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lundi 13 février 2012
lundi 13 février 2012 à 19:30 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
2PAC,CHANGES LYRICS
2pac,Changes
1
- Come on come on : Allez allez
- I see no changes wake up in the morning and I ask myself: Je ne vois aucun changement en réveillant le matin et je me demande
- is life worth living should I blast myself?: Si la vie ne vaut devrais-je me tirer une balle?
- I'm tired of bein' poor & even worse I'm black: Je suis fatigué d 'être pauvre, et pire je suis noir
- my stomach hurts so I'm looking' for a purse to snatch (mon mal à l’estomac, alors je suis à la recherche »pour un sac à piquer)
- Cops give a damn about a negro: Les flics s'en foutent d'un nègre
- pull the trigger kill a nigga he's a hero: tirez la gâchette, tuer un mec il est un héros
- Give the crack to the kids who the hell cares: Donner le crack aux enfants tout le monde s'en fout
- one less hungry mouth on the welfare: une bouche de moins à nourrir pour le bien-être
- First ship 'em dope & let 'em deal the brothers: 'Dope em & laisser «navire d'abord vendre leurs frères
- give 'em guns step back watch 'em kill each other: donner des flingues, fais un pas en arrière, regarde les tuer les uns les autres
- It's time to fight back that's what Huey said: Il est temps de se battre c'est ce que Huey a dit
- 2 shots in the dark now Huey's dead: 2 tirs dans la nuit, maintenant Huey est mort
- I got love for my brother but we can never go nowhere J'ai eu l'amour pour mon frère, mais nous ne pouvons jamais aller nulle part
- unless we share with each other: à moins que nous partageons avec les autres
- We gotta start makin' changes : Nous devons commencer à faire des changements
- learn to see me as a brother instead of 2 distant strangers: apprendre à me voir comme un frère au lieu de 2 étrangers
- and that's how it's supposed to be: et c'est comme ça que c'est censé être
- How can the Devil take a brother if he's close to me?: Comment le diable peut prendre un frère s'il est près de moi?
- I'd love to go back to when we played as kids: J'aimerais revenir au moment où nous jouions comme des enfants
- but things changed, and that's the way it is: mais les choses ont changé, et c'est la façon dont il est
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« Il y a un café pour Noirs au Marché Français à deux rues d’ici ».
L’auteur est un Blanc qui change de peau avec l’aide d’un médecin pour vivre pendant quelques semaines, en 1959, la vie des Noirs américains.
Griffin est une sorte d’habitué des « changements de peau » puisqu’il est un authentique ancien aveugle et qu’il a vécu en France. Peut-être, après tout, ce type d’expérience n’était-il pas envisageable pour un Américain blanc qui n’aurait jamais quitté son pays et qui aurait toujours joui d’une excellente vision : ce sont ceux qui voient le moins loin...
Où aller dormir, manger, où pisser ? Il faut parfois traverser la ville pour trouver les commodités qui abondent pour les Blancs. Le monde des Noirs américains des années 50-60 n’a rien à voir avec celui des Blancs. Les deux communautés se côtoient sans avoir de contacts, dans l’inégalité la plus parfaite. C’était il y a 45 ans dans « la-plus-grande-démocratie-du-monde ». Les élections elles-mêmes sont en pratique réservées aux Blancs. Et la Justice aussi : un Blanc – pour autant qu’il soit un peu discret – peut tuer un Noir sans prendre de risques majeurs.
C’est encore l’époque où la solidarité entre Noirs est réduite : le Noir foncé est perçu comme inférieur par le Noir clair.
Lorsque un Noir explique « Nous ne sommes pas des gens instruits parce que nous n’en avons pas les moyens, ou parce que nous savons qu’avec de l’instruction nous n’aurions pas les mêmes emplois que les Blancs », il est difficile de ne pas faire le lien avec les immigrés chez nous : envoyés dans des écoles moins performantes parce qu’au milieu de ghettos et presque automatiquement destinés aux sections professionnelles devenues le symbole même de l’échec social.
De même avec : « Le Noir sait qu’il y a quelque chose qui ne va pas du tout, mais, vu le fonctionnement actuel des choses, il ne peut pas savoir qu’à travers le travail et les études on atteint quelque chose de mieux ».
Ou bien : « Le désespoir émousse le sens de la vertu chez un homme. Plus rien n’a d’importance pour lui. Il fera n’importe quoi pour y échapper – voler, commettre des actes de violence (…) »
Et : « personne, pas même un saint, ne peut vivre sans le sentiment de sa valeur individuelle. Les racistes blancs ont magistralement à frustrer les Noirs de ce sentiment. De tous les crimes raciaux, c’est le moins évident mais le plus odieux, car il détruit l’esprit et le désir de vivre. »
Evoquant l’influence de la religion sur le sentiment raciste, un prêtre cite Shakespeare : « tout imbécile peut trouver un passage dans les Ecritures pour étayer ses erreurs de jugement ». Et le prêtre de conclure : « Il connaissait les bigots ».
J’ajouterais : c’est vrai de toutes les Ecritures, de toutes religions et de tous les bigots.
Le livre se termine sur une inquiétude face à la montée d’un racisme en retour : celui des Noirs contre les Blancs. Explicable bien sûr, mais menant à « la tragédie insensée de l’ignorance contre l’ignorance ».
L’ensemble vaut plus par son aspect témoignage que par les quelques développements plus journalistico-philosophiques sur le racisme, pertinents bien sûr, mais moins originaux. lire la suite
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lundi 13 février 2012 à 19:18 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
++Nous voyons des Blancs qui détestent les Noirs, qui les appellent nègres, et les voient simplement comme des sous-hommes auxquels il ne faut surtout pas se mélanger sous peine de menacer la suprême race blanche... Bien entendu, les Noirs détestent les Blancs qui détestent les Noirs...Tous les Blancs ne font pas partie du Ku Klux Klan, ce sont les extrêmes, mais néanmoins la sympathie de la communauté blanche envers le Klan est générale++.
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Quelques mois avant de lire "Le couloir de la mort" de John Grisham, dont parle mon précédent avis, je m'étais attaquée à un de ses premiers romans, intitulé "Le droit de tuer". Il se trouve que j'avais vu quelques années auparavant le film tiré du livre qui, lui, s'intitulait "Le droit de tuer?", oui avec un point d'interrogation, une nuance pas si petite que cela. J'avais trouvé le film correct, mais comme tout le monde, les livres dont on tire les films me paraissent en général bien meilleurs que leur pendant sur grand écran, à de très rares exceptions. Finalement, je préfère voir un film puis lire le livre que le contraire, car ainsi je suis rarement déçue.
Le livre de John Grisham, dont je ne vais pas vous reparler de la carrière de juriste qui transparaît dans chaque page de ses ouvrages, commence dans les années 60, dans un département du Sud des Etats-Unis, par une scène très difficile: celui du viol brutal (s'il existe des viols sans brutalité, ce dont je doute) et la torture d'une fillette noire de dix ans par deux paysans blancs d'une trentaine d'années. Une scène plutôt difficile à lire, car très détaillée, graphique, une scène qui m'a amenée à poser le livre sur la table et à prendre une pause dans ma lecture. Mais je l'ai reprise quelques heures plus tard, et je ne le regrette pas.
La fillette survit à l'ignoble agression et rentre chez elle dans l'état que l'on imagine, tellement abîmée que le médecin annonce à sa mère qu'elle ne pourra jamais porter un enfant. Les deux violeurs sont arrêtés, ce qui montre que l'impunité n'existait au moins pas dans cette partie des Etats-Unis, à cette époque-là, contrairement à d'autres endroits et/ou d'autres époques où l'on pouvait lyncher, violer des Noirs sans que le shérif montre le bout de son colt, ou alors pour échanger avec le coupable des blagues racistes et graveleuses et convenir ensemble de la prochaine opération du Ku Klux Klan local.
Fou de douleur devant ce qui a été infligé à sa petite fille, le père profite de leur venue devant le tribunal pour les abattre chacun d'une balle. Hélas, il blesse aussi, totalement involontairement, un député qui devra être amputé.
Le reste du roman nous décrit le procès du père pour meurtre.
Comme dans la plupart des livres de Grisham, ceux que j'ai lus et les autres je suppose, l'étude attentive, la caractérisation poussée des personnages est un élément central.
Carl Lee Hailey est le père qui venge son enfant outragée, et se retrouve naturellement devant un tribunal pour répondre de ses actes. Carl Lee passe pratiquement tout le roman dans sa cellule à attendre son procès et n'est donc pas un personnage central du livre, une fois passée l'exécution des violeurs.
Jake Brigance est un jeune avocat blanc, très ambitieux, qui prend en charge la défense de Carl Lee, après avoir dans le passé déjà défendu son frère pour meurtre. Jake a une femme et une fillette, et son implication dans ce procès médiatique et très représentatif de la situation raciale à cette époque, va perturber énormément sa famille. Mais son ambition, sa passion de la justice sont plus fortes que sa peur; le cas de Carl Lee Hailey est bien entendu le plus important de sa jeune carrière, celui qui peut le lancer ou l'anéantir.
Ellen Roark est une jeune étudiante en droit, éprise de justice, totalement dévouée à sa lutte contre la peine de mort en général, et en particulier à aider à ce que les accusés Noirs bénéficient des mêmes droits judiciaires que les Blancs. Elle offre ses services à Jake, qui l'emploie essentiellement à rechercher des cas de jurisprudence dans les autres Etats américains, pour des affaires similaires. Elle lui fournira également une épaule amicale lorsque sa femme et sa fille, menacés par le Ku Klux Klan, devront quitter la ville.
Harry Rex Vonner est un ami avocat de Jake, qui s'occupe principalement de divorces et mène une carrière tranquille et plutôt lucrative. Malgré les risques, il appuiera Jake tant légalement que moralement tout au cours du procès.
Lucien Willbanks est le mentor de Jake, son tuteur qui l'a amené là où il est. Radié du barreau, alcoolique, il sera cependant d'une grande aide pour Jake et l'aidera a donner le meilleur de lui-même.Ozzie Walls est le shérif noir de la petite ville de Clanton, Mississippi, où se déroule l'histoire. Ozzie est quelqu'un de bien, que tout le monde ou presque apprécie, et qui aide Carl Lee à voir sa famille dans la période qui précède le procès. C'est également lui qui doit se coltiner le Ku Klux Klan quand ils se mettent à brûler des croix dans les jardins des gens qui ne pensent pas comme eux, et autres singeries haineuses.
D'ailleurs le Ku Klux Klan est un personnage à part entière de ce roman. Ils semblent vraiment sortis tout droit d'une autre époque avec leur discours de haine, leurs accoutrements ridicules, leurs bagarres dans la rue, leur manière de terroriser tout le monde, y compris les jurés. Dans leur esprit étroit, un Noir qui tue un Blanc c'est un crime qui doit être puni de mort, de préférence une mort bien affreuse; alors qu'un Blanc qui tue un Noir doit être applaudi pour avoir défendu la suprématie de sa race. Pour tout esprit normalement constitué, leurs thèses sont non seulement indéfendables mais semblent absolument délirantes; n'oubliez pas que cette organisation existe encore aujourd'hui! Le Juge Noose est le juge chargé de ce procès délicat. Ses décisions sont biaisées par l'ambiance générale et plus particulièrement les menaces qu'il reçoit, tout comme les jurés. Cette influence se ressent fortement lors du procès, par exemple lorsqu'il refuse bêtement d'accorder un changement d'horaires à des témoins pourtant menacés explicitement par le Klan.
Rufus Buckley, enfin, est le procureur général, celui qui représente l'Etat contre Carl Lee. Il représente de manière assez caricaturale l'homme essentiellement préoccupé par sa carrière personnelle, pour qui la justice est une notion somme toute assez secondaire, l'essentiel étant de se faire remarquer et de plaire à l'opinion publique afin de faire démarrer une éventuelle et brillante carrière politique.
Pour ceux d'entre-vous qui ne sont pas juristes, comme moi, ne vous inquiétez pas. Grisham n'est pas fou et n'entend pas restreindre son lectorat à une bande d'avocats ou de juges! Donc, Le droit de tuer est un livre aisé à lire, les termes du jargon légal étant bien explicités afin que le lecteur lambda puisse en suivre toutes les nuances; peut-être même mieux expliquées que dans Le couloir de la mort. Il ressort de ce texte que John Grisham sait vraiment bien de quoi il parle, qu'il est bien renseigné sur tous les enjeux judiciaires, politiques ou médiatiques qui entouraient ce genre de cas représentatif d'une certaine réalité sociale et raciale. Grisham sait entraîner le lecteur à sa suite dans un domaine qu'il maîtrise parfaitement, mais sans l'engluer dans de la technique qui le laisserait sur le bas-côté. J'ai notamment été très étonnée de constater à quel point la recherche de cas faisant jurisprudence tenait un rôle prépondérant dans la préparation du procès, même au détriment de la classique analyse légale des arguments. Egalement prépondérants: les efforts pour discréditer la partie adverse.
On comprend très vite que le destin de Carl Lee dépend essentiellement de la capacité ou non de ses avocats à le faire apparaître aux jurés comme un père de famille aimant, sans histoires, ayant simplement voulu défendre sa fille victime d'un crime atroce, auquel cas il pourra s'en tirer; ou au contraire si les jurés ne parviendront pas à le voir comme autre chose qu'un meurtrier de sang froid Noir ayant abattu 2 Blancs.
Dans Le couloir de la mort, il était assez hallucinant de voir les manoeuvres des avocats de la défense d'un terroriste appartenant au Ku Klux Klan pour faire en sorte de déplacer le procès dans une circonscription où le Klan était bien implanté, ou faisant en sorte de disposer d'un jury populaire uniquement composé de Blancs. Dans ces 2 ouvrages de Grisham, ce qui me reste le plus est cette évidence: à cette époque, et bien au-delà, la principale caractéristique d'un homme, c'est la couleur de sa peau. Quand il y a quelques années, Halle Berry a reçu un Oscar, l'ensemble des médias s'est extasié parce que c'était la première fois qu'une actrice Noire recevait la statuette; j'étais ébahie, oui encore de nos jours, il n'y a pas vraiment d'humanité dans l'esprit général: il y a des Blancs, des Noirs, des Jaunes... fin de la digression( désolée).
Mais ce livre n'est pas uniquement une plongée passionnante dans la machine judiciaire et politique américaine. C'est également une analyse sensible de la manière dont la vie d'une famille Noire modeste du Sud des Etats-Unis va se retrouver totalement bouleversée par un événement tragique. L'histoire d'un père qui a voulu protéger sa famille, sans penser avant de commettre son action qu'il risquait de lui rendre la vie encore bien plus difficile en cas de condamnation à la chambre à gaz. Il est coupable devant la loi, nul doute là dessus, puisqu'il ne nie nullement avoir prémédité l'assassinat de sang-froid des deux violeurs; la question étant bien entendu: Doit-on se faire justice soi-même, quand on estime que la justice de son pays est partiale et défaillante? Et Jake parviendra-t-il à convaincre le jury d'acquitter Carl Lee ou tout au moins de le condamner à une peine légère, afin de le rendre à sa famille qui a plus que jamais besoin de lui?
Bien entendu, un autre aspect passionnant de ce livre est l'analyse des préjugés raciaux en vigueur. Nous voyons des Blancs qui détestent les Noirs, qui les appellent nègres, et les voient simplement comme des sous-hommes auxquels il ne faut surtout pas se mélanger sous peine de menacer la suprême race blanche... Bien entendu, les Noirs détestent les Blancs qui détestent les Noirs...Tous les Blancs ne font pas partie du Ku Klux Klan, ce sont les extrêmes, mais néanmoins la sympathie de la communauté blanche envers le Klan est générale. Heureusement, il y a ça et là des personnes qui voient au-delà de la couleur de la peau et estiment que chacun doit être traité de manière égale; ces personnes étant forcément très courageuses car cibles des représailles violentes et effrayantes, tel Jake dont la vie est menacée à plusieurs reprises, son crime étant d'être ce que les membres du Klan appellent "nigger lover"...
Tous ces thèmes sont traités par Grisham de manière extrêmement réalistes, et pendant toute la lecture, vous ressentirez des sentiments assez forts: dégoût, espoir, empathie, douleur, appréhension, honte et doute..., et aussi pitié envers la première victime: la petite fille de Carl Lee, si brutalement arrachée de l'enfance.
Aucun personnage ne laisse indifférent, ils suscitent tous amour, encouragements, haine dégoûtée, mépris, ou terreur.
Je recommande ce livre à toutes les personnes aimant les histoires de tribunal, les cas de justice, les thrillers, l'Histoire...Comme dans Le couloir de la mort, un suspense insoutenable vous tient en haleine autour d'une unique question: Jake va-t-il parvenir à sauver Carl Lee? Et en même temps, au fond de votre esprit trotte cette question: Carl Lee a-t-il eu raison de le faire? N'aurait-il pas dû penser à sa fille et aux autres membres de sa famille qui ont plus besoin de lui à la maison qu'en prison ou dans la chambre à gaz? Ne doit-on pas faire confiance à la justice? A-t-on le droit de se faire justice soi-même, n'est-ce pas la porte ouverte à l'anarchie?
Notez tout de même que ce livre n'est pas pour les âmes sensibles. Comme je le disais au début, la scène du viol de l'enfant est assez explicite, et récurrente tout au long du roman. Ces descriptions ne sont pas gratuites, elles donnent de l'épaisseur à l'épreuve initiale et de la substance au récit narratif. Pour ne rien vous cacher, à de nombreux moments mes émotions ont été mises à rude épreuve et, tout comme pour le Couloir de la Mort, j'ai terminé Le droit de tuer en larmes. Cette histoire m'a ébranlée et je ne pense pas qu'elle puisse vous laisser indifférents.
Merci à tous ceux qui sont parvenus au bout de cet avis
http://www.come4news.com/le-droit-de-tuer-john-grisham-797258 lire la suite
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lundi 13 février 2012 à 18:03 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
La vague de démocratie qui balaie le monde arabe atteindrait l'Afrique sub-saharienne, selon Hillary Clinton Mardi, 14 Juin 2011 05:57 Etroubéka
La vague de démocratie qui balaie le monde arabe atteindrait l'Afrique sub-saharienne, a prophétisé Hillary Clinton le secrétaire d'Etat américain. « Nous savons que beaucoup de peuples vivent encore en Afrique sous le règne de dirigeants depuis trop longtemps au pouvoir » a t-elle ajouté.
Lire ci-dessous quelques extraits de ses propos à ce sujet et, plus bas, l'article " Prochain prix Nobel de la Paix ? ", une analyse de Serguëi Ondaye pour ce qui concerne le Congo...
Lundi 13 juin Hillary Clinton est devenu le premier chef de la diplomatie américaine à s’adresser aux 54 pays membres de l'Union africaine, au siège de l’UA, à Addis-Abeba.
Elle a commencé par exhorter les dirigeants africains à retirer leur soutien à Mouammar El Kadhafi en expliquant qu’il était temps en Afrique d’œuvrer en faveur de promotion de la démocratie sur le continent.
Prévenant son auditoire que la même vague de démocratie qui balaie le monde arabe atteindrait l'Afrique sub-saharienne, Clinton s’est exprimé en ces termes : « Le statu quo est bousculé et les veilles habitudes de gouvernement ne sont plus acceptables ».
A propos des changements nécessaires en Afrique sub-saharienne Clinton a averti : « Nous savons que beaucoup de peuples vivent encore en Afrique sous le règne de dirigeants depuis trop longtemps au pouvoir, des hommes qui font plus attention à leur longévité et pas assez de l'héritage qu'il laissent pour l'avenir de leur pays ».
Kadhafi ? Même si elle reconnaît que le leader libyen a par le passé joué un « rôle majeur » dans l'aide financière accordée à plusieurs pays africains et à leur organisation continentale elle considère néanmoins qu’« il est devenu évident qu'il a dépassé depuis longtemps le jour où il ne devrait plus être au pouvoir » ajoutant : « Nous savons qu'un certain nombre de pays africains hésitent, en grande partie en raison de l'énorme influence que Kadhafi a exercée pendant si longtemps en Afrique ».
Notre commentaire - Les oreilles de Sassou, Biya, Obiang ont dû siffler… " Beaucoup de peuples vivent encore en Afrique sous le règne de dirigeants depuis trop longtemps au pouvoir, des hommes qui font plus attention à leur longévité... " De quoi je me mêle ?
Serait-ce là un nouveau discours de la Baule ? Peu sûr car cette fois-ci Sarkozy et la France veillent sur les intérêts de « l’homme africain qui n’est pas encore entré dans l’histoire ». L’histoire de la démocratie ?
Aux dernières nouvelles Sassou, nullement rassuré par le « printemps arabe » et ses répercussions éventuelles dans son pays, mise sur le renseignement et la sécurité de son régime. Il y consacrerait un milliard de francs CFA par semaine pour prévenir toute fronde des jeunes notamment à Talangaï (1), pourtant censé être son fief.
Cela suffira-t-il ? Peu sûr. Un fruit mûr tombe toujours surtout sous l’effet d’un vent parti de loin.
(1) Talangaï, c'est là où beaucoup de barons du pouvoir vivent... et étalent leurs richesses, devant la misère ambiante. JDO a par exemple construit un haut mur de part et d'autre de sa rue (goudronnée par ses soins), sur une centaine de mètres, ce qui permet de cacher à la vue de ses visteurs (et à la sienne), les taudis de ses encombrants et pauvres voisins...
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Tribune libre
Prochain prix Nobel de la Paix ?
