1. Introduction : relativité générale et espace-temps

L’un des résultats les plus intéressants de la physique du 20ème siècle est le fait qu’elle présente une théorie synthétique de l’univers sous la forme d’un scénario historique. C’est la théorie dite du « big-bang », dont les éléments fondateurs remontent au début du 20ème siècle. En 1916, Albert Einstein formula la théorie de la relativité générale, qui généralise et complète la théorie de la gravitation de Newton. Presqu’un siècle plus tard, la relativité générale est toujours la théorie la plus achevée dont nous disposons pour décrire les phénomènes de gravitation.

En même temps qu’elle est une théorie de la gravitation, la relativité générale est également une théorie de l’espace-temps. On peut comprendre ceci assez simplement en acceptant le fait que la force de gravitation générée par le contenu en masse (la matière) d’une certaine région de l’espace devient une propriété géométrique de cette même région en déterminant sa courbure, c'est-à-dire la façon dont on y mesure les longueurs. Ceci détermine du même coup la validité ou non de quelques propriétés géométriques très générales, par exemple le fait que la somme des angles d’un triangle n’est pas forcément égale à 180 degrés, ce qui n’est le cas que dans un espace plat dit euclidien, celui que dont on nous parle à l’école secondaire.

Ajoutons que ce n’est pas seulement de masse dont il est question, mais de masseénergie. La fameuse formule d’Einstein E=mc2 nous enseigne en effet que masse et énergie peuvent se transformer l’une dans l’autre. C’est donc le contenu total en masse-énergie de l’univers qui se conserve (et non pas seulement la masse) et qui détermine les propriétés physiques et géométriques de l’univers. Cette prise en compte de l’énergie en plus de la masse implique à son tour que nous devons parler non pas de l’espace mais de l’espace-temps. Ce ne sont pas seulement des propriétés géométriques (la mesure des longueurs) qui nous sont données lorsqu’on résout les équations de la relativité générale, mais des propriétés chronogéométriques (la mesure des longueurs et des temps). La relativité nous indique en effet que la façon dont nous devons mesurer les temps peut dépendre d’un déplacement et/ou d’une position dans l’espace. Ceci est tout à fait bien validé sur le plan expérimental et important pour certaines applications technologiques comme la localisation par GPS.

2. La théorie du big-bang : le grand récit de la Nature

Une conséquence qui fut très vite repérée de la relativité générale est que certaines solutions de ses équations se présentent comme des « bulles d’espace-temps » dont la partie spatiale évolue avec le temps. Ces solutions ont deux propriétés remarquables. D’abord, elles se présentent comme des « tout » auxquels on peut associer une échelle de longueur et une échelle de temps, on parle alors de la taille et de l’âge de l’univers, qui deviennent finis. Ainsi, la notion « d’univers » pour les astrophysiciens ne suppose pas forcément l’éternité ni des étendues spatiales infinies. Ensuite, ces solutions ont des dynamiques propres, c'est-à-dire que leurs propriétés physiques et chrono-géométriques globales dépendent du temps. En effet, la force de gravitation étant universellement attractive, un état stable ne peut pas a priori exister. Soit les astres massifs se rapprochent les uns des autres sous l’effet de cette attraction, et la théorie de la relativité générale nous dit alors que l’espace lui-même se rétrécit en se courbant de plus en plus (la bulle se dégonfle, mais les calculs montrent dans ce cas que l’univers aurait sans doute collapsé avant que les étoiles ne puissent se former), soit les astres s’éloignent les uns des autres sous l’effet d’une énergie initiale, dans ce cas l’effet de la gravitation est de ralentir cette expansion (la bulle se gonfle mais l’effet de gonflement ralentit avec le temps).

