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janvier 24, 2012



L’Afrique de demain : du déficit au défi culturel



post résum

L'Afrique de demain, plus forte, plus grande, c'est ensemble, c'est aujourd'hui, c'est maintenant, c'est tout de suite ! L'Afrique qui vient a ouvert les yeux sur le fait qu'elle participe à l'histoire et à l'économie mondiale, même si on a longtemps essayé de lui faire croire qu'elle n'était qu'un navire en perdition que le reste du monde devrait éternellement secourir : An tôguô tian nen don (On parle mal de nous) / Ou ko ka Farafina débé bè ko (Il paraît que nous sommes ceux qui restent à la traîne) / Ko konguon kèlè minoguo dron de bè an bara (Qu'il n'y a que guerre et famine chez nous) / O dé b'a to, n'ou t'an bogna (Voilà pourquoi ils ne peuvent nous respecter). (Extrait de Fafarina*.)



L'Afrique d'aujourd'hui est déjà ce qu'elle sera demain. Regardez les adolescents africains des capitales. Quelle réelle différence, en dehors du niveau de développement économique de sa société, y a-t-il entre un adolescent de New York, de Paris ou de Bamako ? Ils regardent tous Avatar (le film), écoutent du Lady Gaga, téléphonent avec les derniers iPhones, et surfent sur SkyRock avec leur computeur portable ou pas, dernier cri ou pas, flambant neuf ou pas.



Ces adolescents ont certes des bases, cultures, valeurs, repères différents, mais ils appartiennent à une nouvelle espèce de Terrien qui échappe aux affinités et aux capacités à communier liées à la situation géographique ou au pouvoir économique. Tous parlent plus ou moins la même langue. Grâce à Internet et aux nouvelles technologies, tout le monde existe, même l'Afrique et les pauvres Africains, affamés, sous dictature ou autre malédiction divine. "Je suis vu, donc je suis." Maintenant, l'Afrique a la possibilité de raconter son histoire avec ses mots, et de se montrer comme elle se voit ou souhaiterait être vue.



La télé, malheureusement, montre rarement l'Afrique sous son meilleur jour, ce qui, au-delà de renforcer cette image de terre de désolation sans futur possible auprès des non-résidents-sur-le-continent-africain, conditionne les autochtones eux-mêmes, qui se retrouvent convaincus que tout est joué d'avance et que jamais nous ne nous en sortirons.



Soit c'est du mépris, ou pire de la pitié / Comment respecter des éternels assistés / Tellement de préjugés, merci la télé. Lobotomisé, s'auto-dénigrer (Extrait de Fafarina*.)



Je pense à ces livres d'histoire qui regorgent d'"histoires" allant même parfois jusqu'à nous dire que nous n'en avons pas. Tout cela déstabilise, installe le doute et tue le rêve. Tout changement commence par un rêve. Du rêve, on passe à l'idée qu'il peut devenir réalité. Et quand on a foi en cette idée, on fait ce qu'il faut pour lui donner vie. Les Africains veulent que les choses bougent, et elles bougent forcément vu que les Africains ont eux-mêmes déjà "bougé". Cela est un fait. Mais peu importe la direction que va prendre ce déplacement, l'élément indispensable pour transformer ce mouvement en force est l'éducation, l'alphabétisation, une bonne formation scolaire, gratuite et accessible au plus grand nombre.



Depuis 90, l'école malienne, glisse dans la crise / Les solutions proposées frisent le ridicule / Des élèves et des étudiants que nul ne calcule / Voilà venir l'heure du pécule / Secteur privé, oui développé, Education nationale, oubliée / Un pauvre n'a pas besoin d'instruction. Juste appliquer les instructions (Extrait de Kalan)*.



L'Afrique d'aujourd'hui sait que personne ne viendra la sauver. On émigre de moins en moins attiré par les lueurs d'un mirage de luxe et de société parfaite, mais de plus en plus parce que ce n'est pas possible de rester sur place, on croit que c'est invivable.



Même si les Africains ont muté, il manque un élément indispensable. Il faudrait plus de Nelson Mandela, plus de Thomas Sankara pour faire revivre la flamme et le rêve avec la force d'y croire. Pour le moment, c'est l'envie d'y croire qui est la plus répandue. Mais peu sont ceux qui y croient réellement. Moi j'y crois, je sais que l'Afrique à venir est déjà là, et j'aime ce que je vois même si tout est perfectible.