L’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique en République du Congo, Monsieur Christopher W. Murray, s’est rendu, le 10 juin dernier auprès de Denis Sassou NGuesso pour solliciter son concours dans le règlement de la crise libyenne. Certes ce mouvement en direction de M’Pila ne fait que partie de la stratégie du département d’Etat afin de mobiliser l’organisation de l’Union Africaine contre Mouammar Kadhafi.
Hillary Clinton, la Secrétaire d’Etat, a achevé ce lundi sa tournée en Afrique au siège de l'Union africaine à Addis Abeba, où elle a invité l'organisation continentale à durcir le ton vis-à-vis de la Libye. La secrétaire d'Etat a été le premier chef de la diplomatie américaine à prononcer un discours devant les 53 pays membres de l'UA depuis la création de l'institution en 2002.
Vraie fausse photo d'Obama avec Sassou
« Je demande à tous les Etats africains de faire pression pour la mise en œuvre d'un véritable cessez-le-feu et d'appeler Kadhafi à quitter le pouvoir (...) », a déclaré Mme Clinton. Elle a appelé les pays du continent à suspendre les activités des ambassades fidèles au régime de Tripoli et à expulser les diplomates pro-Kadhafi en poste dans ces pays. On voit mal Denis Sassou NGuesso exécuter cette demande, lui qui est le chef d’Etat le plus proche de son complice Kadhafi. Ce genre d’appel ne pourra être entendu que par des pays pauvres qui ont un besoin réel de l’aide américaine. De plus, le Congo Brazzaville est un pays véritablement riche qui vend chèrement son pétrole aux Chinois, aux Américains et qui se moque royalement d’éventuels subsides puisqu’il a déjà eu toutes ses dettes effacées par les contribuables américains, français etc…
Argument non négligeable pour les Congolais, qui rêvent de voir partir Denis et sa clique, Hillary Clinton devait également souligner que les révoltes qui secouent le monde arabe depuis l'hiver pourraient trouver un écho en Afrique, dont de nombreux dirigeants inflexibles n'ont toujours pas engagé de réformes politiques et économiques.
Rien ne nous interdit de penser que l’Ambassadeur Murray ait tenu le même langage dans son tête à tête avec le président congolais. Il faut reconnaître que la puissante Amérique, dirigée par un Barak Obama dont l’Afrique attendait tellement, s’est montrée pour le moins complaisante à l’égard de ces dictatures fantoches livrées à la kleptocratie la plus effrénée. Au premier abord cela ressemblerait à un léger chantage (diplomatique bien entendu) : « Aidez-nous à nous faire dégager Kadhafi, sinon nous pourrions encourager vos populations à suivre les révoltes nord-africaines ! »
Au Congo les populations en ont plus qu’assez et c’est à croire que les murs trop épais de la nouvelle ambassade des Etats Unis empêchent les diplomates américains d’entendre la vox populi et le mécontentement congolais. Il est bien loin le temps de l’Ambassadeur Phillips, illustre prédécesseur de l’Ambassadeur Murray qui d’un télégramme, sans en référer à Washington encore endormi, sauva la Transition congolaise.
En effet, dès la mise en place du Gouvernement Milongo, les militaires étaient régulièrement sollicités et encouragés par le Denis Sassou Nguesso, dépossédé de ses pouvoirs, à interrompre le processus démocratique. C’était sur Jean Michel Mokoko que se concentraient les pressions du président « déchu », relayées et confortées par celles des pétroliers.
Il a fallu des mois d’insistance pour qu’un jour de janvier 1992 les chars se mettent en route et encerclent la Primature d’André Milongo. Tout semblait se jouer en quelques heures pour que s’arrêtât net la Transition. C’est alors que l’Ambassadeur Phillips expédia à l’AFP la déclaration, ô combien salutaire, selon laquelle les Etats-Unis soutenaient le processus démocratique de la Transition dirigé par le Conseil Supérieur de la République et son Premier ministre, M. André Milongo. Aussitôt, les commanditaires de cette tentative de putsch ordonnèrent le retour des soldats à la caserne. Le brut congolais avait alors comme principal débouché commercial les USA.
Une complicité de longue date
Depuis cette période, la diplomatie américaine s’est faite particulièrement discrète et rien n’est venu, d’outre-Atlantique, malgré l’élection de Barack Obama, freiner les excès souvent cruels de ce régime.
« Les pays africains sont très profondément divisés et opposés à propos de la Libye », note un haut responsable du département d'Etat qui accompagne Hillary Clinton.
Le Sénégal et la Mauritanie ont publiquement souhaité que le colonel libyen quitte le pouvoir, ce qu'a salué Washington, mais l'UA en tant qu'organisation ne s'est pas prononcée sur le sujet. A ce jour, seuls deux pays africains, le Sénégal (poignée de main de Barack Obama à Karim Wade à Deauville lors du G8 oblige) et la Gambie, ont officiellement reconnu la rébellion du CNT comme représentant légitime du peuple libyen. L’U.A. accuse au contraire les puissances occidentales de saper ses propres efforts pour trouver une solution politique au conflit. Il est vrai que ce dernier point de vue est celui qui est émis depuis Brazzaville et Sassou NGuesso n’a pas ménagé ses efforts ni ses deniers (au moins ceux du Trésor Public de Brazzaville) pour le faire valoir auprès de ses homologues africains. Au grand dam des puissances occidentales qui préféraient une solution expéditive : l’élimination pure et simple de Kadhafi !
Il n’empêche que cette visite de l’Ambassadeur des Etats Unis auprès de Sassou-NGuesso ne manquera d’être montée en épingle par le valet des Dépêches de Brazzaville. Il ne faudra pas s’étonner de lire que Denis Sassou NGuesso, Président d’un ex-pays pauvre, reçu par les plus grands de ce monde, sera bientôt proposé pour le Prix Nobel de la Paix tant son œuvre et ses actions sont importantes…
Certes, ils sont bien nombreux ceux qui perdent la mémoire avec l’argent du pétrole volé par l’actuelle famille au pouvoir, mais l’Ambassadeur Christopher W. Murray sait parfaitement qui est Denis Sassou NGuesso. Si d’aventure, son disque dur venait à défaillir, il pourrait toujours parcourir le brûlot, une lettre à Etienne Mougeotte, que vient d’écrire Hervé Zebrowski, l’auteur des « Assassins du Cardinal ». Peu reluisant ! De la mort du Cardinal au DC 10 d’UTA tout ou presque y passe et encore toutes les victimes n’y figurent pas….
Sergueï ONDAYE
http://www.mwinda.org/index.php?option=com_content&view=article&id=737:hillary-clinton-beaucoup-de-dirigeants-trop-longtemps-au-pouvoir-en-afrique&catid=101:article lire la suite
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lundi 13 février 2012 à 17:41 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
Episode I
Comment l'Américafrique, la Belgafrique, la Françafrique et l'Organisation des Nations Unies furent les fossoyeurs de Lumumba et de la démocratie congolaise naissante
- Episode I : le 30 juin 1960 discours d'indépendance de Lumumba, naissance d'une démocratie parlementaire, "Bwana Kitoko" Baudoin humilié
"Ils avaient pour roi l'ange de l'abîme, appelé en hébreu Abaddon, et en grec Apollyon (c'est à dire l'exterminateur)". (Apocalypse, chap IX,11)
Cité par Jules Marchal, diplomate belge et ancien fonctionnaire territorial au Congo Belge dans E.D. Morel contre Léopold II, L'Histoire du Congo 1900-1910, L'Harmattan, 1985.
"Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres...Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n'était jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir...Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice ?"
Lumumba, discours de l'indépendance du 30.06.1960
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale, l'ONU, les USA, l'affaiblissement de l'Europe, sont autant d'éléments qui vont contribuer à précipiter le processus de décolonisation. Fin des années 1950, dans l'empire britannique la transition s'instaure pacifiquement en Afrique (Ghana 1957, Nigéria 1960...) tandis qu'en France la loi-cadre Defferre de 1956 prépare l'émancipation progressive des territoires de l'Union française. En 1957, l'Abako (Association des Bakongos), premier parti politique créé au Congo, remporta les élections municipales de Léopoldville. Alors que la Belgique et le roi Baudoin, le bien nommé "Bwana Kitoko" ("le beau jeune homme"), depuis son séjour de 1955 dans l'Etat du Congo, envisageait une décolonisation sur trente ans, la Belgique se voit obligée en urgence de décoloniser suite aux violentes émeutes des 4 et 5 janvier 1959 à Léopoldville. Le spectre d'un conflit armé qui ensanglante l'Algérie depuis 1954 conduit le gouvernement Eyskens à prendre les devants et à précipiter le processus. Très vite l'ancienne puissance coloniale accorde l'indépendance politique dans l'idée de garder la main-mise économique. Au travers des différentes étapes (table ronde de Bruxelles, élections, formation du gouvernement) les Belges cherchent moins à assurer la viabilité du jeune Etat qu'à préserver leurs intérêts et à installer des dirigeants qui leur soient favorables. il s'agit donc d'installer des dirigeants féaux à l'instar de ce qui s'est passé lors des indépendances des anciennes colonies françaises (Tchad, Gabon, Cameroun, Togo, Centrafrique..).
Pourtant, en 5 ans Lumumba était devenu le leader d'un irrésitible mouvement d'indépendance. Contre toute attente, le panafricain et patriote Lumumba gagnait les élections libres avec son mouvement le MNC (Mouvement National Congolais). Le parlement congolais vota démocratiquement et Patrice Emery Lumumba fut élu Premier ministre (chef du gouvernement) tandis que le président (sans pouvoir dans un régime parlementaire) en était son rival Joseph Kasa Vubu. La Belgique laisse à contre-coeur les clés du royaume à Patrice Lumumba. Le 20 février 1960, durant une réunion qui cloture des travaux d'une table ronde tenue à Bruxelles entre représentants belges et congolais il est décidé que l'indépendance du Congo serait fixée au 30 juin 1960.
Le 30 juin 1960 jour de l'indépendance du Congo, le Palais de la Nation à Léopoldville (l'actuelle Kinshasa) reçoit les membres de la famille royale belge dont le roi Baudoin 1er, des représentants du gouvernements belge, des administrateurs coloniaux, le parlement congolais, la presse internationale pour célébrer cette nouvelle ère pour le Congo. L'évènement est radiodiffusé dans tout le pays et couvert par la presse internationale. La foule s'amasse devant le Palais de la Nation pour assister à un évènement historique. Le protocole voulait que le roi Baudoin puis le président Kasa Vubu fassent un discours pour l'indépendance du Congo mais le premier ministre Lumumba élu par le parlement ne l'entendit pas de cette oreille.
Le discours du roi des Belges, Baudoin 1er, fut un discours de légitimation de la colonisation, une véritable apologie de l'oeuvre du roi Léopold II.
http://www.pressafrique.com/m366.html
Discours du roi Baudoin Ier ,le 30.06.1960 à Léopoldville
Extrait vidéo cliquez ici
"L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'oeuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique"
Il sonnait aux oreilles des nationalistes congolais comme une insulte à la mémoire des millions de morts générés par la politique monstrueuse du roi Lépold II grand oncle du roi Baudoin. "Pour caractériser le colonialisme léopoldien, les sources les plus diverses utilisaient les notions et les concepts les plus évocateurs pour l'époque, curse ("malédiction"), slave state ("Etat esclavagiste"), rubber slavery ("esclavage du caoutchouc"), crime, pillage...Aujourd'hui on n'hésite plus à parler de génocide et d'holocauste" (Elikia M'Bokolo, p.434. Le livre noir du colonialisme. XVIè-XXIè siècle : de l'extermination à la repentance). On peut d'ailleurs pour évaluer l'ampleur de la monstruosité coloniale au Congo sous Léopold II consulter de nombreuses références* . Un documentaire britannique intitulé « Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire » réalisé par Mark Dummett et produit par la BBC a suscité les foudres de la maison royale et du ministre des affaires étrangères Louis Michel lors de sa diffusion sur la RTBF le 8 avril 2004. Le passage incriminé était un commentaire faisant le parallèle entre la colonisation de Léopold II et le génocide hitlérien. Même si bon nombre de ces enquêtes sont postérieures à 1960, ni la Belgique, ni les congolais ne pouvaient ignorer le cataclysme pour le Congo que fut le règne de Léopold II. Les travaux de l'avocat afro-américain George Washington Williams, du missionnaire afro-américain William Shepperd, du journaliste britannique Edmund Dene Morel, du consul britannique Roger Casement, du premier mouvement des droits de l'homme (Anti-Slavery International) furent à l'origine d'une commission d'enquête belge instituée par décret le 23 juillet 1904 et dont les témoignages ne furent pas publiés. Cette commission fut relayée par une de nombreux articles dans la presse et par une abondante littérature dont les fleurons les plus célèbres sont "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad (1905) et "The crime of the Congo" (1909) de Sir Arthur Conan Doyle.
Le discours de Baudoin Ier en faisant l'apologie de son grand oncle et de l'oeuvre coloniale apparaît pour les colonisés comme un discours de légitimation des nombreuses humiliations et discrimination qui ont jalonné la colonisaton : arrestations arbitraires, exécutions sommaires, répressions sanglantes, spoliations et expropriations... En juin 1960, aucun noir ne dépassait le grade de sergent-chef dans la Force Publique (force coloniale belge), et le dérisoire statut "d'évolué", censé couronner les efforts d'assimilation des indigènes, concerne à peine un millier de Congolais sur treize millions.
"Le discours de Baudoin, teinté de paternalisme dresse non seulement une image élogieuse de la colonisation mais dresse un avenir néocolonial tout aussi prometteur". (Ludo de Witte, l'Assassinat de Lumumba, Ed. Karthala, p. 31)
Discours du roi Baudoin Ier ,le 30.06.1960 à Léopoldville
"Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux...N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils, pour former avec vous les techniciens et les fonctionnaires dont vous aurez besoin."
Au discours pro-colonial du roi Baudoin répondra le discours officiel insignifiant du président du parlement, Joseph Kasa Vubu qui remercie le roi et en appelle à dieu.
"...Dans une attitude de profonde humilité j'ai demandé à dieu qu'il protège notre peuple et qu'il éclaire tous ses dirigeants...". Discours du président Kasa Vubu,le 30.06.1960 à Léopoldville
Puis il y eut l'allocution non annoncée du Premier Ministre Patrice Emery Lumumba à la grande surprise du gouvernement belge et de la maison royale. Son discours, pour les Congolais, fut libérateur de tant d'humiliations, de brimades et de crimes contre l'humanité subis et jamais dénoncés publiquement. Il fut interrompu à huit reprises par les applaudissements de la foule et son discours fut courronné par une véritable ovation tandis que le roi Baudoin devint livide selon nombre d'observateurs. Lumumba intervint immédiatement après l'allocution du président congolais. C'est Joseph Kasongo, le président de la chambre des représentants qui donna la parole au Premier ministre à la grande stupéfaction du gouvernement Eyskens et du roi. Aucun des spectateurs de cette journée n'avait eu le projet de texte de Lumumba ni la presse, ni les Belges, ni les Congolais. Jean Van Lierde, ami belge de Lumumba, raconte comment il a vu Lumumba corriger son texte durant l'allocution du roi Baudoin et du président Kasa Vubu. C'est le contenu du discours qui va sceller le sort de Lumumba et montrer au monde entier de quelles valeurs, de quelle idéologie politique il était trempé. Pour la première fois, un "nègre" devenu le plus haut responsable du gouvernement congolais, révèle au monde entier le sort que les colonisés ont subi sous le joug colonial au Congo. Comble du déshonneur, il ne s'adresse ni au roi, ni au gouvernement belge mais aux Conglais reléguant les anciens colons au rôle de spectateur :
"Congolais et congolaises, combattants de l'indépendance aujourd'hui victorieux".
De plus il explique que l'indépendance du Congo n'est pas un cadeau de la Belgique mais qu'elle a été proclamée en accord avec la Belgique suite à la lutte politique pour l'indépendance :
"nul congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans la quelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang".
Lumumba dénonce alors ouvertement le système colonial que Baudoin a glorifié comme le chef-d'oeuvre de son grand-oncle et le condamne comme "l'humiliant esclavage qui nous était imposé par la force" (Ludo de Witte, ibid, p. 33).
Discours du Premier ministre Patrice Lumumba, le 30.06.1960 à Léopoldville
Extrait vidéo cliquez ici
Extrait du documentaire de Michel Noll,2001,
Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire
Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba
"Congolais et congolaises, combattants de l'indépendance aujourd'hui victorieux. Je vous salue au nom du gouvernment congolais...
...A vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche à nos côtés
... Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres
...nous avons connu que la loi n'était jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir...
1/Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice, d'oppression et d'exploitation ?..."
Lire le discours complet de Lumumba
Pour beaucoup d'observateurs, ce discours du "nègre" Lumumba s'adressant à présent d'égal à égal aux anciens "maîtres" coloniaux avait signé son arrêt de mort et cela d'autant plus que Lumumba allait joindre le geste à la parole en tentant de casser la colonne vertébrale coloniale par la proclamation de l'africanisation de l'armée congolaise. Deux cent jours plus tard, Lumumba était assassiné au Katanga après maintes tortures.
Réactions sur le discours de Lumumba par des témoins présents lors de son allocution.
Transcription écrite d'un extrait du documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire. Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba
"Mais Patrice était tellement un homme libre que pour les gens s'étaient tellement original de voir un nègre qui ne lèchait pas les pieds des hommes coloniaux et des colons qu'instinctivement il devenait comme une menace. Et c'est ça, cette liberté qui a fait de lui cette météore qui passe dans le ciel et puis qui disparaît...Ca c'est vraiment le moment de ce discours du 30 juin 1960. Beaucoup de gens alors ont dit il a signé son arrêt de mort avec ce discours. Puisque le gouvernement Belge alors, qui ne voulait pas de lui pas seulement à cause du discours du 30 juin, mais parce qu'il était Patrice Lumumba et que ça coïncidait pas avec l'espérance des Belges ni avec celles des Américains ni avec celles de beaucoup de gens du monde des affaires.".
Jean Van Lierde, ami de Lumumba, militant belge anti-colonialiste.
"Cela a donné, un choc le discours de Lumumba a provoqué un choc, on s'y attendait pas et ça a choqué beaucoup de Belges. Il condamnait systématiquement la colonisation belge, il reprenait toutes les thèses anticolonialistes les plus dures. On avait coupé des mains, on les avait mis en esclavage et tout et tout."
Louis Marlière, ancien colonel des services secrets belges.
"Le roi Baudoin fait un discours, un discours dans lequel il magnifie le rôle de la Belgique et il dit tout ce que la Belgique a apporté au Congo. Et il dit aussi que l'on est arrivé à un moment où la Belgique décide de donner l'indépendance au Congo et qu'il est venu pour ça et que c'est très bien. Kasa Vubu fait un discours dans lequel il remercie le roi Baudoin, il parle du Congo, il parle de l'avenir, très bien aussi...Le discours de Lumumba n'était pas prévu. Donc la presse internationale est là, tout d'un coup il se lève et il va à la tribune".
Jacques Brassine, ancien diplomate belge.
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- E.D Morel, King Léopold II Rule in Africa, Westport, Negro University Press, 1970 (1ère edition, 1904) ; Jules Marchal, E.D. Morel contre Léopold II, L'Histoire du Congo 1900-1910, L'Harmattan, 1985 ;D. Vangoenweghe, Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo, Bruxelles, Didier Hatier, 1986 ; A. Hotschild, Les fantômes du roi Léopold. Un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998.
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lundi 13 février 2012 à 14:41 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
La Législative/Le mouvement économique et social en 1792
les-negres-ne-sont-pas-negres-sortis-de-lombre-ils-seraient-les-negres-affranchis-la-reponse-etait-aisee-car-les-noirs-esclaves-ne-se-seraient-pas-souleves-si-les-mulatres-libres-et-proprietaires-etaient-restes-unis-aux-colons-blancs
http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Esclaves_dans_les_colonies_espagnoles
Les esclaves dans les colonies espagnoles
Comtesse Merlin
Revue des Deux Mondes
4ème série, tome 26, 1841
Havane, île de Cuba, 15 juillet 1840 1.
Les philosophes et les publicistes n’ont pas, ce me semble, examiné d’assez près les questions qui tiennent à la situation des colonies européennes dans les Antilles et à l’esclavage qui s’y trouve établi. L’harmonie magique du mot liberté trompe beaucoup d’esprits et leur donne le vertige. Sans approfondir les faits qui se rattachent à ces débats, on part d’une appréciation incomplète, et, de fausse conséquence en fausse conséquence, la philantropie aboutit à faire égorger les blancs pour rendre les nègres misérables, en espérant les rendre libres. Je sais qu’à ces mots les enthousiastes crieront anathème contre moi, créole endurcie, élevée dans des idées pernicieuses, et dont les intérêts se rattachent au principe de l’esclavage ; mais je les laisserai dire, et m’en rapporterai au bon sens des esprits droits. Si, après avoir lu cet écrit, ils me condamnent, je me livre à eux dans mon humilité, leur demandant grace pour mon cœur en faveur de cet amour inquiet de la justice qui peut m’égarer, mais qui ne saurait jamais détruire la généreuse pitié dans le cœur d’une femme.
Rien de plus juste que l’abolition de la traite des noirs ; rien de plus injuste que l’émancipation des esclaves. Si la traite est un abus révoltant de la force, un attentat contre le droit naturel, l’émancipation serait une violation de la propriété, des droits acquis et consacrés par les lois, une vraie spoliation. Quel gouvernement assez riche indemniserait tant de propriétaires qui seraient ainsi dépouillés d’un bien légitimement acquis ? L’achat des esclaves dans nos colonies na pas seulement été autorisé, il a été encouragé par le gouvernement, qui en a donné l’exemple en faisant venir les premiers nègres pour le travail des mines.
