..L'Individu dans l'organisation: les dimensions oubliées


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Politique et Sociétés

  • . la parole et le langage
  • . l'espace et le temps
  • . la vie psychique
  • . l'altérité (le rapport à l'autre)
  • . la vie symbolique (dont la dimension <<culture>>)
  • . plaisir et souffrance au travail

L'individu dans l'organisation : les dimensions oubliées. sous la direction de Jean-François Chanlat, Québec, Les Presses de l'Université Laval et les Éditions Eska, 1990, 842 pages.



Recension de Patrick Nugent, École nationale d'administration publique La plupart des livres de <<comportement organisationnel>> (Organizational behaviour, en anglais) prétendent faciliter la compréhension des phénomènes humains dans les organisations en présentant un résumé de théories traitant de thèmes tels que le leadership, la motivation, les communications, la culture organisationnelle et le changement. La lecture de ces livres, publiés à l'intention d'étudiants et de praticiens de la gestion, peut amener le lecteur à croire qu'il a <<fait le tour>> des principales connaissances actuelles de ce vaste domaine, sans qu'il soit conscient des présomptions et biais implicites de ces théories. Pourtant, du moins en Amérique du nord, ce sont essentiellement des théories américaines, basées sur des présomptions culturelles américaines et, de surcroît, influencées par un cadre de référence utilitaire ayant pour objet de rendre le personnel plus productif en termes des objectifs de l'organisation et de ses gestionnaires.

Il est donc très agréable de découvrir ce livre de Jean-François Chanlat et de ses trente-cinq collaborateurs, qui fait une remise en question très approfondie des prémisses et des présomptions trop courantes dans ce domaine. En effet, dès son introduction, Jean-François Chanlat présente une critique du champ du <<comportement organisationnel>>, critique à plusieurs facettes. Tout d'abord, il souligne <<l'orientation technocratique de cette discipline avant tout managérielle>>, dont l'approche instrumentale et manipulatrice réduit et simplifie à outrance la complexité de l'expérience humaine dans les organisations. En deuxième lieu, il fait remarquer que ce domaine vaste et complexe, dominé par les Anglo-Saxons et surtout par les Américains (et donc, influencé par leurs présomptions socioculturelles), s'est développé dans les écoles de gestion, de telle sorte qu'il néglige plusieurs champs de connaissances significatifs, notamment dans les domaines de la psychologie, la sociologie et l'anthropologie. Par conséquent, ce domaine tend, selon lui, à occulter plusieurs dimensions fondamentales de la vie des êtres humains dans les organisations (d'où le titre du volume qui réfère aux <<dimensions oubliées>> dont le livre en présente six en particulier :

. la parole et le langage

. l'espace et le temps

. la vie psychique

. l'altérité (le rapport à l'autre)

. la vie symbolique (dont la dimension <<culture>>)

. plaisir et souffrance au travail

Pour chacune de ces dimensions, le livre comprend une courte présentation par Chanlat suivie de plusieurs textes (généralement cinq ou six articles) de ses collaborateurs. Certains de ceux-ci partagent clairement la critique de Chanlat à l'égard du domaine du comportement organisationnel. La plupart apportent des analyses d'ordre sociologique, anthropologique, sociolinguistique ou psychanalytique qui enrichissent la compréhension du domaine et cernent davantage ces dimensions oubliées. Un des aspects intéressants du livre, compte tenu de la forte dominance des théories américaines, consiste en la diversité de provenance culturelle des collaborateurs : parmi leurs institutions d'appartenance (universités, centres de recherche), quatorze se situent au Québec, douze en France et les autres dans six autres pays européens et un pays africain. Le livre présente, par conséquent, une variété de conceptions tant sur le plan culturel qu'en termes disciplinaires.

Il est évidemment impossible en si peu d'espace de présenter chacun des thèmes du livre en rendant justice aux auteurs, mais nous tenterons tout de même d'indiquer leur nature en gros.

La première section, intitulée <<Pensée, parole et langage>>, déborde du modèle habituel des communications comme simple transmission d'informations pour introduire d'autres fonctions de la communication, notamment celles de la création de significations et de l'établissement d'identités collectives. Certains des textes sont très techniques, d'autres sont plus accessibles aux non-initiés, tel celui de Chanlat (Alain) et Bédard, qui démontre que certains styles de gestion peuvent poser des obstacles majeurs au dialogue dans les milieux de travail, et celui de Borzeix et Linhart, qui analyse les effets de l'instauration des <<réunions d'expression>> en France sur l'identité des groupes dans les organisations.

La deuxième partie, <<Espace et temps>>, explore ces deux dimensions trop souvent ignorées par les gestionnaires. L'article de Fischer démontre comment l'organisation des espaces de travail structure les communications, conditionne les interactions et la formation d'identités et reflète la culture de l'organisation. Pour ce qui est de la dimension temporelle, les textes de Gasparini et Hassard remettent en question la notion du temps quantitatif, segmenté et linéaire qui sous-tend le taylorisme et démontrent l'importance d'une compréhension du temps comme qualitatif et subjectif. L'article de Kamdem poursuit en démontrant les problèmes causés par l'imposition du temps industrialisé dans les cultures traditionnelles africaines.

