***"Vous, M. Guéant, vous privilégiez l'ombre, vous nous ramenez jour après jour à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration." "M. Guéant, le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ?" La charge de Serge Letchimy a provoqué le départ de François Fillon et des membres du gouvernement qui ont quitté l’hémicycle. Un peu plus tard, François Fillon et l’UMP ont demandé des excuses au parti socialiste. Excuses qui ne sont pas venues.

Claude Guéant et le gouvernement comparés au régime nazi D'aucuns estiment que Claude Guéant est à Nicolas Sarkozy ce que le ministre de la police Joseph Fouché fut à Napoléon Bonaparte

  • Identité et politique dans la Caraïbe insulaire.
  • Identité et politique dans la Caraïbe insulaire.

Une voix s'élève de la Martinique

...À 59 ans, Serge Letchimy, apparenté au groupe parlementaire du parti socialiste, est député de la 3e circonscription de Martinique et président de région. À l'Assemblée nationale, il est membre de la commission des affaires économiques.

Peu après son intervention hier, il a considéré qu'il avait dit « ce qu'il fallait dire face à l'Assemblée, face au monde parce que lorsqu'une société est confrontée à un ministre de l'Intérieur qui ne cesse de lâcher des propos du genre de ceux qu'il a tenus sur les civilisations, on ne peut pas être insensible, on ne peut pas rester silencieux ». Pour lui, « les choses sont très claires. Je n'ai pas fait de spéculation particulière, de calcul pour provoquer une telle réaction. Je me devais et je me dois de dénoncer ces discours que je n'accepte pas en tant que Martiniquais, en tant qu'élément de la diversité et tout simplement en tant que démocrate et républicain ».

Lorsqu'on lui demande s'il ne pense pas être allé trop loin en considérant que des phrases, comme celle tenue par Claude Guéant, font le lit de la pensée nazie et des camps de concentration, le député de Martinique persiste tout en précisant : « J'ai aussi parlé de l'esclavage. On ne semble vouloir retenir que le nazisme. Ce que je dis c'est que ces petites phrases, lourdes de sens, distillent des idées qui visent et conduisent au déni de l'autre, de celui qui est différent, alors qu'il faut voir la richesse que cet autre nous apporte. Nous devons combattre ces phrases et ces idées ».

À l'intention des ministres et des députés UMP qui ont tous quitté, « outrés », les bancs de l'Assemblée, Serge Letchimy lance : « Nous n'avons eu aucune réponse de leur part. Il y a chez eux un refus de répondre qui me conforte dans l'idée que ce genre de phrases s'inscrit dans une stratégie politique ». Serge Letchimy n'ignorait pas que certains au PS et à gauche ne cautionneraient pas la totalité de son intervention : « Je me doutais bien que mes propos pouvaient créer des réactions diverses. J'ai parlé avec franchise et c'est toujours un peu brutal pour certains. Sans doute ai-je dit ce que d'autres pensent. Je ne regrette pas ce que j'ai dit. S'il fallait le refaire je le referais ».

Propos recueillis par Guillaume Atchouel l'expert : Gaël Sliman, directeur général adjoint de BVA "Stratégie délibérée mais très risquée"

Les déclarations de Claude Guéant sur les civilisations sont-elles une stratégie qui va payer ou une erreur préjudiciable ?

Ce que je vois, c'est plutôt une stratégie consistant à réussir deux choses. D'abord, envoyer des stimuli à l'électorat FN, dont le président de la République aura besoin pour le report des voix au second tour. Guéant a dit que ses propos ont été ressorti du contexte, mais les mots ont probablement été utilisés à dessein. Ensuite, cela sert aussi à faire surréagir la gauche et à la renvoyer à une image d'angélisme, qui refuserait de voir les problèmes que peuvent poser l'immigration. C'était donc une stratégie délibérée, mais va-t-elle réussir, ce n'est pas sûr. Les précédents ont prouvé que ça ne marche pas. Voyez l'été 2010 après le discours de Grenoble, porté par le chef de l'État lui-même. Les électeurs du Front National ont eu l'impression qu'on cherchait à les récupérer, et ceux très conservateurs de l'UMP ont basculé au FN. C'est la fameuse préférence de l'original à la copie. Depuis le printemps 2011, c'est Claude Guéant qui porte ce discours, pour le compte du chef de l'État, mais ça ne marche pas mieux pour autant.

L'épisode à l'Assemblée Nationale aujourd'hui (NDLR : hier) ne va-t-il pas permettre au ministre de l'Intérieur de se draper dans le voile de l'indignation ?

