lundi 9 juillet 2012
____La démocratie est-elle sous-jacente dans l’histoire occidentale ?
lundi 9 juillet 2012 à 16:58 :: ___Battlefiel IV - BLOODSLATTERS - Survival Of The Fittes - Everyday Gun Play - Street Life
Cette question se pose au monde à l’heure où les nations occidentales, par le truchement des organisations qu’elles dirigent, s’octroient le droit d’ingérence dans les affaires souveraines des Etats, dans le but officiel de soutenir les velléités démocratiques des peuples opprimés. La réponse à cette question parait de prime abord évidente, surtout lorsqu’on admet qu’Athènes, l’antique cité grecque et donc européenne fut le berceau de la démocratie. L’Occident ne se serait-elle pas naturellement approprié ses valeurs ? Pourquoi donc cette question ? Malgré cet à priori qui tombe aujourd’hui sous le sens, il n'en est rien au regard des entorses faites aux valeurs de la démocratie par les nations championnes mêmes de sa promotion dans le monde. Ainsi l'intolérance religieuse en Occident (islamophobie), les nationalismes exacerbés portés par leurs mouvements d’extrême droite, la xénophobie, l'institutionnalisation des racismes, les problèmes des libertés et d’égalité en droit en Occident, le mélange des genres entre l’église et l’Etat (incompatible avec le principe démocratique de la laïcité), les guerres menées par les pays donneurs de leçon mais violant leurs propres résolutions onusiennes, les impérialismes sous des prétextes fallacieux comme celui de la lutte contre le terrorisme, susceptibles de justifier le retour d'ascenseur sous forme d'attentats contre les cibles occidentales, etc.
Sur le plan pratico-pratique, quel que soit la nation occidentale considérée, les valeurs démocratiques y sont très superficielles et reposent souvent sur un caractère polymorphe, perverti. Ainsi lors d’un référendum en 2005, 53% d’Irlandais, 55% de Français et 61% de Hollandais s’opposèrent au projet de Constitution européenne. Estimant que le peuple n’avait pas « correctement voté », sa volonté fut ignorée et contournée. Evidemment que ces pays ne possèdent pas le monopole de ces procédés opposés aux principes de la démocratie qui décrètent que « le peuple seul est souverain. » En effet, nombre de pays européens dont le Danemark, le Portugal, etc., suspendirent le référendum prévu, sachant que leurs citoyens désapprouveraient de même. Deux années plus tard, les représentants des Etats membres se réunirent à Lisbonne et imposèrent le Traité, supposé modifié, sans qu’il soit jamais encore soumis au peuple. Est-ce bien démocratique ?
Au regard de ces écarts et déviations, de la crise institutionnelle et de gouvernance d'une part, et en reconsidérant toutes les formes de lobbyings et de dictatures (culturelle, économique, politique, etc.) imposées par les régimes dits démocratiques d’autre part, ainsi que la marche déséquilibrée du monde contemporain, répondre à la question de savoir si la démocratie est sous-jacente dans l’histoire occidentale ne va plus de soi. Car l’Occident apparaît de plus en plus comme « une civilisation qui ruse avec ses principes » (A. Césaire). Pour être valable cependant, notre réponse à cette question devra être éprouvée empiriquement, historiquement dans le cas d’espèce. D’où l’analyse de l’histoire occidentale sur le « temps long » (Braudel).
La « démocratie » : une réinvention universelle.
D’emblée, soulignons qu’avant la Grèce, au tout début de l’aventure humaine, existait la démocratie. Ses valeurs étaient au fondement des civilisations sumériennes (Irak), des sociétés des chasseurs-cueilleurs (comme les Pygmées de la forêt équatoriale actuelle), des royaumes de la vallée de l’Indus ou Inde ancienne (Vaísali, Mahajanapadas), des Etats antiques de Gopala, (Bengale), de Sambasrai (Afghanistan), de Sabarcae (Pakistan), au sein des tribus primitives amérindiennes, etc. La déclaration universelle sur la démocratie en parle comme d’un « idéal universellement reconnu et un objectif fondé sur des valeurs communes à tous les peuples qui composent la communauté mondiale. » Donc, loin d’être une invention grecque, la démocratie est une aspiration universelle qui s’impose naturellement aux hommes. Aucun peuple ne peut s'arroger son invention. Pour ce qui est formellement attesté, c’est néanmoins en Grèce que pour la première fois elle aurait été appliquée à des communautés complexes.