Après la découverte de l’Amérique, les nations les plus éclairées protégèrent le commerce des esclaves ; l’Angleterre obtint notamment le monopole de la traite, et le garda pendant plus d’un demi-siècle 1ans ces temps où le monde était gouverné par la force matérielle, un nègre nourri, habillé par son maître, et qui acquittait ce bienfait par son travail, était plus heureux que le vassal, qui, après une corvée seigneuriale, payait ses redevances, puis mangeait et s’habillait, s’il pouvait trouver de quoi s’habiller et vivre.
Pour porter un jugement équitable sur les faits historiques, il faut se reporter aux temps et aux lieux qui les ont vus naître, examiner le degré de lumière, les usages et même les préjugés de l’époque ou du pays. On a donc autant de tort à blâmer l’Espagne d’avoir été jadis une des premières nations qui ait encouragé le commerce des esclaves, qu’on serait coupable aujourd’hui de le tolérer. Cependant, si l’on réfléchit qu’alors comme maintenant les Africains condamnés à l’esclavage ont été préalablement destinés à être tués et dévorés, on ne sait plus où est le bienfait, ou est la cruauté.
Lorsqu’une tribu, faisait des prisonniers sur une tribu ennemie, si elle était antropophage, elle mangeait ses captifs ; si elle ne l’était pas, elle les immolait à ses dieux ou à sa haine. La naissance de la traite détermina un changement dans cette horrible coutume : les captifs furent vendus. Depuis cette époque, le commerce des esclaves ayant toujours augmenté, et l’amour du gain s’étant développé proportionnellement chez ces barbares, les rois ou chefs de tribus ont fini par vendre leurs propres esclaves aux marchands européens. Le changement de maîtres était un bienfait pour ces captifs ; en Afrique, l’esclave est non-seulement plus maltraité que sous la domination des blancs ; il est à peine nourri, n’est point habillé, et, s’il devient vieux ou infirme, s’il perd un membre par accident, on le tue, comme on ferait chez nous d’un bœuf ou d’un cheval.
Ainsi, même en abolissant la traite, on sera encore bien loin d’atteindre le but d’humanité que se proposent les nations qui se croient philantropiques. On connaît les efforts persistans de l’Angleterre pour affranchir les esclaves dans les colonies espagnoles ; si la source de ses efforts était pure, la Grande-Bretagne aurait une belle gloire à conquérir, celle de détruire le mal dans sa racine, en proclamant une sainte ligue en Europe. Cette nouvelle croisade aurait pour mission d’aller en Afrique apprendre aux tribus sauvages, soit par la persuasion, soit par la force, que l’homme doit respecter la vie et la liberté des hommes. Sans cela, le résultat de tant de nobles efforts sera incomplet et le but manqué ; car, si l’on présente aux malheureux nègres (et ils sont compétens dans l’affaire), si on leur présente, dis-je, la cruelle alternative ou d’être tués et mangés par les leurs, ou de rester esclaves au milieu d’un peuple civilisé, leur choix ne sera pas douteux ; il préfèreront l’esclavage.
« Loin d’être un malheur, c’est un bonheur pour l’humanité que l’exportation des Africains esclaves aux Antilles, dit le célèbre Mungo-Park : d’abord parce qu’ils sont esclaves chez eux, puis parce que les noirs, s’ils n’avaient l’espoir de vendre leurs prisonniers, les massacreraient. » Cet aveu n’est pas suspect de la part d’un Anglais élevé par la société africaine à Londres, et nourri de ces maximes philantropiques qui, sous le voile de l’amour de l’humanité, cachent des vues d’intérêt et de monopole.
Il est hors de doute que l’île de Cuba fait du sucre meilleur et en plus grande quantité que les colonies anglaises de l’Inde, et que l’abaissement de l’industrie coloniale de l’Espagne, livrant aux Anglais le monopole exclusif d’une denrée qui est aujourd’hui de première nécessité dans le monde, deviendrait une source de prospérité pour la leur ; car, le sucre de la Nouvelle-Orléans et du Brésil n’étant pas encore comparable à celui de la havane, l’île de Cuba est la véritable et unique rivale des colonies anglaises. Aussi les tentatives les plus coupables, les plus hostiles, ont été employées contre elle par la rivalité de l’Angleterre. Il est rare qu’une révolte de nègres dans les habitations de l’île n’ait pas été excitée par des agens anglais ; quelque fois par des Français. Un amour mal entendu de la liberté sert de mobile à ces derniers ; les autres n’obéissent qu’à une impulsion intéressée.
Pendant qu’on cherchait par de perfides instigations à soulever les nègres contre leurs maîtres, le gouvernement anglais, appartenant au culte protestant, comme chacun sait, faisait répandre aux Antilles une prétendue bulle du saint père contre l’esclavage en Amérique. Cette bulle a-t-elle été véritablement octroyée par sa sainteté ? Je serais tentée d’en douter ; toutefois elle a été propagée à Cuba en langue latine et en langue anglaise comme pièce authentique. Je regrette de n’avoir pas la copie de cet acte, qui d’ailleurs est imprimé, et qu’on a cherché à répandre clandestinement à la Havane. Cette bulle, apportée par un bâtiment de guerre anglais, est un appel aux sentimens religieux et une menace d’anathème contre le catholique qui n’aiderait pas de toute sa puissance à la destruction de l’esclavage ; elle déclare en état de péché mortel les fidèles qui, même par la pensée, ne le maudiraient pas.
Un tel mode de prosélytisme, employé dans les colonies, ne peut avoir d’autre résultat que la révolte. Évidemment, il ne s’adresse pas aux maîtres, si intéressés à conserver leurs esclaves, mais aux nègres, chrétiens ignorans, qui croient leurs propres intérêts d’accord avec des maximes ainsi proclamées. Allumer à la clarté divine de la foi le brandon de la haine, et de la vengeance, est-ce là, j’en appelle aux gens de bien, aux gens de cœur, à la nation anglaise, des exploits que l’amour de l’humanité admette ou justifie ?
L’esclavage est un attentat contre le droit naturel ; mais il existe en Asie, il existe en Afrique, il existe en Europe, aux États-Unis, au centre même de la civilisation, et on le tolère ; jamais jusqu’ici, que nous sachions, personne n’a osé, à l’aide d’une doctrine religieuse, l’attaquer en Russie. Il n’éveille les réclamations de la philantropie que contre les colonies d’Amérique, où il fut protégé jadis par les mêmes puissances qui le flétrissent maintenant ; et, comme la force de la loi et le droit s’opposent à l’accomplissement de leurs vues, on fait appel au fanatisme, à la sédition, au massacre.
Qu’on abolisse la traite, on n’atteindra pas encore, malheureusement, le but indiqué par les philantropes, l’affranchissement de l’espèce humaine : Mais, entre une impossibilité et une injustice, on aura fait ce qu’il est possible de faire ; les états de l’Europe civilisée auront rempli un devoir, rendu hommage à l’humanité et calmé leur conscience du XIXe siècle. Toutefois il faut qu’ils commencent, avant tout, par respecter la propriété et la vie de leurs frères.
Je m’aperçois que je m’écarte de l’ordre de mon récit, et j’y reviens. A peine trente ans s’étaient-ils écoulés après la découverte de l’Amérique, que la race indigène se trouva considérablement diminuée. L’horreur qui s’empara des Indiens lorsqu’ils sentirent leur indépendance enchaînée, les rudes traitemens que les Espagnols leur faisaient subir pour les forcer au travail, le désespoir causé par une si violente contrainte à des gens qui avaient toujours vécu dans l’indolence, toutes ces causes, réunies au fléau de la petite vérole qui les décima au commencement du XVIIe siècle, firent bientôt disparaître du globe une race douce et inoffensive. Avant l’arrivée des conquérans, leurs besoins se bornaient à vivre de poissons et de fruits, si abondans sur cette terre bénie. Les fruits, si j’ose m’exprimer ainsi, leur tombaient dans la bouche sans qu’ils eussent la peine de les cueillir, et la pêche était un plaisir sensuel pour un peuple dont toutes les jouissances consistaient dans le repos et dans la contemplation de la nature. Lorsque les maladies, la fatigue et le suicide eurent moissonné un grand nombre d’Indiens, les terres restèrent en friche faute de bras pour les cultiver. L’abandon et la solitude menacèrent de stérilité ces belles contrées, conquises avec tant d’audace et de bonheur par la civilisation européenne. L’évêque de Chiapa, Fray Bartolomé de Las Casas, se constitua l’ardent champion de cette race infortunée ; ses paroles évangéliques retentirent jusqu’aux extrémités du monde ; dans ces temps de barbare despotisme, il eut le courage de blâmer un roi et de plaindre hautement un peuple malheureux. Ce saint homme fut le premier qui demanda des Africains esclaves pour l’Amérique, d’abord afin de soulager la race indienne qui allait s’éteindre, puis afin d’empêcher les cannibales de dévorer leurs ennemis. L’amour de l’humanité importa en Amérique le germe de l’esclavage, dont l’origine fut due à la pensée charitable d’un homme plein de courage et de vertu. II faut avouer qu’on était bien loin alors de cet idéal de perfectionnement social vers lequel on marche aujourd’hui avec tant d’ardeur. Mais reconnaissons une vérité importante, c’est qu’en tout temps il y a danger à envisager le bien et le mal d’une manière absolue. Aujourd’hui même, le monde est encore assez mal ordonné pour que l’esclavage doive, comparativement, être regardé comme un bien.
Nous venons de voir comment l’esclavage fut introduit en Amérique. Après de vifs débats dans le conseil du roi don Fernando, on résolut d’envoyer des nègres pour remplacer les indigènes. Depuis 1501 jusqu’en 1506, il fut permis d’en introduire un petit nombre dans Hispaniola, aujourd’hui Saint-Domingue, mais sous la triple condition qu’ils seraient choisis parmi les Africains, élevés et instruits dans la religion catholique à Séville, et qu’à leur tour ils instruiraient les Indiens En 1510, le roi don Fernando expédia encore de Séville cinquante nègres destinés au travail des mines.
Le nombre des Indiens natifs diminuait chaque jour : ils se pendaient aux arbres ou émigraient aux Florides. Le roi ordonna qu’on les ménageât davantage, et surtout qu’on les laissât en liberté ; mais ils étaient si faibles et si peu endurcis à la peine, que quatre jours de travail d’un Indien ne valaient pas la journée d’un Africain ; on se vit obligé d’augmenter le nombre des nègres que le gouvernement faisait importer pour son compte. A cette époque, le monopole s’empara de la traite. Charles-Quint autorisa les Flamands, en 1516, à introduire quatre mille nouveaux esclaves à Saint-Domingue, et plus tard le même nombre fut concédé aux Génois. Déjà vers ce temps, et bien que nul traité semblable ne fasse mention de l’île de Cuba, les chroniques parlent d’une révolte d’esclaves qui éclata dans la sucrerie de don Diégo, colon, fils de don Cristobal ; ce qui porterait à croire qu’on avait introduit quelques nègres par contrebande. Quoi qu’il en soit, ce ne fut qu’en 1521, immédiatement après la mort de Vélasquez 2, que pour la première fois les Flamands amenèrent, avec l’autorisation du roi, trois cents nègres à Cuba. Les immenses bénéfices de la traite avaient attiré en Amérique un si grand nombre de Flamands, que, dans plusieurs contrées, le nombre de ces derniers ayant surpassé celui des Espagnols, ils ne craignirent pas d’attaquer les anciens conquérans, qui les repoussèrent. Néanmoins, la cour d’Espagne prit l’alarme, le système de prohibition prévalut de nouveau dans le conseil du roi, et ce ne fut qu’en 1586 que don Gaspar de Peralta obtint un nouveau privilège pour introduire à Cuba deux cent huit esclaves, moyennant la redevance de 2,340,000 maravédis, ou 6,500 ducats. Un second privilège fut accordé à Pedro-Gomez Reynal, pour vendre trois mille cinq cents esclaves par an pendant neuf années, à condition qu’il paierait au roi 900,000 ducats par an ; enfin, en 1615, un troisième monopole fut accordé Antonio-Rodriguez d’Elvas, moyennant 115,000 ducats par an.
Plus tard, un nommé Nicolas Porcia acheta diverses obligations appelées par les Espagnols cartillas del pagador, qui ne lui furent pas délivrées. Pour se rembourser, il obtint le privilège de l’importation des nègres pour cinq ans ; mais, n’ayant pas les fonds nécessaires pour l’exploiter, il le céda aux Allemands Kusmann et Becks, qui, après avoir fait fortune, ne payèrent le pauvre Porcia qu’en le faisant incarcérer comme fou par le gouvernement de Carthagène. Il l’était si peu, qu’il parvint à s’échapper de sa prison, aidé par la fille du geôlier qu’il avait séduite, et se rendit à la cour d’Espagne. L’attentat dont il avait été victime excita l’intérêt du gouvernement ; on le dédommagea en lui accordant un nouveau privilège pour cinq ans.
On voit que tous ces traités ont peu d’importance, et que, jusqu’au commencement du XVIIe siècle, les esclaves introduits dans les Antilles furent en petit nombre. Il est vrai que l’île de Cuba n’exploitait pas encore de mines, et que l’Espagne, tout occupée des trésors qu’elle tirait du continent, n’avait garde de songer aux parcelles d’or qui roulaient avec le sable de nos rivières. D’ailleurs, elle avait à lutter contre la jalousie des autres puissances qui la harcelaient de toutes façons ; guerre ouverte, pirates, flibustiers, tout était bon pour lui faire payer sa belle trouvaille d’outre-mer. Quoi qu’il en soit, pendant le cours du XVIIe siècle, la traite cessa presque entièrement. Le roi n’octroya plus de privilèges et se borna à faire introduire de loin en loin à la Havane un petit nombre d’esclaves destinés au travail des mines. Cet état de choses dura jusqu’à la guerre de succession, époque où les Français vinrent réveiller notre agriculture, qui, faute d’encouragemens, était tombée en léthargie. Ils livrèrent des nègres en échange du tabac, et l’industrie reprit quelque peu de mouvement. Mais à la paix d’Utrecht les Anglais obtinrent le monopole de la traite. C’est à leur activité et au grand nombre d’esclaves qu’ils introduisirent dans l’île, lorsqu’en 1762 ils se rendirent maîtres de la Havane, qu’elle doit le développement nouveau de ses progrès agricoles. En 1763, le nombre des esclaves, qui, en 1521, était de trois cents, fut porté jusqu’à soixante mille.
Que le saint homme de Chiapa me pardonne ! l’esclavage qu’il importa fut pour la Havane un déplorable germe ; devenu arbre géant, il porte aujourd’hui les fruits amers de son origine, mais on ne saurait l’abattre sans courir le risque d’en être écrasé. Source inépuisable de douleurs, de graves responsabilités et de craintes, il est en outre, par les excessives dépenses qu’il occasionne, un principe de ruine permanente. Le travail de l’homme libre serait non-seulement un élément plus pur de richesse, mais aussi plus solide et plus lucratif. Si la prohibition de la traite était rigoureusement observée, et que la colonisation fût encouragée avec activité et persistance, l’extinction de l’esclavage s’opérerait sans secousse, sans dommage, et par le seul fait de l’affranchissement individuel. Il faudrait, pour obtenir ce résultat, que l’impéritie et l’amour du gain ne l’emportassent pas sur les vrais intérêts de l’état et sur l’amour de l’humanité ; il faudrait qu’en présence du traité solennel qui prohibe la traite, on n’eût pas des barracones ou marchés publics de nègres bozales 3 ; il faudrait que les gouverneurs des villes n’autorisassent pas, par la présence d’agens de police, le débarquement des navires négriers ; il faudrait, enfin, que le contrebandier marchand d’esclaves ne fût pas imposé d’une once d’or par tête de nègre qu’il introduit dans l’île. Ce honteux marché trouve son prétexte dans le zèle des autorités pour la colonie, qui, disent-elles, périrait sans le commerce des esclaves ; zèle dangereux pour ces autorités même, car leur position serait fort compromise, si le gouvernement supérieur venait à connaître leur coupable tolérance. Depuis la nouvelle prohibition de la traite, c’est-à-dire depuis cinq ans, les gouverneurs des villes ont puisé à cette source impure plus d’un million de piastres, somme énorme, mais facile à expliquer, si l’on réfléchit que dans cet espace de temps on a introduit dans nos ports plus de cent mille esclaves, tandis qu’à peine y est-il entré trente à quarante mille colons ou autres émigrans de race blanche.
Il y a diverses causes à cette disproportion.
Une des plus tristes conséquences de l’esclavage, c’est d’avilir le travail matériel. L’agriculture étant la première et la plus générale ressource des classes prolétaires, l’excédant de la population européenne se porterait de préférence dans un pays qui lui offre un bon salaire, le bien-être et une belle nature, plutôt que d’affluer dans les froids déserts de l’Amérique du nord. Mais à peine les prolétaires européens arrivent-ils ici, qu’ils se voient confondus avec une race esclave et maudite ; leur orgueil se révolte, ils rougissent de l’affront, plus ils cherchent à leur tour à se faire servir. Le premier usage que fait de ses premières épargnes un pauvre laboureur, c’est l’achat d’un nègre, d’abord pour diminuer ses fatigues, ensuite pour racheter la honte de travailler de ses propres mains. Ainsi toutes les époques les mêmes abus ont développé les mêmes passions, et nos mœurs rappellent encore, au XIXe siècle, celles des Grecs, des Romains et des temps féodaux.
Il y a quelques années, un Havanais, patriote éclairé, conçut un projet qui l’honore. Il fit appel dans un journal à cinquante laboureurs de Castille, lieu de son origine. Il leur offrait tous les avantages requis pour venir habiter l’île de Cuba et cultiver la canne à sucre dans ses propriétés. Peu de jours après, dans le même journal, on vit paraître la plus furibonde réclamation de la part d’un Castillan résidant à la Havane. Ce dernier se plaignait amèrement de l’insulte faite à son pays, ajoutant que les honnêtes Castillans n’étaient pas encore réduits à un tel degré de misère et d’avilissement, qu’ils dussent s’appareiller (aparejarse) avec les nègres esclaves de l’île de Cuba. Ce superbe dédain des hommes blancs envers les nègres n’est pas seulement produit par le mépris attaché à l’esclavage, mais par le stigmate de la couleur qui semble perpétuer au-delà de l’affranchissement la tache d’une condamnation primitive. On dirait que la nature a signé de sa main l’incompatibilité, des deux races. Peut-être un jour devrons-nous à la civilisation une fusion fraternelle ; malheureusement elle n’est pas encore près d’arriver.
Toutefois, une circonstance digne de remarque, c’est que les blancs créoles dans nos colonies sont plus humains envers les nègres que ne le sont les Européens, soit que le créole devienne plus compatissant à force de voir les hommes d’Afrique vivre et souffrir près de lui, soit que sa vie patriarcale le porte à étendre jusqu’aux noirs la pitié paternelle du foyer domestique. Il se montre non-seulement plus doux, mais moins altier envers ses esclaves. Tout en les traitant avec l’autorité du maître, il y mêle je ne sais quelle nuance d’adoptive protection, je ne sais quel mélange de la sollicitude paternelle et de l’autorité seigneuriale, qui ne manque pas de charme pour ces ames qui n’ont jamais ressenti les supplices de l’orgueil humilié.
L’Européen qui apporte à Cuba les exigences raffinées de son pays, commence par témoigner pour le nègre esclave une pitié exaltée ; il passe de là, sans transition, au mépris pour son ignorance, ensuite il s’impatiente de sa stupidité ; et, comme le pauvre nègre ne le comprend pas, il finit par se persuader qu’un nègre est une sorte de bête de somme, et se prend à le battre comme un chameau. De tels procédés ne sont pas exclusivement le partage des maîtres, ils sont aussi pratiqués par les domestiques européens qu’on amène à Cuba ; leur orgueil, révolté à la vue de la domesticité dégradée jusqu’à l’esclavage, les rend insolens et cruels.
Néanmoins, ces inconvéniens ne sauraient être insurmontables. Mille préjugés ont été détruits par le temps et par la civilisation, mille difficultés aplanies par les progrès de la raison. Déjà un des plus riches propriétaires de l’île a formé il y a plusieurs années le projet d’établir une sucrerie modèle, exploitée seulement par des hommes libres. Mais, au moment où il fut question de faire venir un certain nombre de colons allemands pour cet objet, des difficultés soulevées par l’autorité le forcèrent à y renoncer. D’autres colons, que les ravages causés par le choléra parmi les nègres ont avertis du danger, commencent à faire travailler des hommes salariés, soit à la journée, soit à des prix convenus, mais seulement pour couper, rouler et charrier de la canne ; cet essai, qui leur a réussi, trouvera des imitateurs, il ne faut pas en douter, surtout si l’on parvient à attirer dans la colonie des laboureurs allemands, gens paisibles et bons travailleurs.
Malheureusement la politique suivie jusqu’à ce jour a préparé les obstacles qui s’opposent maintenant à ce que le travail des hommes libres vienne remplacer celui des esclaves. Il faudrait que le système actuellement en vigueur fût modifié d’après les nouveaux besoins. Le gouvernement espagnol a toujours redouté pour ses états d’outre-mer le contact étranger, d’abord à cause de la jalousie des autres nations, ensuite par les inspirations d’une politique craintive, soupçonneuse et peu favorable aux idées libérales. Les pertes et les malheurs de l’Espagne ont dû faire disparaître depuis long-temps les sentimens d’envie qu’elle avait inspirés, et les innovations déjà opérées dans ses institutions promettent à sa colonie une réaction heureuse. Quoi qu’il en soit, l’Espagne ancienne, au lieu de favoriser l’introduction des colons de la métropole dans l’île de Cuba, craignant de se dépeupler elle-même, déjà épuisée d’hommes par les émigrations antérieures en Amérique et par tous les fléaux qui ont pesé tour à tour sur sa terre désolée, n’a guère donné à la colonie, jusqu’au commencement de ce siècle, d’autres recrues que quelques aventuriers qui fuyaient pour éviter la conscription, et un petit nombre de négocians qui, déjà enrichis sur ce sol, y fixaient leur domicile par reconnaissance.
