Thème : Un des obstacles majeurs à la compréhension de notre esprit et de la réalité est l'attachement, la croyance à l'existence d'un Soi ( Moi transcendant, Ego ). Cet attachement nous empêche de voir la souffrance inhérente à tous les êtres, le moyen de s'en liberer, la voie à emprunter pour s'en liberer et le résultat qui est entre autre l'union de la compassion désinteressée et de la vacuité aimante. L'attachement à un soi et les moyens de s'en liberer sont communs à tous les êtres. Comment arriver à cette compréhension ? Comment utiliser les moyens pour les établir définitivement dans la vie de tous les jours ? Quels sont les moyens ( prise de refuge, développement de l'esprit d'éveil ) que nous pourrons utiliser pour mieux comprendre notre esprit ?

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Après-midi du 7 Aout 1991 :

L'égo, c'est celui que nous trainons malheureusement toute notre vie derrière nous, jusqu'à la bouddhéité, et celui aussi que nous devons accepter et apprendre à connaitre. Maintenant, nous ne pouvons pas nous passer de notre égo, et c'est ainsi depuis des temps sans commencement, nous n'avons jamais eu l'occasion de travailler avec l'égo. Il nous faut affronter cette triste situation, mais en sachant qu'à partir d'aujourd'hui, il nous est possible de changer celà, vu que nous avons des enseignements : les moyens de tarvailler avec notre égo. Et nous devons faire un effort dans le sens de la réalisation du non-égo. Il y a deux façons de travailler : la façon formelle et la façon informelle.

La méthode formelle : Si on veut travailler avec l'égo de façon formelle, il nous faut pratiquer la méditation, la méditation formelle, de façon formelle. Cela signifie littéralement "Nyam Schak" : laisser son esprit dans l'équanimité, dans son état naturel. C'est facile à dire mais difficile à faire. Laisser son esprit dans l'état d'équanimité, dans son état naturel. C'est pourquoi, il y a la méditation du calme de l'esprit ( Schiné ) et aussi la méditation de la vision pénétrante ( Lhaktong );

Schiné existe avec concentration sur la respiration ou bien sans et avec visualisation ou bien sans. Quand on sort de cette méditation, quoique nous fassions, et il est clair que nous devons marcger, aller, venir, parler, travailler etc ... nous devons le faire dans l'esprit de cette méditation, cela doit être influençé par la pratique de la méditation formelle et spécialement quand nous devons affronter des moments de la vie malheureux ou bien heureux, nous devons toujours nous entraîner au calme de l'esprit. Lam kier signifie garder les six sens et les rassembler sur le chemin. C'est à dire que nous devons les contrôler si nous suivons un chemin spirituel. Les sens sont la porte par laquelle la conscience s'éveille au contact des objets. La conscience vient des objets et les objets viennent de la conscience et les deux se rassemblent, c'est pourquoi on parle du rassemblement des six sens. Les objets et le sujet se mélangent et donnent cette sorte de bazar, de confusion sujet/objet, ces sortes de choses que sont les phénomènes, les perceptions, projections et projecteurs qui sont créés. A cause de cette confusion, de ce fonctionnement, nous sommes parfois en colère, très déprimés, ou très heureux, cette sorte de bonheur et de malheur résulte du rassemblement des six sens... Maintenant, nous devons comprendre ce qui se passe : nous ressentons le plaisir de voir de belles choses, celles-ci sont les objets de cette excitation. Bien sûr, l'excitation naît en nous-même qui sommes le sujet, mais cela émerge à cause de cette circonstance sujet/objet. Cette sorte d'excitation en elle-même, c'est le désir, le sentiment de vouloir apparaît de lui-même, juste automatiquement, ce n'est pas l'égo, c'est une émotion perturbatrice, et puis cela devient de pire en pire, cela vient de l'objet et du sujet, mais quand vous regardez l'objet en lui-même, vous ne trouvez pas de base pour cet état de chose. Si vous examinez simplement le sentiment d'excitaton qui apparait par rapport à l'objet, est-il une évidence scientifique que cela vienne de l'objet ? Est-il une évidence scientifique que le sentiment vienne du sujet ? Ce n'est pas du tout une évidence. Nous ne pouvons pas vraiment prouver cela, bien que tout cela soit apparemment, réellement existant. Et pourtant, il est tout à fait facile de conceptualiser tout cela. Nous sautons stupidement et collons simplement à cette sorte d'idée, même si cela n'est absolument pas une évidence scientifique. Nous n'avons aucune preuve de ce que nous prenons pour une évidence dans la saisie sujet/objet. Maintenant, nous devons être conscients des six rassemblements pratiquement parlant, par rapport à la pratique. Quand nous voyons quelque chose, nous devons examiner le fait de voir, car le fait de voir est aussi une grande illusion.

C'est ce que je sents, bien sûr je peux voir quelque chose de beau, de laid, etc... mais avant de comprendre la beauté, la laideur, la forme, nous devons tester le fait de voir, c'est en soi-même quelque chose de très drôle, pourquoi pouvons-nous voir quelque chose ? Pourquoi ? Bien sûr, c'est le karma. Le karma nous donne ces deux trous, par lesquels nous voyons, ces deux petits trous peuvent nous donner des choses tout à fait énormes à voir.

Quelquefois, j'ai vraiment peur de cela quand j'y pense, quand j'examine ce qui se passe avec tous ces phénomènes, parfois je me sents très triste, très gai, très drôle, donc je ne sais pas moi-même, mon propre sentiment, peut-être que je suis un peu fou, en tout cas, je ressents que c'est quelque chose de très bizarre quand j'approfondis ces choses. Bien sûr, si je réflèchis, je ne peux pas trouver pourquoi. Il n'y a aucune forme de raison substantielle, concrète, solide, qui prouve cette sorte de fonctionnement. Je pense que la situation est ainsi, vraiment, la condition de base est sans base, sans fondement, c'est rien, il n'y a rien à la base, une sorte de rien à la base et c'est la raison pour laquelle je me sents très triste : c'est parce qu'au fond il n'y a rien et que malgré tout nous souffrons, nous souffrons beaucoup à cause de cette relation sujet/objet. Et cependant, il ya a aussi une raison pour laquelle je suis heureux de cette condition, c'est parce qu'au fond, c'est une sorte de situation très heureuseparce qu'à la base il y a une grande aide pour atteindre l'état ultime, parce qu'il n'y a rien qui nous retiendra de façon permanente dans cette confusion. La réalité est sans égo, su tout, toujours, l'égo est là à cause de notre illusion. Par conséquent, sans réaliser cet état, viennent toutes sortes de sentiments, d'émotions, de circonstances qui sont relativement vraies et vous devez travailler avec elles dans le sens de réaliser leur nature ultime. Et si vous réalisez celle-ci, le non-ego est alors toujours là comme la condition de base de votre esprit, comme fondation. L'égo, c'est ce que nous devons couper, et ce que nous allons voir demain : Tchöd est une des pratiques qui permettent de couper l'égo, nous allons voir cela dans les jours qui viennent.

L'égo n'existe pas, mais l'attachement à l'égo existe davantage, relativement, c'est l'égoïsme, relativement c'est très fort. Nous devons comprendre que l'égo est tout à fait sans base et quand ceci est compris, alors il devient très facile de travailler avec lui. Ce que je veux dire est maintenant un peu plus compliqué.. Je veux parler de nos sens parce que la vraie source de notre confusion provient de nos sens agissant avec notre conscience.

C'est la relation sujet/objet, mais cela risque d'être très long à expliquer et un peu difficile ou confus pour ceux qui ne sont pas familier avec le sujet.

Les passions, les fortes émotions apparaissent quand nous percevons les objets parce qu'elles viennent du sujet, mais celui-ci fonctionne parce qu'il perçoit des objets, des objets de colère, de désir, de haine, de jalousie, etc... Par exemple, quand un homme voit une belle femme, la femme est l'objet et les sens et la conscience qui perçoivent cette femme sont le sujet. Si l'homme n'avait pas de sens, il ne percevrait pas cette femme. Sans les yeux, il ne verrait pas la forme, mais avec des yeux seulement, sans la conscience, il ne pourrait pas percevoir l'objet. Pour pouvoir percevoir, les trois doivent être réunis : l'objet, les sens, la conscience. Cet homme perçoit cette femme et une sorte de sentiment apparait celui d'aimer par exemple mais à cause de cela, la possibilité de colère apparait aussi, différentes émotions ont alors la possibilité d'apparaitre. Si cette femme décide d'aller avec un autre homme, la jalousie apparait et si le premier homme pense qu'elle doit rester avec lui et qu'elle fait ainsi et qu'il la contrôle, alors l'orgueil apparait en lui. Les émotions se suivent de cette façon. Puis il s'attache à elle et il a peur de la perdre, c'est l'attachement, l'envie d'avoir.

