...Condamnation du colonialisme ou rengaine paternaliste ?

Le paysan africain, qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

  • Dans cet imaginaire, où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble écrit d'avance.
  • Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique, et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là.» Dans cette enfilade de clichés, l'universitaire camerounais Achille Mbembe voit une «somme de lieux communs formalisée par l'ethnologie coloniale»,\m «amas de préjugés sur la «mentalité primitive» des nègres», et une «Afrique imaginaire peuplée de mythes sortis tout droit du bréviaire raciste du XIXe siècle». «Henri Guaino, affirme encore Mbembe, se contente de reprendre, presque mot à mot, des passages du chapitre consacré par Hegel à l'Afrique dans son ouvrage «la Raison dans l'histoire».» «Oui, mais il cite aussi Senghor», arguent les défenseurs du conseiller.

Condamnation du colonialisme ou rengaine paternaliste ?

Le rédacteur du sermon de Sarkozy en tournée africaine s'est attiré les foudres des intellectuels du continent noir

Le discours «à la jeunesse africaine», écrit par Henri Guaino et lu par Nicolas Sarkozy en juillet au Sénégal, est «raciste», a affirmé récemment BernardHenri Lévy. Une accusation reprise à la tribune de l'ONU par le rapporteur spécial sur le racisme Doudou Diène : «II est essentiel que le président français, Nicolas Sakozy, sache que le discours de Dakar a causé une blessure profonde.» Premier reproche des intellectuels français et africains qui ont été stupéfiés par la harangue présidentielle : ce discours accumule des «poncifs vieux de plus d'un siècle», résume Adame Ba Konaré, historienne malienne. Particulièrement en cause ce passage : «Le drame de l'Afrique, assure Guaino-Sarkozy, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire.

Une autre partie du discours, en effet, magnifie cette «culture africaine», présentée un peu plus tôt comme l'un des principaux obstacles au développement. Mais cette caution autochtone ne suffit pas à faire taire les critiques. Senghor reste bien sûr admiré en Afrique. Mais ses positions sont aussi marquées par les théories essentialistes de son époque. «Comment peuton tenir aujourd'hui un discours aussi daté ?», s'interroge Benjamin Stora.

En faisant de l'«essence» de l'Afrique la principale cause de son malheur, le discours de Dakar minimise les conséquences de l'esclavage et de la colonisation. C'est le deuxième reproche qui lui est fait. Certes, ce texte lyrique condamne sans appel la traite négrière. Mais il refuse la repentance. Certes, il stigmatise les «erreurs» de la colonisation. Mais il ajoute aussitôt : «Le colonisateur a pris et aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, rendu fécondes des terres vierges...» Refrain classique de l'argumentaire sur le «rôle positif» de la colonisation, qui «n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique, des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux, du fanatisme, de la prévarication». Conclusion (et troisième reproche) : dans la fresque brossée par Guaino, entre le temps des colonies et aujourd'hui, il n'y a rien. Pas un mot sur la politique françafricaine depuis quarante ans, sur les complicités entre Paris et les régimes corrompus, sur les échecs de la coopération, ou - comme le fait remarquer l'hebdomadaire «Jeune Afrique» - sur les conséquences parfois dramatiques après les indépendances du «découpage arbitraire» des frontières.

Une omission qui rend encore plus insupportable la leçon de morale faite «aux jeunes d'Afrique» (quatrième et dernier reproche) . Comme le souligne Etienne Smith, chercheur au Centre d'Etudes et de Recherches internationales (Ceri), chaque phrase de la philippique commence par une injonction : ««Vous croyez que»; «Ce que vous voulez, c'est»; «Ce que vous ne voulez pas, c'est»; «Le drame de l'Afrique, c'est»; «Le problème de l'Afrique, c'est»; «L'Afrique doit»; «Ne cédez pas à»; «N'écoutez pas»; «Vous n'avez pas besoin de»... Imagine-t-on un seul instant que M. Sarkozy se rende en Chine, en Inde ou aux Etats-Unis et, qu'au lieu de parler des relations de la France avec ces pays, il prétende tirer à leur place les leçons de leur histoire, leur dire ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire ?» Sur aucun autre continent, en effet, Nicolas Sarkozy n'a usé de ce langage qui se veut sincèrement empathique, mais qui s'avère paternaliste et au final humiliant. «Pourquoi Sarkozy se donne-t-il le droit de nous tancer et de juger nos pratiques ?», demande Mamadou Diouf, historien sénégalais qui voit dans le sermon de Dakar «la liberté que s'octroie le maître vis-à-vis de l'esclave : lui dire son fait, le définir». Et Amadou Mactar M'Bow, ancien directeur de l'Unesco, ajoute à l'adresse du président français : «Nous ne sommes pas des mineurs. L'heure est venue de repenser l'Afrique autrement qu'avec des rapports condescendants.»

Marie-France Etchegoin



http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire/dossier/074918/le-paris-dakar-d-henri-guaino.html

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