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Egalité des chances et ethnicisation dans les ZEP Compte rendu de la réunion publique du 9 juin 2004

Les deux intervenants, Yazid Sabeg et Laurence Méhaignerie, sont les auteurs du rapport « Les oubliés de l’égalité des chances : participation, pluralité, assimilation...ou repli ? » remis en janvier 2004 à l’Institut Montaigne. NDLR Ce long rapport est en consultation sur notre site à la rubrique « Rapports, Dossiers, Ouvrages », avec notamment pp. 18 et 19 les propositions « Pour la promotion et l’égalité des chances à l’école » dont certaines concernent explicitement les ZEP . Yazid Sabeg est par ailleurs chef d’une grosse entreprise de technologie, président du Comité de suivi de l’ANRU (Agence Nationale de la Rénovation Urbaine) et président fondateur de la Convention laïque pour l’égalité et la promotion des musulmans de France.

Intervention de Yazid Sabeg

Y. Sabeg se présente : ses parents sont algériens et ont immigré dans les années 50 ; il n’a pas subi lui-même de graves discriminations mais sait ce qu’est être arabe dans ce pays, même si ce handicap n’est pas insurmontable. Il s’intéresse à la question de l’égalité des chances parce que son expérience personnelle et l’annonce début 2003 de la mise en place d’une politique d’intégration pour les jeunes nés en France l’ont fait s’interroger. Il précise que les propositions figurant dans ce rapport n’ont pas fait l’unanimité à l’Institut Montaigne.

Un regard paradoxal et ambigu à trois niveaux

L’idée était de parler des gens dont on parle peu, les déclassés français, douze millions de personnes qui sont de conditions, d’ethnies différentes. Il s’agit plus particulièrement de ceux qui cumulent les inégalités sociales classiques transgénérationnelles et un phénotype, un patronyme particulier, voire une religion : l’islam. Ils concentrent sur eux le regard des autres, les discriminations. La façon dont les pouvoirs publics et la société les considèrent est paradoxale et ambiguë à trois niveaux :

1- Ce sont des gens différents, qui ne sont pas français à part entière, ils constituent une minorité exclue de tous les champs de la vie publique politique, sociale, médiatique. Ils n’existent pas parce que la France, pour des raisons historiques, ne se projette pas comme une société multiraciale et égalitaire. C’est une nation organique, fondée sur une société ancienne avec une conception étroite de ce qu’est la race et qui croit au fond en la supériorité de la race blanche sur les autres. L’idéologie qui domine encore aujourd’hui est entachée de représentations xénophobes, communautaristes, esclavagistes. L’Etat français en est porteur. En Algérie, la France a organisé le communautarisme au mépris de la constitution en 1870 en créant deux catégories : les Arabo-berbères-musulmans, qui sont devenus non pas des citoyens mais des sujets indigènes, et les Arabes juifs.

Yazed Sabeg ne croit pas à la validité du modèle républicain tel qu’on le lui a enseigné à l’école quand il rapporte ce modèle à l’histoire de la colonisation en Algérie ; il a la même perception en ce qui concerne la laïcité. L’Islam est la seconde religion de France depuis 1830. Sur le livret de famille de ses parents figurait la mention « F.S.N.A » « Français de souche nord-africaine », avec des emplacements pour les épouses n°1, n°2, n°3...L’exogamie était interdite. La France a échoué à tous les niveaux. La relation entre Français et Arabes n’a pas changé : ces derniers sont aujourd’hui relégués dans les quartiers déshérités. Par le passé, la France a « digéré » ses immigrés européens par le mariage, le métissage. Ce processus moteur est ralenti et va s’arrêter à cause de la sclérose due à la séparation ethnique, sociale, territoriale qui empêche le brassage. On assiste à l’ethnicisation des marqueurs sociaux, à la complexification des relations du monde occidental et de l’islam. C’est le retour à une situation d’apartheid pour empêcher tout projet de la société française vers un avenir métissé et multiracial. Les mêmes questions vont se poser avec les Africains d’Afrique noire et les Asiatiques, qui sont les plus nombreux à immigrer aujourd’hui.

2 - La communautarisation s’est progressivement instituée dans la communauté arabo-maghrébine immigrée, à cause de la relégation dont celle-ci a été l’objet après la guerre d’Algérie. Ce phénomène s’est accru avec le regroupement familial. La politique active du retour ayant été abandonnée à partir des années 80, les immigrés restent en France. L’Etat a conduit une politique paternaliste en menant une politique d’intégration qui cible des gens nés en France pour y rester. On continue aujourd’hui à mener des politiques spécifiques d’intégration au lieu de mener des politiques d’assimilation, on parle toujours d’eux comme des étrangers et on traite la question en termes de flux et non pas de stock.