Voici les cinq passions, elles viennent de l'ignorance qui est la base de toutes les passions. Cet exemple est vrai pour la réciproque : une femme qui voit un bel homme. Dépendant du désir, la colère apparait, Dépendant de la colère, la jalousie apparait, Dépendant de la jalousie, l'orgueil apparait, Dépendant de l'orgueil, l'attachement apparait, Toutes ces passions viennent, sont soutenues, engendrées et renforcées par l'ignorance. A cause de ces cinq passions, nous prenons beaucoup d'habitudes, suivant de nombreux schémas et ils se multiplient sans fin. Comme l'habitude de penser, de réfléchir, quoique nous fassions avec le point de départ "sujet/objet" alors des habitudes, des tendances nous entrainent jour et nuit. Elles deviennent de plus en plus fortes de jour en jour, d'années en années, de vie en vie, toutes sortes d'expériences, ou de karma apparaissent par le biais de ces habitudes et ces habitudes viiennent des six passions; Les habitudes sot une caractéristique des êtres du samsara, en dehors du samsara, il n'y a pas d'habitudes. Comme boire du thé : c'est aussi une habitude : le goût, le sentiment que vous avez ou quoique ce soit que vous aimez dans le thé, c'est un exemple de fonctionnement de la relation sujet/objet. Cela crée l'habitude de boire du thé, ce n'est pas réellement malsain, mais c'est une habitude, ça fait partie du samsara.

Pratiquement parlant, cela signifie que nous ne devons pas être dépendants de quelque forme d'habitude que ce soit.

Comment comprendre le fonctionnement des six sens dans la voie spirituelle ? Quand le désir apparait en voyant un objet, par exemple la belle femme de tout à l'heure, si l'homme pratique la méditation, il ne doit pas rejeter le désir mais doit simplement le laisser aller en le regardant, en regardant la réelle nature du désir, son essence. Il n'y a pas de substance dans ce désir il est comme une plaisanterie très dangereuse, dangereuse parce qu'elle entraine le sujet dans la samsara. Quand vous pratiquez, vous ne devez pas suivre le désir jusque dans le samsara mais simplement le laisser disparaitre dans sa vraie nature : sans substance. En regardant les émotions, celles-ci sont vaincues, quand les émotions sont vaincues, alors les objets de ces émotions sont aussi vaincus. Puisqu'il n'y a plus de désir pour ces objets, alors il n'y a plus de colère ; s'il n'y a plus de colère, il n'y a plus de jalousie ; s'il n'y a plus de jalousie, il n'y a plus d'orgueil et s'il n'y a plus d'orgueil, il n'y a plus d'attachement. Les objets de ces passions sont dissouts dans l'état sans égo, c'est la fondation de base, la nature de base de ces objets. Conscience et inconscience sont dissoutes dans le Dharmadatou qui est sans égo puisqu'il n'y a plus les cinq passions, parce que les cinq passions sont contrôlées par le fait de les regarder, alors l'ignorance est vaincue et c'est la libération, c'est la façon dont nous nous libérons nous-mêmes du samsara. Cette libération coupe les liens qui nous retiennent dans le samsara, ces liens sont les passions qui nous lient au samsara et causent notre errance sans fin dans celui-ci. La libération vient de la pratique, celle d'utiliser les passions, pas de les abandonner mais de les utiliser de la bonne manière, avec des moyens habiles, afin de nous liberer de ces passions et graduellement nous seront libre du karma produit par ces passions. C'est la meilleure façon de travailler pour saisir l'égo, car l'égo, vous ne pouvez pas le saisir directement car il n'existe pas. Vous devez travailler avec l'égoisme, les passions, les émotions perturbatrices, ensuite vous les abandonnerez bien sûr puisque vous en serez liberés. A chaque moment de notre vie, nous devrions être conscients et être conscients signifie être liée à la bénédiction de notre Gourou et le lien avec notre Gourou dépend de notre dévotion. C'est la chose principale pour être attentif, conscient de nos passions, et ceci dépend complètement de la grâce que nous recevons de notre Gourou. La peur et l'espoir sont les principales manifestations de l'égo et ils ne peuvent être coupés que par la dévotion au Gourou. C'est pourquoi nous disons que la dévotion au Gourou est une épée tranchante.

Matin du 8 Aout 1991 :

L'égo lui-même n'existe pas, mais par contre l'attachement à l'égo existe davantage, relativement, l'égo n'existe pas ni ultimement, ni relativement, il n'est pas là mais nous y sommes cependant très attachés. Nous sommes attachés à quelque chose qui n'existe pas. Par conséquent, relativement, l'attachelment à l'égo, lui existe bien. C'est très fort, c'est l'égoisme.

C'est facile à dire que l'égo n'existe pas, c'est facile de la comprendre intellectuellement, mais cela ne suffit pas, il est necessaire de le comprendre au fond de notre coeur, nous devons être sur que l'égo n'existe pas et alors le non-égo est définitivement là et c'est la réalisation du non-égo. Ainsi depuis des temps sans commencement jusqu'à maintenant, nous n'avons pas pu comprendre, ni expérimenter le non-égo, ni les obscurcissements qui voilent notre esprit et nous empêchent de voir la réalité. Il y a beaucoup de façons d'expliquer les obscurcissements de notre esprit, ceci aussi parce qu'ils sont en nombre infini, mais pratiquement parlant, je peux dire que c'est en gros, l'attachement à soi-même et ceci parce que c'est la cause de tous les voiles de notre esprit. L'auto-attachement est une sorte de fonction initiale, parce que c'est le point de départ de base, c'est la raison pour laquelle quand nous méditons, le sujet principal, la cible à viser, c'est l'auto-attachement. L'égo lui-même ne peut pas être une cible, de façon directe. Par exemple, si un roi ou un président n'a pas de sujets, il sera à la base sans pouvoir, sans fonction. Pour lui donner du pouvoir, il faut, sous ses ordres un groupe de personnes suffisament puissant. Donc pour affaiblir un roi, à la base, pour le déstabiliser, il faut parvenir à créer parmi ses sujets un groupe de dissidents contre lui. Alors, automatiquement le roi perdra son pouvoir. C'est pareil avec l'auto-attachement, si vous le perdez, alors l'égo sera définitivement sans fondement, si vous détruisez l'auto-attachement, vous coupez la racine de l'égo, il perd tout son pouvoir et alors vous trouvez l'état de non-égo; La raison pour laquelle l'égo est très fort, c'est parce qu'à la base, il a beaucoup de soutien de la part des six sens et de tous les phénomènes. Il prend plaisir à expérimenter ce monde des phénomènes et il nous gouverne constamment, comme un roi supporté par ses sujets. Dû à ce grand support, l'égo peut prendre une sorte de forme comme celle d'un esprit malin, dieu noir, démon noir qui vit sur notre épaule gauche, tout le temps, toujours content que quelqu'un fasse quelque chose de mal et encourageant les autres à faire du mal, toujours sur notre épaule gauche nous gouvernant 24 heures sur 24..

Pour le moment, quoique nous fassions de mal, ce démon nous y encourage et quand nous mourrons, ce démon sera toujours là, nous perturbant dans le bardo si nous ne sommes pas assez fort. Et si nous mourrons, beaucoup de sortes de démons, d'esprits viendront dans notre famille et diront : "je suis l'esprit de cette personne décédée, et je reviens, etc..." et ils dérangeront l'esprit de cette famille en disant : "j'ai vécu comme ceci, comme cela etc..." Ce n'est pas l'esprit lui-même mais ce démon noir qui dit tout ce qu'il a fait avant le décès et pour la famille ce sera toujours une preuve que cela est vrai, que c'est vraiment l'esprit du mort qui revient. Mais cela est faux, tout à fait, puisque la personne morte est ailleurs. Ce démon est là, à cause du mauvais support donné à l'égo avant la mort, par la personne. Il y a deux sortes de démons, les démons mâles et les démons femelles. Les démons mâles sont supportés par la colère, les démons femelles sont supportés par le désir. Ils entretiennent l'égo. C'est la raison pour laquelle, même après la mort et 24 heures sur 24, nous expérimentons la colère et le désir, parce que nous sommes attaqués par ces démons. Par exemple, nous pouvons être très en colère, à cause de ces démons ou bien être très excités, toujours à cause d'eux, ce sont leurs activités, ils nous rendent confus, fous, on voit des démons nous poursuivre, des gens nous attaquer, des gens méchants, c'est notre imagination mais c'est tellement fort, il y a tellement de force dans tout cela, le support donné par l'égo est tellement fort, depuis des temps sans commencement, que cela paraît vraiment réel et on est réellement attaqué, on souffre vraiment, il y a une armée de démons derrière nous.