Einstein ne supportait pas cette idée. Pour lui, l’univers ne pouvait qu’exister dans un état globalement stable et éternel. Il ne pouvait pas avoir d’histoire. Pour sortir de cette alternative entre deux types de solutions qui ne lui convenaient pas (contraction ou expansion), il avait rajouté artificiellement dans les équations de sa théorie une « constante cosmologique » dont le rôle était de simuler une force de gravitation répulsive pour compenser l’attraction et permettre ainsi une solution sans dynamique propre, éternellement stable. Non sans quelques péripéties, la seconde hypothèse correspondant à l’expansion, dite de « big-bang » pour désigner l’effet d’explosion dû à l’énergie initiale, s’est finalement imposée depuis les années 1960 lorsque beaucoup d’observations astronomiques montrèrent que nous sommes bien dans un univers en expansion. La plupart des astres que nous pouvons observer dans le cosmos s’éloignent de nous, et cet éloignement n’est pas dû aux mouvements propres des astres, qui peuvent se mouvoir dans toutes les directions, mais à un effet de gonflement de l’espace qui nous sépare d’eux. Ainsi, la théorie a fait fi des idées philosophiques de son fondateur. Les astrophysiciens se sont faits à l’idée d’un univers « bulle d’espace-temps » en expansion et dont la vitesse d’expansion ralentit avec le temps, c’est ce qu’ils appellent couramment « l’univers ».

De cette « théorie » du big-bang, il faudrait mieux en parler comme d’un « scénario ». En effet, se présentant comme un « tout », cet univers-bulle-d’espace-temps reste un objet unique et singulier, auquel reste associée une bonne dose de contingence. Pour les sciences de la matière, il est l’objet à la fois le plus universel (il contient toute la matière-énergie) et le plus contingent qui soit (il aurait pu ne pas être et surtout être autrement). D’autres solutions aux équations de la relativité générale existent et ce ne sont que des observations contingentes qui nous permettent de dire quel scénario la nature réalise effectivement, sans que la question du pourquoi ce scénario plutôt qu’un autre ne puisse être tranchée aujourd’hui par la physique. De plus, ce scénario prend l’allure d’une synthèse extrêmement vaste de beaucoup de connaissances que nous avons par ailleurs sur la matière. En effet, en sus de la dynamique propre de la « bulle d’espace-temps » que nous donne la relativité générale, nos connaissances de physique des particules, de physique nucléaire, de thermodynamique, de physique

atomique, de chimie, de biologie,… nous permettent de dire quelles ont été les grandes étapes de l’histoire de la matière au sein de cette « bulle d’espace-temps ». Cette histoire est représentée de façon très schématique par la figure ci-dessous. Sur l’échelle du haut figurent les temps de l’expansion. La physique contemporaine n’étant pas achevée, nous ne disposons pas de théorie quantique de la gravité qui nous permettrait de remonter les temps au-delà de 10-43 seconde après ce qui serait un « zéro absolu » des temps, si toutefois cette notion d’origine des temps avait un sens (elle n’en a que pour la relativité générale, mais qui cesse justement d’être valide au-delà de ce « temps de Planck », qui vaut un millionième de milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde). L’univers est âgé aujourd’hui de 15 milliards d’années, ce temps de Planck est donc vraiment très petit.

Le scénario du big-bang : ''une « bulle d’espace-temps » en expansion depuis le « temps de Planck » (10-43 seconde) et dont le refroidissement (schématisé ici en 8 phases successives) a permis la structuration'' progressive de la matière en plusieurs phases : formation des protons et des neutrons (constituants des noyaux ''des atomes, les boules qui apparaissent dans les phases trois et quatre), puis des atomes, des étoiles, galaxies, amas et superamas de galaxies, jusqu’à l’état actuel très froid et très peu dense (3 degrés Kelvin = - 270 degrés Celsius) qui marque l’apparition d’êtres vivants faits de cellules jusqu’à l’intelligence humaine sur une planète anodine aux échelles cosmiques.''

  • photon
  • particules
  • véhicules de l'interaction faible
  • quark
  • anti-quark
  • électron
  • position-proton-neutron-méson-hydrogène-deutérium
  • hélium
  • lithium