On en était là, lorsque la révolution de Saint-Domingue éclata. Le développement de notre industrie attirait alors dans l’île un grand nombre de nègres d’Afrique. Allumée chez nos voisins, la lave pouvait se précipiter sur nous et nous engloutir sous sa couche brûlante D’un autre côté, les grandes et nouvelles théories françaises, répétées par l’écho des cortès de Cadix, et transmises dans nos villes par la presse, dans nos campagnes par des agens secrets, éveillèrent des idées et des sentimens inconnus jusqu’alors. Le mot liberté résonna dans la colonie, et plusieurs révoltes lui répondirent. A ce bruit notre gouvernement comprit pour un moment tout le danger qui nous menaçait. C’était pendant l’administration de don Alexandro Ramirez, homme d’une haute vertu et d’un zèle infatigable pour le bien public. Sous son influence, on organisa une junte d’encouragement en faveur de la colonisation, seul moyen d’accroître la force de la caste blanche en face des hordes africaines, de conserver pour l’avenir la prospérité de la colonie et de détruire l’esclavage. Cette réunion de bons patriotes s’occupa d’abord avec zèle de sa mission. Les établissemens de Nuevitas, de Santo-Domingo, Isla-Amelia, Fernandina, et d’autres 4, furent offerts aux émigrans. Mais la nouvelle institution avait besoin d’argent : la junte en manqua, et ses efforts restèrent infructueux. Ses fonctions se bornent maintenant à figurer, sur la Guia de Forasteros (Guide des Étrangers). Par un decreto real du 21 août 1817, les fonds provenant de la contribution sur les frais judiciaires furent destinés à encourager la colonisation ; mais on ne tarda pas à leur donner un autre emploi, et les privilèges et franchises offerts aux nouveaux colons par le même décret n’ont pu porter aucun fruit. En attendant, les contrées destinées à recevoir la colonisation restent peuplées d’esclaves. Plus des deux tiers du territoire de cette île, si admirable de beauté et de jeunesse, condamnés à ne point connaître la main de l’homme, étalent encore en splendides forêts vierges, en lianes sauvages et solitaires, l’opulence de sa sève indomptée.
Sous le gouvernement absolu de Ferdinand VII, en 1817, M. de Pizarro étant ministre des affaires étrangères, l’Espagne conclut avec l’Angleterre le traité par lequel elle s’interdisait le commerce des esclaves, et concédait aux Anglais le droit de visite. En compensation des dommages qu’allaient éprouver les armateurs et les négocians espagnols, l’Angleterre accordait à l’Espagne soixante-dix mille livres sterling ! sacrifice généreux en apparence, offert au culte de la liberté, mais qui, (par sa magnificence même, décelait la véritable idole à laquelle il était consacré. Toutefois, cette somme, au lieu de recevoir sa destination, fut en partie dilapidée, et le reste employé à l’achat de plusieurs vaisseaux russes en fort mauvais état, qui, destinés à porter des troupes en Amérique pour combattre l’indépendance du Mexique et du Pérou, ne sortirent jamais du port de Cadix, et y pourrirent. Ce marché immoral et frauduleux fut conclu par l’entremise de M. N….., favori du roi, voué aux intérêts de la Russie. Plus tard, les Anglais désirèrent ajouter de nouvelles clauses plus rigoureuses au traité d’abolition, qui, comme nous l’avons déjà dit, était chaque jour violé ostensiblement. Ils insistèrent à plusieurs reprises auprès du gouvernement espagnol ; jusqu’en 1834, leurs demandes furent éludées. A cette époque, M. Martinez de la Rosa devint ministre des affaires étrangères. L’Espagne avait besoin de ménager le gouvernement anglais, qui le premier se prêta au traité de la quadruple alliance, et qui, par son influence, pouvait lui être d’un puissant secours contre le prétendant. Les Anglais, profitant de cette circonstance, devinrent plus pressans. Entre autres exigences, ils demandèrent que les capitaines de bâtimens négriers arrêtés fussent jugés, soit par les lois contre la piraterie, soit par les lois anglaises : clause réciproque en apparence, mais seulement en apparence. L’Espagne, intéressée au commerce des esclaves, avait, depuis l’abolition de la traite, appuyé, sinon protégé, l’arrivée des bâtimens négriers dans ses colonies. Ainsi, ce droit de visite aussi arbitraire qu’humiliant pour notre marine marchande ; ce droit, qui sert chaque jour d’excuse à des étrangers pour violer, sous le prétexte du moindre soupçon, le domicile maritime de l’Espagnol, et pour y commettre des actes illicites, violens, souvent des larcins ; ce droit odieux et flétrissant aurait été enfin complété par celui de pendre ou fusiller, au gré du premier officier anglais de mauvaise humeur, tout Espagnol prévenu de faire le commerce des esclaves ; et comme, sur cinq bâtimens, deux au moins sont confisqués sans motif suffisant, il en serait résulté que, sur cinq capitaines, deux auraient peut-être été condamnés injustement à mort.
Pour comprendre tout ce qu’il y a de révoltant dans ce droit de visite, il faudrait connaître la multitude de faits, de procès, de réclamations dont il est la source. Quelques mois avant mon arrivée à Cuba, un négociant catalan, après avoir fait sa fortune dans cette île, fréta un bâtiment ; il s’embarqua pour retourner dans son pays avec sa famille et son trésor. A peine le navire se trouva-t-il hors du canal, qu’une croisière anglaise l’aborda. L’ayant visité, le commandant anglais décida que, d’après la construction du navire, il était évidemment destiné à la recherche des nègres sur la côte d’Afrique. Était-il vraisemblable qu’un homme entreprît une telle expédition entouré de ses enfans, de ses chiens, de ses oiseaux, et de toutes ces innombrables bagatelles qui accompagnent le foyer domestique ? Ces considérations, néanmoins, furent vaines ; le navire, en attendant une décision ultérieure, fut confisqué, et, deux jours après, la famille dépouillée et désolée fut rejetée sur les côtes de Cuba.
Le gouvernement espagnol repoussa les deux propositions des Anglais contre les capitaines de bâtimens négriers, l’une comme cruelle, l’autre comme contraire à la dignité nationale ; après de vifs débats, il fut convenu qu’une loi espagnole, rendue ad hoc, fixerait la peine réservée à ce genre de délit. Il ne convenait pas à l’honneur de la nation anglaise qu’un trafic, dont elle avait eu le monopole pendant plus d’un demi-siècle, fût qualifié de piraterie. Une autre question fort importante fut agitée à ce sujet. Le droit de visite et de prise une fois stipulé, il restait à décider ce que les Anglais feraient des nègres saisis : le premier traité n’avait rien précisé à cet égard. Embarrassés, et peut-être émus d’une sorte de pudeur, les Anglais n’osèrent pas d’abord en faire un emploi lucratif, mais ils s’avisèrent de les lâcher sur nos côtes, sous le nom d’emancipados espérant apparemment que la présence des nègres libres exciterait l’émulation des nègres esclaves et les entraînerait à la révolte. Notre gouvernement réclama contre cet abus ; les Anglais, au contraire, voulurent qu’il fût autorisé par une nouvelle clause ajoutée au traité. Le ministre espagnol refusa positivement d’y consentir.
Les cargaisons de nègres dits émancipés, déposées ainsi dans l’île sans autorisation légale, étaient livrées au gouverneur lui-même, qui les remettait à son tour à divers colons, moyennant la redevance annuelle d’une once d’or par tête. A l’expiration de la première année, ces nègres sont tenus de se présenter devant le gouverneur, qui, après s’être assuré qu’ils n’ont pas appris un état (ce qu’ils ne font jamais), les livre de nouveau au colon, et toujours pour deux années, d’où il résulte que leur sort est précisément celui de l’esclave à cette exception près qu’ils manquent des soins et de la protection du maître. Ceux qui se chargent d’eux, n’étant pas intéressés à leur conservation, les soumettent à des travaux bien plus pénibles, et, la ressource de l’affranchissement leur étant interdite, leur esclavage devient éternel par le fait. Aussi, contre toutes les prévisions des Anglais, l’état d’emancipado, loin de séduire les esclaves, est-il pour eux un sujet de mépris. Lorsqu’ils veulent adresser une injure à ceux qui portent ce titre, ils les apostrophent en leur disant : « Vous n’êtes que des emancipados. » Le sens du mot liberté n’est pas nettement compris par le nègre ; il estime le bien-être matériel beaucoup plus que l’indépendance, ou peut-être a-t-il assez de bon sens pour s’apercevoir que le bienfait est dans la chose et non dans le mot, et que le sort qu’on veut lui faire ne vaut pas celui qu’on lui fait.
Aujourd’hui les Anglais, voyant le peu de succès de leurs plans, commencent à mettre à profit leurs captures nègres, soit en les vendant sous main, soit en les conduisant sur leurs pontons à la Trinité et ailleurs ; là, les nègres captifs sont soumis à de pénibles travaux et à des privations telles, que le sort des esclaves de Cuba leur paraît très digne d’envie. Une partie de ces cargaisons est destinée à retourner en Afrique ; mais, au lieu de rendre les nègres à leurs foyers, on les conduit dans les établissemens anglais des côtes africaines, que les négocians de cette nation, protégés par leur marine royale, remplissent de nègres loués pour vingt ou trente ans. Cette dernière condition, exemptant le maître de tout devoir envers le nègre, est mille fois pire que celle de l’esclave.
Le nombre d’esclaves de l’île, nombre qui s’élevait à 60,000 en 1763, était en 1791 de 133,559, et en 1827 de 311,051 ; la population des blancs, relativement aux hommes de couleur, était, en 1827, de 44 sur 56 ; et en 1832, sur 800,000 habitans, on en comptait déjà environ 500,000 de couleur. Depuis, et jusqu’en 1839, le nombre des nègres s’est considérablement accru, comparativement à celui des colons, et je ne crois pas me tromper en le portant aujourd’hui à plus de 700,000.
Bien que, dans leurs théories avouées, les autorités se montrent toujours favorables à la colonisation, elle n’est pas encouragée ; et, si les étrangers qui abordent à Cuba sont reçus sans difficulté, on ne fait rien pour en attirer d’autres. Il est vrai que le plus grand nombre se compose d’Anglais et d’Américains du nord, et que les intérêts des uns et les principes politiques et religieux des autres ne sont nullement en harmonie avec le système adopté à Cuba : on y redoute encore plus l’augmentation de la force des blancs, aidée de leur intelligence, que la force numérique des nègres, que leur ignorance et leur stupidité rendent peu redoutables. Aussi, en négligeant la colonisation tolère-t-on l’accroissement des esclaves.
Cette politique non-seulement est dépourvue de générosité, mais elle est injuste et nuisible aux vrais intérêts de la métropole à laquelle l’île de Cuba est intimement attachée par les liens d’une race commune, par les mœurs, la religion, les habitudes et les sympathies. Que le gouvernement lui donne des preuves de sollicitude il la trouvera fidèle. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il n’y a pas un habitant de la colonie qui, moyennant quelques salutaires modifications, ne préfère, soit par attachement, soit par la conscience de ses vrais intérêts, la domination de l’Espagne aux théories libérales et plus encore au joug de toute autre puissance. D’ailleurs, ses habitans ont donné assez de preuves, en tous temps, de leur amour pour leurs frères d’Espagne, en prodiguant leurs trésors et leur sang pour les seconder dans les tristes débats que la métropole a soutenus. Il est temps que la mère-patrie y songe ; c’est chose dangereuse pour elle-même de tenir la foudre trop long-temps suspendue sur la tête des colons. Si elle éclatait un jour, elle blesserait à mort la métropole en détruisant sa belle et fidèle colonie.
L’esclavage, à Cuba n’est point comme ailleurs un état abject et dégradé ; l’esclave est à couvert des caprices ou des fureurs insensées du maître, et l’homme de couleur libre n’est pas dépouillé des droits et garanti du citoyen, parce qu’il a été vendu un jour. Nulle part la voix de la philosophie et de la raison n’exerce autant d’empire sur les préjugés du rang et de la fortune. Tandis que les républicains des États-Unis, tout en portant l’affectation de l’égalité jusqu’au cynisme, accablent la race de couleur d’un intolérable mépris, le Havanais, nourri dans le respect des classes aristocratiques, traite le mulâtre en frère, pourvu qu’il soit libre et bien élevé. Il n’est pas sans exemple de voir le sang indien ou africain circuler dans des veines bleues, sous une peau blanche, à la suite d’unions légitimes et avouées. On est surtout frappé de ces sortes de fusions dans l’intérieur de l’île, où les traits des habitans trahissent souvent leur origine indienne ; il n’est pas rare qu’un léger reflet doré sur la peau ou que des cheveux épais et crépus révèlent le sang africain. Cette direction tolérante de l’opinion doit être attribuée aux lois éclairées et humaines, jadis accordées en faveur des nègres par le gouvernement de la métropole. Si la nation espagnole a été la première à encourager le commerce des esclaves, elle a été la seule qui ait songé à faire participer au bienfait des institutions européennes ces pauvres déshérités. C’est que nos lois relèvent d’une sainte inspiration, celle de la religion catholique ; elle a développé la pieuse humanité de nos colons envers leurs esclaves ; là se trouve la force immense qui a seule pu dompter les préjugés de l’orgueil nobiliaire. L’Espagnol, profondément et sincèrement attaché à sa croyance, a subi cette influence dans ses lois comme dans ses mœurs, et c’est à l’application des préceptes d’humanité, de charité et de fraternité imposés par l’Évangile, que l’esclave doit ici la plupart des bienfaits qu’on lui accorde. Livrée à sa propre force, la philosophie a produit des actions héroïques, et fécondé des vertus éclatantes ; elle n’est jamais parvenue à abaisser l’orgueil, et à faire éclore l’humilité ; cet effort sublime était réservé au puissant levier du sentiment religieux.
Le mot esclavage ou servitude ne saurait avoir ici le même sens que dans les codes romains, où cette qualification équivalait à l’exclusion de tout droit civil, où l’esclave était un homme sans état, c’est-à-dire sans patrie et sans famille. Cette acception, bien que modifiée plus tard par les coutumes féodales, a toujours réduit à un état misérable les esclaves ou serfs, soit dans leurs rapports avec leurs maîtres ou seigneurs, soit dans leurs relations avec tout homme libre. A Cuba, grace à de bonnes lois et à la douceur des mœurs, l’esclave ne porte pas ce stigmate de réprobation, et il serait aussi injuste que faux de le confondre non-seulement avec l’esclave romain, mais même avec le vassal des temps féodaux. Par un rescrit royal (real cedula) du 31 mai 1789, le maître est obligé non-seulement de nourrir et de bien traiter son esclave, mais encore de lui donner une certaine instruction primaire, de le soigner s’il devient vieux ou infirme, et d’entretenir sa femme et ses enfans, quand même ces derniers seraient devenus libres. L’esclave ne doit être soumis qu’à un travail modéré, et seulement de sol a sol, c’est-à-dire pendant le jour, et à condition qu’il aura, dans le courant de la journée, deux heures de repos. Si l’un de ces points cesse d’être observé, l’esclave a le droit de présenter sa plainte devant le syndic procureur ou protecteur des esclaves, désigné par la loi comme son avocat ; la plainte étant fondée, le syndic peut obliger le maître à vendre l’esclave, et l’esclave a le droit de se chercher un maître ailleurs ; si enfin I’intérêt ou la vengeance portent le maître à demander un trop haut prix, le syndic procureur fait nommer deux experts qui estiment l’esclave à sa juste valeur. Si la plainte n’est pas fondée, il est rendu à son maître. Il est défendu d’infliger des peines corporelles aux esclaves, à moins de fautes graves, et même, dans ce cas, le châtiment est borné par la loi. Cette cruelle condition nous révolte, elle est pourtant d’une impérieuse nécessité, le nègre étant accoutumé à cette rigueur dès sa naissance en Afrique ; soit habitude, soit qu’il ne sente pas le poids moral de cette ignominie, il ne la mesure que par la douleur. Aussi sa répugnance au travail et son indolence ne cèdent-elles qu’à la contrainte, qui, d’ailleurs, semble bien plus révoltante aux hommes nés, dans les pays civilisés, et pour qui les idées de dignité et de flétrissure ont un sens. Le soldat anglais n’a-t-il pas à supporter the flogging, le soldat allemand la schlag, et le matelot français les coups de corde et la bouline ? Revenons à nos pauvres nègres. Si le maître frappe son esclave plus rigoureusement que la loi ne le permet, et qu’il y ait contusion ou blessure, le syndic procureur dénonce le coupable devant les magistrats, et demande, au nom de son client, l’application de la peine. Alors le maître devient responsable devant le tribunal, et l’esclave offensé est revêtu par la loi de tous les droits de l’homme libre.
L’esclave romain ne pouvait rien posséder ; tout, chez lui, appartenait à son maître. A Cuba, par la real cedula de 1789, et, ce qui est à remarquer, par la coutume antérieure à cette disposition légale, tout ce que l’esclave gagne ou possède lui appartient. Son droit sur sa propriété est aussi sacré devant la loi que celui de l’homme libre ; et si un maître, abusant de son autorité, essayait de le dépouiller de son bien, le procureur fiscal exigerait la restitution. Mais un droit encore plus précieux, et qui n’existe dans aucun code connu, est accordé aux esclaves de Cuba : c’est celui de coartacion. Cette loi doit encore son origine aux anciennes mœurs des propriétaires et à leur charité naturelle. Non-seulement l’esclave, aussitôt qu’il possède le prix de sa propre valeur, peut obliger son maître à lui donner la liberté ; mais, faute de posséder la somme entière, il peut forcer ce dernier, à recevoir des acomptes, au moins de cinquante piastres, jusqu’à l’entier affranchissement. Dès la première somme payée par l’esclave, son prix est fixé, il ne peut plus augmenter. La loi est toute paternelle : car l’esclave, pouvant se libérer par petites sommes, n’est pas tenté de dépenser son pécule à mesure qu’il le gagne, et, par ce moyen, son maître devient pour ainsi dire le dépositaire de ses épargnes. Et puis l’esclave ne se décourage pas, dans ses modestes chances de gain, devant la perspective d’une trop grande somme à réunir ; il croit plus rapproché le but de ses espérances, puisqu’il peut l’atteindre par degrés. Il y a plus (et ceci est un bienfait dû non à la loi, mais au maître, et consacré par la coutume), aussitôt qu’un nègre est coartado, il est libre de demeurer hors de la maison du maître, de vivre à son compte et de gagner sa vie comme il l’entend, pourvu qu’il paie un salaire convenu, et proportionné au prix de l’esclave ; en sorte que, du moment où celui-ci a payé les premières cinquante piastres, il acquiert autant d’indépendance qu’en aurait un homme libre, tenu, moyennant arrangement, à payer une dette à un créancier.
Il est à remarquer que plusieurs de ces lois étaient indiquées d’avance par les coutumes libérales des colons de Cuba. Guidés par un sentiment paternel, ils encouragent et facilitent l’affranchissement de leurs esclaves ; et ce résultat est plus fréquent qu’on ne le pense. Indépendamment de la loi de coartacion, le nègre a plusieurs moyens d’acquérir de l’argent. Dans les habitations, chaque nègre a la permission d’élever de la volaille et des bestiaux, qu’il vend au marché à son profit, ainsi que les légumes qu’il cultive en abondance dans son conuco, ou jardin potager. Ce terrain est accordé par le maître et attenant au bojo, ou chaumière. Les dimanches et les soirs, à la brune, l’esclave, après avoir rempli sa tâche, se livre à ce soin, qui se réduit, sur une terre promise, à semer et a recueillir. Souvent telle est son indolence, qu’il faut les instances du maître pour le décider à profiter de ce bienfait. La loi française, bien plus sévère que la nôtre, refusait à l’esclave, avec le droit de propriété, la faculté de vendre, et, ce qui paraît d’une rigueur inouïe, il ne pouvait disposer de rien, même avec la permission de son maître, sous peine du fouet pour l’esclave, d’une forte amende contre le maître, et d’une amende égale contre l’acheteur 5.
Les nègres et négresses destinés au service intérieur de la maison peuvent employer leur temps libre à d’autres ouvrages pour leur propre compte ; ils profiteraient davantage de cette faveur s’ils étaient moins paresseux et moins vicieux. Leur désœuvrement habituel, l’ardeur du sang africain, et cette insouciance qui résulte de l’absence de responsabilité de son propre sort, engendrent chez eux les mœurs et les habitudes les plus déréglées. Ils se marient rarement : à quoi bon ? Le mari et la femme peuvent être vendus, d’un jour à l’autre, à des maîtres différens, et leur séparation devient alors éternelle. Leurs enfans ne leur appartiennent pas ; le bonheur domestique ainsi que la communauté des intérêts leur étant interdits, les liens de la nature se bornent chez eux à l’instinct d’une sensualité violente et désordonnée. Une pauvre fille devient-elle grosse, le maître, s’il a des scrupules, en est quitte pour infliger au nom de la morale une punition à la délinquante et pour garder le négrillon chez lui. Presque toujours la mère seule est châtiée. La peine à laquelle elle est ordinairement condamnée, et qui lui est le plus sensible, c’est l’exil à la sucrerie pendant des mois, et, en cas de récidive, pendant des années. On commence par faire avouer à la coupable sa faute, à genoux, et, après qu’elle a demandé pardon à Dieu et à son maître, on lui rase la tête ; on la dépouille de ses vêtemens de ville, qui sont aussitôt remplacés par une chemise de grosse toile et un jupon de lislado 6. Montée sur une mule, elle est expédiée avec la requa 7 qui apporte les provisions de la semaine à la sucrerie. Là, bien que munie d’une recommandation charitable de la señora pour le mayoral 8, elle est soumise aux travaux de l’habitation. Cette punition ne corrige ni la coupable ni ses compagnes, bien moins encore les complices, et la race continue à croître et multiplier comme il plaît à Dieu 9.