L’histoire situe son règne à Athènes entre le début du 5ème siècle et 338 avant notre ère, année où Athènes, affaiblie, perdit définitivement son indépendance, sa constitution étant abolie en - 322. L’on remarquera que la démocratie ne subsista dans la Grèce antique que moins de deux siècles de sorte que l’on n’en parlait plus au début de l’ère chrétienne. Durant cette ère, « le souvenir des cités grecques avait totalement disparu », même s’il eut quelques assimilations, notamment dans les cités italiennes de la Renaissance (cf. : Le Prince, Makiavel). C’est sous une forme radicalement différente, objet d’une falsification grossière et d’une application édulcorée, mensongère, que la démocratie sera réinventée plus de deux millénaires après dans l’Amérique du 19ème siècle. Dans un mémorable discours en 1863, Abraham Lincoln, l’un des pères fondateurs de cette démocratie réinventée, plutôt représentative, reprenait la vieille formule de Périclès qui célèbre « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Pour Pierre Rosanvallon , il faut justement attendre ce siècle-là pour que l’usage même du mot se répande dans le langage courant. Et en tant que système de gouvernement en Europe, ce n’est que récemment, dans la seconde moitié du 20ème siècle et à la faveur de la recherche de la paix suite aux guerres mondiales (SDN, ONU, OTAN, etc.), que la démocratie sera redécouverte. Comment expliquer cet effacement millénaire des principes du « pouvoir au peuple » ?
Obstacles millénaires à l’enracinement de la démocratie en Occident.
Fragmentée et hétérogène, l’Europe est le terrain de jeu des envahisseurs pendant la plus grande partie de son histoire de l’ère chrétienne, notamment depuis le 5ème siècle. « Les Huns, les Avars, les Magyars, les Tatars, les Mongols et les peuplades turques arrivent de l'est, les Vikings du nord, les conquérants musulmans du sud », explique l’historien britannique Eric Hobsbawm . Pressés de tous les côtés, dans ces déchirements et cet éclatement de l’Europe « westphalienne », du fait des guerres internes et externes sur une période s’étalant sur plus d’un millénaire et demi, et même après la mise en place des cités-nations qui ne verront le jour sur le territoire situé entre l’Oural et Gibraltar qu’après la défaite turque aux portes de Vienne en 1683, il est impossible de parler d’Etat en Europe, et encore moins de nation démocratique. L’Europe ne retrouve un semblant de stabilité politique qu’après la révolution française qui s’achève en 1799, à la veille du 19ème siècle. Or, affirmation pour le moins absurde, le pouvoir n’était point entre les mains du peuple dans le système aristocratique qui domina en Occident durant ces longs siècles d’hiver démocratique.
Durant les 9 dixièmes de l’ère chrétienne donc, l’Europe connaît une instabilité qui n’offre pas l’occasion de construire des États forts. Pour commencer, pendant un demi-millénaire, la domination des Phéniciens, premiers colonisateurs au monde, dé-configure le sud de l'Europe . Partant de la Syrie, du Liban et de la Palestine, ils colonisent la Tunisie, l’Égypte, Tanger, l’Espagne, la Sicile. A la fin de leur domination suite à la destruction de Carthage par Rome en 146, c'est encore une famille phénicienne (Liban) qui impose la dynastie de Septime Severe à Rome durant la fin du 2ème siècle. Passons sur le sac de Rome en 410 par le Wisigoths. En réalité, ce sont les Vandales, peuple germanique d’origine scandinave, qui tiennent l’Europe en otage durant les 5 premiers siècles. Ils envahissent la Gaule (407), la Galice, la Bétique (Espagne, 409), l’Afrique romaine, les Îles de la méditerranée (Sicile, etc.), avant d’être conquis par les Byzantins (533). Au début, le règne instable des Byzantins profite dans un premier temps aux Bulgares qui pénètrent dans les Balkans et Lombarde (Italie), puis dans un second temps aux Arabes (depuis le Yémen aussi) qui arrivent en Afrique du nord où ils prennent Carthage (695), occupent le Maghreb et font replier encore plus les Noirs dans l’hinterland continental, traversent la méditerranée pour poursuivre leurs conquêtes. Pénétrant aussi l’hinterland européen, ils prennent possession des terres basques, de Bordeaux, etc., soumettent une partie de ces peuples à l’Islam. Ce n’est qu’à Poitiers en 732 qu’ils seront stoppés. La Grande Mosquée de Cordoue en Andalousie est aujourd’hui encore une des traces de l’invasion séculaire des Arabes qui occupent le sud de l’Europe pendant des siècles.
