DIEU EST NEGRE lundi 3 novembre 2008 par Maxette Olsson

Dieu est Nègre ou La Vierge Noire protectrice de la Martinique

Notre vision intérieure exercée, notre créolité mise comme centre de créativité, nous permet de réexaminer notre existence, d´y voir les mécanismes de l´aliénation, d´en percevoir surtout les beautés. L´écrivain est un renifleur d´existence. Plus que tout autre, il a pour vocation d´identifier ce qui, dans notre quotidien, détermine le comportement et structure l´imaginaire. Éloge de la créolité - in praise of creolness - Jean Barnabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant. (Édition bilingue Gallimard)

L´enfant de Dieu

Damida assistait à la messe dominicale afin d´éviter la distinction et en bonne petite créole coquette de la classe élégance et courtoisie, pour avoir droit sous un bon prétexte à une nouvelle tenue chaque dimanche consacré à Dieu. Assister au saint sacrifice ce jour sacré vêtue d´une nouvelle toilette était impérieux dans le monde chrétien dans les années 60. Elle empochait sans scrupule les dix sous de la quête avec lesquelles elle s’offrait des bonbons rassis, des restes de gâteaux émiettés de la semaine précédente que vendait une pâtissière de la cour Nozières, alors qu´elle appartenait aux "Âmes vaillantes ".

Elle n’allait pas aux excursions trop coûteuses pour le budget de sa manman. Il lui suffisait de se vêtir du corsage bien blanchi à l’eau de javel et passé au bleu, complété par la jupe plissée bleue marine en tergal assortie au béret posé sur le côté de la tête. Bien mise dans son uniforme qui lui seyait à merveille et lui facilitait le flirt avec les boy-scouts, elle se faisait dièze ( se pavanait) dans la rue à l’affût de louanges. " Oh ? Tu es âme vaillante ? C’est très bien. Quelle brave jeune fille tu es ! " s’exclamait-on cependant qu’un halo de gloire s´esquissait au-dessus de son béret.

Ces témoignages d´affection lui étaient une dictame. Les célébrations religieuses lui offraient les trop rares laïus de félicitations souvent d’inconnus : " Que tu es belle dans ta robe ! Maintenant que tu es communiée, nous sommes contents de toi. Tiens ! Nous t’offrons la médaille de la Sainte Vierge. Tu es bénie Damida ! Tu es vraiment une enfant de Dieu ! " Une enfant de Dieu ? Le seuls moments où son entourage divulguait son père imaginaire.

Lorsque son beau-père Adrien avait usé de sa force sur sa petite personne, elle se réfugiait en secret près d’un Père Noël recouvert d´un manteau blanc comme neige, auréolé de lumière, imaginé au-dessus de la ravine qui coulait près du morne Sainte-Marie à la Belle-Terre. Installé sur un trône allégorique, l’Illuminé l’attendait les yeux brillants de tendresse. Pleine d’une déférence, elle se prosternait à ses pieds. Il lui caressait doucement le dessus du crâne cependant qu’elle lui faisait une oraison jaculatoire : " Je ne sais pas qui tu es mais j´ai besoin de toi. Qui es-tu ? " " Je suis tel que tu me crées. Je suis ton souffle, ton vrai Père. " répondait une voix qui n’était pas une voix. " Mon père, pourquoi est-ce que mon beau-père me bat ? Est-ce que parce que je ne veux pas l’aimer comme un vrai papa ? Et qu’est-ce que l’amour ? Aide moi ! Tous ces coups me font si mal. Pourquoi moi ?

"Son Père blanc la soulevait, la serrait contre sa poitrine et lui soufflait : " Parce que tu as choisi de naître dans une famille qui a un profond besoin d’amour. Tous ceux qui retournent sur Terre doivent apprendre à combler ce besoin s´ils veulent me réaliser dans leur vie. Tu es vie Damida. À travers ta famille et ton pays tu apprendras à aimer et à vivre. Je t’aiderai. Je suis en vous tous, même en ton beau-père. Il est aussi mon fils, je l’aime autant que toi.”

“ Mais il est méchant. C´est un bourreau. ” insistait Damida. “ Si tu te crois meilleure que lui, aimes le malgré tout. À travers moi, tous les êtres humains sont unis. L’Amour n’est pas le contraire de la haine. N’essaie pas de comprendre. Tiens bon ! "

Que son beau-pète soit aussi un enfant de Dieu et le coup du choix de sa famille la voilaient d’une perplexité. "On ne choisit pas sa famille. On choisit ses amis", lui avait dit une fois Man Dédé, la marchande de doucelettes (carreaux de sucre à la menthe ou au coco), et son " Père " lui disait le contraire. Non ! Encore une fois, elle ne pigeait rien, toutefois, elle revenait de sa planète divine et fictive souriante, oubliant tous ses maux... jusqu’à sa prochaine visite.

Ces fêtes catholiques étaient aussi d’excellentes occasions où elle se gavait de gâteaux à étages aux œufs montés, de chaudeau et de mousseux Paul Bréhant dans lequel elle continuait à tremper ses fameux biscuits Boudoir indispensables aux cérémonies initiatiques de la communion, confirmation et renonce... à Satan et ses œuvres, que lui fit passer Père Vallé. Le plus beau nègre qu’elle avait vu de sa vie. Un bel bougre tout bonnement ! Cette beauté masculine la chamboulait et répondit pour un temps à sa question posthume posée aux deux frères Kennedy : DIEU EST-IL NÈGRE ? Oui, il l’était absolument en cet Adonis noir comme sa soutane, la peau lisse, le nez pincé au-dessus d’une bouche pulpeuse bien dessinée, les traits d’une finesse, de grands yeux marrons clair illuminés du savoir divin et une touche de classe qui attirait des bouquets de femmes égarées à la confession. L’Apollon moreau portait princier et solennel. La foi de la fillette en un Dieu Nègre s´amorçait.

Et voilà l´histoire.

http://www.montraykreyol.org/spip.php?article1642