Tandis que cela se passe ainsi dans une partie de l’île, par un contraste de mœurs et de principes digne de remarque, dans un grand nombre d’habitations l’esclave reçoit une récompense pour chaque enfant légitime ou non qu’elle met au monde ; on lui donne même la liberté si elle parvient à en produire un certain nombre. Cette prime d’encouragement, fort contraire aux bonnes mœurs, est favorable à l’accroissement de la race et améliore le sort des négresses. A peine sont-elles enceintes qu’on les exempte de tout travail pénible ; elles sont nourries plus délicatement et ne reprennent leurs occupations habituelles que quarante jours après leur délivrance. J’ai vu en France, dans les campagnes, de malheureuses jeunes femmes, dans les derniers mois de leur grossesse, passer, sous le poids des chaleurs de la canicule, des journées entières courbées, moissonnant à la faucille ! Pour l’ouvrier libre, le jour sans travail est un jour sans salaire, et l’existence d’une pauvre famille dépend souvent du travail de son chef. Mais si un instant, las de cette peine dure et incessante, accablé sous le poids d’une vie chargée d’amertume et de responsabilité, il s’arrête pour reprendre haleine, la misère fond sur lui et sur les siens, le presse, l’étouffe et l’accable. L’esclave ici, objet de la pitié exaltée des Européens, léger d’avenir et d’ambition, tranquille, insoucieux, vit au jour le jour, se repose sur son maître du soin de sa conservation, et, s’il est affligé d’une infirmité à vingt ans, voit son existence assurée, fût-il destiné à vivre un siècle.
Une des sources de profit du nègre est le vol. Il est rare d’en trouver de fidèles, et, pour des gens dépourvus de principes, la raison est toute simple, c’est l’impunité. Un maître dépouillé par son esclave se garderait bien de le livrer à la justice, convaincu qu’il est d’en être pour l’argent volé, pour son nègre, et pour les frais du procès. Aussi se borne-t-il à fustiger le coupable, qu’il garde chez lui. Le voleur recommence le lendemain ; mais si, avant qu’on s’aperçoive du larcin, il l’emploie à son affranchissement, il est libre devant la loi, quand même il serait convaincu du vol, quand même il aurait avoué sa faute un instant après l’avoir commise. On le contraint seulement à payer, avec le produit de son travail, la somme volée. Outre ce moyen illicite de racheter leur liberté, les noirs en ont un autre dans les gratifications d’argent qu’ils reçoivent, à tout propos, de leur maître, du niño, de la niña 10, des parens, des amis de la maison ; et comme les familles sont nombreuses, que, la chaleur étant extrême, tout est ouvert, partout on les rencontre sur ses pas. Mi amo, un rea. pa tabacco ! — Niña, do rea pa vino ! (Maître, un réal pour du tabac ! — Mademoiselle, deux réaux pour du vin !) En disant cela, ils avancent une main, se grattant l’oreille de l’autre, et vous montrent leurs blanches dents avec un regard doux et suppliant qui vous fait venir le sourire sur les lèvres, quelquefois les larmes aux yeux, et toujours porter la main à la bourse.
Le nègre carabali est le plus économe, et s’affranchit en peu de temps. Il n’est pas rare qu’un esclave qui garde ses épargnes se trouve en mesure de se racheter deux ou trois ans après son arrivée d’Afrique. Mais souvent il préfère l’esclavage, et dépose son argent entre les mains de son maître ; s’il essaie de la liberté, bientôt le repentir le saisit, et il revient près du maître, qu’il supplie de le reprendre. J’ai vu, il y a peu de jours, un ancien esclave de mon oncle qui s’était racheté il y a environ un an. Il était venu voir son maître, et se repentait amèrement de l’avoir quitté : des larmes brillaient dans ses yeux. « J’étais bien ici, disait-il, mi amo me donnait tous les ans deux habillemens complets, un bonnet, un madras, una fresada (couverture), il me nourrissait bien, et, quand je devenais malade, il me faisait guérir. Maintenant, il me faut de l’argent pour tout cela ; si je le gagne ; on ne me paie pas comptant ; si je suis souffrant, il faut que je travaille comme si je me portais bien, et, si je suis obligé de m’aliter, le médecin emporte le fruit de ma peine ! Io fui un caballo de libertar me ! (J’ai été un cheval de m’affranchir). »
Une fois le nègre affranchi et hors de la maison, il est rare que le colon consente à le reprendre chez lui, surtout si le liberto a fait partie des esclaves de l’habitation. L’indépendance, jointe à l’ignorance et à la paresse, ne tarde pas à développer chez lui des vices dont l’exemple serait à redouter pour ses compagnons. Il est en général recéleur, et, comme un des penchans dominans des nègres est le vol, il s’y abandonne davantage à mesure qu’il rencontre plus de facilité à le cacher. Le liberto a le droit de sortir de l’habitation quand il veut, et il en profite pour aller vendre, dans les villages voisins, le fruit des larcins de ses camarades. Quelquefois il donne asile à l’esclave fugitif ; dans ce cas, on le condamne d’abord à deux, puis à trois mois de prison, et, s’il y a récidive, à six mois, sans que la punition puisse jamais dépasser ce terme. Comparez à ce châtiment la peine infligée jadis, en pareil cas, par la loi française : « Les affranchis ou nègres libres qui auront donné retraite, dans leur maison, aux esclaves fugitifs, seront condamnés, par corps, envers le maître à une amende de 30 livres par chaque jour, de rétention, et faute, par lesdits nègres affranchis ou libres, de pouvoir payer l’amende, ils seront réduits à la condition d’esclaves, et vendus. Si le prix de la vente dépasse l’amende, le surplus sera délivré à l’hôpital ! Et comme la somme exigée était exorbitante et hors de tout rapport avec la pauvreté habituelle de l’affranchi, il payait toujours sa faute de sa liberté. Ainsi, un acte charitable était puni, sous la loi française, par la ruine, par la perte de la liberté et par l’exhérédation de la famille entière. Il faut avouer que, dans nos colonies, les lois de l’humanité ont été mieux observées que dans celles de la France.
Toutefois, le liberto n’a que rarement l’occasion d’accueillir sous son toit le nègre marron ; celui-ci préfère au foyer de l’affranchi la savane solitaire. L’herbe haute et touffue, enlacée aux buissons gigantesques de la caña-brava 11, lui offre un asile beaucoup plus sûr ; ou bien, réfugié sur les montagnes, il choisit sa demeure au fond des forêts vierges. Là, protégé par les remparts impénétrables des arbres séculaires, abrité par les amples rideaux des lianes sauvages, il défie l’autorité du maître, la rigueur du mayoral et la dent meurtrière du chien. Lorsqu’il se sent harcelé de trop près, il, cherche une retraite au fond des cavernes, ossuaires solennels, dépositaires fidèles des tristes reliques d’une race infortunée 12. Mais bientôt la faim et le désespoir l’obligent à se jeter de nouveau dans les campagnes, préférant cette vie vagabonde et périlleuse au joug du travail. Néanmoins, si l’heure du repentir arrive, il implore l’assistance d’un padrino 13 qui le ramène au bercail ; moyennant quoi le maître pardonne sans qu’il s’ensuive punition. Le fugitif est-il pris par la force ou se trouve-t-il en récidive, on se borne à lui mettre les fers aux pieds pour l’empêcher de recommencer ; la justice ne s’en mêle pas.
Voici quelle était la peine infligée au marronage dans le code noir : « L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à dater du jour où son maître l’aura dénoncé à la justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; s’il y a récidive pendant un autre mois, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort ! » Le cœur se révolte, les entrailles frémissent à l’idée de ces tortures insensées et cruelles. Certes, si la révolte de Saint-Domingue fut le résultat des principes proclamés par les apôtres de la révolution française, le code noir en avait préparé les voies par des rigueurs qui, chez une nation aussi éclairée que généreuse, semblent à peine croyables.
Mais, si la législation française fut sévère et dure, la loi anglaise est encore plus acerbe et plus inhumaine. Chose remarquable, plus les nations sont gouvernées par des institutions libérales, plus elles resserrent le collier de fer qui opprime leurs esclaves. On dirait que le besoin de domination et l’orgueil humain, comprimés par des lois équitables, cherchent à reprendre leur essor aux dépens de la race asservie. L’Espagne, avec son gouvernement absolu, est la seule nation qui se soit occupée d’adoucir le sort du nègre ; l’humanité de nos colons envers leurs esclaves rend la vie matérielle de ces derniers plus heureuse, sans aucun doute, que celle des journaliers français, tandis que les Anglais et les Américains du Nord abreuvent les nègres de dégoût et de douleur par leurs cruels traitemens, par leur méprisant orgueil. Ils défendent à leurs esclaves de se chausser, et, pendant qu’on voit chez eux, comme dans les colonies françaises ces malheureux marcher les pieds nus et souvent ensanglantés, pendant que de sveltes petites filles, aux luisantes épaules de cuivre, parées de tous les charmes de la jeunesse, mais honteuses (tant l’instinct féminin éclaire l’ignorance), osent à peine avancer leurs petits pieds sur le bord de leur courte jupe, on voit nos heureuses et insouciantes chinas 14 étaler coquettement sous les rayons du soleil, au bout de leurs jambes d’ébène, un élégant soulier de satin blanc.
La plupart des esclaves réservés au service intérieur des maisons sont nés dans l’île : on les appelle criollos 15. Leur intelligence est plus développée que celle des Africains, et leur aspect franc et familier. Ils mènent une vie douce et sont fort indolens, d’où il résulte qu’il faut soixante ou quatre-vingts nègres pour mal faire le service intérieur d’une maison qui serait bien tenue par six ou huit domestiques d’Europe. Il y a quelques années, par fraude ou par violence, deux fils d’un cacique furent enlevés et amenés ici par un bâtiment négrier portugais. On les vendit. Peu de temps après, une ambassade de Coudoumies tatoués et habillés de plumes de couleur aborda dans l’île. Ils venaient de la part de leur chef réclamer auprès du gouverneur les deux princes enlevés. Le gouverneur consentit sans difficulté à leur départ ; mais les jeunes gens refusèrent de quitter Cuba, où ils jouissaient, disaient-ils, d’un bonheur qu’ils n’avaient jamais goûté dans leur pays. Ainsi, l’état de prince en Afrique ne vaut pas celui d’esclave dans nos colonies.
Ceci ne veut pas dire que l’esclavage soit un état désirable : Dieu me préserve de le penser ! Je me borne seulement à tirer de ce fait une conséquence incontestable ; c’est que les bienfaits de la civilisation et des bonnes institutions corrigent même l’esclavage, et le rendent préférable à l’indépendance dépouillée.de tout bien-être matériel, et toujours exposée au caprice et à la brutalité du plus fort. L’exemple que je viens de citer n’est pas unique. J’ai vu à l’établissement gymnastique de Cuba un jeune nègre, fils d’un chef riche et redoutable, vendu jadis aux marchands européens par les ennemis de son père. Depuis que celui-ci a découvert la demeure de son fils, il envoie régulièrement tous les six mois des émissaires pour lui persuader de revenir près de lui. On n’a pas encore réussi à l’y faire consentir. En attendant et poussé par l’instinct de sa nature primitive, il dompte en amateur les chevaux destinés au manége de la ville.
Les esclaves employés aux labeurs de la campagne sont tous bozales, et peuvent à peine s’exprimer dans notre langue. Leurs traits sont doux, et leur physionomie stupide. La fabrication du sucre, la plus pénible de leurs tâches, est loin de l’être autant que la plupart des travaux mécaniques en Europe. Cette fabrication devient d’ailleurs chaque jour moins laborieuse par l’application de nouvelles machines et de nouveaux instrumens qui la simplifient. Quant à la main-d’œuvre agricole, elle exige peu de soins sur une terre qui ne demande aucune préparation, et où le plant de la canne conserve sa sève jusqu’à trente ans, sans qu’on ait besoin de le renouveler. Les paysans de Cuba, ou Quagiros, la cultivent comme les fruits et les légumes, pour la vendre au marché.
Un fait, m’a frappée. Toutes les fois que j’ai vu le nègre chargé du même travail que le journalier européen, et que j’ai comparé les deux labeurs, j’ai trouvé, chez le premier, effort, fatigue, accablement, et chez l’autre gaieté, vigueur et courageuse intelligence. D’où vient ce désavantage de la race africaine, si elle est, comme on le dit, plus forte que la nôtre ? Faut-il l’attribuer au climat ? Mais les nègres sont nés sous le soleil brûlant d’Afrique. Est-ce à leur stupide ignorance, qui augmente les difficultés du travail, ou à l’indolence, qui les endort ? Toutes ces causes peuvent y contribuer ; néanmoins la première, la plus influente de toutes, c’est le peu d’habitude que le nègre a contracté du travail. Quelque robuste et bien constitué qu’il soit, il ne peut vaincre ce désavantage. Il est apte à courir, à sauter, à dompter les animaux sauvages ; mais il répugne au travail régulier, pratique, pacifique, fruit de la civilisation et des bonnes institutions. Ses violens exercices une fois accomplis, la fureur de ses passions une fois calmée, il ne tarde pas à retomber dans la plus stupide indolence. De là ces traitemens sévères, ces condamnables rigueurs des mayorales, quand ils veulent contraindre les nègres à un travail régulier.
Néanmoins, à la surveillance près, le travail des nègres est, dans la colonie de Cuba, aussi modéré, aussi réglé, que celui des journaliers de campagne en France. A cinq heures du matin, le mayoral frappe à la porte des bojios, et chacun de se lever et d’accourir au batey 16. Là on distribue le travail de la journée, et les nègres partent, conduits par le contra-mayoral, ou sous-chef. A huit heures, on leur porte un déjeuner composé de viande et de légumes. A onze heures et demie, au son de la cloche, ils se rendent de nouveau au batey ; là on leur distribue une ration de viande déjà cuite, pour leur épargner de la peine pendant les deux heures de leur repos. Ils l’emportent dans leur bojio, où ils préparent un ragoût abondant mêlé de force bananes, et assaisonné d’ajonjoli 17 ; puis ils ont de la zambumbia 18 à discrétion. A deux heures, la cloche les rappelle au travail jusqu’à six heures. En rentrant, ils apportent de l’herbe pour les bestiaux, et se rendent au batey au son de l’Angelus. Là, ils font à genoux la prière du soir, toujours sous la surveillance du mayoral. C’est un spectacle grand, touchant et étrange. Quatre cents esclaves prosternés prient l’Éternel à haute voix, sous l’ombrage d’arbres séculaires, en face de cette superbe nature, dorée par les derniers rayons du soleil des tropiques. A ces éclatans et sauvages accens, lancés dans les airs, on sent le cœur se prendre d’une terreur secrète. Une voix profonde semble vous dire : « Toutes les captivités se ressemblent, » et l’on est tenté de joindre sa prière à la prière commune, en s’écriant comme les enfans d’Israël : « Seigneur, quand sècheras-tu nos larmes ? quand serons-nous délivrés ? » Après l’Angelus, les nègres rentrent chez eux, font encore un repas, et se reposent jusqu’au lendemain matin. Comme on le voit, l’ordre du travail diffère peu de celui des laboureurs en France ; et, si l’esclave est surveillé plus sévèrement, il est sans contredit mieux nourri.
L’époque de la molienda 19 est la plus laborieuse, mais aussi la plus désirée. C’est le moment de miséricorde ; le maître est là, près des esclaves, qui les écoute, leur fait grace, s’ils ont mérité punition, et réprime le mayoral toujours âpre et inexorable dans ses rigueurs. Mais leur plus redoutable adversaire est le contra-mayoral, esclave comme eux, et par cela même dur et souvent cruel envers ses compagnons, surtout si tel ou tel nègre mis à ses ordres a fait partie jadis de quelque tribu ennemie de la sienne. Alors il devient féroce, implacable, par esprit de vengeance ; il harcèle sans cesse sa victime, il ne lui accorde ni repos ni quartier ; la communauté de leur destinée, au lieu de calmer sa haine, l’irrite ; il profiterait volontiers de sa situation pour exterminer son ennemi vaincu, si ce dernier ne se trouvait placé sous la protection du maître.
Malgré la robuste constitution des nègres, ils sont sensibles aux impressions atmosphériques ; la chaleur et le froid leur causent de subites et graves indispositions. Ce serait une curieuse et triste énumération que celle des nègres qui périssent tous les ans, soit par les souffrances qu’on leur fait subir pour les transporter en fraude d’Afrique, soit par toute autre cause. L’observation a prouvé que, malgré les dangers de la fièvre jaune, la mortalité des blancs est beaucoup plus faible proportionnellement que celle des nègres. M. de Saco 20 évalue celle-ci, année commune, à 10 sur 100, ce qui paraît exorbitant de prime abord, et ce qui pourtant est loin d’être exagéré.
Si les Africains n’avaient à lutter, dans l’île de Cuba, que contre l’excès de la chaleur, ils auraient, vu l’analogie des climats, un avantage incontestable sur les ouvriers blancs ; mais diverses circonstances détruisent cet avantage. Peu importe que la chaleur incommode moins les nègres que les blancs, si, en arrivant à la Havane, ils ont à souffrir d’autres privations, d’autres douleurs. Sans parler des maladies qui leur sont propres et qui exigent tous les soins des colons pour les conserver, une multitude presque innombrable de nègres périssent dans les traversées et dans les barracones, notamment depuis la prohibition de la traite. Avant cette époque, les bâtimens négriers étaient soumis à une surveillance sévère de la part de la police militaire ; vaccinait les nègres à leur arrivée, on soignait les malades, et, si la maladie était contagieuse, on les mettait en quarantaine. Ces excellentes mesures engageaient les capitaines à traiter les nègres avec plus de soin pendant la traversée, et la mortalité était moins considérable. Mais, depuis l’abolition de la traite, le contrebandier négrier, ne songeant qu’à profiter du danger auquel il s’expose, entasse au fond de ses cachots mobiles autant de malheureux qu’ils peuvent contenir, et, après de longs jours et de longues nuits, il arrive au port avec une faible partie de sa cargaison, accablée, mourante, et souvent attaquée de la peste. Alors, jetée sur de solitaires rivages, elle reste sans secours, jusqu’à ce que la maladie et la mort s’en emparent. A ces calamités il faut ajouter les superstitions religieuses et l’influence qu’exercent leurs sorciers et leurs devins sur l’esprit de ces infortunés ; on les voit souvent ou se suicider, ou succomber à ces pratiques secrètes et infernales exigées par les affreux mystères de leur obeah.
Le plus redoutable fléau pour les Africains, c’est le choléra. On ne saurait imaginer les ravages que ce mal a exercés dans nos campagnes Dans certaines habitations, il a enlevé les deux tiers des esclaves en huit jours, tandis que des infirmiers blancs et leurs maîtres, ne quittant pas les hôpitaux, donnaient des soins assidus aux nègres attaqués de la maladie, sans en être eux-mêmes atteints.
Ces élémens de destruction concourent à rendre la mortalité des nègres plus considérable que celle des blancs. Le colon jouit pendant la traversée de soins assidus et d’une nourriture saine ; une fois débarqué, il prend toute sorte de précautions pour s’accoutumer au climat, il ne travaille que modérément et à ses heures. On a cherché à répandre dans l’esprit des Européens des craintes exagérées sur les dangers de la fièvre jaune ; c’est à tort. Cette maladie est maintenant tellement connue, que, si on ne la néglige point à son origine, elle n’est pas plus à craindre qu’une courbature ou un refroidissement. Tout créole sait la guérir ; d’ailleurs, elle ne règne que pendant les mois de la canicule. La plupart des étrangers qui abordent dans l’île à cette époque de l’année n’en sont pas atteints, et ceux qui le sont succombent rarement, surtout s’ils veulent se soumettre à un sage régime hygiénique, et s’éloigner des côtes pendant les premiers mois de leur séjour dans l’île ; le danger n’est réellement à redouter que dans l’étroit rayon de deux ou trois lieues sur le bord de la mer. De fréquens exemples viennent à l’appui de cette observation. Un séjour à Guana-Bacoa, petite ville située à une demi-lieue du côté opposé à la baie de la Havane, suffit même pour éviter la maladie : circonstance d’autant plus importante, que, les sucreries étant pour la plupart éloignées de la mer, les colons qui se destinent aux travaux agricoles se trouvent en toute sûreté. Les preuves de la bonté de notre climat et de son influence salutaire sur les étrangers sont nombreuses. Les îles Canaries ne nous envoient-elles pas des cargaisons d’hommes accablés par la fatigue, après de longues traversées, et souvent à l’époque des plus fortes chaleurs ? Eh bien ! le nombre de ceux qui succombent est infiniment plus faible que celui des Africains ; pourtant, les uns et les autres sont non-seulement soumis aux rigueurs du climat, mais aussi aux travaux agricoles. Indépendamment de ces exemples, une foule d’Européens et d’Américains du Nord vivent parmi nous, appelés par le commerce et l’appât des richesses. Beaucoup habitent la Havane, même pendant toute l’année. Les étrangers peuvent donc sans crainte venir cultiver nos campagnes vierges, qui leur offrent des trésors inappréciables et non exploités. La douceur du colon de Cuba pour son esclave inspire à ce dernier un sentiment de respect qui approche du culte. Ce dévouement de l’esclave est sans bornes ; il assassinerait l’ennemi de son maître, dans la rue, en plein jour, aux yeux de tous ; il périrait pour lui sous la torture sans sourciller. Le maître est pour l’esclave la patrie et la famille ; l’esclave porte le nom du maître, reçoit ses enfans quand ils viennent au monde, les nourrit de son lait, les sert avec adoration dès leur plus tendre enfance, et, lorsque la maladie arrive, veille son maître nuit et jour, lui ferme les yeux à sa mort, puis se traîne par terre, pousse d’affreux hurlemens, et, dans son désespoir, se déchire la peau de ses ongles. Mais, si quelque âpre ressentiment s’éveille dans son ame, la férocité du sauvage reparaît il est ardent dans sa haine comme dans son amour. Sa fureur vengeresse n’a presque jamais pour objet son maître. Lorsqu’une révolte n’est pas provoquée par les étrangers, ce qui est rare, c’est l’irritation contre le mayoral qui l’excite.