Tous ces dieux, ces démons, ces esprits existent tous, avant, je ne croyais pas à tout ça et c'est seulement à cause de ma mauvaise compréhension. C'est seulement quand j'ai commencé à penser à la réalité, shunyata (vacuité), seulement quand j'ai commencé à comprendre vaguement la vacuité que j'ai commencé à comprendre et à croire que les esprits étaient là. Parce que logoquement, ils doivent être là, parce que les choses que nous voyons sont là, les arbres, les chaises, la lune, alors pourquoi les démons n'existeraient-ils pas ? Ces choses n'existent pas non plus ultimement, c'est shunyata, en réalité nous existons tous alors pourquoi pas les esprits, les démons; Une autre raison c'est que nous sommes dans un monde ou tout est possible, il a la capacité de toutes sortes de possibilités, par conséquent nous sommes malheureusement dans ce monde et nous pouvons expérimenter vraiment toutes sortes de choses possibles. Donc c'est tout à fait croyable et cependant nous devons comprendre que c'est une projection de notre égo que c'est du^à l'attachement à notre égo que tout cela existe de manière relative. Mais cependant, croire qu'ils sont vraiment réels de manière solide concrète et qu'ils vivent dans un antre noir et sale, effrayant, d'ou ils sortent parfois, n'est pas juste non plus. C'est même pire que de croire qu'ils n'existent pas du tout, tout simplement parce que penser de cette façon nous rend encore plus confus. Ils sont des projections de l'égo et ces démons n'existent que de cette manière. On ne peut nier leur existence, de la même façon qu'on ne peut nier l'existence relative de l'attachement à l'égo. Ils existent tant que nous ne tranchons pas l'idée d'un soi.

Donc, maintenant, la chose principale c'est de trancher l'auto-attachement et je voudrais que vous compreniez bien ce que "auto-attachement" signifie. "Auto-attachement", c'est que nous faisons toujours, nous disons toujours : nous, moi, je suis ; nous toujours, en premier, pour qui tout est fait en premier, on parle de nous en premier, on pense à nous en premier, toujours en premier et tout le reste vient en second, après le moi, le je. Nous pensons toujours comme cela. Même quand nous pratiquons, nous pensons d'abord à nous libérer nous même et ensuite nous pensons à liberer tous les êtres sensibles et c'est encore une grande chance si nous en arrivons là, nous faisons tout pour nous-mêmes, nous mangeons, nous pensons pour nous, nous sommes incapables de penser aux autres. Ceci est l'auto-attachement, grossièrement, pas de façon subtile mais de prime abord..

Patrul Rinpoché a dit dans un livre dont le thème est : "Prendre la souffrance comme support de la méditation ou les autres sont plus cher que nous même" : "Pense que la raison pour laquelle je ne suis pas libre de la souffrance, c'est que depuis des temps sans commencement, je prends soin seulement de moi-même ; maintenant je devrais faire la pratique de seulement prendre soin des autres, source de toutes les vertus et de bonheur, ceci est la seule façon de trancher l'égo."

Nous pensons toujours que nous ne devrions pas nous attacher à toutes les choses qui nous entourent, maisons, nourritures délicieuses etc... mais je pense que ce qui est beaucoup plus important c'est de détruire d'abord l'auto-attachement, alors si vous minimisez seulement, ou coupez l'auto-attachement, alors precisément vous pourrez couper facilement l'attachement aux choses materielles et aux personnes, c'est tout à fait facile alors. Donc le plus important c'est d'oeuvrer pour les autres d'abord. L'auto-attachement est fondé, soutenu par les pensées discursives, elles en sont le support. Ces pensées sont un filet, nous sommes des poissons pris dans ce filet, pauvres poissons, et nous devons trouver une solution pour couper ce filet, pour arrêter les pensées discursives. Dans les textes, on trouve l'expression "sans pensées" ou "pensées transformées", cela signifie sortir de ce filet. En fait nous n'avons pas besoin de penser, en fait, les pensées discursives sont la base de la souffrance.

Shiné, la méditation du calme mental, c'est quelque chose pour apaiser, apaiser ces pensées qui sont comme de l'eau qui bout en faisant des bulles, de la vapeur, nous n'avons pas besoin de cela, nous voulons la paix. Nous parlons toujours de la paix, mais nous ne savons pas réellement ce que c'est. La paix c'est quelque chose qui ne peut être développée qu'à l'interieur de nous-mêmes, pas à l'exterieur de nous-mêmes, les choses exterieures ne peuvent pas nous donner la paix.

La paix de l'esprit, c'est la paix ultime.

Shiné, Shi, c'est la paix ; né, c'est stable ; cela signifie qu'on a besoin d'avoir l'esprit en paix. Maintenant nous avons de l'eau qui bout, nous avons besoin de cette méthode pour calmer notre esprit. Par cette méditation, nous pouvons minimiser le support de l'égo, parce qu'on coupe les circonstance qui permettent à l'égo de fonctionner, nous coupons l'auto-attachement en coupant son support de pensées discursives.

Sans connaitre les pensées, nous ne pouvons pas nous en débarasser. Nous devons savoir comment les pensées viennent. Il en vient des millions et des millions, des billions et il est necessaire de les connaitre une à une pour les chasser. Nous devons les compter, les débutants ne peuvent pas en compter plus de cent au début, en une seule fois. Quand nous comptons les pensées, nous devons aussi réaliser ce que sont ces pensées, les identifier, les voir comme des pensées. Le fait de les compter et de les identifier les minimisent automatiquement. Et bien sûr, cela doit se faire d'une manière tout à fait décontractée, c'est une méditation apaisante, cela doit etre paisible, sinon comment calmer les pensées, si nous ne sommes pas détendus, le bouillonnementne diminuera pas mais au contraire augmentera. Bien sûr, on doit suivre les postures du corps, de la parole et de l'esprit mais je préfère recommander le calme et la détente plutôt qu'une posture plus stricte ; si on n'est pas détendu avec son corps, l'esprit ne se calme pas. Il vaut mieux se détendre que de se forcer à faire quelque chose de spécial. On doit aussi relaxer les yeux, c'est le principal pour le calme de l'esprit, c'est très important, s'il n'y a pas la détente des yeux, le calme mental ne viendra pas. Nous ne devons pas les fermer, ni fixer un objet spécial, on doit seulement les laisser regarder droit devant, de manière douce, calme, détendue. Si nous fermons les yeux, le calme de l'esprit ne sera jamais stable. C'est quelque chose de logique, parce que nous ne pourrons pas garder les yeux fermés 24 heures sur 24, et alors dès que nous ouvrirons les yeux, nous serons distraits, parce que nous serons dépendants d'avoir les yeux fermés, il faut apprendre à avoir le calme mental malgré les distractions qui sont devant nos yeux. C'est pareil avec les oreilles, il ne faut pas les boucher. Certaines personnes mettent des bouchons dans les oreilles quand ils méditent. C'est un peu stupide et drôle mais on peut comprendre, quand il y a du bruit. Mais de ma propre expérience, je ne suis pas un très bon méditant, mais je remarque que le calme, le silence n'apporte pas vraiment de progrès dans la méditation. Quand je suis dans le bruit, je dois aiguiser mon esprit pour le maintenir dans le calme, c'est une difficulté, cela demande un effort, mais ainsi on developpe la force de concentration. Il est vrai que le calme est très bon pour les débutants et l'agitation et la distraction pour ceux qui sont plus avancés dans la pratique. De toute façon, nous devons nous familiariser avec l'agitation tout en essayant de garder notre calme mental. Par conséquent, il n'est pas necessaire de fermer les yeux, ni les oreilles.

Méditer signifie concentration. Nous devons nous concentrer sur les pensées qui viennent dans l'esprit, formes de toutes sortes d'émotions, désir, colère, jalousie etc... Par conséquent la concentration doit être constante, nous devons essyer d'y parvenir, ceci est très difficile. Souvent elle se perd, mais si nous la perdons, nous devons nous en rendre compte et la reprendre. On dit Gyetop et Nyamchak. Gyetop est la coupure et Nyamchak est la concentration. Gue = plus tard, après ; top = recevoir. Recevoir après avoir perdu. C'est ce que l'on reçoit après avoir perdu la concentration. Nyamchak : mettre son esprit dans l'équanimité. Si nous avons besoin de la force dans la concentration, nous n'avons pas besoin de gyetop, mais en général c'est difficile et gyetop est necessaire. Peut-être, nous pouvons faire gyetop trois fois par jour ou bien deux fois par jour, ce qui est très pauvre. Mais les gens n'ont pas de gyetop du tout, même une fois par an c'est encore beaucoup. Nous devrions faire gyetop au moins 25 fois par jour, au moins, mais en fait, il est necessaire de faire cela chaque seconde, aussitot que la concentration se perd nous devons nous reprendre et nous concentrer à nouveau.

