvernement fédéral, qui investit ses équipements dans l’hygiène publique de base dans le cadre du Programme d’Accélération du Développement (Programa de Aceleração ao Crescimento, PAC). Aujourd’hui, le résultat qu’on a c’est cet abandon, mais le gouvernement de Rio de Janeiro entre dans les communautés pour donner la sécurité et des opportunités.

IL Y A CERTAINS SECTEURS DU MOUVEMENT NOIR (PRINCIPALEMENT À RIO DE JANEIRO) QUI VOUS ACCUSENT DE NE PAS PARTICIPER PLUS GRANDEMENT AU DÉBAT SUR LA QUESTION RACIALE. QU’EN PENSEZ-VOUS? Dire que mon histoire ne fait pas partie de la réussite de notre combat c’est ne pas avoir le minimum de vision, ou mieux, c’est avoir une vision restreinte. Ma première alliance ne fut pas à partir de la couleur de la peau, car la couleur de la peau au contraire, à un certain moment, je l’ai rejeté, car elle signifiait l’horrible, le laid, le méchant, l’analphabète, l’ignorant, celui qui vivait dans les pires conditions et dans la famine, je pourrais alors nier cela, j’ai toujours eu des outils pour le nier. Grâce à Dieu, j’ai eu la chance de militer dans différents mouvements, et je suis une personne complète, car j’appartiens au mouvement des femmes, au mouvement noir, au mouvement des habitants des favelas. Une personne qui a ce parcours, qui à ce bagage, a donc une vision plus complète, car je ne connais pas seulement les noirs qui ont réussi à atteindre à l’université, non plus seulement ceux qui ont réussi à entrer dans les institutions du mouvement noir, j’ai connu ces noirs qui n’ont pas servi d’inspiration aux livres, mais qui faisaient partie de ma propre histoire, ma propre vie.

COMMENT FUT VOTRE VIE À LA TÊTE D’UN MINISTERE DU GOUVERNEMENT LUIZ INÁCIO LULA DA SILVA?

Je suis fière d’avoir reçu ce cadeau du Président Lula, un ministère avec un budget spécifique, ayant un pouvoir et pas juste des bureaux... Nous avons réalisé un important travail qui a porté ses fruits et qui a été un des grands instruments pour les politiques sociales du gouvernement, dans le cadre du Ministère De l’Assistance Sociale, qui est aujourd’hui le Ministère du Développement Social et de la Lutte contre la Famine. Je suis fière de mon passage au gouvernement.

VOUS AVEZ ÉTÉ ACCUSÉE DES DIZAINES DE FOIS RELATIVEMENT AU VOYAGE AYANT ABOUTI À VOTRE SORTIE DU GOUVERNEMENT, COMMENT AVEZ VOUS VÉCU TOUT CELA? PENSEZ-VOUS QUE LA PRESSE ET LA JUSTICE SONT PLUS RIGOUREUSES LORSQUE L’ACCUSÉ EST NOIR?

Je n’en ai aucun doute! Je l’affirme , elles le sont beaucoup plus. Mais ce n’est pas seulement la presse, malheureusement, nous ne trouvons aucun soutien. Malheureusement, la manifestation de solidarité entre ceux qui ne sont pas noirs est bien plus importante que celle au sein de notre communauté. Je veux affirmer ici qu’il n y a pas de tolérance avec nous, il n y a pas de solidarité avec nous...

QUEL CONSEIL DONNERIEZ-VOUS AUX JEUNES QUI AUJOURD’HUI ASPIRENT À SUIVRE LES TRACES D’UNE CARRIÈRE POLITIQUE RÉUSSIE TELLE QUE LA VÔTRE?

Ce que je dirais aux jeunes, j’ai vu nos jeunes filles tomber enceinte, fonder une famille et avoir des engagements familiaux de façon très prématurée. Chaque fois que je peux, je conseille de ne pas entrer dans cela, ne le faites pas, quelque pire soit votre situation économique, quelque soit la force du racisme, il y a une lumière sur le chemin: le savoir! Tout d’abord, le savoir ne prend pas de place, personne ne peut vous prendre ce que vous savez, je pense donc qu’il faut avoir l’espoir. Ayez l’espoir, ayez la foi. Il est important d’avoir toute l’énergie pour affronter les obstacles.

AUJOURD’HUI, IL Y A UN DÉBAT TRÈS IMPORTANT SUR L’INTOLÉRANCE QUE CERTAINES RELIGIONS ÉVANGÉLIQUES, SURTOUT LES NÉOPENTECÔTISTES, MANIFESTENT PAR RAPPORT AUX RELIGIONS DE MATRICE AFRICAINE. QUELLE EST VOTRE POSITION À VOUS QUI ÊTES UNE FEMME ÉVANGÉLISTE À CE SUJET?