Sur l’échelle du bas de la figure sont représentées les températures. Le contenu global en masse-énergie de l’univers se conservant et l’univers étant en expansion, l’énergie se dilue au cours du temps, ce qui correspond en thermodynamique à un refroidissement. Au temps de Planck, la température étant très élevée (1032 degrés = dix mille milliards de milliards de milliards de degrés), la matière était totalement désorganisée. Les particules que nous connaissons aujourd’hui (protons, neutrons, atomes…) ne pouvaient même pas y survivre, l’univers était à cette époque essentiellement composé d’énergie, sous forme de rayonnement. C’est au cours du refroidissement de l’univers, et en grande partie aussi dans les étoiles, qu’ont pu se former des structures de plus en plus complexes telles que les protons, les neutrons, les noyaux des atomes, les atomes, les molécules, etc. Le « big-bang » est ainsi le « grand récit de la nature » que nous propose la science contemporaine, puisqu’il interprète les édifices matériels que nous observons aujourd’hui dans la nature et le cosmos comme résultant d’une histoire cosmique globale. La théorie de l’évolution des espèces biologiques peut être vue comme la poursuite locale sur terre de ce scénario cosmique ayant permis l’apparition des cellules, des êtres vivants et de l’homme qui se trouve en position de contemplation de ces immensités (mais pas de ces infinités…) grâce à sa science et à ses instruments.

Il convient ne pas tirer de conclusions trop hâtives ou de représentations erronées de ce qui précède. En premier lieu, le temps de Planck n’est un « mur » infranchissable qui voile les origines que par rapport à la situation actuelle de nos connaissances en physique. Il suffirait qu’un jour une théorie physique synthétisant dans un même formalisme la théorie quantique (la théorie expliquant les phénomènes microscopiques aux échelles des particules élémentaires et des atomes) et la théorie de la relativité générale (la théorie de la gravitation aux échelles cosmiques) fasse consensus parmi les physiciens pour que le « mur » s’écroule et avec lui les arguments théologiques bâtis sur ce « mur ». Attention donc au « Dieu des trous » (« God of the gaps » comme disent les anglo-saxons), au « Dieu des ignorances » que nous invoquons pour combler les manques de nos connaissances scientifiques et faire artificiellement des ponts entre l’état de nos sciences et nos désirs spirituels. Le mystère des origines (ou de la création) est certainement autre chose pour le théologien et le croyant que le « mur de Planck » ou ce que l’astrophysicien cherche au-delà de ce « mur ».

Ensuite, un contresens est à éviter qui montre les limites de l’image de la « bulle d’espace-temps » utilisée plus haut pour parler de l’univers. Nous ne savons pas dans quoi, dans quel espace de dimension supérieure, la « bulle » se gonfle. Si on s’en tient à la relativité générale, nous n’avons pas besoin d’une position d’extériorité pour parler de l’espace-temps. Prenons l’exemple d’un marin ou d’un géomètre se mouvant à la surface de la terre. Ils se déplacent sur un espace courbe de taille finie à deux dimensions (la sphère terrestre). Ils n’ont besoin que de deux coordonnées indépendantes pour désigner leur position, calculer leur cap, calculer des longueurs : la longitude et la latitude. Ils peuvent ignorer le fait qu’ils sont plongés dans un espace plat à trois dimensions dont la sphère terrestre est un sous-espace à deux dimensions. Bien sûr, dans notre vie quotidienne, nous avons l’intuition de cet espace à trois dimensions et nous ne cessons de voir les sphères comme plongées dans cet espace plus vaste qu’elles. Mais en astrophysique, nous ne savons pas dans quel espace plus vaste serait plongé notre univers (nous n’en connaissons pas la nature mathématique, nous ne savons même pas si cet espace existe sur un plan simplement mathématique et formel), et nous n’en avons pas besoin pour parler de notre univers. Nous pouvons faire de la géométrie et de la physique en restant collés à notre espace-temps (comme le marin est « collé » à surface des océans), de façon immanente, sans position surplombante, sans extériorité ni spatiale ni temporelle. Attention donc à ne pas re-fabriquer artificiellement une telle extériorité pour y

mettre Dieu. Le temps et l’espace divins sont des métaphores indispensables pour parler de Dieu, mais ne faisons pas trop vite le parallèle avec un extérieur spatial au big-bang, un avant ou un après big-bang.