Afin de se mettre à la méditation formelle, il est bon de le faire tôt le matin, chaque matin, une, deux ou trois heures ou bien une demi-heure, après la prière du Gourou-Yoga, avant de prendre sa douche et avant le petit déjeuner. Ceci est pour les débutants mais pour les autres la méditation doit toujours être là, dans toutes les activités de votre vie, manger, boire, travailler, s'amuser etc...

Conduire une voiture est un bon exemple de concentration, c'est un sentiment très agréable de rouler, de diriger la voiture, tout en méditant. Quelquefois cela peut être dangereux si la voiture sort de la route mais généralement ce n'est pas très grave car l'attention est là et vous pouvez toujours vous rattraper, si vous ne pouvez pas côntroler la voiture, vous ne pouvez pas contrôler les pensées. C'est la même chose, vous pouvez alors contrôler la voiture bien mieux que d'habitude si vous méditez. Quand j'ai appris à conduire à 18 ans, j'ai dit à mon Gourou Thouksé Rinpoché : "C'est une merveilleuse expérience, est-ce que c'est un non-sens ou est-ce que c'est bon ?" Alors il dit : "Oui, oui, c'est bon, vous conduisez vers l'illumination, sur le chemin du Mahayana ! C'est très bon, c'est une bonne relation, une bonne vue des choses." Il m'encouragea. Et j'ai vu que c'était bien, mais cela ne signifie pas que vous devez conduire 24 heures sur 24. Je veux simplement vous dire qu'on peut integrer la méditation dans la vie de tous les jours.




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Leçon 132. L'ego et l'intention du mal



Dans l’attitude naturelle, l’existence du mal est très difficilement acceptable. La mort est inacceptable, la souffrance aussi. Cependant, comme dans le monde relatif nous voyons que le bien et le mal ne vont pas l’un sans l’autre, nous nous résignons pour corriger parfois nos jugements. Nous nous insurgeons surtout devant une mort et une souffrance qui auraient pu être évitées, qui ne nous semblent pas justes, qui ne devaient pas se produire. Devant la faute de celui qui a créé les conditions de la mort et de la souffrance. Passons pour l’inévitable des calamités naturelles, mais dans le champ des actions humaines, la sanction doit être rude et exemplaire. Nous aimerions avoir le bien sans le mal, comme si l’existence du mal n’avait pas de place dans l’Etre et devrait toujours être considérée comme un scandale.




Il n’y a pas de « problème du bien ». Le bien nous parait une expression naturelle, pour autant que toute chose cherche son expansion, pour autant que l’expansion du bonheur nous semble la loi naturelle de la vie. En réalité, le problème du mal ne se situe pas dans la Nature, mais à la racine de l’action humaine, dans nos intentions, dans l’intention de nuire, dans l’intention du mal, dans notre volonté mauvaise. (texte) Devant le théâtre sanglant de Histoire, devant le chaos du monde, devant la débauche de cruauté et d’ignominie dont l’homme est capable, nous en venons à penser que le mal est logé en l’homme d’une manière si viscérale qu’il n’est pas possible de l’en délivrer. Kant parle de mal radical. Ce mal, la religion l’appelle le péché. L’hypothèse du mal radical suppose que, dès la naissance l’âme a été marquée au fer rouge. La marque d’infamie du mal sur l’épaule de l’homme s’appelle le péché originel.



Faut-il, sur ce plan de l'intention, faire un traitement complètement séparé du bien et du mal, alors que, partout dans notre expérience, ce que nous rencontrons, c’est une mixture indissociable de la dualité bien/mal ? Nous ne pouvons pas parler du mal sans évoquer le bien. Faut-il, pour rendre compte du mal, nécessairement invoquer l’hypothèse d’un mal radical et d’une intention mauvaise? Est-ce une nécessité logique qui nous y pousse, ou bien le parti pris de nos croyances religieuses ?

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A. Les formes de la conscience morale

Nous avons vu plus haut que le jugement moral n’avait rien à voir avec un jugement de fait ou une observation, mais qu’il résultait nécessairement d’une comparaison et d’une évaluation. Nous disions que du point de vue de l’Etre, le bien et le mal n’existent pas, car une chose, ou un événement est ce qu’il est dans sa neutralité. Seulement, nous disions aussi qu’il y a nos choix et l’idée que nous avons de nous-mêmes. Qui dit choix suppose des intentions humaines et dire qu’il n’y a pas de mal à ce niveau, ce serait peut être justement le mal ! Nous devons être attentif au point de vue de l’acteur et de ses intentions et entrer dans cette conscience pour examiner ce qu’est la propension au mal.



1) Partons du support d’une représentation littéraire. L’œuvre de Dan Simmons est profondément marquée par l’obsession du mal radical. On le voit dans le cycle d’Hypérion avec la figure du Gritche. Dans L’Echiquier du Mal Dan Simmons explicite sa position en exposant la théorie du développement moral de Kohlberg. Laurence Kohlberg est d’abord un disciple de Piaget et ses travaux portent d’abord sur le développement de l’enfant. Cependant, concernant notre problème, de ses analyses on peut retenir ceci :

a) Au niveau 1, le critérium de la morale se borne à la distinction entre plaisir et douleur, le plaisir est le bien, la douleur est le mal. C’est le stade dont l’enfant se détachera peu à peu en devenant adulte. C’est à l’enfant que l'on dit : « c’est pas bien », parce qu’il a frappé son camarade à la récréation en lui tapant sur la main pour lui faire comprendre le sens du mot « mal ». On essaye de lui montrer la douleur qu’il a pu causer. L’enfant répond aux règles culturelles seulement en fonction des conséquences hédonistes de l’action, sans égard à leur signification humaine. Un adolescent revendique souvent ce type de position et la postmodernité qui a viré à l’adolescence aussi. En ce sens, même la morale d’Epicure, bien que plus complexe, se réfère d’abord à ce niveau 1. La Lettre à Ménécée contient des passages qui justifieraient amplement son classement dans cette catégorie. C’est ce point faible de l’identification du bien au plaisir qui justifie les critiques de Sénèque dans La Vie heureuse. Sénèque est assez fin pour disculper Epicure lui-même, mais il est assez incisif dans la critique : la recherche de la vertu n’est pas la poursuite du plaisir. (texte)

b) Au niveau 2, joue la règle du donnant/donnant. Le sens moral prend appui sur l’autorité, et d’abord l’autorité des parents sur l’enfant. Est mal ce qui est interdit, est mal ce qui est assorti de punitions ; est bien ce qui est permis et qui est assorti d’une récompense. L’individu ne s’incline devant une loi que s’il a le sentiment qu’il en tirera en retour un bénéfice. L’action sert exclusivement les désirs personnels et à l’occasion, ceux d’autrui. C’est donc une morale du profit. C’est ce que montre par exemple le biologiste Henri Laborit dans le film d’Alain Resnais Mon oncle d’Amérique en évoquant constamment la dualité récompense/punition. C’est cet apprentissage qui est mis en scène dans la relation de l’adolescent avec appui extérieur qu’il trouve dans le tuteur de l’autorité. Nous avons vu que Kant, dans son Traité de Pédagogie, justifie l’importance de cette instance dans l’éducation. On peut estimer que certains individus en société, sensibles au mérite ou au blâme et à la force de l’autorité se maintiendront dans ce type de conscience morale.

c) A partir du niveau 3, la moralité devient conventionnelle et l’individu commence par chercher à satisfaire aux attentes de son milieu, à obtenir l’accord avec les autres et la conformité. La notion d’autorité s’abstrait et se transporte à l’intérieur en devenant une exigence sociale. Il s’agit « d’être quelqu’un de bien » sous le regard des autres. L’enfant interprète : être un « bon garçon » ou une « bonne fille ». L'image du moi joue un grand rôle à ce niveau, ainsi que son rapport avec un moi idéal.

d) Au niveau 4, la moralité conventionnelle est orientée vers le respect de la loi et de l’ordre. Le sens moral s’appuyer sur un sens du bien relevant de l’opinion, mais il s’agit maintenant de répondre aux règles sociales. Est bien ce qui est bon selon la règle que pose la majorité des hommes, est mal ce que la société réprouve. Ce type de critère est suffisant et très efficace partout où l’opinion joue un rôle, partout où le conformisme remplit son office. L’homme du niveau 4 est sensible à la voix de la « société », à la censure « si on ne fait pas son devoir ». Le sociologisme de Comte et de Durkheim se situe à ce niveau. C’est ce critère qui appuie l’idée de justice collective, sous la forme de sanction diffuse du criminel.