Dès 793, c’est au tour des navigateurs et guerriers Vikings, édificateurs de Dublin venus de Scandinavie. Ils effectuent des raids, pillent et massacrent tout sur leur passage, déstabilisent le continent européen depuis les villes côtières d’Irlande et les Île du nord-est de l’Angleterre jusqu’aux confins du continent. Ils occupent et dominent l'Europe occidentale et centrale jusqu’en Russie. Partout ils sèment la terreur, brulent Paris en 856. A la même période, les nomades Avars venus d’Asie font des incursions régulières, saccagent l’est de l’Europe dès 799, jusqu’en Croatie.
Pour continuer dans le « temps long » (Fernand Braudel) de cette histoire des barbaries où la démocratie est littéralement relayée aux calendes grecques depuis des siècles, la Dalmatie connaîtra ses guerres ravageuses, s'en suivra celles des envahisseurs Francs, de Charlemagne, celles sur la Lotharingie, la Bretagne. Il y aura le siège de Paris par les Normands, la bataille de Clontarf en 1014 qui marque la fin de la domination des Vikings et le début des batailles pour les successions en Irlande. L’union de la Croatie blanche et Pannonienne en 925 et son intégration à la Hongrie en 1102 sont finalement perçues comme des alliances stratégiques afin d'être plus forts face aux envahisseurs durant ces siècles de barbarie.
Après les grandes invasions barbares (3ème au 5ème siècle) et celles du haut Moyen-âge (5ème au 10ème siècle), l’intolérance religieuse des Européens durant le bas Moyen-âge (10ème au 15ème) est véhiculée par les papes successifs (Urbain II, III et IV, Innocent III et IV, Grégoire VIII, IX et X, etc.), qui tentent d’unifier l’Europe autour de la chrétienté. Cette intolérance est relayée par les chefs militaires et les monarques les plus puissants qui, foulant au pied le principe démocratique de la laïcité (officiellement jusqu’en 1905 en France), font allégeance au pape. Outre Godefroi de Bouillon, ces meneurs sont Philippes-Auguste, Saint-Louis, (rois de France, Richard Cœur de Lion (roi d’Angleterre), Fréderic 1er Barberousse (Empereur du Saint-Empire Romain Germanique), etc.
Avec la bénédiction papale, les réactions enthousiastes engendrent de formidables coalitions européennes de très vaste ampleur entre 1095 et 1292. Les expéditions des armées des croisés sont abominables et déstabilisent l’Europe et le Moyen-Orient. Les armées de Chevaliers, de Teutons, d’Hospitaliers et de Templiers prennent activement part aux huit croisades. Celles-ci mobilisent les populations entières par dizaines de milliers qui partent de tous les quatre coins d’Europe jusqu’aux confins de la Russie pour le Moyen-Orient : Jérusalem, Damas (et toute la Syrie), Beyrouth (et tout le Liban), Bethleem, Samarie, l’Irak, l’Iran, Chypre, Crête, Byzance, Constantinople, l’Egypte, Tripoli, Carthage). Au départ, croix sur le dos, les croisés ont pour but de contrôler la Terre sainte et Jérusalem afin de récupérer le Saint-Sépulcre et libérer ainsi « le tombeau du Christ » des mains des « infidèles » musulmans à qui ils portaient la divine parole. Par la suite les croisades seront l’occasion d'expéditions de pillages, le sac des villes traversées, le massacre des hommes, le viol des femmes, le vol des richesses des populations musulmanes, juives et même chrétiennes de ces régions à qui ils livrent les guerres au nom de la chrétienté.