Bamako, novembre 2010.



Amkoullel

http://www.lemonde.fr/international/article_interactif/2010/12/04/huit-ecrivains-africains-racontent-l-afrique-qui-vient_1447623_3210_4.html

Lorsque l’on observe l’Afrique culturelle, on a un sentiment malaisé à la fois de foisonnement et d’indigence: tout est à la fois incroyablement diversifié, haut en couleurs, et indéfiniment… folklorique ! Que l’on compare les cérémonies d’ouverture de jeux olympiques ou de phases finales d’événements sportifs dans d’autres continents avec ce que l’Afrique offre habituellement dans les mêmes circonstances, que l’on scrute l’univers musical, littéraire et j’en passe, et du coup les afro-pessimistes vont trouver une abondante matière pour étayer leurs vues. « Et si l’Afrique refusait le développement ? », s’interrogent certains, comme si une telle chose était seulement pensable. Dans ce paradoxe est inscrite la nature même des problèmes que l’Afrique doit affronter dans le champ culturel aujourd’hui et demain : comment transformer une incroyable densité virtuelle en réalités, et créer les conditions d’une culture vivante, dynamique, épanouie et compétitive ? L’Afrique serait de ce point de vue une mine presque vierge de matières premières culturelles. Le défi consiste à explorer ce champ, à en mettre au grand jour les possibilités puis les transformer pour leur donner de la valeur ajoutée culturelle. Cette tâche ne saurait aller de soi : elle doit être stratégiquement pensée et exécutée avec détermination et foi. Pour le faire, aussi faut-il réunir un consensus sur quelques préalables : qu’est-ce que le culturel et en quoi peut-il impulser le développement de l’Afrique ? Dans la situation actuelle, quelles possibilités existe-t-il en Afrique pour quel avenir culturel ?




I. De l’importance du culturel dans le processus de développement de l’Afrique




« Que faire ? », s’interrogeait Lénine en 1902.

Cette question chez lui exprimait la nécessité d’une théorisation préalable à toute action qui vise l’efficacité. En Afrique, l’une des questions centrales pourrait être : « Par où ou par quoi commencer ? ». Ici les avis sont très partagés : pour certains, il faut commencer par la culture ; pour d’autres, le préalable c’est indiscutablement la science et la technique. Le marxisme est passé par là et a laissé des traces profondes, des ornières. Des philosophes compatriotes comme Marcien Towa et Ebénézer Njoh Mouelle se sont longuement opposés sur ce choix. La vie n’est qu’un ensemble de questions, et chaque pas que nous effectuons, chaque geste que nous accomplissons est une réponse à une de ces questions. Et chaque réponse, si infime soit-elle, nous situe quelque part. C’est dans ce sens que Cheikh Hamidou Kane affirmait que « La civilisation est une architecture de réponses » .



Par où commencer en effet ? Cheikh Anta Diop a aussi répondu à cette question. Parce que « L’usage de l’aliénation culturelle comme arme de domination est vieux comme le monde », il accorde dans Nations nègres et culture la préséance à la résolution des problèmes culturels dans la lutte pour le développement : « l’on ne s’occupe de ces problèmes de culture que pour donner à cette lutte toute son efficacité » , écrit-il. Un préalable donc, si on prend son propos dans sa profondeur. Il reste cependant un point qu’Anta Diop ne semble pas avoir résolu : qu’entend-on par culture ? Qu’est-ce qui fonde ce que l’on appelle le culturel et en fait un phénomène si important et indispensable pour les peuples ? Cette interrogation devient cruciale lorsqu’on lit dans la préface de l’édition de 1954 de Nations nègres et culture la mise en garde contre le phénomène religieux que l’auteur adresse à son lecteur : « Mais comprenons-nous bien. Je tiens à dire que je ne fais aucune allusion à la véracité de la religion musulmane ou chrétienne. Je pense que tout Africain qui veut être sérieux dans son pays à l’heure actuelle évitera de se livrer à des critiques religieuses. La religion est une affaire personnelle » . Et il ajoute en manière d’insistance : « Ici il est question uniquement des problèmes concrets qui doivent être résolus pour que chaque croyant puisse pratiquer librement sa religion dans des conditions matérielles meilleures» . Peut-on traiter efficacement la question culturelle séparément du phénomène religieux ? Il apparaîtra à l’analyse que non : la question religieuse ne peut guère être évitée si l’on tient à aller au fond de la question culturelle.