Voici un fait qui prouve la puissance morale du maître sur l’esprit de ces sauvages. Peu de mois avant mon arrivée, les nègres de la sucrerie d’un de mes cousins, don Raphaël, se révoltèrent ; c’était un nouvel établissement. Les esclaves, récemment arrivés d’Afrique, étaient presque tous de nation Couloumie 21, c’est-à-dire, assez bons travailleurs, mais violens, irascibles, et prêts à se pendre à la moindre contrariété. Cinq heures du matin venaient de sonner, le jour commençait à paraître ; Raphaël était parti depuis une demi- heure pour une autre de ses propriétés, et laissait, encore livrés au sommeil, ses quatre enfans et sa femme grosse. Tout à coup Pepyia (c’est le nom de cette dernière) s’éveille en sursaut, au bruit d’horribles vociférations accompagnées de pas précipités. Effrayée, elle sort de son lit, et, ouvrant le vasistas, aperçoit tous les nègres de la sucrerie qui se dirigeaient en désordre vers son habitation. Bientôt ses enfans arrivent, pleurent, s’attachent à elle, et poussent des cris. Elle n’avait que des esclaves à son service, et croit sa perte certaine. Mais à peine avait-elle eu le temps de recueillir ses idées, qu’une de ses négresses entra chez elle : « Niña, n’ayez pas peur, lui dit-elle nous avons tout fermé, et Miguel est allé chercher le maître. » Ses compagnes, qui l’avaient suivie, entourent leur maîtresse. Les séditieux avançaient toujours, traînant une sorte de lambeau ensanglanté qu’ils se passaient de main en main, en poussant des sifflemens aigus comme les serpens du désert. « C’est le corps du mayoral ! » s’écrièrent à la fois les négresses qui, toujours groupées autour de Pepyia tâchaient de calmer ses alarmes, tandis que les nègres, dès le commencement de la révolte, couraient la campagne, à la recherche de leur maître. Les révoltés, étaient déjà presque aux portes de la maison, lorsque Pepyia aperçoit par le vasistas le quitrin 22 ou voiture de son mari, qui s’avançait rapidement. La pauvre créature, qui jusque-là avait attendu la mort avec courage à côté de ses enfans, faiblit à la vue de son mari, sans armes, et venant droit vers ces furieux ; elle s’évanouit…… Cependant Raphaël arrivait de front sur les esclaves enivrés de sang et tous armés. Il s’arrête en face d’eux, met pied à terre ; et sans prononcer un mot, le regard sévère, du geste seul, il leur indique la casa de purga 23 Les esclaves cessent aussitôt leurs vociférations, lâchent le corps du mayoral, et traînant le machete 24, la tête basse, se pressent, se poussent et rentrent atterrés ! On aurait dit qu’ils voyaient dans cet homme désarmé l’ange exterminateur.
Quoique la révolte eût cédé un moment, Raphaël, qui en ignorait la cause, et qui n’était pas rassuré sur les suites, voulut profiter de cet instant de calme pour éloigner sa famille du danger. Le quitrin ne pouvait contenir que deux personnes ; il eût été imprudent d’attendre qu’on préparât d’autres voitures. On y transporta donc Pepyia, qui commençait à reprendre ses sens, et on plaça les enfans comme on put. Ils allaient partir ; lorsqu’un homme percé de coups, mourant et méconnaissable, se traînant sous une des roues du quitrin, s’efforça d’y monter, et se cramponna sur le marche-pied. On lisait sur son visage pâle les signes du désespoir et les symptômes avant-coureurs de la mort ; la terreur et l’agonie se disputaient ses derniers momens. C’était le majordome blanc assassiné par les nègres, qui, après avoir échappé à leur férocité, faisait ses derniers efforts pour sauver un souffle de vie. Ses plaintes, ses prières étaient déchirantes. C’était pour Raphaël une cruelle alternative que de repousser les supplications d’un mourant, ou de le jeter sur ses enfans tout dégouttant de sang et de fange ! La pitié l’emporta. On l’attacha à hâte sur le devant : de la voiture et on partit….
Tandis que ceci se passait dans la sucrerie de Raphaël, le marquis de Cardenas, frère de Pepyia et dont l’habitation est à deux lieues de celle de sa sœur, avait été prévenu par un esclave du péril qui la menaçait, et accourait à son secours. En approchant de l’habitation, il aperçut un groupe de rebelles qui, poussés par un reste de fureur et par la crainte du châtiment, couraient vers les savanes y chercher un asile parmi les nègres marrons. Le marquis de Cardenas, alarmé par la nouvelle du danger que courait sa sœur, n’avait eu que le temps de monter à cheval et de partir, accompagné d’un de ses esclaves. A peine les fuyards aperçurent-ils un homme blanc, qu’ils coururent sus armés jusqu’aux dents. Le marquis s’arrêta pour attendre : c’était témérité. Mais son nègre saisissant vigoureusement par la bride le cheval du maître et le faisant retourner : « Mi amo, allez- vous-en !… je m’entendrai avec eux.- » Cela dit, donna un coup de fouet au cheval, qui partit au galop. La horde féroce se trouva face à face avec l’esclave ; celui-ci la reçut de pied ferme, pour donner à son maître le temps de s’éloigner. Ce brave et fidèle Joseph, car il est bien de conserver son nom, comme le nom d’un héros, ce vaillant et courageux serviteur, après une défense héroïque contre ces forcenés, resta étendu sur le bord du chemin, frappé de trente-six coups de machete le crâne fendu, une oreille détachée de la tête, les membres brisés… Eh bien ! Joseph vit encore, et je le vois tous les jours. Il a plusieurs cicatrices sur le visage ; sa physionomie est douce et ouverte ; le pauvre nègre paraît heureux. Son maître lui a donné la liberté : d’abord il l’a refusée, et ne l’a acceptée plus tard qu’à la condition de rester auprès de lui, et de le servir comme par le passé.
La révolte, qui n’était point préméditée, n’eut pas de suite ; elle n’avait été motivée que par une trop rude punition infligée à un esclave par le mayoral. En se dirigeant vers la maison du maître, les révoltés voulaient seulement lui exposer leurs griefs. Les nègres demandèrent grace à Raphaël, et, à l’exception de deux ou trois des plus coupables qu’on livra à la justice, les autres furent pardonnés.. Un fait à remarquer, et qui prouve l’attachement des esclaves pour leur maître, c’est que la première pensée des chefs de la révolte, avant de se soulever, fut d’arrêter le jeu des cylindres et la machine à vapeur. Sans cette précaution, la machine aurait indubitablement fait explosion et détruit la sucrerie.
Non-seulement les colons de Cuba favorisent l’affranchissement de leurs esclaves en leur procurant les moyens d’acquérir de l’argent mais ils leur donnent souvent la liberté. Un bon service, une preuve de dévouement, la femme esclave qui nourrit un enfant de la famille les soins qu’elle a prodigués à un de ses membres dans sa dernière maladie, l’ancienneté des services, tout reçoit sa récompense, et cette récompense est toujours la liberté. Souvent l’esclave regarde ce bienfait comme une punition et l’accepte en pleurant. Je pourrais citer une foule de traits où l’affection du maître et la reconnaissance de l’esclave honorent l’humanité. Jusqu’à l’époque où la traite fut abolie, toutes les nations qui possédaient des colonies entravaient l’affranchissement. Le maître qui accordait la liberté à son esclave était obligé de débourser en droits de contrôle une somme équivalente au prix de l’esclave. La loi espagnole, plus généreuse, ne soumet ce bienfait à aucune taxe. Elle le réduit à une simple carta de libertad, faite et signée par le maître qui la garde dans ses archives et en remet copie au nègre. Nanti de cette pièce, l’affranchi a le droit d’exercer pour son compte toute espèce d’industrie.
Le liberto peut, à son tour, posséder des esclaves et des propriétés ; il y en a dont la fortune s’élève à 40 et 50,000 piastres. Mais la plus dure des conditions est celle de l’esclave d’un nègre ; maître impitoyable, la férocité naturelle de ce dernier s’accroît par le souvenir de sa propre servitude, et fait revivre pour son esclave la cruauté du sauvage africain. Lorsqu’il a obtenu sa liberté par coartacion, il tâche de conserver les franchises des esclaves ; car, si l’esclave n’a pas de droits, il n’a pas non plus de devoirs, et le nègre, qui par son affranchissement, jouit des uns, voudrait continuer à s’exempter des autres. Ainsi, tout en possédant des esclaves, des maisons, des terres, il a soin de rester débiteur envers son maître d’un medio (50 centimes) par jour, comme redevance des dernières 50 piastres à rembourser sur le prix de sa liberté. Cette redevance qui le place encore au nombre des esclaves par rapport au fisc, il ne la paie jamais et s’exempte, par ce moyen, du service militaire et de l’impôt, à titre d’esclave non totalement libéré.
Quoique l’esclave possède le droit de propriété, à sa mort son bien appartient à son maître ; mais, s’il laisse des enfans, jamais le colon de Cuba ne profite de cet héritage : il garde soigneusement le pécule de l’esclave défunt, le fait valoir, et, lorsque la somme est suffisante, il affranchit les enfans par rang d’âge. Souvent même le nègre devenu libre laisse de préférence son héritage à son maître. En voici un exemple entre mille : à l’époque où le choléra régnait ici, une vieille infirmière assistait les nègres de mon frère. Elle avait été son esclave ; mais, bien qu’affranchie depuis long-temps, elle continuait son service comme par le passé. La maladie s’attaqua à elle ; aussitôt elle fit prier son maître de venir la voir : « Mi amo, je vais mourir, lui dit-elle ; voici dix-huit onces que j’ai encore amassées ; c’est pour vous… Cette petite monnaie, su merced la partagera entre mes camarades… Quant à ce bon vieux (son mari), il va mourir aussi (il se portait bien) ; mais en attendant, si su rnerced veut, elle peut lui donner une once par-ci par-là pour l’aider à traîner sa vie…. » La pauvre vieille ne mourut pas, mais elle guérit d’une manière qui mérite d’être racontée. Mon frère, dont la charité angélique se portait partout où l’on souffrait, ne voulut pas quitter la pauvre patiente, et envoya par écrit au médecin des détails sur l’état de la malade, lui demandant de prompts secours pour elle. Dans la violence du mal, les gens de l’art ne suffisaient pas, et souvent les ordonnances se transmettaient d’un infirmier à l’autre, à quelques modifications près. Mon frère reçut, en réponse à sa lettre, trois paquets de poudre, avec injonction verbale de les administrer d’heure en heure. Ce ne fut qu’à grand’peine qu’on parvint à les faire prendre à la malade, qui se mourait… Un instant après arrive le médecin.- Eh bien ! dit-il.- Elle a tout pris.- Comment ? — Avec peine, mais elle a tout avalé. -Avalé ! Vous l’avez tuée ! Cette potion était destinée à tout autre usage… Et mon frère de se désespérer d’avoir causé la mort de la pauvre vieille femme. Il l’avait sauvée. La négresse se calma un instant après avoir absorbé la dernière potion, dormit profondément, guérit, et maintenant elle continue à soigner ses malades.
Je citerai un autre fait qui prouve à la fois l’élévation et la délicatesse d’ame d’un esclave. Le comte de Gibacoa possédait un nègre qui, voulant s’affranchir, demanda à son maître le prix auquel il l’imposait. — Aucun, lui répondit son maître ; tu es libre. — Le nègre ne répondit rien, mais il regarda son maître. Une larme brilla dans ses yeux, puis il partit. Au bout de quelques heures, il rentra accompagné d’un superbe nègre bozale qu’il avait été acheter au barracone avec l’argent qu’il destinait à son propre affranchissement. — Mi amo, dit-il au comte, auparavant vous aviez un esclave, maintenant vous en avez deux !
Les nègres s’identifient avec les intérêts de leurs maîtres et sont prêts à prendre fait et cause dans leurs querelles. Le général Tacon, ancien gouverneur de la Havane, qui a fait tant de choses essentiellement bonnes dans cette colonie, mais dont le caractère dur et inflexible a excité tant de ressentiment, se plaisait à humilier la noblesse par des actes de despotisme. Il avait persécuté le marquis de Casa-Calvo, qui, à force de souffrir, finit par mourir en exil. Quelque temps après, le général Tacon donnait un grand dîner. Plusieurs cuisiniers furent mis en réquisition ; mais le meilleur était le nègre Antonio, appartenant à la marquise d’Arcos, fille du malheureux Casa-Calvo. Le gouverneur, ébloui par le prestige de sa haute position, pensa que rien ne devait lui résister, et demanda le cuisinier à sa maîtresse, qui, comme vous le pensez bien, le refusa. Le capitaine-général, piqué au vif, fit offrir à l’esclave, non-seulement la liberté, mais une forte récompense, s’il quittait ses maîtres pour venir chez lui ; à quoi l’esclave répondit : « Dites au gouverneur que j’aime mieux l’esclavage et la pauvreté avec mes maîtres, que la liberté et la richesse avec lui. »
Les hommes libres de couleur jouissent parmi nous des garanties et des droits accordés aux colons. Ils font partie de la milice et peuvent s’élever jusqu’au grade de capitaine. Les compagnies de gens de couleur sont toujours les plus empressées à défendre l’ordre public. Plus favorisés, plus heureux que les mulâtres de Saint-Domingue, nos hommes de couleur, loin de chercher, à les imiter, sont toujours prêts à sévir contre les révoltes des esclaves. Fiers de se sentir rapprochés de la caste blanche par des lois libérales, ils tâchent de se détacher complètement d’une race dégradée.
Il me reste peu de chose à ajouter sur ce grave sujet ; je me bornerai à une dernière observation.
Supposons que les Anglais parviennent à obtenir sans secousse, sans trouble, l’émancipation des esclaves dans nos colonies ; quelle sera chez nous l’existence de plus de sept cent mille nègres en face de trois cent mille blancs ? Leur premier sentiment, leur premier besoin, quel sera-t-il ? Ne rien faire. Je l’ai dit, un travail régulier leur est insupportable ; la force a seule pu les y soumettre. Les colonies anglaises, après avoir répandu plus de 25 millions de francs, n’ont obtenu d’autre résultat que la ruine de l’agriculture et la transformation de l’ancien esclavage en un état d’oisiveté et de vagabondage plus malheureux et plus immoral que la servitude. N’avons-nous pas encore sous les yeux le triste résultat de la révolution de Saint-Domingue, île jadis riche, florissante, splendide, aujourd’hui pauvre, inculte, délaissée, et produisant à peine de quoi nourrir ses oisifs habitans, toujours ivres de vin et de fumée de tabac ? La paresse a d’autant plus d’empire sur les nègres, qu’elle n’est pas combattue par le besoin. A Cuba, la nature suffit avec luxe à tous leurs désirs ; le sol offre sans culture et en profusion des racines colossales qu’on assaisonne avec des aromates exquis, sans autre peine que celle de se baisser pour les cueillir. Une demeure ? ils n’en ont pas besoin sous une atmosphère toujours brûlante, où les nuits sont encore plus belles que les jours. Quatre pieux, quelques feuilles de palmier voilà tout ce qu’il leur faut pour se garantir de la pluie ; puis des tapis de mousse et de fleurs pour se reposer, et la voûte du ciel pour s’abriter. Quant aux vêtemens, la chaleur les leur rend inutiles, souvent insupportables. Un nègre indolent et sauvage, étranger à tout désir de progrès, d’ambition, de devoir, s’avisera-t-il jamais de remplacer cette vie imprévoyante, vagabonde et sensuelle, par les rigueurs d’un travail volontaire et d’une existence gagnée à la sueur de son front ?
Supposons encore que, par un miracle, l’éducation morale des esclaves affranchis, se développant tout à coup, les amenât à l’amour du travail. Devenus laborieux, les nègres ne tarderaient pas à être tourmentés du désir de devenir propriétaires ; de là rivalité, ambition, envie contre les blancs et leurs prérogatives. Sous un régime politique constitutionnel, dans un pays gouverné par des lois équitables, ne pourraient-ils pas réclamer le partage des mêmes institutions ? Leur accorderiez-vous tous vos droits, tous vos privilèges ? En feriez-vous vos juges, vos généraux et vos ministres ? Leur donneriez-vous vos filles en mariage ? Ce n’est pas cela que nous voulons, s’écrieront les amis des noirs ; qu’ils soient libres sans doute, mais qu’ils se bornent à travailler la terre, à charrier de la canne comme des bêtes de somme ! Ils n’y consentiront pas, eux ; s’ils font ce métier aujourd’hui, s’ils se trouvent, en s’y soumettant, aussi heureux qu’ils peuvent l’être dans leur état imparfait d’hommes sauvages, le jour où la lumière de l’intelligence luira pour eux, ils se sentiront hommes comme vous, et vous demanderont compte de leur abaissement ; puis, si vous les repoussez, ils vous écraseront, et le champ de bataille restera au plus fort. Faites-y attention ; point de quartier entre deux races incompatibles dès qu’elles auront donné le signal du combat.
Nous trouvons un exemple de cette vérité dans les désastres arrivés à New-York en juillet 1834. A peine les nègres se sentirent libres, qu’ils aspirèrent à l’égalité ; comment l’orgueil des blancs répondit-il à l’appel ? Par le feu et par le fer. Heureusement, le nombre des émancipés étant très faible 25, la terreur les saisit, et ils s’enfuirent Mais où allèrent-ils se réfugier ? Dans les états à esclaves pour y demander asile, protection et travail. Ainsi, les nègres que la démocratie affranchit dans le Nord sont refoulés par sa tyrannie et son orgueil dans les états du Sud, et ne trouvent d’asile qu’au sein de l’esclavage. Ce précédent a singulièrement calmé l’exaltation des abolitionistes de l’anti-slavery society (société contre l’esclavage). Les philantropes honnêtes et religieux dont cette société se compose, avaient jusqu’alors attaqué avec un zèle infatigable les préjugés qui séparent les nègres des blancs, et avaient même essayé de mélanger les races par des mariages 26 ; mais, arrêtés par les conséquences graves de leurs prédications, ils se bornent aujourd’hui à encourager l’exportation des nègres en Afrique. Cette mesure serait la plus sage si elle était praticable, et surtout si elle était compatible avec la conservation de nos colonies. Ainsi, partout où on a essayé de l’émancipation, le résultat a été : cessation de travail et ruine des colons, ou perturbation et désordre social.
J’en étais là, lorsqu’un journal où se trouve le récit d’un procès qui vient d’être jugé à la Martinique me tomba sous la main. Cette relation est accompagnée d’accusations amères contre les colons, et de conclusions en faveur de l’émancipation. Il s’agit d’une négresse qui, après avoir été la concubine de son maître, empoisonne par jalousie le bétail de celui-ci. Le maître impitoyable la jette dans un cachot et la condamne au supplice de la faim. Puis, accusé devant le tribunal, il est absous. Rien de plus révoltant ; mais qu’y a-t-il ici de plus odieux, du crime ou du jugement ? Sans contredit, le jugement. L’action d’une maîtresse qui empoisonne son amant par jalousie et celle d’un homme qui fait périr sa maîtresse par vengeance sont des crimes horribles, mais des crimes commis sous l’influence des passions ; on en voit de semblables parmi les blancs. Ce n’est ni un argument de plus ni une preuve de moins pour ou contre l’esclavage. Quant au jugement, il est inique, car il est le résultat de mauvaises lois, et, si la législation de la colonie est vicieuse, il n’en résulte pas que l’émanciption soit un bien. Corrigez vos codes, rendez-les plus sages, plus justes, plus humains, et vous pourrez, en accordant aux nègres un sort meilleur qu’il ne le serait par l’émancipation, vous abstenir de dépouiller vos colons et de troubler le monde. D’ailleurs, vous avez encore un moyen d’améliorer le sort des esclaves : maintenez rigoureusement l’abolition de la traite ; les maîtres veilleront avec plus de soin sur l’esclave, propriété dont la valeur augmentera, et ce qui n’aura pas été obtenu par l’humanité sera dû à l’intérêt.
L’expérience prouve qu’il meurt à Cuba près de moitié de plus d’affranchis que d’esclaves. Pendant les années 1832, 1833 et 1834, il est mort dans l’île un nègre libre sur trente, et un nègre esclave sur cinquante-trois esclaves.