Tout à fait, c'est exactement ça. Autant le propos de Guéant est contre-productif pour récupérer les électeurs FN, autant l'intervention du député socialiste est également contre-productive, permettant au ministre de l'Intérieur, comme vous dites, de se draper dans le voile de l'indignation, de renverser la tendance et de se positionner dans le rôle de victime. Le député PS a rendu service à Claude Guéant, malgré lui.

Cet épisode annonce-t-il une fin de campagne où tous les coups sont permis ?

ça reste un épiphénomène comme on en a déjà connu, et comme on en connaîtra d'autres. C'est un grand classique des élections présidentielles. Il faut se souvenir de Lionel Jospin à l'Assemblée Nationale, dans un discours où il comparait droite et gauche sur des thèmes comme le colonialisme ou le fascisme. Des propos outranciers permettent de fédérer un camp.


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Avec cette quinzième parution, nous restreignons d’une certaine manière le champ puisque nous centrons la réflexion sur la Martinique. En essayant de décrypter les messages, au moins en apparence, contradictoires délivrés par les électeurs dans la dernière période. Tâche tout autant nécessaire que périlleuse.

  • 1 Il faut préciser que le décret du 29 octobre 2003 décidant de consulter les électeurs de la Martin (...)

2 Rappelons la situation. Le 7 décembre 2003, les électeurs de la Martinique sont consultés sur la question de savoir s’« ils approuvent le projet de création en Martinique d’une collectivité territoriale demeurant régie par l’article 73 de la Constitution, et donc par le principe de l’identité législative avec possibilité d’adaptations, et se substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article »1. Il s’agissait de créer une collectivité territoriale nouvelle administrée par une assemblée délibérante unique. La majorité des électeurs répond non à la question.

3 Trois mois après – les 21 et 28 mars 2004 – le Conseil Régional étant maintenu du fait du vote négatif de décembre, une élection est organisée pour le renouveler et le « Groupe des Patriotes MIM-CNCP » obtient 28 des 41 sièges de l’assemblée. C’est un plébiscite et une victoire personnelle pour M. Alfred Marie-Jeanne, la tête de liste du groupe qui avait milité avec beaucoup de détermination en faveur du oui.

4 Plusieurs raisons peuvent, évidemment, être évoquées pour expliquer cet étrange revirement. Bornons nous à hasarder une hypothèse. Les Martiniquais ont, dans un premier temps, voulu marquer leur attachement au statut départemental, seul garant à leurs yeux du maintien dans la République et dans l’Union Européenne. Mais, dans un second temps, ou plus précisément dans le même temps, ils ont décidé de dire avec force leur volonté de voir respectée leur personnalité singulière. A cet effet, M. Marie-Jeanne apparaissait comme le meilleur messager.

5 Pourquoi ne pas, par ailleurs, imaginer, au risque de tomber dans la psychologie de bazar, la manifestation d’une sorte de remords collectif, le souhait de réparer les conséquences d’un certain dilettantisme civique ?

  • 2 Interrogation, selon nous, dénuée de véritable intérêt politique ou juridique, mais qui a beaucoup (...)

6 Il faut rappeler, pour mieux éclairer la question, que la campagne « référendaire » s’est déroulée dans un curieux climat. Le débat a beaucoup porté sur le point de savoir si l’évolution proposée était statutaire ou institutionnelle2. De plus, des responsables politiques officiellement partisans du « oui » prêchaient en privé voire même en public le « non ». Trichaient-ils pour autant ? En tout cas, pas tous. Ce double langage était l’expression de leur malaise, de leur inquiétude. Leur positionnement politique, leur engagement les conduisait naturellement à se prononcer pour le changement mais ils craignaient aussi, de bonne foi pour certains, d’entraîner leurs compatriotes dans une funeste aventure.

  • 3 En ne perdant pas de vue le caractère complètement artificiel de la démarche consistant à découper (...)

7 Nous touchons là le cœur du problème martiniquais. Faire reconnaître par l’ancien colonisateur et par soi-même sa différence tout en étant fortement attaché à la qualité de Français. Rapport dialectique, soutenons-nous, dans le cadre du désir de reconnaissance, entre la pulsion mimétique et l’affirmation de différence. Si on accepte par convention de prendre comme point de départ la loi de départementalisation de 1946, on peut distinguer trois phases matérialisées chacune par des actes juridiques3. La loi de départementalisation ou l’aboutissement de la Longue Marche vers la reconnaissance juridique de l’assimilation

8 Nous sommes là dans le mimétisme sans nuance. Français à part entière. Uniquement Français. A l’époque, à la Martinique, une seule voix s’élève pour tempérer le propos, celle de M. Aimé Césaire : « Si l’assimilation est souhaitable pour la résolution rapide de certains problèmes, elle ne saurait être totale… La Martinique n’est ni la Provence ni la Bretagne »4.

