Conférence des Bâtonniers Le gouvernement a déposé un projet de Loi tendant à limiter et encadrer les gardes à vue, et ce après la décision du Conseil Constitutionnel du 30 juillet 2010 condamnant à terme la législation actuelle. La France s’aligne en partie sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme selon laquelle le droit fondamental à un procès équitable exige l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue.

Depuis de nombreuses années, la profession s’est mobilisée pour que la France mette en oeuvre les réformes nécessaires au respect de ce principe. La Conférence des Bâtonniers, spécialement, n’a cessé de demander aux pouvoirs publics que le droit au secours d’un avocat soit créé là où il n’existe pas et qu’il soit renforcé là où il existe déjà.

Le nouveau projet de loi constitue une réelle avancée. Il renforce le principe de la liberté individuelle et des droits de la défense et restaure le droit au silence.

Il constitue une première phase vers la substitution d’un système basé sur l’aveu à un système basé sur la preuve.

Le rôle de l’avocat est institutionnalisé dans sa fonction de conseil et de défense. On ne peut qu’approuver la faculté donnée aux avocats d’une part d’être présents dès le début de la garde à vue avec la possibilité de connaître les déclarations de leurs clients, et d’autre part d’assister à leurs interrogatoires. Ce projet de loi érige en principe fondamental le respect de la dignité dans le cadre de la garde à vue. Il est certes imparfait, incomplet et critiquable, notamment quant au rôle des officiers de police judicaire, sur l’insuffisance des droits accordés aux avocats, mais il a le mérite de placer la France dans la catégorie des nations qui mettent en oeuvre la défense des libertés individuelles et le respect du droit fondamental à un procès équitable.

Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats C’est à la fois avec intérêt et circonspection que les Jeunes Avocats (Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats) ont pris connaissance des déclarations du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés Michèle Alliot-Marie du 8 septembre dernier annonçant la transmission au Conseil d’Etat d’un avant-projet de loi réformant la garde à vue. Très tôt en première ligne dans le combat contre la garde à vue « à la française » et en faveur de la dignité des personnes présumées innocentes dans le cadre de cette mesure restrictive de liberté, les Jeunes Avocats ne peuvent en l’état que se féliciter de l’annonce de cette première traduction législative de la décision du Conseil Constitutionnel du 30 juillet 2010, qui affirme, comme l’a confirmé le Garde des Sceaux, « le droit à la présence de l’avocat durant toute la garde à vue de droit commun ».

Ils prennent également acte de la volonté affichée du Ministre de limiter le recours à la garde à vue aux seuls « crimes et délits punis de peines d’emprisonnement » et aux seules « nécessités réelles de l’enquête », de restreindre la prolongation de cette mesure restrictive de liberté aux seuls « délits punis de moins d’un an d’emprisonnement », d’en améliorer les conditions, que soient dorénavant interdites les fouilles à corps intégrales et que soit enfin consacrée la notification du droit au silence pour le gardé à vue.

Pour autant, il convient, selon le président de la FNUJA, Romain Carayol, de se montrer « plus que réservé, dans l’attente de précisions, sur bon nombre de dispositions de l’avant-projet ayant manifestement pour objet de contourner ces déclarations de bonnes intentions », au premier rang desquelles les exceptions permettant, dans certaines circonstances, de reporter la présence de l’avocat lors des auditions à la 12ème heure, ou encore la possibilité, prévue par l’avantprojet, d’entendre une personne suspectée sous un régime d’audition libre plutôt que de garde à vue, à partir du moment où celle-ci accepte de demeurer dans les locaux de police pendant le temps strictement nécessaire à son audition. Plus inquiétant, demeure, en l’état du texte, le fait que si l’avocat peut être présent lors de l’interrogatoire de son Client, il semble cantonné à un rôle de témoin passif, sans pouvoir sous la forme d’observations orales ou de questions en cours d’interrogatoire, offrir au gardé à vue une véritable assistance et donc la plénitude de l’exercice des droits de la défense. Ceci, comme le souligne le Président Romain Carayol, constitue « un recul par rapport à l’avant projet de texte de réforme du Code de Procédure Pénale proposé en avril par la Chancellerie qui en offrait la possibilité ».

En outre, les déclarations réitérées de Mme Michèle Alliot-Marie selon lesquelles les pratiques en vigueur en France ne seraient pas « en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’Homme », ainsi que sa lecture toute personnelle de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, ne manquent également pas d’inquiéter et invitent à rester vigilants et constructifs dans le cadre de l’avancement parlementaire de cet avant-projet. Les Jeunes Avocats appellent donc plus que jamais à la concertation avec l’ensemble des acteurs de la justice, loin de toutes polémiques à objet politique et de pure circonstance. Communiqué du 15 septembre 2010 2010-387

Lettre ouverte à Madame le Garde des Sceaux par Christiane Féral-Schuhl et Yvon Martinet

Madame le Ministre, J’ai pris connaissance du projet de loi tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue.

Je vous remercie de nous avoir entendus puisque l’avocat sera présent dès la première heure de garde à vue et pendant toute sa durée. De même, les fouilles intégrales seront supprimées et le droit au silence sera notifié dès le début de la garde à vue.

Ces éléments consacrent une avancée en faveur des droits et libertés individuelles.