Entre temps, dès 1237, sous le Roi universel Gengis Khan, les Mongols ou « Hordes d’Or », peuples d’Asie à l’origine d’un des plus grands empires de tous les temps (couvrant l’Asie centrale, la Birmanie, l’Indonésie, la Chine, la Russie, le Moyen-Orient), écraseront les Ukrainiens, les Polonais, les Hongrois, les Autrichiens, etc. A l’intérieur de l’Europe, quand ce ne sont pas les invasions étrangères, ce sont les guerres internes entre Français, Anglais, Germains, Romains, etc. Ainsi, en sera-t-il des Français vaincus par les Flamands à Courtrai en 1302. Ou encore la guerre de cent ans qui se poursuit de 1337 à 1453 sur le sol français.
Sorte de retour des croisades quelques décennies plus tard, c’est au tour des Musulmans de mener les djihads avec de fréquentes invasions sur les terres d’Europe ., en commençant par la Grèce, puis la Bulgarie, la Roumanie, etc., jusqu’aux portes de Viennes en Autriche à la fin du 17ème siècle comme nous le mentionnions supra. Partie de la péninsule ibérique (Espagne), la Reconquista chrétienne contre les Musulmans aura lieu parallèlement, depuis le 8ème siècle d’ailleurs jusqu’à la prise de Grenade en 1492. Dès cette date, s’ajouteront aux massacres d’une Europe éloignées des principes démocratiques, les génocides des esclavagistes et des colons depuis les indigènes d’Amérique (Indiens) jusqu’aux nègres d’Afrique en passant par les Jaunes d’Asie, tous des termes qui rappellent le racisme occidental qui proclame avec Gobineau qu’« il n’est d’histoire que blanche ».
Le point fort des ces guerres saintes sera la chute de Constantinople. Donc, même si Byzance chute en 1453, les Ottomans ne seront défaits que 230 ans après. Ces siècles d’instabilités sociétales et de cruautés humaines n’offrent aucune occasion de réflexion critique sur les modèles de gouvernance et feront dire à Castoriadis, avec raison d’ailleurs, que contrairement à ce qu’affirmait Marx, l’histoire de l’humanité n’est pas l’histoire des luttes des classes mais bien celle des barbaries , en tout cas ces points les plus marquants.
En général, c’est le règne de la monarchie absolue en Occident, des aristocraties et des cités-nations qui ne connaissent pas la démocratie. Les successions sont héréditaires au sein de quelques familles de souverains qui prennent la tête des États-nations européens comme on le remarquera aujourd’hui encore où nombre de familles royales descendent toutes d’ancêtres communs et restent au pouvoir jusqu’à leur mort (Belgique, Angleterre, Danemark, Pays-Bas, Norvège, Suède, Espagne, Liechtenstein, voire Monaco et Luxembourg, etc.). Après les siècles de croisades et de djihads, ce sont ceux des hérésies et des inquisitions catholiques absolument inhumaines. On pratique officiellement la chasse aux sorcières que l’on brule vives sur les buchers, la pendaison (haute et courte) sur l’échafaud, la guillotine.
Loin d’être celle des valeurs de la démocratie, l’époque médiévale et même de la Renaissance (1450-1600) en Occident est bien celle de l’intolérance religieuse, de l’antisémitisme. Les Juifs sont partout pourchassés pour être tués, tandis que le système de servage avec son mode d’exploitation est la règle dans les seigneuries. C’est d’ailleurs en cherchant des échappatoires à leurs risques et périls que les premiers serfs fugitifs deviendront des artisans dans les bourgs tout autour des seigneuries. Vendant les objets d’art de leurs fabrications aux nobles d’autres contrées, ces bourgeois vont s'enrichir et manipuler les serfs restés au service de leurs maîtres anoblis pour qu’advienne la révolution française qu’ils détourneront à leur compte.