e) Au niveau 5, l’individu est capable d’aller au delà du consensus d’opinion, il devient plus rationnel, le critère devient alors pour lui la loi servant le bien commun. C’est un homme qui aurait compris le sens que Rousseau donne à l’idée de volonté générale, le sens de la justice subjective et l’idée de Contrat social. Il vise le bien-être de la communauté en terme de respect des droits d'autrui et de recherche d'un consensus. C’est aussi la position de l’avocat idéaliste, tel qu’on le rencontre souvent dans les romans de John Grisham. Le bien commun est alors vu dans la figure de la loi qui sert dès lors de critère moral, mais dans une dimension d’exigence de justice pour le plus grand nombre. L’individu de ce type est attaché à un sens élevé de l’intégrité. Les hommes de loi pensent l’intégrité en ces termes.

f) Au niveau 6, l’individu est porté par un altruisme qui s’affranchit des limites de la loi, des limites culturelles et ethniques et se pose dans la « bonne action » en faveur d’une cause dont la valeur éthique est indéniable et s’adresse à l’humanité. C’est la conscience morale représentée par la moralité caritative des temps modernes. C’est le modèle des Restaurants du cœur ou d’Amnesty International, des ONG, des opposants à la vivisection animale, de la lutte contre le sida, contre le racisme etc. L’homme moral du niveau 6 est un acteur engagé de la vie sociale et un militant.

g) Au niveau 7, l‘individu se fonde, non plus sur un engagement particulier ou une cause, mais sur le dépassement de la sphère des intérêts de l’ego par des principes universels qui supportent la vie. A ce stade apparaît l’amour inconditionnel, le sens vivant de la compassion et le fondement de la morale dans le Sacré. Ici Kohlberg ne mentionne que quelques noms comme Jésus, Bouddha et Gandhi, en signalant que très rares sont les hommes qui ont atteint le niveau 7. Cette typologie décrit un développement, mais qui n’a rien de nécessaire, c’est surtout une typologie statique. Selon Kohlberg, le plus souvent, les hommes s’installent à un niveau et y demeurent. (texte) Il n’y a que peu de possibilité de mutation possible d’un niveau vers l’autre. Le type de conscience morale de l’individu est aussi son appartenance sociale par défaut, ce qui a aussi tendance à figer le développement. Le mental a une rigidité mécanique qui maintient l’existence dans l’ornière d’un type de conduite. Il ne faut pas compter sur le temps psychologique pour qu’un individu puisse moralement changer. Ce serait escompter une conversion intérieure qui tient presque du miracle. Par exemple, le consommateur que l’on trouve au niveau 1, restera un épicurien primaire et il justifiera d’abord la dualité bien/mal en terme de plaisir/douleur. Il restera sourd à une autre logique. Ou encore, il profitera de son bien et mesurera le mal à un calcul défavorable ou un déplaisir. Si la dualité plaisir/douleur n’est pas présente dans une argumentation, elle le laissera de froid. Il y aura aussi toujours des hommes attachés la reconnaissance sociale et aux décorations, comme des extrémistes dans leurs vues et kapo dans leur morale. La rigidité mentale du niveau 3 est suffisamment charpentée, pour que d’elle-même, elle ne soit jamais modifiée. Ce serait demander un saut, et un saut entraînant une rupture sociale évidente. Les bonnes gens du niveau 4 se rassurent si aisément les uns les autres, qu’ils n’iront pas d’eux mêmes faire le pas vers un niveau plus élevé. Ils se complaisent dans leur vision habituelle, mettent en avant le souci de l’ordre social et ils ont bonne conscience ainsi. Le militant du niveau 6 tire sa fierté de ses sacrifices et de ses luttes. Passer au niveau 7 l’obligerait à une révision d’un système de valeurs qui le justifie amplement sous le regard d’autrui. L’attachement à une cause, c’est de l’ego mais de l’ego dans sa noblesse révolutionnaire. Il semble, selon Kohlberg, que dans cette structure pyramidale, tout ce que l’on peut souhaiter, c’est une sorte d’équilibre satisfaisant dans la conscience collective pour que la société garde sa cohésion.

2) Mais il y a un hic ! Kohlberg est tombé devant une autre possibilité : l’existence d’un niveau 0 du développement moral chez l’homme et c’est l’hypothèse que va développer Dan Simmons dans L’Echiquier du mal. Il existerait des individus dépourvus de sens moral. Une sorte d’insensibilité au mal, une absence d’empathie. En psychiatrie on dit que la santé mentale se traduit par l’empathie, et on parle de folie morale chez certains sujets qui semble dépourvu de toute empathie. C’est évidemment très inquiétant, car de tels individus ne se rendent tout simplement pas compte de ce qu’ils font. Où Dan Simmons innove, c’est en supposant l’existence de personnalités de niveau 0 douées de facultés psychiques supérieures, tel l’Oberst du roman, et pour qui la domination des hommes est un plaisir et la souffrance donnée une fête. C’est dans les camps de concentration que le roman débute et c’est un tortionnaire de niveau 0 que poursuivra Saul, le héros. Chez Dan Simmons, les individus du niveau 0 sont des vampires, ils absorbent l’énergie psychique de leurs victimes. Plus le vampire exerce son « Talent », plus il pratique le « Festin », plus il rajeunit. Dans cette vision, les tyrans de l’Histoire seraient des personnalités niveau 0. Le concept de hiérarchie de domination dans l’humanité , serait parrainé par des individus de niveau 0, incarnations par excellence de la volonté de puissance. Dan Simmons accuse l’évolution biologique d’en être la cause, car c’est elle qui aurait provoquée la mutation biologique dotant certains hommes du « Talent ». Nous avons vu que chaque niveau de moralité possède son argumentaire propre. Willi Borden, (le bourreau), soutient lui que contrairement à ce que pense Saul, (le psychiatre qui le traque), la violence est l’essence de la condition humaine et non une maladie. Il prétend que ceux qui possèdent le Talent ont seulement un peu l’amour de la violence que la plupart des hommes. C’est le discours d’une sorte de Calliclès monstrueux en quelque sorte. Quelle est la motivation des niveaux 0 ? Ce que veut montrer Dan Simmons, c’est qu’au niveau 0, le but de l’existence n’est plus que perversité pure, le jeu avec la violence et le plaisir de faire souffrir. Ici la symbolique est celle du jeu d’échecs avec des malheureux pions que sont les humains. Tel est le prototype réactualisé de la personnalité démoniaque, car ce n’est plus de l’humain, l’humain commence au niveau 1. A partir du niveau 1 on pourrait à la rigueur admettre que les hommes ne font le mal que par ignorance. Selon Saul, un homme n’est pas pervers par nature, même s’ il peut être méchant. Les individus du niveau 0 ne sont plus humains, bien qu’ils aient l’apparence de l’humain, on a donc affaire à une monstruosité morale. Pour Dan Simmons, qui s’appuie largement sur le judaïsme, le mal n’est pas accidentel, il existerait une intention démoniaque, une volonté du mal, volonté qui serait même assortie d’une volonté de puissance supérieure à la moyenne. De ce point de vue, il est possible de corriger la méchanceté, donc, sur le plan humain, à partir du niveau 1, la position de Saul est défendable. Mais si on admet la perversité pure du niveau 0, la seule solution, pour la société de se protéger, c’est de supprimer purement et simplement l’individu dangereux. Ce qui revient à chasser les démons.



B. Le mal absolu et l’ignorance



Ce qui nous ramène tout droit à un débat classique dans l’histoire de la philosophie occidentale, celui qui oppose le point de vue du christianisme à Socrate. Saint Paul objecte à Socrate l’existence d’une volonté mauvaise en l’homme, liée au péché originel, c’est-à-dire une volonté du mal pour le mal. Socrate admettait à l’inverse que toute volonté recherche le bien, ou le bonheur et n’est mauvaise qu’indirectement et non par intention délibérée. Comme on cherche à enlever un obstacle qui nous barre la route, on fait du mal à celui qui entrave nos désirs.



1) Dostoïevski disait qu’il suffit du supplice d’un enfant innocent, pour prouver que le Mal absolu existe et que le monde est mauvais, ce que la littérature contemporaine a amplement montré, comme dans Voyage au bout de la nuit de Céline. Le personnage de Bébert est l’innocent supplicié à mort, frappé par la force aveugle d’un destin absurde, ce qui est une formulation du mal absolu. Pourtant, Céline ne peut pas figurer le mal absolu sans le relier au champ relatif d’un mal social. L’homme est certes aux prises avec un monde mauvais, mais sa souffrance n’existe que sur le fond de la misère. L’hypothèse du Mal absolu implique une corruption originelle, une nature mauvaise qui gangrène la réalité et la tire vers le néant. Quand l’homme prête son appui au mal, le nihilisme fait son office mortuaire, la force aveugle du Mal, devient le supplice organisé des innocents, par d’autres êtres humains. A ce point, l’horreur de la situation est indicible et la perversion semble achevée. C’est pourquoi les camps de concentration sont l’expression du nihilisme absolu, l’expression du mal radical en l’homme.