La question religieuse est en effet celle de la liaison entre l’Esprit et le monde naturel, entre l’esprit et la matière, la pensée et l’action concrète. Il s’agit de tout un parcours que l’on devrait se garder de tronquer : la matière existe d’abord en esprit, c’est pour cela que l’on parle de « matérialisation ». Que l’on supprime l’esprit, et il n’y a plus aucune possibilité de matérialisation. Or l’esprit par excellence, c’est « l’Esprit ». Nous avons traité en détail de cette question dans Demain sera à l’Afrique . De façon plus schématique, disons ici que la nature est le mode de vie de Dieu comme la culture est le mode de vie de l’homme. Or vivre, c’est penser et agir. C’est dire que la nature reflète ou traduit le mode de penser et d’agir de Dieu – Il dit que la lumière soit et la lumière fut, et il vit que cela était bon – de même que la culture reflète ou traduit le mode de vie de l’homme ou d’une société, comme l’écrivait d’ailleurs Ralph Linton . Comment dès lors séparer «l’Esprit » qui renvoie à Dieu donc à la religion, de « l’esprit » qui renvoie à l’homme par un phénomène de miroir ? L’Esprit premier, parce que très puissant, ordonne que la réalité soit, et celle-ci est. L’esprit humain doit lui aussi être fort ou se fortifier pour déplacer la montagne, en d’autres termes produire des œuvres fortes. Regardons à travers l’histoire toutes les grandes civilisations sur tous les continents : les Mayas, les Incas, les Egyptiens anciens, les Hindous, les Grecs, les Romains, les Arabes… Chacune d’elles a été portée par une grande religion. « Mais quelle relation y a-t-il entre la religion et la science puis la technique ? », va-t-on me demander.



L’on a en effet l’habitude d’opposer culture et science : la culture, dit-on, c’est moi, tandis que la science, c’est nous. Un tel cloisonnement est déjà le résultat d’une évolution culturelle, d’une conception du monde qui se bâtit sur une contre-culture plutôt que sur une culture . Dans l’Egypte ancienne, science et religion n’étaient guère séparées, si bien que les architectes des pyramides comme les astronomes qui ont inventé le calendrier que nous utilisons encore aujourd’hui étaient des prêtres. L’hindouisme comme le bouddhisme ne séparent pas non plus science, philosophie et religion. La Grèce antique par contre est la première civilisation qui opère cette séparation : l’école ionienne qui est la plus ancienne école philosophique en Grèce pose les bases d’une vision matérialiste du monde qui en exclut la divinité comme principe créateur. Du coup, la culture s’appauvrit peu à peu jusqu’à se réduire à ses manifestations matérielles. J’imagine ce que l’on pourrait objecter à cette argumentation : et si c’était le prix à payer pour être efficace ? Apprendre à vaincre sans avoir raison comme nous y invitait la Grande Royale des Diallobés.




Imaginons un monde qui fait un tel choix, le choix de l’efficacité matérielle dépouillée de tout spirituel, le choix en fait de l’intelligence pur. L’intelligence est comme l’on sait une faculté purement matérielle de l’homme et ceux qui l’associent à l’esprit n’ont encore rien compris. Elle est si matérielle qu’on peut la reproduire chez des machines. Elle est liée au cerveau de l’homme et aux caractéristiques de cet outil naturel : plus votre cerveau est performant et plus vous êtes intelligent. S’il est amoindri, endommagé disons par un accident, vous devenez d’autant moins intelligent. L’intelligence est donc une faculté mécanique, subtile mais mécanique parce que son degré d’intensité dépend de la mécanique cérébrale. Sa qualité toutefois dépend d’autre chose que le cerveau : elle dépend de l’homme, de ce « moi » profond dont le cerveau n’est qu’un prolongement, un outil juste un peu moins vulgaire que le reste du corps physique. Et cet homme-là, c’est l’esprit qui précède la chair, qui en amont se prolonge de la mécanique corporelle physique. S’il n’existe pas ou plus, si on l’a tué, la mécanique se désagrège ou alors, si elle lui survit, elle devient libre, sans contrôle, autant dire sans conscience. C’est de cela que parlait François Rabelais lorsqu’il parlait de « science sans conscience ». Conscience, la science « avec », la science sous contrôle. Et c’est ce contrôle que fait naître la conscience qui permet à l’intelligence, en face du fouillis de questions que nous présente la réalité, de bâtir une architecture de réponses orientées dans un sens favorable ou défavorable à l’humain, c’est-à-dire une civilisation humaine ou inhumaine. En supposant que ce préalable est admis, il reste un sérieux handicap à franchir : au regard du caractère particularisant de la culture (caractère encore plus marqué dans sa composante fondamentale qu’est la religion), celle-ci ne va-t-elle pas surtout diviser l’Afrique et aggraver les problèmes qui sont les siens ?