  • 4 Rapporté par Justice, « Une soirée d’adieux », 17 novembre 1945.

9 Dans la pratique, il va apparaître que l’égalité de droits postulée par la loi ne se concrétisera que sur le long terme et sera la conséquence de la forte mobilisation de Martiniquais. Face à ce qui est perçu comme un refus de les considérer comme des Français à part entière, ils vont, timidement, à contrecœur revendiquer que soit reconnue leur différence. De ce point de vue, une avancée intervient avec la Constitution de 1958. La reconnaissance des « franchises » de la Martinique

10 L’article 73 de la Constitution censé reconnaître ces « franchises » promises par André Malraux, de passage à la Martinique5 avant le référendum est insuffisamment précis. Il prévoit :

  • 5 Voir Le Progressiste, 20 et 27 septembre 1958. Le Général de Gaulle confirme l’engagement d’André (...)

11 « Le régime législatif et l’organisation administrative des départements d’outre-mer peuvent faire l’objet de mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière ».

12 Ainsi naît la notion de départementalisation adaptée. En fait, l’article 73 ne favorise pas la reconnaissance de la singularité d’autant que le Conseil Constitutionnel en fait une lecture restrictive. Et le décret du 26 avril 1960 qui reconnaît aux conseils généraux des départements d’outre-mer la possibilité de saisir le gouvernement de toutes propositions tendant à l’intervention de dispositions spéciales motivées par la situation particulière de leur département reste sans effet pratique. La décentralisation, acte I n’apporte pas davantage de réelles modifications. Celles-ci vont intervenir avec la Loi d’Orientation pour l’Outre-Mer (LOOM) du 13 décembre 2000 et la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Une avancée réelle dans la reconnaissance du particularisme. La LOOM et la loi constitutionnelle du 28 mars 2003

13 Le premier de ces textes est, il faut le rappeler, le résultat d’une approche sinon vraiment innovante, en tout cas positive. De fait, le projet de loi a été déposé après que deux parlementaires domiens, MM. Lise et Tamaya, ont été placés en position de mission. Ils ont procédé à des consultations très nombreuses, recueillant l’avis des politiques et des socio-professionnels des quatre DOM.

14 La LOOM visait deux objectifs : favoriser le développement durable, permettre une évolution institutionnelle différenciée.

15 Ce point se traduit par l’idée que les quatre départements d’outre-mer n’ont pas l’obligation d’avancer au même pas. D’où la formule de « statut à la carte », étant précisé que cette approche remonte à l’époque où M. Le Pensec avait en charge l’outre-mer. La différenciation est possible grâce à la mise en place du Congrès des élus départementaux et régionaux.

16 Quant au texte constitutionnel, il procède à une nécessaire clarification en distinguant les collectivités territoriales relevant du régime de l’identité législative (art.73 de la Constitution) et celles relevant de la spécialité législative. Cette nouvelle approche a été favorisée par la Déclaration de Basse-Terre du 1er décembre 1999 signée par les présidents des conseils régionaux des trois Départements Français d’Amérique (DFA) alors même que l’un se réclamait de la Droite (Mme Michaux-Chevry), le second du socialisme (M. Karam) et le troisième (M. Marie-Jeanne) est indépendantiste. Haut de page Notes

1 Il faut préciser que le décret du 29 octobre 2003 décidant de consulter les électeurs de la Martinique vise « un document d’orientation » validé par le président du Conseil général et le président du Conseil régional de la Martinique. Ce document ne se trouvait pas dans l’enveloppe adressée à tous les électeurs.

2 Interrogation, selon nous, dénuée de véritable intérêt politique ou juridique, mais qui a beaucoup perturbé les électeurs.

3 En ne perdant pas de vue le caractère complètement artificiel de la démarche consistant à découper en tranches la trajectoire d’une société.

4 Rapporté par Justice, « Une soirée d’adieux », 17 novembre 1945.

5 Voir Le Progressiste, 20 et 27 septembre 1958. Le Général de Gaulle confirme l’engagement d’André Malraux dans un « message » adressé aux habitants des départements d’outre-mer (Le Monde, 19 septembre 1958). Haut de page Pour citer cet article Référence électronique

Jean-Claude William, « Présentation du dossier », Pouvoirs dans la Caraïbe En ligne, 15 | 2007, mis en ligne le 22 septembre 2011, consulté le 08 février 2012. URL : http://plc.revues.org/171 Haut de page Auteur Jean-Claude William

Professeur de science politique Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane Du même auteur

  • Du brouillage. Droite et gauche en Martinique Texte intégral
  • Quelle réalité ?
  • Paru dans Pouvoirs dans la Caraïbe, 15 | 2007

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