La conduite de Bardamu et d’Oscar, confine à l’exhibition de la cruauté. Il s’agit de faire le mal pour le mal et de le montrer en détruisant toutes les assurances du bien et ses repères. Donc de l’étaler dans la représentation. Par exemple, Oscar ne se contente pas de donner à Matzerath l’insigne du parti nazi au moment de l’arrivée des Russes, il va plus loin : « Oscar se fit un aveu : il avait tué Matzerath de propos délibéré, parce que ce dernier n’était pas seulement son père présumé, mais aussi son père réel ; et aussi parce qu’il en avait assez de traîner un père à travers l’existence.» Céline joue à fond la carte du cynisme de l’exhibition du mal pour le mal. A côté, la mauvaise foi n’est jamais qu’une méchanceté larvée. Une méchanceté qui ne dit pas son nom et se voile ses propres intentions mauvaises et les gardent en réserve dans l’obscurité. Le cynisme du mal revendique l’obscurité. Dans Voyage au bout de la nuit, Céline cherche délibérément l’expression de l’obscénité et de l’ignominie. Bardamu se montre ignoble avec Lola : il vient d’apprendre que la mère de Lola est atteinte d’un cancer : « Je pris l’offensive : « Lola, prêtez-moi je vous prie l’argent que vous m’avez promis ou bien je coucherai ici et vous m’entendrez vous répéter tout ce que je sais sur le cancer, ses complications, ses hérédités, car il est héréditaire, Lola, le cancer. Ne l’oublions pas ! ". Le procédé littéraire est radical, car ici la compromission dans le mal emporte le lecteur à travers l’usage de l’humour noir. Nous rions avec un gueux qui exhibe sa méchanceté, et ce rire nous atteint dans notre propre méchanceté en l’exprimant et parvient ainsi à nous diviser de l’intérieur. La volonté du mal est toujours de créer de la division. Bardamu est ignoble et se montre comme tel, et cela nous fait rire méchamment. Nous rions en convoquant notre propre méchanceté. Dans un autre passage (le livre fourmille d’exemples), on a aussi le droit de se glisser dans la peau du gueux lorsqu’il livre Matzerath aux Russes, quelques années après avoir livré Jan Bronski aux Allemands. Faire cela, le mal directement : nous reconnaissons nos propres démons en nous–même, tout en les refusant, sous la figure de ces personnages qui se disent foncièrement mauvais. Mais le paradoxe, c’est que justement, le fait même d’exposer le mal à la lumière de la conscience, crée une distance avec la représentation elle-même. La conscience effectue une mise en lumière de cette nuit qui donc n’est plus vraiment une nuit. Comme ces personnages avouent leur perversité, ils ne peuvent pas être tout à fait mauvais dans leur être même. Ils sont des personnages. Comme Sartre l’a montré, se dire mauvais, c’est immédiatement poser l’existence d’un Bien, c’est faire exactement, délibérément, le contraire de ce qui serait le bien. « Faire le Mal pour le Mal, c’est très exactement faire tout exprès le contraire de ce que l’on continue d’affirmer comme le Bien. C’est vouloir ce qu’on ne veut pas –puisque l’on continue d’abhorrer les puissances mauvaises- et ne pas vouloir ce qu’on veut –puisque le Bien se définit toujours comme l’objet et la fin de la volonté profonde". Le cynisme d’Oscar et de Bardamu consiste à afficher leur caractère maligne, -leur parenté avec le Malin- en confirmant l’existence du Bien, tout en faisant en sorte que celui-ci ne soit plus pensable de manière naturelle. La bonté naturelle devient niaiserie. Voir les « curieux accouplements », lors de la panne d’électricité provoquée par Oscar et l’absence de réaction d’Hedwige Bronski, « assise dans la lumière des bougies avec ses bons yeux de vache ». Ou encore le ridicule associé au bien, car même Markus est comique quand il déclare son amour. Voyage au bout de la nuit est un crépuscule qui appelle l’apocalypse, les ténèbres du mal où la lumière du bien ne peut plus percer et où l’humanité est gangrenée de l’intérieur. Un panier avec des pommes pourries. Si la lumière du bien peut percer, ce ne peut être que de manière miraculeuse et non pas de façon naturelle. (texte)



On voit donc que l’hypothèse du Mal absolu ne tient qu’en supposant un Bien absolu, dans la dualité Bien/Mal, un bien qui en est l’intention opposée. On supposera donc une opposition et une lutte sans merci entre deux principes : Dieu/Diable. Dieu représente la Bonté infinie, la Beauté, la Sagesse, le Diable représente la cruauté, la laideur, la folie etc. Quels que soient les noms que l’on donne à cette dualité, c’est seulement dans le domaine de la religion que cette représentation prend corps. Si on suppose un Dieu qui est l’incarnation du Bien, l’existence de la violence, de la bassesse, de l’ignominie est un scandale, et ce scandale appelle à la reconnaissance des œuvres du Diable. Dans les Évangiles, Jésus combat le mal en délivrant celui qui en est possédé. Il combat le démon. Le mal ne saurait être de ce point de vue une simple collection de maux qui accompagnerait l’existence, le mal n’est pas relatif, le mal est encore moins un effet voulu de contraste dans le monde, ni l’objet d’un jugement de valeur différent suivant les époques et les lieux. Non, du point de vue théologique, dans les religions sémitiques, le mal en soi existe et il prend possession de la volonté de l’homme, qui en devient volonté mauvaise, volonté d’un homme à l’esprit impur et qu’il faut purifier. Il est dit dans les Évangiles que le Christ prend sur lui les péchés du monde, comme le magnétiseur prend la douleur du malade sur lui-même. En allant jusqu’au bout de la justification, le monde créé n’était bon qu’en tant que proto-création, au paradis, il est devenu mauvais depuis la Chute. L’humanité n’est pas bonne, la race humaine est « engeance de vipères », car elle a écouté le Serpent, la voix du malin, l’Autre en face de Dieu, et le Péché originel marque l'humanité d’une Faute irréparable ici-bas. La culpabilité doit suivre l’homme comme son ombre et c’est pourquoi le premier sentiment religieux est la crainte de Dieu.