Voici les questions qui se présentent.
Les nègres esclaves sont-ils plus heureux en Afrique que dans nos colonies ?
Une fois arrivés en Amérique, trouvent-ils un avantage réel à être émancipés plutôt qu’esclaves ?
La justice et l’humanité s’accorderont-elles avec l’attentat à la propriété et la lutte sanglante qui résulterait de l’émancipation ?
Est-ce par un sentiment de philantropie réel que les Anglais agissent contre l’esclavage dans les colonies espagnoles ? et les moyens qu’ils emploient pour arriver à leur but sont-ils compatibles avec les sentiments de philantropie qu’ils proclament ?
Le bien-être matériel dont les esclaves jouissent à Cuba, la protection que les lois leur accordent, ne sont-ils pas préférables pour eux aux chances d’une vie vagabonde et misérable, pour les colons aux perturbations horribles que l’existence de ces hordes sauvages, étrangères aux mœurs, aux usages et aux préjugés de la colonie, pourrait y causer ?
Sur ces diverses questions, j’ai dit ce que l’expérience m’a suggéré. J’ai exposé mes convictions et mes doutes ; l’amour de la vérité a été mon seul guide. La justice abstraite est chose grande et sublime sans doute, mais rarement compatible avec notre faiblesse. Dieu même, pour nous l’accorder ou nous l’imposer, est obligé d’y joindre l’équité qui la tempère. lire la suite
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lundi 13 février 2012 à 13:58 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
- L'Afrique n'est pas pauvre, elle a été appauvrie
Dans cette contribution, Nathalie Yamb met en exergue la place stratégique de l’Afrique dans les relations internationales et décrypte l’imposture et établit les fondements de la Refondation du continent.
L’Afrique est stratégique : ses ressources minières et énergétiques, ses matières premières, ses espaces, ses populations font du continent des enjeux du futur. L’importance tactique du marché africain est une évidence pour les acteurs économiques de premiers rangs que sont les Etats-Unis, les autres membres du G8 ou la Chine. Preuves s’il en faut : l’axe africain de la politique de Tony Blair, la tenue depuis trois ans du sommet sino-africain, qui fait apparaître son pendant France- Afrique comme une mascarade obsolète, l’intensification de la présence militaire américaine dans le pré carré francophone…
L’Afrique n’est donc pas pauvre, mais elle a été appauvrie. De façon constante, depuis la traite transatlantique jusqu’à nos jours, elle a été l’objet d’un système d’exploitation et de pillage des biens, certes relayé par des marionnettes locales, mais qui s’est néanmoins toujours inscrit dans le cadre d’un impérialisme historique. Ici plus qu’ailleurs, l’Occident s’est permis l’utilisation de tous les moyens nécessaires pour asseoir sa vision du monde, rançonner les richesses et faire de l’Afrique une dominée exemplaire. Aux méthodes primitives de l’époque précédant les indépendances fictives des années 60 ont succédé des formules plus pernicieuses comme l’aide au développement, la mondialisation, les plans d’ajustement structurels, la bonne gouvernance.
Le libre-échange a toujours été une arme employée par les plus forts pour imposer aux plus faibles l’ouverture de leurs marchés. « Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas pour les pays pauvres du monde », reconnaît Joseph E. Stiglitz, ancien vice président et économiste en chef de la Banque Mondiale. Les dirigeants africains assujettis à l’Occident qui se font l’écho des vertus de la mondialisation prônée par les pays riches, sont de plus en plus contestés par leurs populations. Quel est l’intérêt pour l’Afrique de privilégier les cultures d’exportation aux cultures vivrières puisque les prix des produits qu’elle exporte sont fixés à la baisse par ceux- là même qui les importent ? Pourquoi lui proscrit-on le droit de faire usage de l’arme protectionniste pour défendre des secteurs sensibles et redresser des économies dévastées par des siècles de pillages, alors que cette même option a été utilisée (et continue de l’être) par l’Europe pour relancer une économie mise à mal par la Seconde Guerre mondiale ? Comment l’instauration des quotas à l’importation du textile chinois en Europe cadre-t-elle avec la théorie du libre-échange ? Les subventions accordées par le gouvernement américain à ses producteurs de coton au détriment des agriculteurs africains indiquent- elles qu’il y a des pays plus « mondialisables » que d’autres ? La mondialisation est-elle autre chose que l’occidentalisation à outrance de l’économie mondiale ?
« Aussi longtemps que les lions n'auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur »
Un autre outil très efficace d’asservissement de l’Afrique est l’aide au développement. La perversité de ce concept usurpateur réside dans la dissimulation d’un système oppressif d’exploitation derrière la générosité apparente des institutions financières internationales et des pays donateurs. Le fonctionnement de l’aide au développement est antinomique au discours de solidarité qui y est lié. L’assistance apparente est en effet assortie d’une série de contraintes qui visent non seulement à astreindre le pays dominé à adopter des solutions peu adaptées à ses besoins réels, mais également à consolider les fondements économiques des pays riches. L’utilisation des fonds est exclusivement déterminée par les pays donateurs, qui n’hésitent pas, quand il y va de leur intérêt, à ériger les causes de nos maux en solutions.
Qui a décidé que la lutte contre le sida était essentielle pour l’Afrique ? Le sida est-il vraiment la cause de la misère africaine ou sa propagation rapide n’est-elle pas plutôt la résultante de la pauvreté, de l’analphabétisme, du chômage ambiants ? Pourquoi l’éradication du paludisme n’est-elle pas une priorité pour le continent ? La confidentialité de la lutte contre la drépanocytose est-elle totalement dissociable du fait que cette maladie n’affecte que les Noirs ? Les dons de riz dont les Occidentaux abreuvent les populations sous- alimentées des pays pauvres sont-ils vraiment la preuve de la grandeur d’âme des bienfaiteurs autoproclamés ou ne sont-ils pas plutôt une des causes principales de la famine qu’ils sont censés endiguer ? Lorsque l’on sait que le riz envoyé au Niger, au Tchad, en Ethiopie à travers des organisations comme le Programme Alimentaire Mondial est acheté au prix fort par les gouvernements américains et européens à leurs producteurs nationaux sous forme de subventions, au détriment du riz cultivé en Afrique ou en Asie, meilleur marché et de qualité souvent supérieure, la question se pose avec beaucoup d’acuité.
Les règles du jeu sont définies par les puissants de ce monde, qui veillent scrupuleusement à confisquer les ressources financières et à sécuriser un retour sur investissement permettant de stabiliser leurs propres économies. Les fonds attribués aux pays pauvres sont ainsi rapatriés à leurs généreux donateurs soit au travers de multinationales prédatrices qui font partie intégrante du schéma ou soit par le biais de rétro commissions. Lorsque l’Agence Française de Développement accorde des fonds pour la construction d’une route ou la réfection d’un pont, mais que ce « don » est assorti de l’obligation d’attribuer le marché à une entreprise de BTP française, alors qu’une firme chinoise aurait pu effectuer les travaux à un prix défiant toute concurrence, il est nécessaire de s’interroger sur l’identité réel du bénéficiaire final de l’aide. Qui se développe? Qui secourt l’autre?
Officiellement, l’octroi de l’aide au développement est conditionné aux principes de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, mais concomitamment, les pays donateurs préfèrent de loin traiter avec des régimes corrompus plutôt que vertueux, qui viendraient perturber un système de remontée des fonds bien organisé. Le soutien constant aux administrations dépravées d’Omar Bongo, Blaise Compaoré et Mobutu, l’organisation des assassinats de Thomas Sankara et de Patrice Lumumba, le déclenchement de la guerre en Côte d’Ivoire pour renverser le président Gbagbo démontrent à quel point les Européens en général, et les Français en particulier, redoutent l’émergence d’interlocuteurs intègres, intelligents et africanistes. Alors que l’affaire Elf a fait éclater dans toute sa splendeur l’étendue de la corruption qui gangrène le pouvoir et la classe politique française, il est évident que la volonté de Jacques Chirac d’installer un homme du cru à la tête de l’Etat ivoirien est plus tenace que jamais.
L’Afrique est-elle tenue de rembourser une dette contractée par des dirigeants qu’elle n’a pas élus, qui lui ont été imposés et qui l’ont utilisée prioritairement à d’autres intérêts que les siens? Puisque le principal de la dette a déjà été remboursé depuis belle lurette, pourquoi en est-on encore à batailler pour son annulation ? Qu’est-ce qui justifie la strangulation des populations africaines par les bailleurs de fonds et les institutions financières internationales ? Aussi surprenante qu’elle puisse paraître, la réalité est tout autre. L’Afrique a financé le développement de l’Occident. Aujourd’hui, l’Europe est redevable à l’Afrique. Néanmoins, il était jusqu’ici tout à fait impensable de formuler cette vérité. Tous les moyens médiatiques, politiques, économiques et psychologiques ont été mis en œuvre pour maintenir les Africains dans une posture de reconnaissance à l’égard de ceux qui les ont exploités. Après avoir rançonné leurs sols et sous-sols, leur avoir imposé des régimes dictatoriaux, corrompus et répressifs, dénié leurs aspirations à la démocratie, infligé un paternalisme spoliateur, les Occidentaux ne peuvent cependant pas s’attendre à de quelconques remerciements de la part des Africains, qui, de toute évidence, n’apprécient pas de la même façon que les homme politiques français les bienfaits de la colonisation.
Sans l’Afrique, la France n’est rien
La propension de la France à infantiliser l’Afrique, sa volonté sans cesse réaffirmée de parler à la place de ses anciennes colonies, que Jacques Chirac vient d’ailleurs de réitérer à Bamako, démontrent, s’il en est besoin, que les politiques français n’ont pas compris que l’ère des états africains façonnés à la Jacques Foccart n’existe plus. Abasourdie par le rejet massif dont elle fait l’objet, la France assiste désemparée à la construction de pouvoirs indépendants. Nostalgique, elle n’arrive pas à discerner l’intérêt à avoir en face d’elle des vrais interlocuteurs, qui, comme le président ivoirien, ont gagné leur légitimité par les urnes, plutôt que des pantins qu’elle a choisis. La France redoute et combat par tous les moyens l’émergence d’une nouvelle génération d’Africains libres, parce qu’elle sait que sans l’Afrique, elle n’est rien. Elle a besoin du continent noir pour compter dans le collège des grandes nations.
La France, qui avait su établir sa zone d’influence en Afrique en se posant comme rempart contre l’avancée du communisme sur le continent, n’a pas été en mesure d’anticiper l’impact de la chute du mur de Berlin en 1989 sur sa politique africaine et de l’adapter en conséquence. Le « danger » communiste n’existant plus, c’est le prétexte légitimant la mainmise française en Afrique qui est ébranlé. Son rôle de porte-parole de l’Afrique, que l’Hexagone avait gagné au prix de moult assassinats politiques, subventions de coups d’Etat, soutiens à des rebelles et génocidaires, installations et cautionnements de régimes fantoches, et qui jusque là ne lui avait pas été contesté par la communauté internationale, est remis en cause par le nouvel ordre géopolitique mondial qui sonne définitivement le glas d’une politique africaine d’un autre temps.
La Chine a plus fait pour le développement de l’Afrique que toute l’aide et les plans d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale réunis.
Les chaînes d’aliénation culturelle, sociale, économique et politique sont en train d’être brisées, même si le chemin à parcourir demeure long et parsemé d’embûches. Les axiomes édictés par le monde occidental sont de plus en plus contestés par une nouvelle génération d’Africains, pour qui le respect mutuel est la condition sine qua none de toute relation avec les anciennes puissances coloniales. L’Africain nouveau revendique donc le droit pour les peuples noirs à des relations commerciales d’égalité avec leurs anciens bourreaux. Il exprime la nécessité d’établir des partenariats d’intérêt équilibré avec des pays émergents comme la Chine, l’Inde, la Corée, le Brésil ou l’Afrique du Sud. L’Afrique doit-elle fatalement continuer à servir de dépotoir pour des congélateurs et des réfrigérateurs qui sont bannis en Occident à cause de leurs émanations de CFC dangereuses pour la couche d’ozone ? Est-il normal que pour satisfaire ses aspirations à une meilleure qualité de vie, l’Africain soit obligé de recourir à l’achat de véhicules d’occasion et de fripes venues d’Europe ? N’est-il pas plus légitime qu’il puisse avoir l’ opportunité d’acquérir un véhicule simple mais flambant neuf de marque coréenne à cinq millions de FCFA, plutôt que d’avoir à dépenser trois millions pour une guimbarde de troisième main de fabrication française ? Est-il inéluctable d’avoir à dépenser de l’argent pour l’achat de vieilles vestes et cravates plutôt que de privilégier le port de boubous, de chemises et de robes tissés dans du coton produit et travaillé localement ? A qui profite réellement le maintien de l’Afrique francophone dans la zone Franc ? Pourquoi les pays africains qui, à l’instar de la Tanzanie, du Kenya, du Ghana ou du Nigeria, ont créé leur propre monnaie, s’en sortent-ils mieux que les soi-disant poids lourds de l’Afrique de l’Ouest et du Centre que sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Cameroun ?
Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons (Martin Luther King)
La solution ne réside pas dans l’adhésion inconditionnelle au mouvement alter mondialiste tel qu’il existe aujourd’hui, puisque même en son sein, l’Afrique est marginalisée. En janvier 2003, à Porto Alegre, une des plus célèbres figures alter mondialistes françaises, leader d’une organisation vouée à la défense du Sud s’est ainsi «lâchée» face à un jeune intellectuel malien qui s’était timidement plaint de cette mise à l’écart : « Vous les Africains, vous n’avez rien à dire, vous n’êtes ici que grâce à la générosité de la France !» L’anecdote rapportée par l’écrivain Boubacar Boris Diop, associée au silence assourdissant des grandes figures alter mondialistes européennes à propos de la guerre de la France en Côte d’Ivoire a fait comprendre à l’intelligentsia noire que le salut de l’Africain ne peut venir que de l’Africain lui-même. La résistance aux manœuvres dilatoires des Français et des élites africaines corrompues qui leur servent de relais s’organise.
Le devoir de soutenir ceux qui ont le courage de poser les bonnes questions et de proposer des solutions qui placent le bien-être des Africains au centre de leurs préoccupations s’impose de plus en plus comme une évidence. Laurent Gbagbo, Paul Kagamé, Robert Mugabe, Thabo Mbeki, Muhammar Kadhafi. Les leaders africains qui mettent en péril leurs intérêts font l’objet d’une diabolisation acharnée par certains gouvernements occidentaux, relayée par des campagnes d’intoxication et de manipulations médiatiques souvent reprises docilement par des médias africains décérébrés ou tenus par la politique du ventre.
Lorsqu’il est élu en 2000, Laurent Gbagbo veut réaliser son programme : rendre l’enseignement accessible à tous, instaurer l’assurance- maladie universelle et faire en sorte que chaque Ivoirien ait droit à un toit. Selon la journaliste belge Colette Braeckman, « désireux de calmer le jeu politique, il rétablit M. Ouattara dans ses droits, organise un Forum de la Réconciliation nationale et en 2001, le RDR emporte les élections municipales. Les perspectives économiques sont jugées bonnes par la Banque mondiale, qui promet de nouveaux crédits, la Côte d’Ivoire semble se redresser. C’est alors que le président Gbagbo prend la décision d’aller plus loin : il veut ouvrir le marché national, car il estime que son pays ne doit plus être la chasse gardée de la France ». Les conséquences sont connues. Depuis trois ans, la Côte d’Ivoire est plongée dans le chaos parce que son président a osé vouloir inventer un avenir couleur Afrique. Même si Jacques Chirac n’a pas réussi à éliminer «le fauteur de troubles», il compte sur l’effet dissuasif de sa guerre en Eburnie pour annihiler toute velléité de récidive dans son pré carré. Le véritable défi à relever consiste à mobiliser des opinions publiques endoctrinées ou indifférentes pour lui faire comprendre que l’Africain du 21ème siècle ne transige plus avec sa liberté et sa dignité.
Et déjà, derrière le président Gbagbo, les voix de plus en plus nombreuses d’un continent en mutation s’harmonisent et une mélodie entêtante s’élève moderato cantabile : « Monsieur Chirac, il faut que vous le compreniez : nous voulons que vous partiez ».
Nathalie Yamb in Mutations & Le Courrier d'Abidjan, Janvier 2006
http://saoti.over-blog.com/article-4095929.html lire la suite
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lundi 13 février 2012 à 13:40 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
L’Afrique est-elle condamnée à être perpétuellement déféquer par l’Occident ?
Togo : un pion de plus pour le FMI et la BM.
Comme sorti de la naphtaline, Fossoun Houngbo est nommé Premier ministre au Togo, succédant ainsi à Komlan Mally. Cette nomination n’est que l’aboutissement des rondes incessantes à Lomé des responsables du FMI et de la Banque mondiale. En effet, ces deux institutions ont visité le Togo à plusieurs reprises depuis la signature de l’accord politique dit global.
Sous prétexte d’aider le Togo à se développer, ces deux vampires, accompagnés de leur aile marchante de la Banque africainede développement (BAD), agités par les marionnettistes de l’UE et de Washington, s’activent plutôt à faire payer la dette, à demander une plus grande ouverture du marché togolais aux capitaux étrangers ainsi que l’accélération des privatisations, si tant est qu’il reste encore quelque chose à privatiser sous le ciel togolais. De toute évidence, Komlan Mally, Premier ministre depuis le 3 décembre 2007, et démis de ses fonctions le 5 septembre dernier, a été incapable de mobiliser les ressources pour satisfaire les besoins des "bailleurs de fonds".
Chose curieuse, à chaque visite des missions du FMI et de la Banque mondialeau Togo, la presse locale s’enthousiasme et présente la chose comme une tournée d’inspection à l’issue de laquelle les dirigeants togolais sont sanctionnés et humiliés, ou comme une opération purement humanitaire au chevet d’un peuple togolais miséreux. Grossière erreur ! C’est mal comprendre le rôle et le pouvoir de nuisance desdites institutions qui, en réalité, sont à la solde des puissances occidentales et principalement des firmes transnationales. Contre les prêts et autres (négligeables) dons, le FMI et la BM ainsi que les "donateurs" exigent, sans possibilité de recours, le démantèlement de l’Etat.
Pour atteindre ces objectifs, tant au Togo qu’ailleurs en Afrique, il faut avoir aux postes-clés des hommes ou des femmes moulés et dressés dans des écoles occidentales néolibérales, experts dans des institutions internationales, ne connaissant aucune réalité du terrain sur lequel ils sont lâchés, suffisamment armés pour défendre les intérêts de leurs mentors, et n’ayant qu’une approche financièrement rentable des problèmes du pays. Capables de réciter à la minute toutes les théories d’ailleurs, ces marionnettes n’ont d’autres connaissances de l’histoire de leur pays que celles apprises de leurs maîtres. Les droits des citoyens n’existent pas à leurs yeux. Ils doivent réprimer ou étouffer les forces alternatives, à savoir l’opposition et les syndicats et faire adopter des lois toujours plus favorables aux étrangers. Ainsi, leur présence au pouvoir rassure les investisseurs étrangers. D’ailleurs le site de propagande du pouvoir RPT ne s’en cache pas. Dans un article titré La Surprise du chef, on lit « Le nouveau locataire de la Primature aura à poursuivre le travail entamé par son prédécesseur, Komlan Mally, et à mettre en œuvre les grands chantiers de modernisation au Togo ; des chantiers qui vont bénéficier du soutien financier des institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne ou la BAD ».
La preuve en est que Houngbo se définit comme un keynésien. L’additif d’afro-optimiste dont il s’affuble est plus propagandiste et démagogique qu’autre chose. Il aurait dû ne pas l’évoquer car, si notre bonhomme connaissait l’Afrique, il aurait compris que, justement, c’est l’adhésion systématique des dirigeants africains aux théories importées qui paralyse l’Afrique. L’Afrique a un modèle de société propre, fondé sur la liberté individuelle et la solidarité, hier représenté par l’existence d’un champ privé aux côtés d’un champ communautaire. Toute politique économique qui ne tient pas compte de cette réalité est vouée à l’échec et ne peut qu’encore massifier la pauvreté en concentrant les richesses du pays entre les mains d’une poignée d’individus disposant du capital. Le modèle économique africain est tout tracé. C’est l’économie populaire consistant à ouvrir l’actionnariat au peuple en transformant le champ collectif en entreprises publiques où chacun des citoyens doit investir, et le champ personnel en entreprises privées.
Houngbo a pour mission d’accélérer la casse sociale en continuant l’assainissement des finances publiques et la modernisation du Togo. Deux pratiques consistant en réalité à procéder à la suppression des barrières douanières, la libéralisation du mouvement des capitaux, la construction des infrastructures moins rentables pour le pays, mais bénéfiques aux entreprises transnationales, l’augmentation des taxes et impôts, la privatisation des secteurs publics de l’eau, de l’électricité, la réduction des dépenses de santé, de l’éducation, la réduction des salaires, au blocage des avancements voire au dégraissage dans la fonction publique, la suppression de tout soutien public aux agriculteurs et de tous les frais affectés au bien-être de notre peuple. Bref, transposer mécaniquement le modèle libéral au Togo (et en Afrique) et détruire la vision africaine de la vie en communauté… Toutes ces mesures visent à faire des économies pour payer la « dette » et attirer les « bailleurs » et les « opérateurs économiques étrangers ». Un libéralisme pourtant de plus en plus violemment contesté dans son berceau occidental.