3 - La manière dont on s’adresse à ces populations repose sur une instrumentalisation de l’islam. La relation qu’entretient la Nation avec l’islam conduit à considérer une partie de la population comme étant avant tout des musulmans ; on essentialise cette question, on traite le problème du voile sans traiter les causes.

Les mesures proposées

Depuis cinquante ans la politique urbaine tente de gérer la crise du logement qui touche tous les Français. Le logement est une question qui relève du développement durable, c’est le support d’une vraie politique sociale et d’assimilation. On l’a d’abord traitée en vidant les centres villes, puis en supprimant les bidonvilles, ensuite on a constitué des ghettos. Les politiques de peuplement ont conduit à une sclérose des relations communautaires qui porte les germes d’une rupture de la société française. La ségrégation scolaire qui résulte des politiques de peuplement est un sujet difficile à traiter. Le mode de recrutement des élèves aux différentes étapes du cursus scolaire nécessite des mesures énergiques si l’on ne veut pas que se perpétue l’échec dû à l’absence de politique de formation et de qualification de ces populations qui sont massivement exclues du marché du travail et de la société.

Nous proposons : 1) De multiplier par deux la part du PIB consacrée à l’habitat social.

2) Sur le plan scolaire, il faut de vraies politiques inclusives, des moyens équivalents pour un élève de ZEP et un élève de classe préparatoire. Mettre en place des mesures mécaniques de type quotas pour inclure les élèves des minorités dans les établissements de centre ville, dans les filières prestigieuses. Sur 6800 ingénieurs qui travaillent dans mon groupe, je n’en ai que 102 qui sont Arabes ou Noirs. Mettre en place des quotas, c’est avoir un numerus clausus pour placer 10 à 15 % des meilleurs élèves ZEP dans les collèges et lycées de centre ville, dans les grandes écoles.

3) Le monde de l’entreprise doit mettre en œuvre la discrimination positive : dans les minorités visibles, un jeune diplômé sur deux est au chômage. Il y a une « ségrégation systémique » : le réflexe des recruteurs est de recruter dans la « France bon teint ».

Intervention de Laurence Méhaignerie

Laurence Méhaignerie présente les propositions faites par l’Institut Montaigne en matière d’éducation prioritaire. Celles-ci se situent dans le prolongement du rapport issu d’un groupe de travail auquel ont participé deux inspecteurs généraux - Bernard Toulemonde et Christian Forestier -, Gabriel Cohn Bendit (Lycée autogéré de Saint-Nazaire) et d’autres. Les constats figurant dans ce rapport sont relativement partagés. Dans les ZEP, la question de l’égalité des chances est particulièrement prégnante. Est-il envisageable d’aller plus loin dans la discrimination positive ? Peut-on envisager d’augmenter davantage les crédits en ZEP sur la base de la comparaison avec les moyens des établissements de centre ville ? Aujourd’hui la masse salariale que représentent les enseignants en ZEP est inférieure à celle des personnels des établissements de centre ville : on n’est pas ici dans de la discrimination positive. On peut imaginer d’allouer une masse salariale supérieure avec en corollaire une autre organisation administrative et pédagogique de l’établissement. Le groupe de travail s’est dit qu’il pouvait travailler de façon pragmatique, peu politique, avec le terrain. Ces propositions ont été diffusées au collège Jean Zay à Bondy (Seine-Saint-Denis) où travaille un membre du groupe et des enseignants s’en sont emparé, le projet a été bâti avec eux. Les auteurs du rapport se sont adressés au Ministère, qui semble avoir adhéré à la philosophie de leur travail et leur a conseillé de travailler avec le terrain afin que ces propositions prennent corps. Par la suite, rien ne serait impossible en terme de crédits supplémentaires. L’Institut a deux projets à proposer : un pour le second degré et un autre plus succinct pour le premier degré, ce dernier supposant de créer un établissement public primaire et donc de modifier le cadre législatif, ce qui ne semble pas impossible. « Nous ne souhaitons pas nous positionner sur le plan pédagogique, ce sont les enseignants qui nourrissent les principes qui guident l’élaboration d’un projet pédagogique. »

ZEP : zone éducative prioritaire sarcèles, grigny grande borne, saint denis... Monfermeil, les bosqués... corbeil essonnes.. etc