II. Configuration culturelle de l’Afrique actuelle



Au plan culturel, l’Afrique est aujourd’hui fortement divisée. Les religions importées constituent un des facteurs principaux de cette division mais il y en a d’autres. Au-delà de toutes les divisions existantes, il y en a toutefois une qui est préoccupante, celle qui sépare l’Afrique « supsaharienne » de l’Afrique subsaharienne. Elle opère en fait une mutilation de l’Afrique. Cette sous-région, appelée désormais « MENA » pour « Middle east and North Africa » est rattachée au Moyen-Orient arabe et non à l’Afrique. La plupart des organisations internationales sont en train de se conformer à cette restructuration de l’Afrique. Suivez une chaîne comme « France 24 » : elle présente « une semaine en Afrique » où il est question uniquement de l’Afrique subsaharienne, à côté d’ « une semaine au Maghreb » ou au Moyen-Orient. Cette manière d’ignorer superbement la géographie donne à réfléchir : qu’est-ce qui a rendu une telle chose non seulement possible mais acceptable et acceptée ? La réponse la plus simple, c’est la culture.



Ce qui unit l’Afrique à l’exclusion de sa bordure méditerranéenne, c’est la culture. Mais quelle culture ? Nous avons dit que l’élément central de toute culture est religieux. Or le nord de l’Afrique au-delà du Sahara est musulman. Et si l’élément central de leur culture était l’islam, ce même élément les relierait au reste de l’Afrique musulmane : Sénégal (91% de musulmans), Somalie (plus de 99% de musulman) sans compter un grand nombre de pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, islamisés depuis près de dix siècles. Pourquoi une telle logique ne s’applique-t-elle pas ? Parce qu’à notre avis, cet élément religieux se superpose à d’autres éléments de même nature formelle mais de contenus différents, et qui sont plus fondamentaux. C’est aussi pour cela que cette entité géopolitique appelée MENA est malgré tout hétéroclite. On entrevoit les fondements de la résistance berbère dans toute cette région qui s’étend de la côte atlantique de l’Afrique à la Mer rouge.



Comme peut le montrer une analyse plus profonde que nous ne pouvons faire dans le cadre de ce modeste exposé, ce ne sont pas les religions importées qui divisent ou unissent le plus profondément l’Afrique, ce sont les éléments religieux antérieurs, préislamiques et préchrétiens, qui fragmentent ou cimentent l’Afrique. De même, en Afrique du Nord, dans cette région majoritairement arabe depuis les conquêtes musulmanes des VIIè et VIIIè siècles, ce sont des éléments culturels/religieux préislamiques donc arabes qui poussent au panarabisme. Chaque région du monde a un fonds religieux traditionnel sur lequel peuvent se greffer plus tard des croyances nouvelles. Si ces nouvelles croyances sont fondamentalement opposées au fonds primitif, la greffe peut donner l’impression de prendre mais elle ne tiendra pas sur la durée. Elle peut profiter d’un moment d’affaiblissement des croyances locales pour occuper le vide : tôt ou tard, lorsque ces croyances refont surface, elles réoccupent le terrain perdu.