Toutefois, votre projet prévoit d’ores et déjà de nombreuses hypothèses où la présence de l’avocat sera différée par décision du Procureur et « en considération des circonstances particulières ». Pensez-vous juste de limiter ainsi l’accès à l’avocat dès l’ouverture de la garde à vue, en fonction du type de crime ou délit en cause ? Une telle règle ne serait pas démocratique. Plus les peines encourues sont graves, plus il faut de garanties du respect de la défense.

Nous comprenons les enjeux et, soyez-en certaine, nous souhaitons voir aboutir cette réforme afin de moderniser notre régime de garde à vue. Mais il est clair que nous nous opposerons avec force à toute mesure qui viendrait entamer la règle qui veut que l’avocat soit présent, aux côtés de son client, dès la première heure et qu’il ait accès immédiatement à l’entier dossier. En l’état du projet de loi, nous considérons que la création des « auditions libres » constitue un écran de fumée qui viderait de toute substance la règle nouvellement posée par le Conseil Constitutionnel. Le caractère incertain et flou de cette mesure et des garanties qui l’accompagnent suscite en tout cas notre inquiétude.

Il n’est pas non plus possible de viser un objectif de réduction du nombre de gardes à vue en évoquant qu’elles seraient limitées aux personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Une définition aussi large englobe nécessairement la quasi-totalité des infractions. Elle ouvre la voie à un nombre disproportionné de gardes à vue, ce qui est tout simplement inacceptable. Certains de nos voisins européens limitent la garde à vue aux crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à 3 ou 5 ans. L’Espagne est allée encore plus loin en votant, il y a déjà 30 ans, la présence de l’avocat à la garde à vue, même dans les cas de terrorisme. N’est-ce pas l’heure d’harmoniser le régime des libertés et de sa privation, comme nous l’avions suggéré dès le 15 février 2010, en créant une garde à vue européenne ? Madame la ministre, ne craignez pas de renforcer les droits de la défense et construisons ensemble un régime de la garde à vue protecteur de nos droits. Nous serons tous gagnants !

Paris, 9 septembre 2010

Cet article a été publié le Jeudi 16 septembre 2010 à 12 h 00 min et est classé dans Direct, Jeudi 9 septembre 2010 - Numéro 46.

  • Après l'effet d'annonce, chacun a pu décortiquer l'avant projet de loi soumis par Michèle Alliot-Marie au Conseil d'Etat.

Première constation: les dix pages en question ne traitent que de la garde à vue. Renvoyé à plus tard ou à jamais le devenir du juge d'instruction.

Le premier article proposé par le Garde des Sceaux instaure "l'audition libre". Cette dernière ne concerne que les personnes supectées d'avoir commis une infraction. Pour le ministère de la justice, il s'agit là de faire baisser les statistiques et d'éviter le recours systématique de la police à la garde à vue dans des dossiers qui ne le justifient pas. Mais les avocats, barreau de Paris en tête, relèvent à juste titre le flou juridique de cette audition libre. Pas de limite de temps et aucune assistance au justiciable.

Michèle Alliot-Marie met en avant que la garde à vue ne concernera désormais que les personnes encourant une peine de prison. Les magistrats répliquent que "les délits non punis d'emprisonnement sont très peu nombreux et que le recours à la garde à vue est dans ce cas très rarissime".

Le nouveau texte prévoit que le gardé à vue soit informé par l'officier de police judiciaire de son droit "de faire une déclaration, de répondre aux questions ou de se taire". Cette dernière alternative avait disparu des textes avec la loi Perben 1 en 2002.

Autre avancée à saluer, le fait qu'il soit écrit noir sur blanc l'interdiction de fouilles à corps intégrales. Nombreuses témoignages évoquaient d'abord les humiliations physiques et corporelles vécues dans des commissariats.

C'est evidemment la présence de l'avocat qui est la pierre centrale de la polémique. Les robes noires le réclament, le conseil constitutionnel les soutient et les policiers n'en veulent pas. le texte prévoit que l"a personne gardée à vue peut demander que l'avocat assiste aux auditions dont elle fait l'objet au cours de la mesure de celle ci". C'est reconnaissons-le, une avancée. Mais le droit pénal est souvent comme un jeu de l'oie. On avance de 4 pas pour reculer de 3. Car il y a un mais. L'officier de police judiciaire peut s'y opposer, au nom des "nécessités de l'enquête". Une notion que les avocats trouvent bien vague. Dans ce cas, l'avocat ne rejoindra son client qu'à la douzième heure.

Le Syndicat de la Magistrature note que le rôle de l'avocat, même présent, s'apparente à une "potiche" puisqu'il ne pourra ni consulter le dossier, ni poser de questions, ni intervenir dans l'interrogatoire. En même temps, peut-on encore parler de garde à vue pour un interrogatoire qui se fait à trois voix, dont celle prépondérante de la défense....?

Derrière les questions de fond que pose cet avant projet de loi, les avocats qui notent l'avancée sur le plan des principes, ne cachent pas leur inquiétude. Assister le prévenu ou l'accusé dès le début de l'enquête, ils le demandent majoritairement depuis des années. Ils savent pourtant qu'ils perdent là un argument fort de leur plaidoirie où il est de bon ton de mettre en cause les méthodes policières. Ensuite, il y a la question de la faisabilité. Facile à mettre en oeuvre dans des barreaux importants, la tache parait moins évidente dans certaines villes de province. Sans compter le financement d'une telle procédure. La plupart des avocats interviendra comme commis d'office et de nombreux justiciables feront appel à l'aide juridictionnelle.

Comme souvent en matière judiciaire, derrière le droit, se cache le budget.

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