C'est à l'aide de la grille de la psychanalyse que la troisième partie du volume, <<Vie psychique>>, regarde l'être humain comme un être de désir et de pulsions. Les textes révèlent l'importance de la vie intérieure, de l'imaginaire, des fantasmes, de l'angoisse, comme fondements de l'action humaine dans les organisations et du leadership des gestionnaires. Ils démontrent le rôle de processus psychiques inconscients, tel le transfert, dans les relations entre le leader et le groupe et les impacts positifs ou destructeurs que ces processus peuvent avoir sur la vie organisationnelle. Deux des articles fournissent des points de vue nouveaux sur le thème de la motivation. Celui de Kets de Vries ajoute l'envie comme facteur de motivation, tandis que celui de Siever remet carrément en question le concept même comme étant un <<ersatz>>, un faux-semblant qui remplace le vide causé par la division et la fragmentation du travail et de la vie.

Les articles de la quatrième partie du livre, comme le suggère son titre <<Altérité>>, examinent divers aspects de la relation avec l'Autre. Y sont abordées les problématiques du racisme, des femmes cadres, des cadres à l'étranger et de la gestion des conflits. Les trois textes concernant les femmes cadres, en particulier, permettent de comprendre davantage les difficultés qu'elles rencontrent dans un contexte dominé par des règles du jeu masculines et d'explorer les possibilités et les limites d'un apport <<féminin>> à la gestion. Ces divers thèmes de l'Altérité, qui sont pour la plupart (sauf les conflits) absents des livres traditionnels en comportement organisationnel, sont d'une importance croissante dans nos organisations, compte tenu de la diversification de plus en plus forte à la fois de leur main-d'oeuvre et de leurs clientèles. Il est donc heureux de les retrouver dans ce volume, d'autant plus que cette partie du livre est peut-être celle qui est la plus accessible aux lecteurs non spécialistes.

La cinquième partie du livre aborde la <<Vie symbolique>>, la tendance de l'être humain à symboliser et à interpréter la réalité à l'intérieur du cadre de référence que constitue sa culture. Plusieurs des articles abordent la notion de <<culture d'entreprise>> si à la mode de nos jours, de manière à clarifier les origines de cette notion en termes anthropologiques et sociologiques et à démontrer les dangers d'une approche simpliste très courante qui réduit la culture d'entreprise à une variable que peuvent manipuler les dirigeants en vue d'une meilleure performance organisationnelle. L'article d'Amado, Faucheux et Laurent souligne les différences significatives entre les conceptions françaises et américaines du fonctionnement des organisations et démontre ainsi l'importance d'une compréhension des bases culturelles des pratiques de la gestion et du changement dans les organisations. Les textes de cette partie du livre varient beaucoup en ce qui concerne leur accessibilité pour les lecteurs, certains étant faciles à lire, d'autres pratiquement incompréhensibles pour le non-initié.

Les articles de la dernière partie du livre, intitulée <<Plaisir et souffrance au travail>>, analysent en quoi l'expérience du travail peut être source de plaisir ou bien de souffrance psychique et physique pour l'individu. Plusieurs des auteurs abordent ce thème par l'approche de la psychopathologie du travail que Jean-François Chanlat compare avec l'approche nord-américaine de l'épuisement professionnel ou <<burnout>>. Ces textes démontrent très clairement de quelles façons une organisation tayloriste du travail et une gestion laissant peu de place à l'autonomie, au dialogue et à la reconnaissance de l'expérience des travailleurs, peuvent contribuer fortement à miner leur santé mentale et physique. Le dernier texte, de Perreault, présente une analyse de la différenciation des conditions de travail des hommes et des femmes et, ce faisant, fait comprendre que les conditions de travail des femmes peuvent déterminer en grande partie leur plus haut taux de problèmes de santé au travail.

Ce volume, qui est le fruit de la collaboration d'un grand nombre d'auteurs, qui traite de six dimensions différentes du sujet, à partir d'une variété de grilles d'analyse disciplinaires, comporte les avantages aussi bien que les inconvénients d'une telle entreprise. C'est comme un kaléidoscope qui permet de regarder de nombreuses facettes d'une réalité complexe et multiforme très riche mais qui, en même temps, ne fournit pas (et ne vise non plus à fournir) une synthèse du sujet. Il constitue un complément extrêment intéressant aux livres plus traditionnels sur le thème du Comportement organisationnel, enrichissant la compréhension du domaine et apportant une vision critique essentielle qui leur manque généralement. Il fait également une sorte de survol de quelques aspects de chacune des six dimensions traitées et permet de comprendre davantage les apports de disciplines trop souvent négligées dans l'étude du comportement organisationnel. Le lecteur intéressé peut donc approfondir certaines dimensions ultérieurement, à l'aide de la bibliographie volumineuse à la fin du volume.

Comme nous avons mentionné précédemment, les textes choisis varient dans leurs buts et dans leur accessibilité pour le lecteur non initié aux disciplines en question. Certains articles présentent des éléments significatifs de leur discipline et démontrent leurs implications au niveau de la gestion et du domaine du comportement organisationnel. D'autres, par contre, semblent aborder une problématique disciplinaire très spécifique et spécialisée en prenant pour acquis que le lecteur possède les connaissances nécessaires pour comprendre le débat, ce qui n'est pas nécessairement le cas.

Néanmoins, ce livre fort ambitieux constitue une contribution d'une très grande valeur au domaine du comportement organisationnel et un complément indispensable aux textes habituels sur ce sujet fascinant.





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