Démocratie : la grande illusion occidentale.
Ainsi donc, parler des valeurs qui fondent la démocratie comme étant occidentales est une grosse méconnaissance des faits historiques quand on sait par exemple que bien avant les Européens, la tolérance religieuse, une importante valeur démocratique, était pratiquée par les Ottomans et les Chinois, les seuls à accueillir les Juifs expulsés par les intégristes chrétiens de la Castille (Espagne), du Portugal, puis d’autres États d’Europe dès le 14ème et jusqu’au 18ème siècle, voire au 20ème (l'affaire Dreyfus, la Solution Finale). Plus grande puissance européenne d’alors (les États-nations se forment à partir du 14ème/15ème siècle jusqu’au 19ème), l’Espagne n’avait pas les valeurs démocratiques que s’approprie l’Europe aujourd’hui.
A voir tout le rififi autour de la burqa, indicateur d'une islamophobie profonde, il ne fait aucun doute que la tolérance fait défaut à l’Europe actuelle. Comment s’en étonner si, comme l’explique l’historien Hobsbawm, « ce n'est qu'à la fin du XXe siècle que les institutions et les valeurs en question se sont répandues, au moins théoriquement, à travers toute l'Europe. »
Supra nous parlions de semblant de stabilité au cours des années 1800 car même après les Lumières et les révolutions, l’Europe connaîtra encore de longues périodes de crises et de guerres d’une cruauté désespérante. Les rois et les empereurs ont droit de vie et de mort sur leurs sujets et règnent jusqu’à leur mort. En 1802, après la révolution, Napoléon par exemple se fait proclamer Consul à vie, puis Empereur ; et le restera jusqu’à sa défaite en 1815 à Waterloo (Belgique) par les troupes britanniques de Wellington et prussiennes de Blücher. Même après, crimes contre l’humanité et guerres, y compris coloniales, seront fréquents, l’Europe étant comme le rappelait Césaire, « comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire. » (Discours, op. cit.).
Au 20ème siècle, des régimes autoritaires s’accaparent du pouvoir et l'Europe postindustrielle du capitalisme mur connaitra encore le stalinisme, le salazarisme, le fascisme, le nazisme, le franquisme, etc., ainsi que l’expliquait Mitterrand aux Chef d'États Africains dans son discours de La Baule en 1990 : « il nous a fallu deux siècles pour tenter de mettre de l'ordre, d'abord dans notre pensée et ensuite dans les faits, avec des rechutes successives ; et nous vous ferions la leçon ? »
C’est récemment, après la deuxième guerre mondiale, après les décolonisations en Afrique, en 1965, il n’y a même pas un demi-siècle donc, que la France par exemple aura son premier Chef d’Etat élu à peu près démocratiquement, au suffrage universel sans discrimination de genre : Charles De Gaule (Vème République), vainqueur face à Mitterrand que nous avons tous connu. Même dans l’exemple démocratique souvent cité de la Suisse actuelle où, intolérance religieuse caractéristique, l’on a récemment organisé un referendum pour l’interdiction des minarets (pourquoi pas aussi des clochers ?) et l’expulsion des migrants reconnus coupables d’un crime, parmi lequel s’inclut une banale fraude sociale, les femmes n’auront le droit de vote qu’en 1971. Quant au vote des étrangers qui vivent et travaillent légalement dans quasi tous les pays d’Occident, il est encore loin d’être programmé sur la table des discussions. En France, sans l’avis du peuple, Sarkozy lui tout seul a réitéré son refus et son gouvernement se vante de son nouveau quota de 30.000 expulsions d’étrangers par an.
Partout, l’on assiste à une régression mentale que les peuples de l’antiquité eux-mêmes n’ont pas connue. Loin de construire les murs pour empêcher l’arrivée des étrangers, l’hospitalité était une tradition grecque, une valeur caractéristique de leur démocratie, comme le témoigne le conte épique de L'Iliade. Or de nos jours, des prisons pour étrangers qualifiées de « centres fermés » se comptent par centaines à travers l’Occident barricadé dans des fortifications le long de ces frontières. Les traitements dégradants et la répression qui y ont cours ne sont finalement qu’anecdotiques devant tant d’autres injustices récurrentes. A cela, l’on se justifie : l’Occident « ne peut pas accueillir toute la misère du monde ! » Sont-ce là les valeurs de la démocratie ?
