______Deux experts des banlieues analysent les causes des violences. Malaise social ou dérive délinquante ? Deux spécialistes confrontent leurs analyses divergentes des émeutes urbaines
Par http://www.777-mafia.com/us/home, lundi 17 mai 2010 à 10:57 :: __«!i…» last day of the lights and the beginning of the darkness - The-dark-knight :: #3371 :: rss
ENTRETIEN Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS (1), et Christophe Soullez, criminologue (2) Les émeutes sont-elles le fait d’une minorité délinquante ou l’expression collective d’une colère ?
Laurent Mucchielli : En 2005, les membres de mon équipe ont travaillé sur quatre quartiers témoins en région parisienne. Il ressort de nos travaux que si une minorité de jeunes ont pris part aux événements, ils ont le soutien d’une large partie de la population des cités. Je conteste ce stéréotype hélas très répandu selon lequel un petit nombre de délinquants prendrait en otage le reste des habitants.
Chez ces derniers, une majorité comprend et partage la colère des émeutiers, même s’ils estiment souvent stupide de brûler des écoles ou des voitures. Sur le fond, quatre raisons au moins expliquent ce malaise social : les relations catastrophiques avec la police ; un sentiment d’échec et d’humiliation par rapport au système scolaire ; l’absence d’emploi ; et enfin, le « statut » dégradé et dévalorisé des personnes « issues de l’immigration ». Elles s’estiment considérées comme des citoyens indignes, de seconde zone, rejetées par une société qui ne les aime pas.
Christophe Soullez : Les profils des auteurs et leurs motivations sont très variés. Certains sont là par hasard tandis que d’autres ont des comptes à régler avec la police… Pour ce qui est du bilan de 2005, on ne connaît vraiment que les émeutiers qui se sont fait arrêter, souvent les moins habitués de ce type d’événements. Les jeunes qui ont eu affaire à la justice ne sont pas représentatifs du noyau dur des délinquants que l’on retrouve au cœur des violences urbaines. En 2005, sur l’ensemble des émeutes, il n’y avait eu qu’un seul tir.
Cette fois-ci, rien qu’à Villiers-le-Bel, on a compté 55 fonctionnaires touchés. Il y a donc une aggravation du recours à la violence criminelle. Un tir sur des policiers, cela s’appelle un crime. La question de savoir s’il existe derrière cela des revendications sociales est secondaire. On ne peut pas accepter de justifier de tels actes par l’expression d’un malaise social. Certaines cités ne sont-elles pas tombées aux mains de mafias ?
L. M. : C’est le langage de certains syndicats de police et de certains politiques. Dans le cours de l’émeute, tout se mélange. Certains profitent d’un incendie pour piller un magasin, d’autres vont régler des comptes… Mais l’essentiel n’est pas là. En 2005, Nicolas Sarkozy avait dit à l’Assemblée que 75 à 80 % des émeutiers étaient des délinquants notoires. Cette affirmation a été contredite. La majorité des jeunes vus par les magistrats étaient des primodélinquants.
Les Renseignements généraux eux-mêmes ont reconnu que les émeutes n’étaient pas le fait de bandes organisées. Et les chercheurs sont parvenus au même résultat. Il est prouvé que l’émeute ne relève pas fondamentalement d’une analyse en termes de délinquance. S’obstiner à le faire, c’est vouloir enlever toute signification sociale à ces événements.
C. S. : Certes, il n’y a pas eu de planification des émeutes. Mais passé l’explosion initiale, on a bien vu se mettre en place une organisation des affrontements, avec des tactiques de guérilla urbaine. Ces stratégies de groupes paraissent de plus en plus structurées. On l’a bien vu ces dernières années avec l’organisation de guets-apens tendus à des policiers que l’on attire dans la cité. L’emprise des réseaux sur les quartiers se constate aussi par la capacité de certains leaders à ramener le calme.
En 2005, les violences urbaines ont duré trois semaines parce que les cités s’embrasaient successivement. Mais à l’intérieur d’un même quartier, les violences ne duraient pas plus de quatre jours. Pourquoi ? Parce que ceux qui font le business disaient stop. Ils avaient besoin que les affaires reprennent. Le fait que la violence a augmenté d’un degré en 2007 ne justifie-t-il pas la fermeté de la police ?
L.M. : Les heurts ont bien été plus violents qu’en 2005, parce que la situation sociale s’est dégradée et que le rapport de force s’est durci. C’est logique : au lieu de revenir à la police de proximité, on a décidé d’affecter durablement dans les quartiers les compagnies de CRS.
Cette stratégie du rapport de force est une erreur, elle ne fait qu’empirer les choses. N’oublions pas qu’en 2006, il y a eu des mini-émeutes aux Mureaux, à Montfermeil, à Montpellier… Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
C.S. : Jusqu’en 2002, on ne faisait que du maintien de l’ordre. Depuis, la police a développé l’action judiciaire. Elle cherche, lors des émeutes, à interpeller les délinquants pour mettre fin à un sentiment d’impunité.
La police a su se réformer, en méthodes et en moyens. Mais, seule, elle ne peut pas tout. Les autres acteurs de la chaîne pénale, la justice et l’administration pénitentiaire, n’ont pas bénéficié des mêmes évolutions et ont pris du retard. Ces institutions en sont restées à une culture de la délinquance qui date de l’après-guerre.
Recueilli par Bernard GORCE
(1) Auteur de Quand les banlieues brûlent, éd. La Découverte 2007, 170 p., 9,50 €. (2) Auteur des Stratégies de la sécurité, PUF, 230 p., 22 € et du Que sais-Je ? Violences et insécurité urbaines, PUF, 127 p., 8 €.
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2322908&rubId=786
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