2) Face à la puissance rhétorique de cette représentation, la défense socratique paraît bien naïve et il faut dire que l’on a tout fait pour la simplifier à l’excès. Ce que Socrate soutient, c’est que de son propre point de vue, tout homme cherche ce qui est bon et croit faire ce qui y contribue. Du point de vue de son propre système de valeur, personne ne cherche ce qui est mauvais. L’adage célèbre de Socrate dit que nul n’est méchant volontairement, ce qui signifie que nul ne veut sciemment le mal. Pourquoi ? Parce qu’une telle volonté ne saurait être réfléchie, tout être intelligent, tout être doué de réflexion, ne peut rechercher dans son action autre chose que ce qu’il juge comme étant son bien. C’est un principe de conduite élémentaire d’un être doué de conscience. Ou alors il faudrait suivre aveuglément une prescription extérieure, exécuter un conditionnement de manière mécanique, juger du bien et du mal selon l’opinion du moment, par un pur conformisme. Mais si chacun commence par être sa propre lumière et l’arbitre de ses décisions, il cherchera nécessairement ce qui lui parait bon. Si les termes bien/mal ne sont pas de simples préjugés collectifs, c’est qu’ils ont un sens pour celui qui les prononce, un sens relatif à une visée consciente. Le bien, c’est d’abord évidemment mon bien et le mal c’est aussi et d’abord mon mal. Il n’est pas nécessaire pour supposer une volonté du bien d’emblée d’exiger l’altruisme contre soi-même. Il est bien de se vouloir du bien et on ne voit pas comment on pourrait vouloir du bien à un autre que soi, sans vouloir son propre bien. En toute cohérence, je ne saurais donc vouloir le mal, car ce serait vouloir mon mal. C’est impossible. Je ne peux que me vouloir du bien. Le Soi ne se veut que du bien et si le Soi est étendu à tout l’univers, il ne voudra spontanément que le bien de tout ce qui existe. Se vouloir du bien est le commencement de la bonté. Par conséquent, celui qui recherche quelque chose de « mal », ce qui est susceptible du lui causer un tort, ou de causer un tort à d’autres, se trompe. S’il était réellement lucide, s’il savait vraiment que c’est un mal, il ne le voudrait pas. Nul ne veut éprouver du mal, être malheureux et souffrir. Ce qui n’est que l’envers d’une affirmation indiscutable : nous voulons tous être heureux. Ainsi, Socrate montre à Protagoras que nul ne choisit le mal exprès, ne fait le mal volontairement, mais seulement par ignorance. Ainsi, la vertu, la bonne conduite, suppose une connaissance. Elle suppose nécessairement au minimum un sens de la mesure, capable de nous affranchir de l’apparence ou de l’impression du moment, afin de faire un choix éclairé. L’ignorant s’égare et commet des erreurs. Il ne sait même pas comment faire pour aller là où il prétend aller. Il ne mesure pas la portée de ses actes. Il ne veille pas aux conséquences, alors qu’aucune action n’est sans conséquences et que les conséquences, une fois lancées, sont au-delà de notre maîtrise. Il n’a pas le sens de la mesure, alors que précisément, le plus simple degré de la sagesse est de garder le sens de la mesure. L’ignorance est un foyer chaotique d’action parce qu’elle est aveugle et inconsciente. Cela suffit pour faire du mal un problème sans qu’il soit nécessaire de supposer en plus une volonté sciemment mauvaise. Socrate n’hésite pas à dire qu’il vaut mieux subir l’injustice de que la commettre, ce que Gandhi répètera et montrera dans la théorie de la non-violence. Bien sûr, les grecs étaient sensibles à l’idée d’une possession de la volonté par une force étrangère. Cependant, ils ne pensaient même pas que les daimon étaient mauvais. Dans le Banquet, l’amour aussi est un daimon. Après tout, l’artiste inspiré est aussi possédé par le dieu, comme la Pythie. C’est le christianisme qui diabolisera le daimon socratique et inventera le Démon. C’est à la tragédie et à la musique que l’on demandait d’effectuer une catharsis de l’excès des passions humaines. C’est à l’éducation que l’on demandait une purification capable de préparer la conversion intérieure de l’homme dit « mauvais ». Un homme ne peut être foncièrement mauvais, il ne l’est que par de mauvaises tendances. En tout état de cause, la volonté humaine ne saurait être perverse, elle ne peut qu’être méchante, sous l’influence, il est vrai considérable, de tendances, de pulsions. Il ne faut pas sous estimer les forces inconscientes. Les grecs n’avaient pas de «mauvais diable » symétrique d’un « bon Dieu » à la manière des chrétiens. Peut être en raison de leur polythéisme naïf et folklorique, ce qui ne les empêchait pas d’avoir le sens du Sacré. L’idée traditionnelle selon laquelle la mort ne peut constituer qu’un passage allait dans le même sens. Platon évoque à maintes reprises la renaissance de l’âme. On sait que Pythagore racontait ses vies antérieures. Si l’hypothèse de la renaissance contient quelque vérité, il n’existe pas d’âme strictement mauvaise, ni de mal absolu. L’âme aura après la mort connaissance de ses actions. La puissance qui préside à la Manifestation est l’Un sans second, elle n’est ni un juge impitoyable, ni un despote jaloux et vindicatif, elle ne saurait avoir d’attente, d’exigence ou de besoin. Elle contient en elle toutes les forces et toutes les puissances qui soutiennent la Nature, c’est-à-dire tout la fois la création, la conservation et la destruction. Cette puissance, qui est la Vie de l’univers, est présente en toutes choses et réside dans le soi de chacun. La Vie se donne perpétuellement à elle-même dans le Soi, comme amour de soi. Le premier sentiment religieux dans ce cas n’est certainement pas la crainte. Il doit commencer dans l'éveil de la conscience par l’émerveillement et s’élever ensuite dans l’amour.

C. L’archétype du mal



Laissons à l’homme la responsabilité du mal dans la portée de ses intentions et n’ayons d’égard qu’à la racine de l’intention. En d’autres termes, qui peut vouloir le mal ? Nécessairement l’ego. Baudelaire écrit durement dans Mon coeur mis à nu, au sujet du commerce ceci : « Le commerce, c'est le prêté rendu, c'est le prêt avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne… Le commerce est satanique, parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse, et la plus vile ». Il y a ici une idée importante : la racine du mal se situe dans l’égoïsme et l’égoïsme est à l’opposé du don. Quel rapport y a-t-il entre l’ego et le mal ?



1) Selon Louis Lavelle, dans Le Mal et la Souffrance, nous avons devant la nature trois attitudes caractéristiques :

a) « La première, qui est optimiste et charmante, consiste à la louer toujours, soit dans le spectacle qu’elle nous donne et qui possède une admirable valeur artistique, soit dans les instincts qu’elle met en nous, et que la pensée ne fait jamais que corrompre ». C’est un reproche que l’on ferait aux grecs et une idée que l’on retrouve chez Rousseau et les romantiques. Idée combattue avec vigueur par John Stuart Mill.

b) « La seconde attitude est inverse de la précédente : elle considère la nature avec pessimisme et la trouve toujours mauvaise. Il y a au fond de beaucoup de consciences un vieux dualisme manichéen ». Nous venons de voir que cette attitude est assez caractéristique de la représentation des religions du Livre.

c) « il y a une troisième attitude qui consiste à prétendre qu’en elle-même la nature n’est ni bonne ni mauvaise. Seulement l’esprit, dès qu’il paraît, consacre les ressources de son invention à en disposer ». (texte)



En disposer, c’est la posséder, la dominer et l’asservir. L’homme dispose de la Nature, avons-nous vu, et il introduit dans la Nature des effets dont les conséquences s’étendent à toutes choses et lui reviennent. La manière dont l’homme agit dans la Nature et y prend position est essentielle, car elle se retrouve constamment dans sa relation avec l’autre homme. Ainsi, « toute la question est de savoir ou bien considérer le moi comme le centre du monde et tourner le monde à son usage, ou bien faire du moi le véhicule de l’esprit par lequel le monde tout entier doit être pénétré pour recevoir une signification et une valeur ». Ou bien l’action est centrée sur l’ego, son usage, ses profits et ses pertes, ses calculs, ou bien l’ego se laisse traverser par l’esprit et dans ce cas, il donne une valeur plus élevée que ses fins limitées. C’est précisément la différence entre l’égoïsme et le don. L’égoïsme saisit, cherche à posséder, il ne veut connaître que pour faire sien, comme il fait sien tout objet. Le savoir et son application technique donnent cette possibilité d’un empire sur l’objet, dans le champ du visible et la volonté de puissance fait le reste. Lavelle ajoute : « le bien est invisible, qu’il ne peut pas être saisi comme un objet, et qu’il se découvre mystérieusement à celui qui le veut, mais non point à celui qui le regarde. Dans la volonté qui fait le bien, le moi s’éloigne de lui-même et s’oublie ; dès qu’il cherche à le connaître, c’est pour s’en emparer et le rendre sien ; il suffit qu’il commence à le penser pour cesser de le faire. En ce sens, on comprend donc que la connaissance du bien et du mal, ce soit déjà le mal, puisqu’elle change le bien en mal par le désir même qu’elle a d’en faire son bien ». Le bien n’advient qu’au-delà de l’ego et à travers lui, dans une unité vivante qu’il ne peut pas saisir. L’égoïsme s’oppose à l’expression de l’unité de la Vie. L’égoïsme est plus fort que l’ego lui-même. Il s’immisce dans toutes les formes de l’activité humaine et recouvre tout. C’est lui qui étend les tentacules de son pouvoir à tous les niveaux de la vie, c’est lui qui retient, cache, c’est encore lui qui dénie l’âme, flétrit l’esprit, atteint le corps et paralyse le vouloir au cœur de la société. C’est l’égoïsme qui, ne songeant qu’à lui-même, opère en retrait, toujours dissimulé. (texte) C’est toujours en son nom, que l’on commet les pires crimes. C’est l’égoïsme qui tue l’amour et détruit, parce qu’il est à l’origine de la division de la séparation. C’est le principe même de la division entre le ciel et la Terre. L’égoïsme est l’archétype du mal.