Quelques exemples s’imposent ici. Le bouddhisme se sent chez soi dans la plupart des pays asiatiques du sud et de l’est parce qu’il s’est greffé, surtout dans la péninsule indienne et alentour, sur les croyances védiques fort répandues dans cette région en en adoptant les éléments fondamentaux de base. De plus, il s’est épanoui durablement parce qu’il évoluait dans son aire culturelle de naissance. Le dynamisme de l’islam au Moyen-Orient, centre à partir duquel il irradie et part à la conquête du monde, tient également au fait qu’il a intégré au départ un fond préislamique important lui permettant de fédérer autour de lui les populations de la région. Son symbole le plus puissant, la « Kaaba » ou « Maison de Dieu », était déjà un lieu de pèlerinage et considérée comme le sanctuaire le plus important (de l’arabe, haram) de l’Arabie prémusulmane. De même, en construisant la révélation coranique sur le judaïsme, Mahomet opérait une intelligente jonction avec les croyances originelles d’un peuple faisant partie du grand ensemble sémite, et donnait au nouvel édifice une base d’une remarquable solidité. Ces avantages qui ont été ceux de l’islam sont presque inversés pour ce qui concerne le christianisme. Importé en Occident, il n’a eu que des difficultés à s’adapter dans cette région où il s’imposait sur une culture qui, bien qu’originaire elle aussi d’Asie, avait eu le temps de se différencier considérablement. Les rapprochements que l’on pourrait faire entre certains aspects du Havamal (le destin de Baldr n’est pas très différent de celui de Jésus-Christ) ne suffisent pas vraiment à créer une véritable osmose. Par là pourrait également s’expliquer la crise de la foi dont souffre l’Occident aujourd’hui.



Il est donc, à mon sens, inutile pour cette réflexion de dresser la carte des religions importées en Afrique. Si celles-ci prospèrent, c’est qu’elles ont rencontré un vide à occuper. Si elles divisent l’Afrique, ce ne sont que des divisions superficielles et provisoires. Si elles unissent, ce ne sont que des unions précaires qui volent en éclats lorsqu’intervient un facteur plus fondamental d’union. Nous ne voulons pas sous-estimer l’impact actuel et futur des religions étrangères en Afrique. Les événements tragiques orchestrés par la secte Boko Haram au Nigeria suffisent à nous en dissuader. C’est le christianisme qui a façonné l’Europe (l’Occident) d’aujourd’hui, à partir de l’empire romain, cela fait maintenant près de 1700 ans. Il n’a pas réussi à effacer le fonds religieux primitif de cette partie du monde, fonds qui, pour des observateurs attentifs, est de plus en plus vivace avec le temps. Le romantisme au XIXè siècle, sans encore renier le christianisme, inaugurait déjà un retour au fonds culturel primitif de l’Occident ; le surréalisme devait aller plus loin dans cette voie. La philosophie allemande de Nietzsche ne mâchait pas ses mots contre le christianisme.



Au regard de tout ce qui précède, quelle configuration culturelle l’Afrique devra-t-elle adopter pour donner une fondation solide à son projet de développement ?



III. Quelle culture pour l’Afrique de demain ?



La culture de l’Afrique de demain, nous l’avons dit, est déjà virtuellement présente dans celle d’aujourd’hui : il s’agit de bien l’identifier, de lui donner une chance d’émerger, de se développer et de s’épanouir. Ce parcours esquissé nous rappelle un principe fondamental : développer, c’est modifier les dimensions de quelque chose qui est déjà là.




La première condition d’un développement culturel africain durable sera de partir non d’un ou de plusieurs emprunts, si brillants soient-ils, mais d’éléments endogènes que l’on peut au besoin enrichir d’emprunts. L’hindouisme, l’une des plus importantes religions du monde (700 à 750 millions d’adeptes et une richesse qui fascine le monde entier) est un exemple indiscutable.



Sa base, qu’il a conservée, remonte à 2000 avant notre ère, dans la vallée de l’Indus. L’irruption des Indo-Aryens autour de 1500 avant notre ère vint non pas y faire table rase de la culture védique originelle mais l’enrichir. Ainsi le panthéon à prédominance masculine des Indo-Aryens est-il venu simplement enrichir celui de l’Indus dominé par la déesse-mère, si bien que dans l’hindouisme tardif survécurent les principaux dieux védiques. Par là, la culture indienne a pu assurer une continuité qui relie chaque génération à son passé le plus ancien. Simultanément, l’hindouisme est resté très ouvert. S’il a exercé une remarquable influence sur d’autres religions, l’hindouisme a également été influencé par ces mêmes religions, grâce à sa capacité à absorber des apports exogènes et à laisser la porte ouverte à une grande variété de pratiques.