Sur le sujet, toute critique est censurée car « La France, tu l’aimes ou tu la quittes. » Qu’en est-on de la liberté d’expression qui avait cours dans ce marché-lieu de rassemblement de l’antique Athènes, l’agora ? Quid de la protection de la vie privée ? En Angleterre, en France, aux USA, dans toutes les « démocraties », les scandales des écoutes illégales sont récurrentes, bien que contraires aux principes démocratiques. La xénophobie et le racisme sous-jacents prennent les oripeaux de nationalisme qui connaissent une avancée inquiétante. Dans son œuvre « Printemps dans un jardin de fou », Henri-Frédéric Blanc assène : « le fascisme n’a pas été pulvérisé. Il a été intériorisé et il ressort un peu partout, partout un peu. » Témoins la montée de l’extrême droite : 10% en France, 12% en Bulgarie, 14,8% en Hongrie, 17% au Pays-Bas, 17,1% en Belgique, 22,4% en Norvège ! S’étonnera-t-on des attentats perpétrés par un croisé des temps modernes à Oslo il y a quelques semaines ?
Devant la nouvelle « invasion musulmane » qui justifierait l’islamophobie actuelle, il y a longtemps que l'Europe, jusqu'aux mouvements extrémistes de droite, a fait volte face pour condamner désormais non seulement le négationnisme et la traditionnelle complaisance à l'égard de l'antisémitisme, mais aussi toute critique à l'égard d'Israël, Etat dont malgré le caractère clairement voyou, est, dans la position stratégique de son isolement géographique de l’Occident d’où parsema sa diaspora, contraint d’accepter d'être en retour l'avant-garde des Occidentaux en Orient, chez les Arabes.
Il faut savoir, comme l’expliquait la vice-présidente de la Commission européenne au début des révoltes arabes, que même « tout au long du XXe siècle, notre avancée vers la démocratie libérale a été chaotique et lente. L'Union européenne elle-même a émergé des cendres de plusieurs conflits ayant ravagé notre continent et qui ont montré les conséquences dramatiques de l'échec de la démocratie. Si on ajoute le bilan mitigé des empires européens, il est clair que l'UE doit faire preuve d'humilité vis-à-vis de ses partenaires. »
Dans l’Europe dans parle Mme Ashton, peuples et élus n’ont aucun pouvoir. A l’ombre des seuls grands états dont les dirigeants jouent les oligarques, il y a des décennies que la Commission européenne ne joue plus le rôle majeur que lui reconnaissent les traités. Elle est même devenue sans objet l’année dernière avec la nomination d’un président du Conseil, poste fabriqué par Sarkozy et Merkel, qui, avec la « crise de la dette », viennent d’inventer aussi, toujours unilatéralement, le Gouvernement économique de la zone Euro. Évidemment que l’Occident n’a pas de leçon démocratique à donner au reste du monde. En parlant de l’émergence de l’UE « des cendres de plusieurs conflits ayant ravagé » l’Europe, Ashton pense sans doute au nazisme et la seconde guerre mondiale. Pour très longtemps encore, l’humanité se souviendra avec effroi du « Combat » mené par Hitler et du niveau inégalé de barbarie atteint par ce führer arrivé « démocratiquement » au pouvoir. Cet exemple achève à lui seul de montrer qu’« aucune démocratie n'est à l'abri d'une poussée autoritaire, même en Europe », comme le souligne Bertrand Badié, professeur à Sciences Po (Paris). »
Comme on le constate, au contraire des valeurs qui dominent aujourd’hui sur ce continent, ce sont les marxismes-léninismes, les nationalismes, voire les racismes qui de loin devançaient l’idéologie d’ensemble le siècle dernier encore. Même en Amérique où l’on est théoriquement en avance sur l’Europe en ce qui concerne la pratique de la démocratie (De Tocqueville), c’est l’esclavage qui a dominé durant la grande partie de l’histoire de cette première république moderne ; les femmes blanches n’y obtiendront le droit de vote qu’en 1920 quand Rosa Park, une femme noire n’a pas, en 1955, le droit de s’asseoir sur un siège d’autobus parce que la loi le réserve aux seuls Blancs. Cette pseudo-démocratie n’octroie pas encore la plus importante valeur à ces citoyens, celle de l’égalité des droits, et le Ku Klux Klan sème toujours la terreur. On sait que Martin Luther King qui revendiquait l’égalité entre les Blancs et les Noirs sera assassiné à Memphis en 1968, tout récemment donc, plus d’un siècle après le discours de Lincoln. Dans l’Europe de cette époque où l’illusion démocratique était déjà évidente, l’un des slogans les plus durs entendus chez les soixante-huitards étaient : « La dictature, c’est ferme ta gueule ; la démocratie, c’est cause toujours. » Faut-il rappeler qu’Obama est le seul président américain qui n’est pas « pur blanc » ? Et il restera seul dans sa catégorie pendant des décennies. Et un tel évènement est impensable en Europe ; quid du Vatican ?
