Semou Mama Diop : un monde s'effondre 19/09/2011



Chronique sur la conjoncture mondiale et la Françafrique Par Semou Mama Diop

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Zine El Abidine Ben Ali Zine El Abidine Ben Ali© reuters

Nous vivons une singulière époque.

L’Histoire est décidément une dame imprévisible et capricieuse. Autrement, comment expliquer qu'après plusieurs décennies d’une léthargie affligeante, elle s’éveille et expose ses charmes au monde entier ? Qu'est-ce qui laissait augurer à l’orée de cette année le soulèvement des peuples du Maghreb et du Moyen-Orient ? Le suicide d’un pauvre marchand aura servi de prétexte à la rue arabe pour battre l’hallali des dictatures anachroniques et apporter un démenti cinglant à ceux qui, grands clercs en la matière, dans les salons de Paris, Londres et Washington s’évertuaient à expliquer que la démocratie et la liberté étaient des outils trop sophistiqués pour les hommes aux burnous.

Ben Ali, Moubarak, Kadhafi...aujourd'hui conspués et humiliés à juste titre par leurs peuples, ont été des héros, mais le temps d’une rose. Ils avaient suscité, à leur accession au pouvoir, tant d’espoirs et de rêves, que la désillusion n’en fut que plus forte

Ben Ali, Moubarak, Kadhafi...aujourd'hui conspués et humiliés à juste titre par leurs peuples, ont été des héros, mais le temps d’une rose. Ils avaient suscité, à leur accession au pouvoir, tant d’espoirs et de rêves, que la désillusion n’en fut que plus forte. Ils ne furent pas seulement des tyrans, ils ont été castrateurs de la puissance onirique de plusieurs générations. Leur chute constitue une renaissance inespérée pour ces nations. Elle est également porteuse d’un enseignement fondamental : si l’Histoire a un sens, aucun savant ou thaumaturge n’est parvenu à conjecturer sa cadence, annoncer sa direction, tant il est vrai que la vérité est profondément enfouie dans le mensonge.

La crise économique en Europe et en Amérique du Nord en est une parfaite illustration. Elle met au grand jour une des plus grandes escroqueries intellectuelles de l’histoire des Sapiens. Parce qu’il est aussi fallacieux que la royauté de droit divin et tout aussi pernicieux que la théorie sur l’inégalité des races de Gobineau, le sophisme de l’autorégulation des marchés (La Main invisible) a asphyxié et conduit à la ruine l’économie occidentale en promouvant la spéculation à outrance et l’avènement des agences de notation, véritables veaux d’or qui, en trois lettres, scellent le destin des nations.

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Robert Bourgi

Robert Bourgi© rtl.fr

Profitant de la lâcheté et de l’inféodation des gouvernants mais aussi de la crédulité des gouvernés, les banquiers se sont emparés, dans l’impunité totale, de la richesse mondiale. Ils doivent leur colossale fortune à des décennies de manœuvres dolosives couvertes par un système cousu sur mesure pour leurs basses besognes.

Malheureusement, la cupidité n’est pas l’affaire des uniques banquiers. L’avocat Robert Bourgi parle sans vergogne de ses nombreuses années passées au service de la Françafrique, ces réseaux mafieux mis en place par le général de gaulle pour empêcher la vraie décolonisation de l’Afrique. Mais "le temps est un enfant qui joue", disait Héraclite. Et son jeu d'aujourd’hui est de dénouer les liens qui entravent les opprimés. Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire comme les révolutionnaires libyens doivent comprendre qu’ils ne doivent rien à Sarkozy, Cameron et Obama. Si, pour une fois, ils se sont mis du côté de la liberté, c’est uniquement pour leurs objectifs stratégiques. La démocratie et les droits de l’homme ne sont nullement leurs motivations premières mais leurs prétextes.

++Le temps des tyrans est révolu. Le communisme est enterré, le capitalisme est malade de ses excès, la Françafrique est aux abois ++

Le temps des tyrans est révolu. Le communisme est enterré, le capitalisme est malade de ses excès, la Françafrique est aux abois. Un monde s’effondre. L’horizon est dégagé pour la marche des opprimés. C’est de cette bonne nouvelle que je voudrais m’entretenir avec les gens d’Afrique. Cette bourrasque qui souffle à travers le monde ne nous laissera pas indemnes. Nous ne sommes pas des proto-humains, nous ne serons pas en marge de ce grand bouleversement de l’humanité.

Omar Bongo et Mobutu Omar Bongo et Mobutu

Certes, nous ne sommes plus du temps des Idi Amin Dada, Bokassa et Mobutu, mais il reste des résidus persistants de cette sombre période et le défi immense du développement nous attend. Le chemin est encore long, très long pour arriver à bout des guerres civiles, de la sécheresse, de la famine...

Très long, mais "un voyage de mille lieues commence par un premier pas" enseignait le sage Confucius. Commençons donc à changer les paradigmes, émancipons-nous des cancans, renonçons à ces théories mentalement confortables mais ô combien stériles et intellectuellement dépravantes. Pour nous construire un devenir mirifique, n’hésitons pas à tremper nos mains dans la boue et la bouse, à sortir des sentiers battus, à emprunter des chemins de traverse, à fomenter des barbarismes, des utopies, des univers sui generis.

Préservons-nous du mur de la honte, cet édifice qui s’érige et se solidifie avec la mise sous le boisseau de nos capacités réelles, cette barrière qui s’installe entre nous et nous-mêmes, qui dresse à quelques encablures les frontières du possible, nous contraint à la résignation et nous empêche d’aller chercher au tréfonds de notre conscience les ressources nécessaires pour défier les marées et les tornades, les déserts et les fournaises. Notre crédo est d’exercer une lieutenance sur notre destin.

Semou Mama Diop Semou Mama Diop

Il est rédhibitoire de penser que notre pauvreté est une volonté du Ciel. Mettre une intention divine sur notre situation économique, c’est faire aux forces spirituelles un procès malhonnête consistant à leur mettre sur le dos les maux du monde et notre incapacité à nous assumer. Une manière de leur reprocher l’absurdité de notre existence. L’allégorie biblique de la Création est à ce titre remarquable. Au sixième jour Dieu créa l’homme et au septième Il se reposa.

En effet, pourquoi nous attribuer tant de matière grise si c’était pour nous signifier notre incompétence et décider à notre place ? « L’homme est l’essence de toute chose ». Que nous le voulions ou non ce prométhéen sacerdoce est le nôtre. Il nous rend, comme dirait Sartre, « tous responsables de tout devant tous ». Notre rôle n’est pas d’être en contemplation passive de la nature mais d’agir encore et toujours sur elle, de la séduire, la posséder et l’ensemencer.

En Afrique plus qu’ailleurs, le défi du développement est avant tout un combat politique, nous devons éloigner du pouvoir tous ceux qui ne sont pas prêts à accompagner la révolution mentale, culturelle, qui s’impose. Beaucoup d’entre nous pensent que la politique n’est pas leur affaire. Ils font fausse route. Car la dictature n’est pas la liberté, la guerre ne ressemble pas à la paix, la pauvreté n’est pas synonyme de l’opulence. Or, toutes ces alternatives sont d’essence politique et sont de notre ressort, notre responsabilité.

Répondons présents à ce nouveau rendez-vous de l’Histoire.

Un monde s’effondre.

Un monde est à bâtir.

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