Il a déjà été largement démontré que la culture africaine est héritière de celle de l’Egypte ancienne (Il faut renvoyer notre lecteur à la démonstration la plus scientifique jusqu’ici, celle de Cheikh Anta Diop dans la plupart de ses ouvrages). Le modèle égyptien est celui à travers lequel une civilisation africaine (même dans l’hypothèse minimaliste où son seul critère d’africanité se fût limité au droit du sol, or c’était loin d’être le cas) a atteint l’un des sommets les plus élevés de la civilisation mondiale de tous les temps. Ne pas s’en inspirer serait une faute à plus d’un titre : ce serait un reniement de soi incompréhensible ; ce serait, dans la grande diversité actuelle, se priver d’un élément fédérateur susceptible de faciliter le consensus ; ce serait enfin se refuser une chose que les autres civilisations ne se sont guère refusées alors même qu’on y a plus de droits que ces autres.




Lorsqu’elle succéda à l’Egypte, la civilisation grecque lui prit ce qu’elle pouvait lui prendre (sa science, sa technique, sa pensée…) mais uniquement comme enrichissement de sa propre culture. Ainsi, les théorèmes appris en Egypte devinrent ceux de Thalès ou de Pythagore ; la déesse égyptienne Hathor devenue déesse de l’amour avec les traits d’Isis sous le Nouvel empire prit chez les Grecs le nom d’Aphrodite ; Thot le messager égyptien des dieux devint le Grec Hermès… Ainsi, la Grèce ne fut pas une simple continuité de l’Egypte : ce fut la Grèce enrichie de tout ce qu’elle pouvait prendre à l’Egypte et aux civilisations alentour. De même, quand l’Europe adopta le christianisme, il dut l’adapter à son fonds religieux primitif : c’était une religion phallocentrée qui s’installait dans un univers qui avait toujours rendu un culte à la déesse-mère ; il apparut vite nécessaire de faire jouer un rôle important à la Vierge Marie, les sanctuaires de la déesse-mère devenant, après avoir servi Isis l’Egyptienne, ceux de la Vierge.



De tout ceci, il découle qu’aucun peuple ne peut s’appuyer pour se développer sur une culture dont il n’est pas le centre. L’Afrique d’aujourd’hui se trouve à la périphérie des grands courants religieux qui la dominent. Ainsi, les chemins des Africains mènent tantôt à Rome, tantôt à la Mecque. L’histoire nous enseigne que ce schéma a toujours servi le centre et que pour se développer, il a toujours fallu aux peuples ambitieux opérer une rupture pour se constituer en un nouveau centre culturel.



  • L’islam tout au long de son histoire s’est battu pour conserver son centre en Arabie, là où il était né. Il a fait de l’arabe sa langue sacrée, précaution supplémentaire. Tout musulman doit donc adopter les coutumes vestimentaires arabes (et non musulmanes), séjourner à la Mecque au moins une fois dans sa vie, apprendre l’arabe pour faciliter son contact avec la divinité etc. La succession du prophète fut un sujet particulièrement brûlant pour la communauté musulmane originelle, un problème qui était posé en termes de légitimité. Elle provoqua un certain nombre de schismes. Ainsi naquirent successivement les chiites (partisans d’Ali le gendre du prophète), puis les Kharidjites et enfin les sunnites. En constituant ainsi dès le départ l’islam sur une base dynastique, les premiers musulmans prenaient des précautions pour s’assurer la maîtrise du centre d’une religion qui entendait se mondialiser.
  • Le christianisme nous propose une seconde illustration. Né en Orient, en Judée, le christianisme était à la naissance une religion périphérique de l’empire romain. Pour le mettre à son service et à celui de l’empire romain, Constantin Ier le Grand comprit qu’il fallait faire de Rome son siège. Le concile qui mit la nouvelle religion en phase avec l’empire romain se tint à Nicée, en Asie mineure dans la Turquie actuelle, sous l’égide de l’empereur romain qui sélectionna soigneusement ses participants, assura leur transport jusqu’à Nicée, leur facilita le séjour… En retour, ils firent le « job », pour utiliser un terme à la mode. Lorsque l’empire romain se scinda en deux, les chrétiens d’Orient désormais en majorité citoyens de l’empire byzantin établirent leur propre centre religieux à Constantinople. On pourrait aller plus loin : le cas de l’Eglise d’Angleterre est remarquable. On peut difficilement séparer l’évolution de celle-ci de l’histoire des conquêtes normandes de Guillaume le Conquérant et de l’influence continentale qui s’en suivit et qui fut fort mal ressentie sur l’île britannique par les Saxons. On sait que sur le continent Charlemagne d’abord, puis Othon Ier et ses successeurs tentèrent de s’appuyer sur Rome pour bâtir un empire chacun à son profit. Il n’est pas indifférent non plus que l’Angleterre qui domine le monde jusqu’à la fin du XIXè siècle fut au départ élisabéthaine, Elisabeth Ier étant celle qui a rétabli la suprématie de l’Eglise anglicane en Angleterre.