Au lieu de laisser ces guignols de dirigeants vendre les pans entiers de nos pays à des investisseurs étrangers, nous devons nous organiser et réaliser avant tout l’unité de l’Afrique. Ceci passe impérativement par le balayage systématique des marionnettes kleptomanes qui osent actuellement parler au nom du peuple africain. Manifestement, ces hommes et ces femmes, par leurs méthodes et leur indifférence face aux problèmes de notre peuple, prouvent qu’ils ne sont pas des nôtres, malgré leur peau noire. Ces criminels endurcis se moquent royalement de tout ce qui se passe autour d’eux. Voici deux exemples. Face au problème de l’immigration des jeunes Africains accompagnés de femmes et d’enfants, dont les embarcations de fortune coulent, et qui se font dévorer par des requins de la Méditerranée, ils n’ont de réponses que le silence. Pire, ils demandent aux Européens de leur fournir des outils pour contrôler leurs frontières. Face au peuple qui crie sa faim et sa soif, dans les rues, ils n’hésitent pas à lui tirer dessus. Jamais dans l’histoire de l’Afrique, on a vu d’hommes si prompts à travailler contre leur propre peuple. Non, jamais ! Tant que ces « dirigeants » seront au pouvoir, point de salut pour l’Afrique. Mais, il ne suffit pas de les renvoyer. Ceux qui les remplaceront doivent connaître notre peuple, son histoire, ses forces et ses faiblesses ; ceci pour formuler des solutions adaptées à ses besoins. Ces nouveaux dirigeants doivent être responsables, intègres, animés d’un esprit farouchement patriotique et comprenant l’acquisition du pouvoir comme une mission sacerdotale et non comme un outil d’enrichissement personnel.
Il faut ensuite définir notre propre stratégie de développement à partir de notre culture, et affronter le marché en réglementant les investissements étrangers pour éviter que les secteurs essentiels de l’économie échappent aux populations locales. Nous devons jouer nos intérêts en établissant des partenariats avec les entreprises étrangères qui favorisent la formation et les transferts de technologies afin d’ajouter de la valeur à la production locale et innover ainsi pour les producteurs locaux.
Au lieu de nous astreindre à des obligations néolibérales que les Etats occidentaux violent allègrement, nous devons procéder à une allocation massive de crédits à bon marché aux opérateurs du secteur informel pour les faire passer de l’informel au formel et accorder des subventions à l’éducation, à la santé, à la production vivrière, à l’industrie, à l’habitat, à la recherche scientifique et à la technologie. Les pays africains ne relèveront la tête que s’il émerge une classe moyenne locale - véritable moteur du développement - avec un soutien au commerce régional, à l’exportation et aux petites et moyennes entreprises. Aussi, dans un cadre démocratique, il nous faut élaborer des lois pour contrecarrer la fuite massive des capitaux et renationaliser les sociétés publiques privatisées, mieux, bradées.
Aucun Etat n’a pu se développer en démantelant ses propres bases. Or, c’est ce que les « bailleurs de fonds » imposent à l’Afrique. Notre réponse doit être un refus clair et net. Les Etats-Unis, les Etats européens et les dragons asiatiques ont tous réglementé, contrôlé, protégé durant toute la phase préliminaire de leur développement, et continuent de recourir aux mêmes pratiques autant que nécessaire. En forçant l’Afrique à agir à contre-courant, le FMI et la Banque mondiale ainsi que leurs marionnettistes l’inscrivent dans une logique de tutelle permanente.
Mais l’un des problèmes fondamentaux que nous devons affronter, c’est la dette. Nous devons refuser de la payer car elle, « l’argent emprunté », n’est qu’un instrument d’asservissement du peuple et qui finance une répression systématique : nous ne pouvons accepter de payer les fusils et les balles qui nous massacrent.
12 septembre 2008
Rodrigue Kpogli
Secrétaire général de la JUDA
http://lajuda.blogspot.com
Allain Jules
L'information déjantée, au Kärcher, et la liberté d'expression dans sa quintessence: mieux vaut mourir debout que de vivre couché
Afrique – Alassane Ouattara et Abdoulaye Wade font honte à l’Afrique
Publié le28 janvier 2012
Ouattara et Wade
Afrique mon Afrique, où vas-tu ?
Côte d’Ivoire – Tant que les Africains accepteront de se faire marcher sur les pieds, rien ne changera. Vraiment rien. J’ai été choqué de voir le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, être reçu en France, à l’aéroport d’Orly, pour sa visite… officielle, être accueilli par le ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant. Comment peut-on envoyer un ministre recevoir un président ?
Le premier-ministre français François Fillon n’a pas daigné, lui aussi, se déplacer. Que vaut un chef d’Etat africain ? Le mépris que les pays occidentaux ont vis à vis de leurs homologues africains, devrais-je dire sous-préfets africains, est abyssal. La France a organisée une pseudo parade aux Invalides à l’honneur de son hôte ivoirien. Fastueux, avec escorte de la Garde républicaine à cheval et à moto, ce n’était que moquerie.
Comment l’Afrique est méprisée et maltraitée par la France ? Le président ivoirien vient de montrer l’illustration. Mais, il y a pire. Comment un chef d’Etat africain peut-il se déplacer en allant sur une chaîne de télévision ? Non, vous ne rêvez pas, Alassane Dramane Ouattara s’est rendu en début d’après-midi à LCI au lieu que la chaîne aille à lui. Ridicule.
Sénégal – Le Conseil constitutionnel a accepté 14 candidatures dont celle d’Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle du 26 février à l’issue d’une longue séance de délibération. Il faut savoir que le même conseil n’accepte dans ses textes que deux candidatures alors que Wade court pour un 3e mandat. A gerber. Après l’annonce, hier soir, vendredi, de nombreux incidents ont eu lieu. Nous en saurons un peu plus dans la journée.
Craignant la popularité de l’artiste Youssou Ndour, le Conseil constitutionnel sénégalais a déclaré sa candidature irrecevable, sans toutefois précisé dans son arrêté, ce qui motivait sa décision. Elle est belle la démocratie sénégalaise, avec Wade aux commandes. Quelle honte ! Youssou Ndour ne fait pas seul les frais de cet arrêté scélérat. Ceux qui l’accompagne dans son malheur sont: Kéba Keinde et Abdourahmane Sarr.
Bien sûr, puisque Abdoulaye Wade est l’ami de Sarkozy, ou plutôt son laquais, vous n’entendrez ici chez nous en France, aucune voix s’élever contre ce viol du peuple sénégalais perpétré par cet homme qui a détruit la belle démocratie sénégalaise. Il ne reste qu’à l’opposition sénégalaise d’avoir un candidat unique sinon, ça va encore être la bérézina.
La défécation est l’acte d’expulser les matières fécales hors du corps.
Chez l'être humain, cela se fait par l'anus.
Acte essentiel et quotidien mais tabou dans de nombreuses cultures, et tout au moins très intime, il s'effectue de différentes façons dans le monde : les personnes peuvent s'accroupir ou s'asseoir, utiliser des toilettes publiques ou chez soi, voire faire leurs besoins en plein air, diverses méthodes sont utilisées pour le nettoyage anal, etc.
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Physiologie
Diagramme du rectum et de l'anus. 1- rectum, 2- sphincter extérieur, 3- sphincter intérieur.
En temps normal, la défécation est volontaire et nécessite une action consciente d’ouverture du sphincter anal. Cependant, une défécation involontaire peut se produire, par exemple en cas d’émotion forte, de troubles psychomoteurs, ou de maladie.
Le contrôle de la défécation, donc des sphincters, marque un des stades de l’évolution de l’enfant : celui-ci devient « propre », il n’a plus besoin de couches, et peut être scolarisé. Du fait de la forte portée symbolique de cette étape d’accession à la maturité, les psychanalystes ont nommé cette étape le stade anal.
http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9f%C3%A9cation lire la suite
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vendredi 10 février 2012
vendredi 10 février 2012 à 17:15 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
Samedi 17 décembre 2011 6 17 /12 /Déc /2011 00:00
« Les " psychopathes " arrivent. Un adieu à " l'ère du narcissisme " », par Götz Eisenberg
Ci-dessous un texte de Götz Eisenberg, psychologue parfois proche de la revue allemande « Krisis », sur l'influence, de son point de vue, du néolibéralisme sur la structure psychique ainsi que les maladies psychiques.
Les « psychopathes » arrivent
Un adieu à « l’ère du narcissisme »
Götz Eisenberg
Voir le Fichier : LesPsychopathes_arrivent_Un_adieu_a_lere_du_narcissisme1.pdf
En 2013, l’association américaine de psychiatrie publiera la 5ème édition de son manuel de diagnostic (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) qui existe depuis 1952. Ce manuel a pour vocation de définir des critères universels pour décider à partir de quel moment un être humain doit être déclaré malade au niveau psychiatrique. La nouvelle publication à venir a déjà déclenché de vives polémiques.
Ce manuel tente de fournir une approche objective aux problèmes psychiques, basée uniquement sur les symptômes, et de les imposer de manière universelle. L’objectif est d’assurer que quand on pose par exemple le diagnostic de «dépression» ou de « schizophrénie » on parle partout de la même chose.
La nouvelle édition vise à faire le ménage dans la rubrique des troubles de la personnalité. Sur les onze maladies reconnues actuellement, deux seulement sont diagnostiquées régulièrement : le « trouble de la personnalité borderline » et le « trouble de la personnalité antisociale ». Quelle humiliation pour les narcissiques. Bientôt ils n’auront plus d’existence, ou en tout cas pas dans leur forme pure !
Le fait que le « trouble de la personnalité narcissique » soit retiré de la circulation peut être interprété comme le fait que les symptômes attribués à cette maladie sont devenus partie prenante de la normalité. Ce trouble de base n’a plus valeur de maladie dans notre société, il reflète plutôt son caractère social. A chaque degré de développement social correspond un caractère social dominant. La structure identitaire de l’homme est synchrone avec celle de la société environnante. Le personnage principal du roman d’Heinrich Mann Le Sujet de l’Empereur1, avec sa soumission inconditionnelle, son penchant compulsif à faire des économies et à tout conserver, reflète tout à fait la phase historique durant laquelle le capitalisme en Allemagne prenait son essor sous la forme d’un Etat autoritaire et semi-féodal. Parallèlement, on voyait déjà, dans certaines subcultures marginales, culturelles et artistiques, émerger la prochaine étape de développement. Au début, ses attributs étaient stigmatisés et analysés comme des signes de dégénérescence et de maladie. C’est ainsi qu’avaient été traités les milieux dadaïstes et surréalistes, avec les dandys et les bohèmes, qui cultivaient certains traits narcissiques et qui anticipaient dans nombre de domaines l’hédonisme consumériste. Pour le bourgeois, les bohémiens et les artistes étaient des « dandys vaniteux » de la « lie » dont il fallait se débarrasser, ce qu’ils finiront par faire. Dans les fameuses années vingt, on voyait déjà pointer à l’horizon le changement psycho-historique qui nous entraînerait dans l’ère du narcissisme. Par la suite, le fascisme a amené une régression collective vers le caractère social traditionnel, avec ses idéaux d’ordre et de pureté, et a ainsi enterré provisoirement tout autre développement. Il a fallu quelques décennies pour que les tendances des années vingt se manifestent de nouveau, importées des Etats-Unis.
La révolte de 1968
Lors de la transition vers l’ère consumériste, les comportements bohèmes sortent de leur ghetto subculturel et se massifient. Une bonne partie de la dynamique de la révolte de 1968 provient de la friction entre deux formes différentes du caractère social ou des « classes psychiques »2. Après coup, la révolte apparaît comme étant également une nouvelle étape dans l’implémentation du développement capitaliste. On pourrait dire, pour paraphraser Hegel, que l’esprit du capitalisme s’est servi de ses opposants pour faire retour à soi et rejoindre son concept. Des gens tels que Rainer Langhans3 ont rendu de grands services à la modernité, et il est donc logique de le retrouver aujourd’hui dans un jeu de télé réalité, « Le camp de la jungle » (héritier du Loft), produit par la chaîne RTL. Le fait de « s’éclater » et de soigner son look hippie n’a représenté une rébellion qu’à l’époque où l’Allemagne Fédérale était fondamentalement postfasciste, coercitive et « petite-bourgeoise ». L’époque où porter les cheveux longs suscitait chez les bourgeois et les beaufs une pulsion d’anéantissement est révolue. Le développement psychique et culturel possède sa propre structure temporelle et a toujours un temps de retard par rapport aux changements économiques et techniques. De temps en temps, il faut une révolte militante pour réformer des sub-systèmes anachroniques et les rendre contemporains.
Nous pouvons assister actuellement à la décomposition du sujet introverti traditionnel et à la transition vers « l’homme flexible » qui correspond aux impératifs modifiés d’une nouvelle phase du développement capitaliste. Ses attributs sont identiques au catalogue des symptômes de l’ancien trouble de la personnalité narcissique, qui n’est donc plus considéré comme une maladie. Une partie de ses symptômes qui ne sont pas compatibles avec la nouvelle normalité sont transférés vers d’autres troubles : le narcissisme a désormais droit de cité, sauf dans sa forme maladive ou « borderline ».
Mais on voit déjà les prémices de nouveaux changements psycho-historiques. Les années que nous venons de traverser, marquées par le néolibéralisme, ont rendu les gens indifférents, leur vie intérieure s’est transformée en un grand glacier de sentiments congelés. Les gens ne peuvent pas faire autrement que de transmettre cette froideur à leur environnement. Il y a des différences non négligeables selon qu’on a grandi et que l’on vit dans une société qui valorise la solidarité avec les faibles et ceux qui sont moins compétitifs, ou bien qu’on vit dans une société où ces gens sont abandonnés dans la misère et stigmatisés en tant que loosers. Que l’expression « espèce de victime » soit devenue la pire insulte que des jeunes se lancent à la tête en dit long sur l’image pervertie qu’ils se font de l’humanité, marquée depuis quelques années par le culte du gagnant. On le voit par exemple chez des sportifs qui chantent à tue-tête devant les caméras après un match victorieux: « Regardez à quoi ressemblent des gagnants – hohéhohéhohé ». (…) Sans doute aussi parce qu’elle a l’air de sortir du dernier soap opera, la gardienne de but de l’équipe de foot américaine, Hope Solo, incarne ce culte du gagnant. Dans une interview avant la finale du dernier championnat du monde, elle déclarait : « Nous savons que nous allons gagner. C’est notre mentalité. » Qu’elle se soit trompée n’est qu’un faible réconfort.
Le marché comme vie intérieure
Les attitudes et les comportements qui sont dictés par le marché et qui sont indispensables pour réussir au niveau économique ont aujourd’hui pénétré la vie quotidienne jusque dans ses derniers recoins. Le manque d’égard généralisé, l’individualisme poussé jusqu’à la manie égocentrique, le cynisme et l’indifférence caractérisent aujourd’hui les rapports entre les humains. C’est ainsi que « l’ère du narcissisme » porte déjà en son sein le prochain niveau de développement psycho-historique. Le marché, l’économie et la pédagogie dictent une idée de la vie intérieure humaine qui doit être flexible et interchangeable, analogue à ce qu’on stigmatise encore aujourd’hui comme « psychopathe », et qu’on retrouve chez les détenus, en prison ou dans des institutions médico-légales. Le terme de psychopathe n’est pas utilisé ici dans son acception populaire, définissant une personnalité perturbée, imprévisible et violente, mais comme l’ont défini les psychiatres américain et canadien Cleckley et Hare pour qui les caractéristiques d’une personnalité « psychopathique » sont l’incapacité à ressentir de l’empathie, le fait d’être beau parleur, charmeuse, sûre d’elle, à l’aise dans les situations sociales, froide quand elle est sous pression. C’est-à-dire précisément les attributs qui caractérisent les flambeurs et les gourous de la nouvelle économie et du monde de la finance qui continuent à nous pousser vers le précipice.
En 2007, Paul Babiak et Robert Hare ont publié un livre, « Esclavagistes ou managers », dans lequel ils mettent en garde les managers et le monde de la finance. Si des «psychopathes» devaient occuper des postes de direction, leur goût du risque et leur absence totale de scrupules pourraient s’avérer désastreux à long terme. De nos jours, la psychologie qui vend son savoir au plus offrant cherche à expliquer les dysfonctionnements du système par ceux des individus plutôt que par la structure de l’économie capitaliste. La psychologie officielle est aveugle en ce qui concerne la société et tente, comme le dit Peter Brückner, « de décrire les astres à travers un ciel partiellement voilé ». Elle ne reconnaît pas que les phénomènes critiqués sont un effet secondaire d’une nouvelle ère du capitalisme qui a commencé dans les années 1990 et qui ne connaît plus comme critère que la cotation boursière. Le monde de l’argent, déchaîné et sans scrupules, est devenu générateur de « psychopathes », il les attire comme un aimant et les multiplie.
Une carrière de psychopathe naît d’un côté de la famille, en tant qu’association utilitariste de sujets-marchandises, et de l’autre du monde virtuel des jeux vidéo. Jouer à l’excès aux jeux vidéo, fondamentalement antisociaux, participe à la production de « psychopathes fonctionnels » et forme les générations à venir à la vie dans un monde capitaliste. On assiste actuellement à la formation d’une nouvelle structure enfantine qu’on pourrait appeler une objet-socialisation4. Dans une forme d’abandon d’enfant postmoderne, on les laisse dès leur plus jeune âge devant des appareils électroniques et techniques chargés de leur socialisation. Même si les parents modernes souhaitent que leurs enfants soient sages, ils ne sont pas prêts pour autant à consentir l’effort personnel et le temps nécessaire. Le travail éducatif astreignant est laissé aux enseignants et à la « Ritalin », ce médicament miracle censé « assagir » les enfants. Il fait partie de la famille des amphétamines et il est de plus en plus prescrit à des enfants comme s’il s’agissait d’un simple complément nutritionnel. C’est avec de la Ritalin et d’autres psychotropes qu’on veut rendre les enfants aptes à supporter les rapports de concurrence auxquels on les confronte dès leur plus jeune âge. Le marché, omniprésent et déifié par tout le monde, pénètre jusque dans les écoles, caractérisées par la concurrence, la solitude, l’hostilité entre les enfants et le harcèlement moral. La conséquence risque d’être que la concurrence du darwinisme social, le manque d’éducation, la froideur et l’indifférence construisent chez les enfants une insensibilité psychique, une absence d’empathie et un manque de scrupules. Même si c’est encore le narcissisme qui domine aujourd’hui, c’est aux psychopathes qu’appartient l’avenir.
L’homme flexible
La seule chose dont on peut être sûr aujourd’hui, ce sont les catastrophes vers lesquelles nous fonçons. Toute alternative dépendra de l’action humaine. La société actuelle porte encore en elle les possibilités de quelque chose de meilleur, mais pour réaliser ces possibilités, on ne peut se fier ni à une tendance qui serait propre à l’histoire ni à un quelconque sujet collectif. C’est à nous, les êtres humains d’aujourd’hui, d’arrêter la folie de l’économie déchaînée et de reprendre le contrôle. Une des priorités d’une société débarrassée de la tyrannie de l’économie serait d’inventer et de créer de nouveaux espaces, stables dans le temps et la durée, et avec une présence éducative humaine, qui permettraient aux enfants de réussir leur naissance psychique et de se développer en tant qu’humains dans une société humaine. Une société dans laquelle l’intégration sociale et les rapports entre les personnes seraient basés sur des formes de coopération solidaire, et non pas sur une socialisation asociale à travers l’argent et le marché, produira d’autres structures psychiques et d’autres formes de médiation de la question psychique et sociale que nous ne pouvons actuellement pas formuler avec des concepts. On peut seulement avancer que l’existence individuelle devra avoir un rapport prononcé avec la communauté dans laquelle l’individu doit retrouver une vraie solidarité. Pour le dire avec les mots du manifeste du parti communiste, une société dans laquelle « le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous ».
La production de l’humain serait au centre d’une « économie du bonheur » (Bourdieu) qui permettrait aux gens de s’épanouir, de découvrir et de faire naître les possibilités que la société de classes a jusqu’à présent entravées. Mais rappelons-nous l’avertissement formulé par la théorie critique qui met en garde contre la volonté de définir trop exactement l’émancipation, et terminons donc ici par une définition négative : l’homme moderne n’est limité par rien, attaché à rien, il est sans tradition, sans scrupules, régi par l’opportunisme, à la recherche permanente de la fructification de ses avantages personnels et de la croissance de la cotation en bourse de son propre ego. Cet « homme flexible » ne représentera certainement pas l’idéal d’une humanité libérée.
Götz Eisenberg*
Traduction : Paul Braun
- Götz Eisenberg est psychologue en milieu carcéral dans la prison allemande de Butzbach. Il a publié plusieurs livres en allemand sur la question de l’augmentation du nombre d’accès de folie meurtrière (amok) et de leur lien avec l’évolution de la société moderne. Cet article est paru en septembre dernier dans l’hebdomadaire allemand Der Freitag.
1. En allemand Der Untertan, roman écrit deux mois avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. NDLT
2. Concept forgé par Lloyd deMause, né en 1931 à Detroit, Michigan, qui est un penseur social américain connu pour ses travaux en psycho-histoire. C’est le fondateur du Journal de Psycho-histoire. NDLT
3. Auteur et cinéaste allemand, né en 1940, connu surtout comme l’un des principaux protagonistes du mouvement communautaire politique à Berlin en 1967/68. NDLT
4. Concept développé par Günther Anders selon lequel l’homme n’est plus le sujet de l’Histoire, qu’il a été remplacé par les objets.
http://palim-psao.over-blog.fr/article-les-psychopathes-arrivent-un-adieu-a-l-ere-du-narcissisme-par-gotz-eisenberg-92504696.html lire la suite
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