Intuitivement, nous savons que « les formes du bien convergent les unes avec les autres. Nous pouvons multiplier les vertus et même les opposer entre elles, insister sur la diversité des vocations morales : pourtant le propre de ces vertus, c’est de produire un accord entre les différentes puissances de la conscience, alors que le mal se définit toujours comme une séparation, la rupture d’une harmonie, soit dans le même être, soit entre tous les êtres ». Partout où la division étend son empire, la terre se fendille dans la séparation, le sol se dérobe et la peur fait son office. Dans Les Racines du mal, Maurice le Dantec donne de la perversité une interprétation dans ce sens. Selon lui, l’intention du mal naîtrait d’une perte du sens de l’unité avec ce qui est. Le péché originel, dont parle le christianisme, n’est pas d’avoir voulu acquérir la connaissance. Au contraire, c’était là une bénédiction originelle. La faute c’est « de s’approprier la Connaissance en se détachant de la Foi, de l’Éthique… L’homme a brisé l’unité ». Ainsi, pour revenir au roman, « le tueur en série est complètement coupé de l’Unité. Il vit tout seul, dans sa forteresse étanche, en même temps que les frontières de son ego s’estompent ». Il sollicite à l’excès les forces de la Destruction. Les racines qui le relient à la Vie, à la Beauté et à l’Unité - l’arbre de la Vie - sont coupées. « A la place ont germé les racines de l’Arbre de Mort. Les Racines du Mal ». Pourtant, l’évolution opère constamment à un rééquilibrage : « dans le très étroit inter-monde de l’humanité et de l’histoire, ce qui survit, c’est ce qui est le plus juste. C'est-à-dire ce qui équilibre au mieux le bien et le mal nécessaire à l’expansion de la vie consciente ». L’intention de produire la division est contradictoire, parce que jamais un seul instant la Vie ne cesse de demeurer une. La séparation n’existe pas, même quand on croit pouvoir la produire. Il ne peut y avoir qu’une illusion de la séparation, une croyance dans la séparation et la prolifération de ses conséquences dans l’intériorité spirituelle, dans la vie en relation et sur le plan collectif des relations politiques. (texte)



2) Mais cette croyance est toujours disponible et elle est aussi efficiente. L’unité de la Vie n’est pas contraignante. Elle n’est pas totalitaire, comme le sont les régimes politiques qui enrégimentent les esprits dans une pensée unique. Elle laisse toute sa place au libre-arbitre. Nous disons que nous avons un code du bien/mal à travers une morale, c’est-à-dire que nous fixons des règles du bien/mal. Nous disons qu’il est mauvais de ceci ou de cela, de blesser, de voler, de tuer, en accord avec ce que nous tentons de faire. Cela signifie qu’en réalité, nous inventons librement les règles à mesure que nous avançons. La vie est un processus dans lequel nous décidons à chaque instant ce que nous sommes. Elle consiste à choisir qui je suis et à en faire l’expérience. Au fur et à mesure, que nous élargissons notre idée de nous-mêmes, nous inventons des règles pour l’envelopper, des règles avec de nouvelles obligations et de nouvelles interdictions. L’ego ne peut pas affronter l’unité intégrale de la Vie. Il se donne des frontières invisibles qui retiennent ce qui dans l’être n’a pas de limite. L’unité illimitée de la vie ne peut pas être limitée, mais il est possible de se limiter soi-même en créant un concept, celui de l’idée du moi. Avec l’idée du moi, nous pouvons imaginer des frontières, ce qui est la manière la plus simple de se connaître soi-même dans la singularité. L’ego crée la division bien/mal pour définir qui il est. Mais comme les frontières sont fictives, il les modifie sans cesse en fonction de l’idée qu’il a de lui-même. Ce qui est assez intéressant à observer, c’est qu’il ne voit pas ce processus, surtout quand il est confronté à autrui. Aussi croit-il facilement qu’il y a des pommes pourries dans le panier de l’humain. En réalité, il n’y a que des personnes qui se représentent un modèle différent d’eux-mêmes. Ce qui fait partie du jeu de la liberté humaine.

Là où le jeu tourne au drame, c’est quand l’ego croit qu’il est le seul à savoir ce qu’est le bien/mal, le seul qui se prétend raisonnable et qu’il pense que tous les autres sont fous. C’est exactement le genre de croyance qui propulse la violence et justifie la guerre. La croyance issue de l’égoïsme viscéral. D’où l’importance considérable de la compréhension de ce qu’est l’ego et du travail sur l’ego. L’erreur commune du moralisme a toujours été d’en rester à une condamnation des actes mauvais. Nous savons, que vouloir faire la morale n’a jamais converti personne. La connaissance seule peut aller en profondeur. Le moralisme ne produira jamais de sagesse. Le moralisme sans la connaissance de la structure de l’ego et le souci réel d’un travail sur soi est ignorance. Le véritable défi de l’Éthique (pas de la morale), c’est d’entrer dans la connaissance de soi, de mettre constamment en lumière l’ego et ses motivations et ceci de façon concrète. Ce qui veut dire sur moi-même à chaque instant. C’est un travail de la lucidité et non du jugement moral. L’ego est venu à l’existence par l’intermédiaire de la conscience afin de signifier sa propre individualité et de mettre en avant sa propre singularité. Cependant, quand nous disons être conscient, c’est avant tout parce que nous sommes conscience-de-quelque-chose. Le moi dans l’attitude naturelle, dans la vigilance, est englué dans la relation sujet/objet, il n’est que virtuellement conscient de lui-même. La conscience-de-soi n’est pas la vigilance. La virtualité de la conscience s’éveille seulement dans la lucidité, quand le témoin intérieur observe et met en lumière les activités de l’ego pour les éclairer. Les activités égocentriques du moi se déploient dans des constructions mentales. De fait, le mental et l’ego ne sont pas différents. Le moi est une pensée repliée sur elle-même, qui s’affirme dans ce que nous appelons la moïté, la tendance du sujet à s’approprier. Le moi s’affirme dans le désir de possession et il fonctionne très nettement dans la dualité, désir/aversion. « Moi je veux ce qui est bon pour moi », « moi, je ne veux pas ce qui est mauvais pour moi ». Les désirs de l’ego se ressemblent tous. Il sont toujours dans le même registre. Sans la relation intentionnelle sujet-objet l’ego n’apparaîtrait pas. Sans la représentation sujet/objet, l’ego ne peut non plus se manifester. Il est en réalité impermanent, et ce qu’il cherche, c’est à se donner une existence sous une forme quelconque, dans un personnage, afin de confirmer qu’il est le sujet réel, qu’il est l’âme. L'ego prétend montrer qu’il est bien « quelque chose » qui possède une existence séparée, indépendante et suffisante. Si nous écoutons bien la résonance de l’affirmation « moi !» , telle qu’elle peut être prononcée autour de nous, nous verrons immédiatement ces caractères : « je suis différent et je me pose comme tel, je me plante face à vous dans mon indépendance, je suis une entité suffisante ». En bref : moi !

La part de fiction –pour ne pas dire d’illusion- contenue dans ce genre d’affirmation est la cible de tout travail spirituel sérieux. Les questions : Qui veut du mal ? Qui a l’intention de nuire ? Qui souffre ? et Qui veut faire souffrir ? méritent d’être posées dans toute leur radicalité. Elle convoque immédiatement l’ego et elle tire les fils de ses pensées dans ses motivations. La rencontre n’est pas flatteuse, mais elle en vaut la chandelle. Comme l’indique remarquablement S. Prajnanpad, l’aptitude de l’ego à se dissimuler est étonnante, mais au bout du compte, l’ego n’est finalement qu’un petit personnage. Un personnage qui est une caricature d’habitudes prises et qui n’est fonctionnel que parce que nous ne le voyons pas. Dès qu’il est surpris, il est foudroyé et la conscience retrouve son état naturel.

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Il y a bien une intention du mal, mais rigoureusement, il n’est pas d’intention du bien. L’ego est traversé par le don sans en être l’auteur. Krishnamurti dit à ce sujet que nous ne laissons pas le bien s’épanouir et que nous lui faisons obstacle le plus souvent. Le mal n’est pas dans la Nature, il ne réside pas dans l’objet. Il n’est pas la conséquence d’une évaluation en général, mais l’effet d’un choix erroné qui ne voit pas en quoi elle se compromet avec une tendance destructrice. Une volonté foncière du mal ne peut exister sans la recherche de quelque bien. Il est en fait très difficile, autrement que par la fiction, de se figurer une véritable volonté perverse. Il faut convoquer tout un arsenal de croyances pour l’appuyer, et notamment une représentation duelle, un manichéisme de type religieux. Il est bien plus pertinent de cerner le mal à partir de l’empire de l’égoïsme. Cela nous met d’abord directement en cause, sans que nous ayons les moyens d’aller chercher un refuge de mauvaise foi dans l’idée d’une nature mauvaise, dans l’empire d’un diable ou même d’un inconscient mauvais. D’autre part, l’égoïsme peut être dévoilé dans tous ses replis, ce qui nous reconduit tout droit à la structure de l’ego.

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© Philosophie et spiritualité, 2005, Serge Carfantan, Accueil. Télécharger, Index thématique. Notion. Leçon suivante.



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