Quelles sont les chances pour que l’Afrique se constitue en un centre autonome d’une des deux grandes religions qui se partagent ses citoyens aujourd’hui ? Dans la sphère chrétienne, l’Angleterre l’a fait, l’Orient byzantin l’a aussi fait (Les tsars de Russie ont également un temps nourri une telle ambition). L’Amérique latine a adopté une théologie dissidente, la théologie de la libération grâce à laquelle cette zone a pu forcer la main au Vatican et donner un nouveau souffle à la lutte pour son développement dans la justice. Dans la sphère musulmane, la capacité du centre à intégrer la dissidence pour l’absorber est remarquable. Cette solution, si elle pouvait aboutir, reviendrait de fait à consommer le partage de l’Afrique sur la base des deux principales religions étrangères de l’heure. Or ces deux religions sont dans une logique de confrontation qui s’exporte déjà en Afrique comme le montre le cas du Nigeria. Pourquoi l’Afrique devrait-elle s’engager dans la guerre des autres au point de l’importer sur son propre sol pour en faire un instrument de sa désintégration ? Il faut donc revenir au fonds primitif africain avec ses faiblesses et ses atouts.



L’obstacle principal qu’il faut en effet franchir est celui de la facilité, qui est un des principaux handicaps de la société de consommation que le programme libéral a mis en place depuis la fin du XIXè siècle. La taylorisation prêchait en effet déjà la division des tâches au sein de l’entreprise avant que les penseurs et les décideurs du Nord ne l’étendent au reste de la planète sous la forme d’une division internationale du travail. Pourquoi vous donner la peine de penser quand il y a déjà des gens qui pensent pour vous ? C’est tellement moins fatigant et plus pratique de consommer ! D’où la vogue des prêts-à-penser, à-porter… Il y a déjà une culture dernier cri toute prête à consommer : autant l’adopter, au besoin y faire quelques petites retouches, sous contrôle de peur de vous voir la défigurer. N’est-ce pas là le programme de l’inculturation ? La facilité est la voie royale de l’impasse. Il n’y aura pas d’émergence de l’Afrique sans un véritable décollage culturel de l’Afrique. Et il n’y aura pas de décollage culturel de l’Afrique sur la base d’une stratégie de la facilité.

L’Afrique du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest bénéficie déjà de l’atout d’une unité culturelle profonde au-delà de la diversité de surface. Il s’agit cependant d’un appareil culturel en friche, menacé de sclérose et de disparition à terme. Ses principales faiblesses depuis la fin de l’Egypte ancienne sont au moins au nombre de deux : il est retourné à l’archaïsme et a perdu toute ambition de conquête, la seconde faiblesse découlant logiquement de la première.

Dans un monde où la place que chacun occupe dépend étroitement de celles occupées par tous les autres colocataires, il y a une naïveté mortelle à penser que l’on va conserver les bras croisés des acquis en face de concurrents qui déploient des moyens colossaux pour vous les arracher. Regardez la qualité des fascicules que produisent les Témoins de Jéhovah et imaginez les volumes qu’ils impriment par jour : eh bien, ils les distribuent presque gratuitement à travers le monde ! Et vous, que faites-vous pour votre culture ? En conservant en l’état ces paramètres, qui pensez-vous qu’il l’emportera à terme ? Vous ou les Témoins de Jéhovah ? Il faut sortir de la naïveté et vivre le monde tel qu’il fonctionne. L’Afrique culturelle doit donc passer à l’offensive pour regagner le terrain perdu. Mais passer à l’offensive avec des armes éculées pour avoir quelles chances lorsque l’adversaire a modernisé les siennes et les a rendues infiniment plus efficaces ?

L’Afrique doit moderniser son appareil culturel pour le sortir du stade folklorique. C’est probablement l’action la plus importante à entreprendre dans les années à venir. En quoi cette modernisation devrait-elle consister ?