La constitution fédérale garantit les droits individuels et collectifs de libre manifestation de la religiosité, un point un trait. Je suis précisément évangéliste, même si j’ai vécu avec mes parents qui pratiquaient l’umbanda. Je suis née dans l’ umbanda, je pratiquais l’ umbanda, je suis quelqu’un qui a eu une trajectoire dans le syncrétisme , peut être que c’est quelque chose qui a fait grandir mon degré de tolérance, mais toute la culture évangélique n’a pas été une culture qui a aidé à comprendre ce droit important, qui est le droit des personnes de manifester librement leur spiritualité que ce soit dans la religion A ou B. Ce n’est pas quelque chose que je dis seulement à RAÇA BRASIL, mais c’est quelque chose dont je parle avec les parents quand je participe à des séminaires et débats sur l’intolérance. Pas seulement sur la question de la religiosité, cela touche même les débats sur les choix sexuels, les droits individuels et collectifs de la société. Je dis toujours clairement que la société brésilienne est une société plurielle et que la constitution brésilienne nous garantit le droit de penser et d’exprimer notre pensée.

LES ÉTATS-UNIS DÉBATTENT DÉJÀ D’UNE CANDIDATURE NOIRE À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE, QUAND PENSEZ-VOUS QUE NOUS POURRONS ARRIVER À LA MÊME CHOSE?

Cela ne dépend que de nous. Nous n’allons pas attendre que n’importe qui fabrique une candidature noire, quelque soit la place à occuper, cela dépend de nous, de notre travail pour qu’il y ait cette candidature. Ce sera une grande bataille, comme la lutte pour (les droits de) la femme – encore plus pour une femme noire. La phrase de Vandré “Celui qui sait, gère le temps (Quem sabe faz a hora)”, je pense que cela dépend de nous.

VOUS AVEZ DÉJÀ OCCUPÉ LA CHARGE DE SENATRICE, VOUS CONNAISSEZ BIEN LA MAISON (LE SÉNAT), QU’AVEZ-VOUS PENSÉ DE L’ACQUITTEMENT DU PRÉSIDENT RENAN CALHEIROS?

Vous savez, je connais bien cette maison et je connais parfaitement les implications et les difficultés d’un vote et s’ils ont eu raison ou tort, le Congrès a des pouvoirs pleins pour prendre la décision. Le sénat exprime également la volonté du peuple, cela veut dire que tous ces sénateurs sont des représentants du peuple, autant ceux qui étaient contre que ceux qui étaient en faveur, pour cette raison, émettre une opinion et prendre une décision est toujours très difficile. Tout le temps que j’ai passé au Congrès, j’ai toujours défendu le vote ouvert, mais enfin, la décision a déjà été prise.

SOUHAITERIEZ-VOUS AJOUTER QUELQUE CHOSE?

Je souhaite féliciter RAÇA BRASIL qui nous a donné tant de joies. Et en cette nouvelle phase de la revue, je suis très heureuse de pouvoir donner mon opinion ici, dans les “Pages Nègres ” ( Páginas Pretas).

Sincèrement, j’ai toujours eu des commentaires selon lesquels notre magazine car je le considère comme le nôtre– devrait être plus complet et pour cela, il devrait y avoir de la politique. Lors du lancement de cette section septembre j’ai lu un article sur un sujet très commenté qui a été placé à un haut niveau avec des débats de personnalités de São Paulo, de Rio de Janeiro, de Minas Gerais et Rio Grande do Sul sur le système des quotas. Peut être de nombreuses personnes ne connaissent pas le recteur Timothy Mulholland. Dans l’entrevue, il a parlé de la violence, avec laquelle notre combat est traité. Alors, si lui a ressenti cette violence, imaginez ce qu’il en est pour nous qui avons subi pour qu’aujourd’hui notre revue puisse avoir ses “Páginas Pretas”? Je pense qu’il doit informer les gens sur la politique, car la politique fait également partie du monde noir. Il est possible que demain on dise que nous devons nous occuper de notre culture, que les gens doivent seulement parler de notre beauté, de nos cheveux... Mais, nous devons également parler de notre politique, ne serait ce que parce que notre beauté, notre danse resterait complètement dans l’anonymat si nous ne faisions pas la politique. Nous ne serions pas diplômés si nous ne faisions pas la politique.

Traduit du Portugais par Guy Everard MBARGA

http://racabrasil.uol.com.br/Edicoes/115/artigo64566-2.asp