N’oublions pas enfin que, pour synthétique et impressionnant qu’il soit, le scénario du « big-bang » n’est pas tout à fait complet. Outre le mur de Planck qui nous empêche d’extrapoler le scénario trop loin dans le temps, nous savons qu’une grande partie de la matière-énergie contenue dans l’univers nous échappe. Il existe tout d’abord une matière dite « noire » car elle a des effets gravitationnels mais aucun effet quantique en termes de rayonnement qui nous permette de la voir directement. Nous ne savons pas de quoi peut être faite cette matière noire, les physiciens spéculent sur une particule encore inconnue, voir même sur un type de force ou d’énergie encore inconnues. Depuis 1998, une seconde énigme est venue corser encore l’affaire. Les astrophysiciens ont découvert que depuis 5 à 7 milliards d’années, l’expansion de l’univers, au lieu de ralentir, est plutôt en train de s’accélérer. Pour la relativité générale, cela signifie qu’il faudrait imaginer une substance capable de générer l’équivalent d’une force de gravitation répulsive (par analogie avec la matière noire, on appelle cette substance hypothétique « l’énergie sombre »). Chose jamais imaginée depuis Newton, sauf par Einstein lui-même avec sa constante cosmologique, hypothèse qui redevient donc intéressante même si c’est pour d’autres raisons. Renaissent ainsi nombre de spéculations, certains physiciens parlent même de quintessence. A elles deux, la matière noire et l’énergie sombre représenteraient entre 80 et 90% du contenu total en masse-énergie de l’univers. Autant avouer que la physique contemporaine connaît presque tout sur presque rien.

3. Et la terre ?

Il est un fait que pour les astrophysiciens, la terre est un astre anodin dans l’univers. Une planète plutôt petite, liée à une étoile plutôt petite, située en bordure d’une galaxie comme il en existe des milliards d’autres. Sur ce point, la théorie du big-bang ne fait que confirmer les différents « décentrements » qu’ont connus aux contacts des sciences modernes les représentations que l’homme se fait de sa condition : une planète qui n’est plus le centre de l’univers après Galilée et Newton, une humanité n’est qu’une espèce vivante parmi d’autres et en continuité biologique avec la nature après Darwin, un homme agi pas son inconscient après Freud. A ces trois décentrements classiques que la pensée moderne à ouverts dans nos tendances narcissiques et nos représentations anthropomorphes, l’astrophysique contemporaine rajoute celle d’un univers qui n’est peut-être pas si éternel et infini qu’on a pu le souhaiter.

Cependant la question se pose de savoir s’il existe d’autres planètes où les conditions physico-chimiques ont pu évoluer aux cours des âges autant que sur terre pour permettre à la chimie du carbone de fabriquer des cellules et des êtres vivants. Le problème est qu’il est très difficile d’observer des planètes d’autres galaxies ou même d’autres systèmes stellaires que le nôtre car les planètes sont par définition des astres très peu actifs et donc peu visibles par rapport aux étoiles. A priori, étant donné le très grand nombre d’étoiles peuplant l’univers, la probabilité reste importante qu’une planète semblable à la terre, et donc contenant de la vie, puisse exister. Nous ne pouvons pas exclure non plus que d’autres formes de vie aient pu se développer sur d’autres astres ayant une autre histoire physico-chimique que la terre (des savants réfléchissent à des formes de vie à base de silicium au lieu du carbone, sans succès pour l’instant). Mais de la simple probabilité au fait avéré, il y a un pas qu’on ne saurait franchir trop facilement. Récemment, les astrophysiciens ont cependant découvert pour la

première fois une planète dans une autre galaxie, et elle semble avoir des caractéristiques (de position par rapport à son étoile et de taille) proches de celles de la terre. En terme de chimie, on sait depuis plusieurs décennies qu’il existe dans l’espace des acides aminées, grosses molécules organiques qui servent de base à toutes les formes de vie que nous connaissons sur terre. On est certain par ailleurs que ces acides ne proviennent pas de la terre, elles ont forcément été synthétisées dans l’espace. Il y a donc dans le cosmos une chimie organique, ce qui ne fait que confirmer la possibilité que des formes de vie extraterrestres existent mais ne démontre toujours rien quant à la singularité ou l’éventuelle banalité de l’évolution des espèces sur terre.

http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/ARTICLES/Lud_Bot_fichiers/BotSourcesVives.pdf