D’une part en une élaboration théorique : l’Afrique a besoin de systématiser ses croyances. Systématiser, ce n’est pas uniformiser, c’est construire des ponts et tracer des boulevards vers des carrefours. La religion des Grecs anciens qui a tant marqué le monde n’avait pas procédé autrement. Lisons et méditons cet extrait de l’Anthologie Mythologies : « Chaque île de la mer Egée semble, à des titres divers, avoir contribué à la mythologie grecque. Le génie grec se lit à livre ouvert dans la complexe interpénétration des récits mythologiques. Les thèmes communs aux différents récits, tels les constants déplacements des dieux, permirent aux conteurs successifs d’assembler les multiples traditions insulaires en un impressionnant corpus structuré et cohérent » . Même dans l’Egypte ancienne, le clergé de Thèbes dans ses élaborations se distinguait de celui d’Héliopolis et ainsi de suite. Cela n’avait pas empêché une remarquable unité profonde de la religion égyptienne, la seule rupture profonde, d’ailleurs si mal vécue que les Egyptiens s’employèrent à la gommer entièrement à la première occasion, venait des Hyksos (leur nom indiquant d’ailleurs leur origine extérieure). Ces derniers en effet tentèrent de greffer sur l’arbre de la religion égyptienne le culte de Baal et firent malencontreusement de Seth, dieu du mal égyptien, le principal dieu de leur règne. Concernant l’hindouisme, il est avéré que « La quasi-totalité des hindous révèrent Shiva et Vishnou, mais ils vénèrent également des centaines d’autres déités mineures qui peuvent être spécifiques à un village ou même à une famille » .



D’autre part en une modernisation des outils et de l’appareil rituel des cultes africains.

Chaque religion doit avoir les médias de son époque, de peur d’être rejetée comme faisant partie de l’époque de ses médias, c’est-à-dire du passé. Nous avons traité longuement cette question des médias dans un ouvrage à paraître, Médias et civilisations. A l’époque du livre et de l’ordinateur, nos cultures doivent aussi investir ces supports. Toutes les religions sont passées par là. L’un des plus anciens textes sacrés de l’hindouisme, le Rigveda, composé au nord-ouest de l’Inde entre 1300 et 1000 avant notre ère, fut transmis oralement jusqu’à nos jours avant d’être écrit. Avant Hésiode, la mythologie grecque n’était qu’un corpus de récits oraux. Les textes de l’ancien testament furent d’abord des récits oraux avant d’être rassemblés et systématisés, pense-t-on, par Moïse, du moins pour ce qui concerne le pentateuque. Une fois les récits mis sur papier, il ne reste plus qu’à laisser la magie du temps opérer. L’autre aspect et non des moindres consiste en la modernisation de l’appareil rituel et cérémoniel. Lorsqu’ Elisabeth Ier d’Angleterre rompit avec Rome, elle conserva le faste du rituel catholique romain. En cela, elle montrait bien qu’elle comprenait parfaitement la grammaire des médias. Des cultes qui se sont pratiqués aux pieds des arbres il y a des centaines d’années quand les arbres tenaient lieu d’habitations y sont restés quand l’habitat a évolué. Ainsi, laissant derrière lui sa culture, l’Africain avance main vide vers un futur qui n’est pas vraiment le sien. Il a ainsi confondu la maison du culte avec le culte lui-même, et donne l’impression qu’en changeant la maison et les habits du culte, il aurait changé le culte même. Les médias ne sont que des outils et il faut savoir les hiérarchiser pour les diversifier et les moderniser. Dans Demain sera à l’Afrique, nous avions déjà commencé à attirer l’attention sur l’importance de ce phénomène d’un type particulier : les médias dont se sert notre culture peuvent la faire gagner en visibilité et en capacité d’attraction ou la rejeter dans l’obscurité et développer à son endroit des réflexes de répulsion :

« Matérialiser, disions-nous, c’est amener à l’existence « véritable », c’est donner la preuve irréfutable de l’existence, c’est manifester. Nous nous situons d’emblée ici sur le terrain des moyens.

La matière est la condition sine qua non de la manifestation de l’esprit. Quand elle est faible, elle manifeste faiblement l’esprit qu’elle incarne ; forte, elle le manifeste fortement » .

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Demain sera à l’Afrique, Paris, l’Harmattan, 2008. Vous pouvez retrouver cet article et d’autres du même auteur sur http://demainlafrik.blog4ever.com

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