• Que faut-il penser d’un pays où la majorité de la population se regarde en riant, se donnant tapes amicales et franches accolades alors qu’ils vivent dans une jungle morale ?

Le ministre-conseiller du président de la République, Issa Mbaye Samb, aurait été « marabouté ». Quelqu’un a même avoué être l’auteur des faits qui ont conduit à son rappel à Dieu. Dieu ? Les sénégalais doivent (re) lire Ahmadou Kourouma : « Allah n’est pas obligé ! »

  • Le modèle Sénégalais musulman est-il toujours opératoire ? Quelle est la part de mysticisme qui nous habite ? Et, surtout, comment font les gens pour défier les lois de la physique ? Notre cosmogonie Africaine ne règle pas les problèmes. Ainsi, il y a des gens qui ont la possibilité de « faire du mal à distance » en envoyant de mauvais sorts à des adversaires. Soi-disant adversaires. Pourtant, si cette science infuse devait avoir droit de cité au Sénégal, ses habitants devraient arrêter de revendiquer à tout bout de champ et du haut de leurs minarets leur islamité ; leur islamisme étant minoré par le caractère confrérique de leur religiosité.

Rationnel ? Un ministre-conseiller du président de la République, Issa Mbaye Samb, ancien ministre des Sports, vient de décéder et tout le pays est convaincu qu’il a été « marabouté ». En clair, un de ses ennemis s’est attaché les services d’un charlatan pour lui jeter un mauvais sort qui a eu raison de sa santé. Un homme a parlé à la presse pour dire qu’il était l’auteur des faits et a demandé pardon à la famille du défunt. Vivement que l’on maraboute nos pensées dans le bon sens ! L’info, c’est qu’un quidam, installé quelque part, peut vous trucider, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes.

Le débat tient aujourd’hui dans le fait qu’il ne faut plus parler du Sénégal comme « ce pays peuplé de 95% de musulmans ! » Un ancien homme politique rend l’âme ; toute la presse évoque sa mort comme surnaturelle et cela agrée toutes les pensées. On donne la « Une » à un mec qui reconnaît qu’il est l’auteur des « faits ». Intérieurement, par hypocrisie, beaucoup de Sénégalais refusent de reconnaître cette dimension de notre société. De peur qu’on les voit sur les chemins qui mènent aux masures des marabouts.

Notre société ne peut pas avancer si on s’en s’en tient à des considérations qui ne relèvent pas de l’ordre. Ils sont vraisemblablement capables de tuer un homme à distance mais ne peuvent créer le chais d’une aiguille, ou, mieux, honorer une facture par un travail qui aura une incidence sur notre contribution au développement de l’Humanité. Le mal, toujours le mal ! Si on est capable de jeter un sort, on doit, normalement, pouvoir guérir. Or, l’Afrique ploie sous toutes sortes de maladies. C’est le seul continent où rien ne s’invente !

L’autre terme du débat tient à des considérations plus que métaphysique mais que l’entretien d’un simple commerce des hommes peut ramener à un dualisme simple qui est le fondement même de la société : le bien contre le mal. Dans ce pays, c’est maintenant le deuxième concept qui est maintenant célébré. Nombreux sont aujourd’hui les huiles qui cherchent à entrer en contact avec ce fameux charlatan qui a eu raison des ambitions de Issa Mbaye Samb.

Il ne faut pas se tromper ; c’est un élément fondateur de notre société. Il ne fait, par contre, que renseigner sur le renversement moral qui nous habite. Le « maraboutage » est lâche par essence. On y va incognito car à court d’arguments cognitifs. On sourit aujourd’hui à la même personne à qui on a demandé la veille la perte. Dans les milieux professionnels où l’expertise est la plus demandée, des acteurs en arrivent à se demander s’ils ne rêvent pas ! Comment quelqu’un qui vient de travailler sur des systèmes de sécurité informatique, sur des mutations bactériennes, sur l’implication militaire du tir d’un missile de nouvelle génération par l’Iran, comment cet homme peut-il être réduit à penser qu’il est dans la fenêtre de tir d’un homme qui peut lui jeter un « mauvais sort », tout simplement parce qu’il écrase les convenances par sa compétences ? Comment ?

Regardez, on tous en mémoire cette image des seaux pleins d’une eau saumâtre que l’on verse sur nos pauvres footballeurs les heures qui suivent les matches. On est out pour les prochaines Can et Coupe du monde. Tout le Sénégal est convaincu que si on a battu la France en 2002, c’est à cause de pratiques occultes. Des entraîneurs « locaux » ont été nommés pour coacher l’équipe nationale A de football. Aussitôt, des prières sont montées des chaumières pour qu’on ne les « maraboute pas. » Roulez ballon ! On a des problèmes d’électricité, de bouffe, de scolarisation de nos enfants ; il y a plusieurs localités proches de notre capitale qui sont sous nos eaux. Les paysans bradent leur production arachidière, nos routes se dégradent à un rythme soutenu, nos politiques ne proposent que leurs personnes, pas de programmes ; où sont nos « charlatans-tueurs » ?

En écrivant son brulôt, « Et si l’Afrique refusait le développement ? », Axelle Kabou, a avoué qu’elle s’attendait à recevoir une volée de bois vert. Ce qui fut fait. Lors de son fameux discours tenu à l’Ucad II, à Dakar, le président Français, Nicolas Sarkozy, soutenait que « les Africains n’étaient pas assez rentrés dans l’Histoire ». Nouvelle volée de bois vert. Tout le pays est convaincu que l’ancien ministre a été victime d’un mauvais sort ; tout le monde s’en accommode. Si, comme tout le monde le dit, « c’est une réalité Africaine », c’est qu’on est mal barrés. Musulmans et Chrétiens, très pratiquants mais pas du tout croyants.

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