Comment expliquer raisonnablement ces réalités politiques occidentales actuelles opposées aux principes de la démocratie autrement que par le fait que ses valeurs ne sont pas sous-jacentes dans l’histoire des champions de sa promotion dans le monde ? Pour l’historien Eric Hobsbawm , en Europe « les valeurs qui fondèrent les États modernes avant l’ère des révolutions furent celles des monarchies absolues et mono idéologiques. »
D’évidence donc, la « démocratie » ou ce qui en tient lieu aujourd’hui n’est profondément enracinée nulle part. Elle n’existe que dans une certaine superficialité, n’ayant été réinventée il n'y a que quelques décennies. L’historien insiste : « Les "valeurs européennes" sont un mot d'ordre de la seconde moitié du XXe siècle.» La légitimité de ces valeurs restant encore à construire, il va sans dire que la démocratie a déjà elle-même besoin d’être enracinée et approfondie en Occident, avant d’être imposée à coups de canons ailleurs, avec le chaotique succès obtenu en Irak depuis les braises éventées entre Chiites, Sunnites et Kurdes. Et demain, la Libye ! Que l’Occident assimile d’abord sa leçon de démocratie ! Car comment donner ce qu’on n’a pas ? Où a-t-elle jamais pu apporter la démocratie ? Où ?
- 1- Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, 2004, Ed. Présence Africaine, p. 7.
- 2- Gaston Lavergne, La démocratie dans l’histoire, Site Internet : www.esplanade.org/democratie.
- 3- Pierre Rosanvallon, L’histoire du mot démocratie à l’époque moderne, dans Situation de la démocratie, Gallimard-Seuil, 1993, pp. 11-29.
- 4- Eric Hobsbawm, L’Europe : mythe, histoire, réalité, Le Monde, Paris, 24 septembre 2008.
- 5- Warwick Ball, Out of Arabia, Phoenicians, Arabs and discovery of Europe, East & West Publishing, nov. 2009.
- 6- Précisons néanmoins que le choc des civilisations est une idéologie anhistorique. Au 3è siècle, au moment de la célébration du millénaire de Rome, l’empereur romain Philippe n'était autre que le fils d'un cheikh arabe de Syrie, tandis qu'au 10ème siècle, au moment de l'apogée de l’Andalousie, le calife Abderrahman III, qui fut le souverain de ce vaste empire Arabes était un Occidental aux yeux bleus et aux cheveux blonds. Comme on le voit, la ligne de fracture est mince entre l'Orient et l'Occident tant les influences sont réciproques. A propos des emprunts culturels, notons avec intérêt que les premiers colonisateurs furent phéniciens, d'abord autour de la Méditerranée et des rives atlantiques. L'alphabet Grec elle-même tire son origine de la Phénicie, qui colonisa l'Europe. Cette origine Asiatique est d’ailleurs reconnue historiquement par les Grecs et les Romains.Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, In Carrefour des labyrinthes 4, Ed. Du Seuil, Paris, 1988